― 𝟑 ―


― C'est bon Wooyoung, j'ai trouvé l'info que tu voulais.

Jackson était entré dans la chambre de son chef, ce dernier était allongé sur son lit, il se redressa et posa ses pieds au sol pour faire face à son invité.

― Il t'a fallu 1h30 ? Je t'ai connu plus réveillé que ça - plaisanta-t-il pour embêter son ami.

― La ferme !

― Je plaisante, vas-y, je t'écoute.

― Aucun Cho Sanjay dans la base de données. J'ai en revanche trouvé un Choi San qui a acheté une maison 119 Lake Avenue il y a trois semaines.

― "Choi San"... L'enfoiré. T'as dit 119 Lake Avenue ? C'est pas très loin d'ici, non ?

― À sept stations de métro vers l'Est. Environ 15 minutes en voiture.

― D'accord, merci Jackson. J'y vais tout de suite.

Wooyoung se leva sans attendre, il enfila une veste en cuire ainsi qu'une paire de lunettes de soleil. Il faisait sacrément froid dehors mais le soleil tapait fort aujourd'hui.

― Attends. T'as mangé ?

― Mh ?

― Est-ce que t'as mangé ?

― Non.

― Wooyoung, il est 14h20. Les gars ont ramené des pizzas, mange un bout avant d'y aller.

― ... Pepperoni ?

― Évidemment, qu'est-ce que tu crois.

― Ok.

Wooyoung attrapa une part de pizza en passant par la salle commune et l'engloutit avant d'arriver jusqu'à son pick-up. Il s'essuya la bouche du revers de la main et démarra l'engin avant de se mettre en route vers chez ce "Choi San". Rien ne garantissait que ce soit le jeune homme qu'il avait vu la veille mais il avait une bonne intuition. Dans tous les cas, il allait être fixé dans quelques minutes.

✧ ✧ ✧

San était passé au magasin dans la matinée et avait réussi à trouver tout ce qu'il cherchait : lames de microscope, terreau, éthanol... Il avait passé le reste du temps à travailler sur un hybride qu'il essayait tant bien que mal de développer depuis des mois. Un magnifique mélange entre un Dahlia et une Pivoine Corail. Enfin, c'était pas tout à fait magnifique pour l'instant. Quelque chose clochait, ça venait d'un problème de concordance au niveau des terpènes, San en était convaincu.

Ok, cette fois c'est la bonne ! Il faut que ça marche !

Il plaça les quelques graines qu'il venait d'hybrider dans un réfrigérateur et retira ses gants en caoutchouc bleus. Il s'essuya le front et se pencha vers la vitre de son frigo.

― Soyez fortes, soyez belles et charmantes - chuchota-t-il d'une voix douce à ses graines comme si elles étaient ses enfants en bas âges. Reposez vous un peu, je reviens vous mettre en terre dans quelques heures.

Il se redressa puis éteignit la lumière avant de sortir de la pièce qu'il avait fraîchement convertie en laboratoire. Il n'avait pour l'instant déballé que son matériel scientifique, le reste de son domicile n'était pas encore aménagé et restait totalement vide de personnalité. Par chance, la maison était déjà meublée d'un lit, d'un canapé et de quelques commodes, ça faisait déjà ça en moins à acheter et à installer.

Mais sa priorité numéro une était ses fleurs. Il avait prévu d'en mettre une cinquantaine en pot d'ici la fin de la semaine afin d'avoir suffisamment d'échantillons pour cet été. Il avait tenu compte de la possibilité que certains hybrides ne se développent pas correctement. Six mois, ça devrait le faire. Il avait déjà quatre hybrides fonctionnels, il espérait enfin parvenir à faire pousser correctement sa nouvelle création pour pouvoir finalement passer au dernier croisement.

San soupira et se rendit compte de l'état de fatigue dans lequel il était. Il s'était levé tôt, avait fait l'aller retour en ville, intercepté la livraison du reste de ses affaires et passé plus de 4 heures à bucher dans son labo. Il était déjà 14h30 et il n'avait pas encore avalé de déjeuner.

Il se rendit dans son salon et ouvrit un des cartons présents sur le sol pour en sortir des ustensiles de cuisine ainsi qu'une cafetière. Il fit quelques allers retours pour déballer le minimum nécessaire et sursauta en entendant quelqu'un frapper trois coups puissants à la porte alors qu'il passait tout juste devant celle-ci avec une poêle dans chaque main. Il ne prit pas le temps d'aller les poser et s'avança pour aller ouvrir, curieux de savoir qui pouvait bien frapper chez lui. Ses voisins venaient peut-être lui souhaiter la bienvenue ? Étonnant sachant qu'il n'avait de vue directe sur aucune des maisons alentour.

Il peina à baisser la poignée, gêné par la poêle qu'il avait dans la main. Il parvint finalement à ouvrir la porte et celle-ci laissa apparaître la seule personne que San espérait ne pas voir ici.

― AH ! - laissa-t-il échapper dans un léger sursaut, pris de surprise en découvrant le visage de l'inconnu du bar. Qu'est-ce que vous faites ici ??

― Oh pardon, je ne voulais pas vous faire peur - lâcha l'homme avec un fin rictus au coin des lèvres, amusé par la réaction de San.

Derrière ses lunettes de soleil, il jeta un coup d'œil perplexe aux poêles que le garçon devant lui tenait dans les mains avant de relever les yeux vers lui en reprenant une expression sérieuse.

― Je venais m'assurer que vous aviez bien trouvé le matériel que vous cherchiez hier.

San cligna des yeux et le dévisagea quelques instants, confus.

― Je, euh... Oui, merci. Comment avez-vous trouvé mon adresse ? - demanda-t-il d'un ton assez sévère, essayant tant bien que mal de ne pas paraître intimidé ni paniqué.

― Je connais beaucoup de monde ici, j'ai par coïncidence eu une conversation ce matin avec vos voisins et ils m'ont informé avoir vu un jeune garçon emménager dans la soirée. J'en ai déduit qu'il s'agissait de vous et me suis dit que vous auriez peut-être besoin d'aide pour installer vos meubles ?

― C'est très gentil de votre part mais je n'ai pas grand chose à déballer.

Wooyoung retira ses lunettes et leva légèrement un sourcil. San fut instantanément décontenancé par l'intensité de son regard. Wooh. Bleus. Ses yeux sont sérieusement bleus. Et bon sang, qu'est-ce qu'ils savent vous scruter ! C'est un peu comme si la lumière reflétait sur l'océan dans lequel on plongerait et se noierait. San frissonna.

Il profita de cet instant pour analyser l'homme de plus près. Ses cheveux noirs étaient plaqués en arrière avec de la laque et une petite mèche lui retombait sur le front, il était coiffé comme s'il était le chef d'un gang du Bronx des années soixante. Remarque, une partie de cette phrase n'est pas fausse...

Il portait une veste en cuire noire épaisse qui laissait malgré tout deviner une carrure sous-jacente impressionnante. Sa peau dorée brillait sous le soleil et se mariait à la perfection avec la couleur de ses yeux. Sa mâchoire était carrée, ses lèvres charnues et son nez imposant. San ne put s'empêcher de déglutir face à l'allure virile de l'homme posté juste devant lui.

Ce dernier avait retiré ses lunettes pour signifier qu'il aimerait que San le fasse entrer chez lui malgré tout. Le jeune homme ignorait les réelles intentions derrière sa visite mais ne put faire autrement que de se résigner à laisser entrer ce gangster terriblement sexy. De toute façon, il n'avait pas vraiment d'autre choix. Vu le regard insistant de celui-ci, San avait peur de se faire exécuter sur place s'il décidait de le laisser sur le pas de la porte.

― Euhm... Mais vous pouvez quand même entrer si vous voulez... boire quelque chose ? Du lait ? Qu'est-ce que je raconte, vous n'allez certainement pas boire du lait... Vous êtes un bad boy après tout - ricana-t-il nerveusement en faisant entrer Wooyoung chez lui sans s'arrêter de parler. Du café peut-être ? Je viens justement d'installer ma cafetière !

Il faisait de grands gestes avec ses poêles avant de les poser sur le comptoir de la cuisine.

― Moi je vais me préparer un café dans tous les cas. Mais peut-être que vous n'aimez pas ça ? Désolé, je n'ai pas de bière, j'ai remarqué que vous en buviez une hier soir ! Je n'ai pas encore eu le temps d'aller faire de courses... Je peux aussi simplement vous offrir un verre d'eau mais je doute qu'un homme comme vous se contente de boire de l'eau, du moins ce n'est pas l'image que j'ai de‐

San plaqua une main sur sa bouche en se rendant compte qu'il parlait beaucoup trop. Il devenait un vrai moulin à parole lorsqu'il était nerveux et ne pouvait s'empêcher de débiter des âneries. Wooyoung s'était contenté de le dévisager tout au long de son monologue et se résigna finalement à laisser échapper un léger sourire amusé.

― Un café m'ira très bien.

― Un café. Très bien. C'est parti.

Wooyoung nota que San avait seulement deux vitesses de parole : monosyllabique ou turbo dynamique. Ce dernier entreprit la préparation de leurs cafés, il se débattit avec le filtre, alla chercher deux tasses qu'il manqua presque de faire tomber puis il s'énerva quelques instants sur la cafetière avant de se rendre compte qu'il ne l'avait pas branchée.

― Merde, chui con - marmonna-t-il gêné en attrapant la prise et en la branchant au mur.

Wooyoung le regardait faire sans dire un mot, faisant tout son possible pour ne pas trouver tout ça mignon, mais trop tard. Il avait déjà lâché plus d'un sourire discret.

― Tu sais, je bois de l'eau comme tout le monde. Et il m'arrive même de boire du lait.

Le jeune homme releva la tête et regarda Wooyoung d'un air surpris avant de se mettre à rire. L'homme aux cheveux noirs s'était mis à le tutoyer, pourquoi ? Avait-il voulu le mettre plus à l'aise ? Ou avait-il baissé sa garde par inadvertance ?

― Oui, ça parait logique. Je peux vraiment raconter n'importe quoi quand je me mets à paniquer - ricana San.

― Tu n'as pas à paniquer. Je sais que je peux avoir l'air intimidant mais je ne vais pas te faire quoi que ce soit. Tu as l'air de te faire beaucoup de films alors je préfère mettre les choses au clair : je ne suis pas le parrain de la mafia ni le chef de la pègre. Je ne suis qu'à la tête du gang couvrant le quartier asiatique. Remarque, c'est sûrement pas ça qui va te rassurer... Mais c'est pas parce que je suis le chef d'un gang que je m'en prends aux autres sans raison.

Il pensait ce qu'il disait. Même s'il avait des soupçons sur le jeune homme qui était en train de lui préparer généreusement un café, il n'avait pas envie de lui faire de mal ni d'être trop dur avec lui. Il n'aimait pas non plus l'idée qu'on puisse le prendre pour un homme comme Aaron.

D'ailleurs, il oublia presque un instant la raison de sa visite. Il devait en apprendre plus sur ce Choi San, déterminer s'il avait oui ou non quelque chose à voir avec cette fameuse rumeur.

― Oh, d'accord... Ça me rassure. J'imagine...

Wooyoung perçut une lointaine odeur d'éthanol et de terreau frais. Il tourna la tête en direction de ces effluves et renifla l'air discrètement. Il y avait une petite porte juste à l'entrée de la cuisine, les odeurs semblaient provenir de cette pièce. Est-ce que c'était son laboratoire ? Si seulement Wooyoung pouvait y jeter un œil...

Il fut sorti de ses pensées par une forte odeur de café qui imprégna ses narines, chassant toutes celles qu'il avait pu sentir juste avant.

― Et sinon, qu'est-ce que vous faites dans la vie... Sanjay ? C'est bien ça ?

Il s'était remis à le vouvoyez, remettant ainsi de la distance entre eux. San hésita quelques instants avant de répondre.

― Euh... Oui. C'est ça. Ce que je fais dans la vie... - soupira-t-il longuement. Je ne sais pas si je devrais vous en parler pour le moment, c'est encore assez confus...

― Ce matériel que vous avez acheté, c'est pour votre travail ? Vous êtes un scientifique ? Un jardinier ?

― Un peu des deux, en fait. Disons que, pour l'instant, je fais simplement des recherches.

― Des recherches ? Dans quel domaine ?

― Désolé mais je préfère que ça reste secret - répondit-il embarrassé, inquiet à l'idée de froisser le chef de gang.

― Mh.

― Du sucre dans votre café ? Du lait ?

― Noir.

― Oh, d'accord. Tenez, pour vous.

Wooyoung attrapa la tasse que le jeune homme lui tendait et but quelques gorgées de son café encore bien chaud tandis que San ajoutait du miel dans le sien.

Le chef de gang posa sa tasse sur le comptoir sans en lâcher l'anse et décida de continuer son interrogatoire.

― Et d'où venez-vous comme ça ? Il me semble que vous avez l'accent californien ?

― Bien vu. Je viens du Nevada.

― J'imagine que vous avez quitté vos parents en venant ici ?

― Pas vraiment... Ils vivent bel et bien là bas mais je n'habitais déjà plus avec eux avant de déménager. Nous ne sommes plus en très bon termes, pour être honnête.

― Oh, je vois... Et pourquoi avoir choisi Chicago ?

― Eh bien... Je ne sais pas trop... Vous allez trouver ça bête mais, il y avait une musique que j'adorais quand j'étais plus jeune. Elle portait le nom de cette ville et promettait une vie d'aventure et de liberté. J'ai toujours rêvé de venir découvrir si ses paroles disaient vrai.

― Je ne trouve pas ça bête, au contraire. Je trouve que c'est une bonne raison.

San plongea son regard dans celui de Wooyoung et lui offrit un sourire aussi doux que le miel qu'il avait mis dans son café.

― Vous m'avez posé beaucoup de questions, est-ce que je peux vous en poser une à mon tour ?

Wooyoung fixa son hôte quelques instants d'un air intrigué avant de répondre.

― Oui, allez-y.

― Vos yeux... Est-ce que vous portez des lentilles ?

― Non, ils ont toujours eu cette couleur.

― Wouah, c'est impressionnant. Vous les tenez de qui ? Vous avez d'autres origines qu'asiatiques ?

― Non, je suis 100% coréen. Cette couleur, c'est une mutation que j'ai héritée de ma famille.

― Une mutation ?? C'est fascinant !

― Oui, c'est vrai... C'est fascinant.

De manière générale, Wooyoung arrivait facilement à cerner les gens. Il avait un instinct inné pour ça, mais San le troublait. Ce jeune homme semblait lui cacher beaucoup de choses, à commencer par son nom. Mais d'un autre côté, il semblait naïf et un peu idiot, innocent d'une façon qui donnait envie à son chien intérieur de remuer la queue joyeusement.

C'était sans aucun doute un rôle qu'il tenait pour embobiner Wooyoung, et ce dernier refusait de se laisser avoir. Une autre question lui triturait l'esprit. Pourquoi est-ce qu'il n'essayait pas d'être plus discret à propos de ses recherches et de son laboratoire ? Surtout lorsqu'il s'adressait au chef du gang chargé de la protection des mutés.

Peut-être n'avait-il pas connaissance de leur meute ? Il n'était pas impossible qu'il soit un simple exécutant engagé par le réel cerveau de cette affaire. Peut-être avait-il simplement reçu la mission de produire les hybrides sans connaître leur histoire ?

𝐂𝐎𝐍𝐂𝐋𝐔𝐒𝐈𝐎𝐍 𝐃𝐔 𝐂𝐇𝐀𝐏𝐈𝐓𝐑𝐄 𝟑 :
Wooyoung boit de l'eau comme tout le monde.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top