Chapitre 3
Au début la motivation donnait des ailes aux voyageurs mais au bout d'une demi-journée de marche, le pas avait nettement ralenti. Jade avait trouvé un bâton pour marcher et Lilian l'aidait en cas de problème, ils fermaient la marche. Mia, en tête, était pleine d'énergie et courait presque. Jade ne comprenait pas où elle puisait toute cette pêche malgré la faim et la soif. Sur leur chemin, quelques grives les suivaient, chantonnant au gré du vent et voletant d'un arbre à l'autre sous le soleil qui déversait un halo lumineux sur leurs têtes. Si les problèmes accumulés avaient pu être oubliés en un claquement de doigts, Jade aurait trouvé cette journée magnifique et parfaite pour une randonnée. La végétation n'était pas très dense grâce aux conifères qui s'élevaient hauts dans le ciel si bien que la troupe n'était pas ralentie par ce détail.
Quand le soleil fut au milieu de sa course, ils firent une pause dans une petite clairière ensoleillée. La soif assommait tout le monde et petit à petit de plus en plus de personnes ne se sentaient plus de continuer. Les malaises arrivaient de plus en plus régulièrement et il fallait pousser les corps dans les derniers retranchements pour continuer. Omar qui était parti pendant un petit moment revint avec des centaines de petites baies, les mêmes qu'ils avaient mangés l'autre jour. Tout le monde le regarda avec un air de gratitude et il y en eu assez pour remplir une bonne partie des estomacs.
Remplis de forces et de courage, ils reprirent leur périple. Le vent s'était levé, un hurlement naissait d'entre les arbres et le soleil était masqué. Le tout plongeait l'endroit dans une ambiance d'horreur.
Lorsque Jade en eut assez de penser aux douleurs qui lui parcouraient le corps, elle commença à capturer tous les détails de la nature qui l'entourait. Si elle fixait attentivement le sol, elle pouvait apercevoir des traces d'une meute de loup qui était passée par là. Un peu plus loin, des buissons à moitié dévorés été surement dû à un élan un peu trop enjoué. Perchés sur les branches de pins, des écureuils partageaient le refuge de branches touffues avec les oiseaux. La nature était absolument splendide et Jade se mit à rêvasser sur un potentiel voyage dans ces contrées sauvages avec son sac à dos, son carnet à dessin et des provisions à foison.
Ce petit moment de répit lui redonna du courage mais le retour à la réalité n'en fut que plus violent. Ses pieds commençaient à être douloureux à force de marcher et ses jambes lourdent ne voulaient plus la porter. Ce fut à ce moment, ce moment où le moral était au plus bas, ce moment où Omar pensa à rejoindre sa compagne, ce moment où Jade pensa à ces parents, que Mia cria. Ce n'était pas un cri de détresse mais un cri de joie, et tout le monde leva la tête.
- Un lac ! Il y a un lac !
Et elle disparut de l'horizon. Là où Mia se dressait une seconde plus tôt était le sommet d'une pente escarpée qui débouchait sur un lac.
Après avoir bu de tout son saoul, Jade s'assis sur la berge et admira la vue à couper le souffle. Le lac ressemblait plus à une mer intérieur qu'à un lac et laissait une vue magnifique sur les montagnes au loin.
Le groupe passa le reste de la journée à se reposer et à étancher leur soif. Jade en profita pour nettoyer sa blessure de toutes les croûtes et du sang coagulé. Une fois le travail fini, le tout était déjà plus propre mais en enlevant les dernières traces elle aperçut quelques gouttes du liquide jaune caractéristique de l'infection. Elle ne replaça pas la cravate autour de sa taille mais elle la lava et l'accrocha à une branche pour qu'elle sèche. Jade regardait l'eau avec envie, elle ne rêvait que de plonger dans l'eau pour se baigner, se laver et se rafraîchir mais la nuit commençait à tomber et les températures n'étaient pas vraiment clémentes.
Assez rapidement, le soleil ne fut plus qu'une tache pourpre sur la surface de l'eau et les rescapés de couchèrent en chien de fusille, à l'orée de la forêt, les uns contre les autres, pour se tenir chaud. La proximité de semblait gêner personne, seule la survie comptait.
Jade se réveilla à l'aube comme à son habitude. Il était difficile de dormir plus longtemps dans ces conditions. Elle prit bien soin de s'extirper du groupe sans réveiller personne et descendit vers l'eau. L'onde brillait doucement sous le soleil brulant, il ferait beau aujourd'hui. Pendant un moment, la jeune femme regarda le défilé des oiseaux et des animaux assez intrépides pour s'approcher à quelques dizaines de mètres de là.
La faim la força bientôt à partir en quête de nourriture. Ils n'avaient presque rien mangé depuis des jours et l'eau n'allait pas suffire à remplir leurs estomacs. Elle longea donc la berge et remonta dans la forêt un peu plus loin. Pour une fois, la chance était de son côté et ce n'est qu'au bout de plusieurs minutes qu'elle découvrit un amas d'arbres. Ce n'était pas n'importes quels arbres, il s'agissait de poiriers. La saison des poires battait son plein et c'est avec un cri de joie qu'elle put commencer à les cueillir.
Les autres étaient presque tous réveillés quand Jade revint au campement, les bras chargés. Le festin commença alors, redonnant de l'espoir aux survivants. Une fois qu'ils eurent repris des forces, ils commencèrent à s'organiser en petits groupes : l'un devait continuer à chercher à manger, un autre devait ramasser du bois pour le feu et pour commencer un abri et le dernier devait essayer de faire du feu, ce qui n'était pas le plus simple à réaliser. Omar qui semblait le plus à l'aise depuis le crash, prit les choses en main et prit sa matinée pour construire quelques outils élémentaires avec les pierres qu'il pouvait trouver. Une fois qu'elles furent grossièrement taillées, il les noua chacune au-milieu de deux gros bâtons avec du lierre. Les machettes improvisées rendirent la production de bois et la construction de la cabane, beaucoup plus efficace. Jade qui faisait partie du groupe de cueilleurs, réussit à dénicher des autres poiriers et aussi des pois de Sibérie, une chose que la jeune fille avait déjà goûtée lors d'un voyage au Canada. Ils étendirent leur récolte sur de l'écorce de bouleau qu'ils avaient récupéré plus tôt.
Marina, la fille rousse qui l'avait soutenue au moment de partir, lui montra le reste de la journée comment tresser un panier. Elles utilisèrent du lierre, la seule ressource à leur disposition. Pendant ce temps, la cabane avançait bien et Omar et Lilian avaient construit une sorte de harpon et essayaient de prendre du poisson aux endroits peu profonds. Mais ce qui inquiétait Jade restait le feu, après de nombreuses tentatives, il n'y avait même pas eu une seule étincelle.
Au milieu de l'après-midi, ils firent tous une pause. Même s'il s'agissait d'un travail de survit, il n'en restait pas moins épuisant et douloureux. Jade fut la première à retirer ses vêtements, sous l'œil intrigué des autres et une fois qu'elle fut en sous-vêtements, elle se jeta dans le lac. La journée d'été avait été particulièrement chaude aujourd'hui et elle aurait largement le temps de sécher au soleil après pour être sèche pour la nuit. De plus, après des jours sans se laver, elle se sentait enfin bien. Toute la petite troupe suivi le mouvement, l'eau était particulièrement agréable, pas très froide et douce. Jade se frotta les cheveux pour enlever toute la crasse accumulée, ils étaient roux clairs, lisses, et s'arrêtaient à ses épaules. Elle en profita aussi pour laver sa blessure, qui s'empirait à vue d'œil, mais elle ignora une fois de plus la gravité et une fois qu'elle en eut assez, elle s'étendit sur le ventre sur un rocher plat ensoleillé. Elle finit par s'endormir, bercée par le clapotis de l'eau et la brise chaude qui lui caressait la peau.
Elle se réveilla en fin d'après-midi, lorsque le vent chaud laissa sa place au vent frais qui la fit frissonner. Elle se rhabilla rapidement et rejoignit les autres, restés auprès du feu. Le feu. Il était là, devant elle, ils avaient réussi !
- Comment vous avez-fait ?
- Beaucoup de volonté et un peu de chance, répondit Ian, fier de lui.
- Oui c'est Ian qui a réussi, acquiesça Mia en lui faisant les yeux doux.
- Félicitation, grâce à toi au moins on ne mourra pas de froid.
En regardant autour d'elle, Jade remarqua que tout le monde avait fait un énorme travail pendant qu'elle dormait. Le campement était situé au centre d'un replat au-dessus du lac, avec l'abri côté forêt et les paniers contenant la nourriture côté eau. La cabane était spacieuse, sommaire, mais avec un toit et un tapis de mousse confortable pour dormir. La jeune femme vit avec surprise deux poissons trôner fièrement dans un des deux paniers, ils allaient peut être enfin manger à leur faim.
Deux poissons, pour quinze personnes, ce n'était pas beaucoup mais Omar leur expliqua son idée de rationnement et la gravité de la situation les rattrapa de plein fouet. Il les fit cuire sous les cendres du feu pendant un bon moment mais le résultat était succulent. Pour accompagner le poisson, Marina fit chauffer de l'eau dans un blouson en cuir qu'elle attacha au-dessus du feu, elle ajouta du lichen et les restes du poisson pour en faire une soupe.
C'était loin d'être le plat le plus fameux du monde mais il avait l'avantage de remplir les estomacs alors personne ne broncha. S'ensuivit une soirée au coin du feu où le petit groupe appris à se connaître encore plus.
- Donc on a prévu quoi pour demain ? S'enquit Mia.
- Il faut continuer à chercher à manger, répondit Jade.
- Avec Omar on va continuer à pécher, si d'autres personnes veulent nous rejoindre, on pourra parcourir plus de surface sur le lac et avoir plus de chances, proposa Lilian, faire des autres harpons ne sera pas bien compliqué.
Plusieurs acquiescèrent devant sa proposition.
- On a qu'à faire un trek demain tout autour du lac pour trouver à manger.
L'homme qui avait parlé s'appelait Jo, il était plus âgé que Jade et ne lui avait jamais parlé. Il semblait taciturne et distant, pas très sociable.
- Ca nous prendrait des jours pour faire tout le tour, souligna Mia.
La pauvre devait constamment traduire au couple de japonais qui ne la lâchaient pas d'un poil.
- On ne va pas se nourrir de poires toute notre vie.
- J'espère bien ne pas rester là toute ma vie.
Jade tempéra les deux personnes :
- On pourra faire un petit trek d'une journée autour du lac mais nous reviendrons au campement à la nuit tombée. Ce serait plus dangereux qu'autre chose de s'éloigner autant. Après il faut voir dans la durée, qu'est-ce qu'on fait exactement ? Comme l'a dit Mia, je ne compte pas non plus rester ici toute ma vie.
Personne ne lui répondit pendant un petit moment, parce que personne n'avait de réponse. C'est Omar, d'une voix toujours aussi calme, qui lui répondit :
- Je pense que le plus logique est d'attendre quelques temps histoire de se reposer, de reprendre des forces et d'établir un plan. Nous précipiter dans n'importe quelle direction ne servira pas à grand-chose de toute manière. Il faut savoir où nous sommes et peut être que des campeurs viennent ici de temps en temps, il doit s'agir d'un lac connu.
- Toi aussi tu veux te laisser mourir ici ? T'es comme Louis au final, tu ne vaux pas mieux.
Jade poussa un soupire rageur et s'éloigna du cercle pour aller plus loin au bord de l'eau. Pourquoi personne n'était d'accord avec elle ? Pourquoi personne ne l'écoutait ? Elle n'aimait pas cette demi-survit où tout pas de travers la rapprochait de la mort. Personne ne venait ici à l'évidence, les animaux n'avaient pas peur d'eux. Alors si, peut être que quelques scientifiques ou amoureux de la nature venaient parfois mais elle n'allait pas attendre 6 mois pour le découvrir. Il ne fallait pas s'éloigner de l'eau, elle avait failli l'apprendre à ses dépens, mais roder au bord du lac ne faisait rien avancer. Il devait forcément il y avoir une rivière qui l'alimentait de toute façon il fallait juste la découvrir. Elle ne savait même pas quelle taille faisait le lac car même en regardant à l'horizon, elle ne voyait pas la berge opposée. Elle était d'accord avec Jo, il fallait aller là-bas mais pour l'instant sa blessure l'inquiétait... Jade avait fini par oublier la douleur sourde constante qui vibrait en elle mais ça devenait de plus en plus difficile. Bientôt elle finirait par ne plus pouvoir marcher et elle ne comptait pas être transportée dans un brancard dans une forêt pareille.
Alors qu'elle lançait des cailloux dans le lac d'un geste rageur, Omar la rejoignit. Il fixa le lac avec elle sans rien dire mais elle attendait qu'il prenne la parole.
- Tu sais, ce n'est facile à vivre pour personne et honnêtement tu ne nous aides pas beaucoup. Personne ne peut prétendre savoir ce qui convient de faire, toi y compris. Il faut que nous prenions des décisions ensemble et fassions ce qui nous semble juste, ton mauvais caractère tu le garderas pour plus tard. Je comprends ta frustration nous sommes tous dans le même état donc ne te crois pas au-dessus de tout le monde. Chacun gère les choses à sa façon ici, tu ne peux pas attendre d'eux qu'ils réagissent aussi bien que toi.
- Tu trouves que je réagis bien maintenant ?
- Pour quelqu'un qui vient de se retrouver livrer à elle-même en pleine nature tu t'en sors plutôt bien.
- Oui mais sans toi il y a beaucoup de choses que nous n'aurions pas pu faire.
- C'est ce qui me permet de tenir le coup.
- C'est vrai j'avais oublié... Je suis désolée, ça ne doit pas être simple.
- Non en effet ça ne l'ai pas donc estime toi heureuse de ta situation et laisse le temps aux autres de faire leur deuil.
Sur ces mots, il la laissa. Jade encaissa le coup, elle n'était pas prête à entendre ça. Elle ne s'était jamais trouvée égoïste mais pourtant c'est bien ce qu'elle montrait depuis quelques jours. Presque toutes ces personnes avaient perdu quelqu'un au cours de cet accident et ils montraient une telle force... Ils ne s'étaient jamais effondrés une seule fois, ils avaient choisi la vie et avait abandonné leurs proches. Maintenant elle se sentait sale et elle s'en voulait. Pourtant sa fierté lui intima de rester cachée jusqu'à ce que tout le monde fut couché et elle ne savait pas combien de temps elle devait attendre alors elle resta là, à observer le coucher du soleil encore assez haut dans le ciel, mais encore une fois la beauté des lieux ne suffit pas à lui remonter le moral.
Jade entendit quelqu'un approcher, alors elle lança :
- Vous allez venir tous ou quoi ?
C'était Lilian qui s'assit à côté d'elle, si proche que leurs bras s'effleurèrent.
- Alors tu vas bouder longtemps ?
- Je ne boude pas.
- Mais bien sûr. Tu sais nous ne sommes pas tous d'accord avec Omar mais ce n'est pas pour autant qu'on part s'exiler. Tu serais restée tu aurais pu y participer. Choisir la fuite n'est pas toujours la solution aux problèmes.
- Je ne suis pas une lâche, j'étais juste trop énervée pour argumenter.
- Tu sais nous sommes tous à cran, personne ne fait exception à la règle et ce n'est pas en passant tes nerfs sur nous que tu vas arranger les choses.
- Je le sais très bien c'est pour ça que je suis partie et en ce qui concerne la leçon merci mais je viens déjà de l'avoir donc tu peux économiser ta salive.
- Doucement la tigresse je ne veux pas me faire griffer.
Elle sourit et c'est tout ce que le jeune homme attendait. Il passa une main dans ses cheveux argenté et pointa du doigt l'horizon.
- Je crois que c'est ce que j'ai vu de plus beau dans ma vie.
- Hum c'est pas mal en effet.
- Ah pardon de ne pas avoir les mêmes standards.
- Non non ce n'est pas ce que je voulais dire. J'ai beaucoup voyagé donc j'ai vu beaucoup de couchés de soleil de ce genre et j'en ai vu des plus beaux c'est tout.
- Intéressant, une aventurière donc.
- On peut dire ça.
- Alors tu vas me dire quel endroit tu as le plus aimer.
- Le Nord de la Finlande, assura-t-elle.
- Les aurores boréales hein ?
- Précisément.
- C'est vrai que ça doit être pas si mal.
- C'est magique.
- Au fait, je me demandais, est-ce que t'es venue seule ?
- Oui et parfois j'ai un peu trop tendance à oublier que ce n'est pas le cas de tout le monde.
- Tu voyage toujours toute seule ?
- Avant je voyageais avec mes parents mais ça fait longtemps que ce n'est plus le cas et que c'est surtout pour le boulot.
- Gagner sa vie en voyageant c'est plutôt pas mal.
- En effet c'est plutôt plaisant.
- Tu n'es jamais partie en voyage avec des amis ?
- Quand tu voyage tu n'as pas le temps de t'en faire.
- Oh... C'est un peu triste cette histoire. Je veux bien être ton ami alors.
- Vraiment ? demanda-t-elle sceptique.
- Une de plus ne me ferait pas de mal surtout dans un contexte pareil.
- Alors c'est d'accord. Et toi tu es venu accompagné mon cher ami ?
- Non, figures toi que je déménageais.
- Tu déménages à l'autre bout du globe toi ? Quelles sont tes motivations ?
- Un boulot bien payé et une envie de changer d'air.
- Je comprends mieux les cheveux du coup. Quel métier ?
- Je te vois venir là, personne ne critique mes cheveux ! Hors de question ! Je suis ingénieur informatique.
- Je les trouve très bien tes cheveux ne t'inquiète pas. Oh un petit génie alors.
- En fait non pas tant que ça, mais c'est un secret.
Les deux amis continuèrent de discuter jusqu'à la nuit tombée. Ils parlèrent de leur boulot, de leur vie, de leurs expériences, une façon de rester connectés à leur vie d'avant.
- On ferait mieux d'aller se coucher non ?
- Ouais tu as raison.
Ils remontèrent au campement, tout le monde s'était couché sauf Omar qui alimentait le feu.
- On a fait des tours de garde, dit-il, pour ne pas que le feu meurt, allez-vous coucher on vous réveillera tous les deux avant l'aube pour le dernier tour.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top