Retour au bercail 2-4


Une seconde tentative de Murdock échoue à nouveau à les atteindre. Mais en face d'eux, sorti du bas-côté, un cavalier s'immobilise et pointe son canon à son tour. Cependant, la ligne de mire de ce dernier lui interdit d'ouvrir le feu, au risque de blesser son acolyte Murdock. Dans l'urgence, Joe opte de quitter le chemin. D'un saut puissant, Esprit s'enfonce sur sa droite, dans la forêt de résineux. Josh serre les dents et s'agrippe tant bien que mal avec son bras valide autour de la taille de son ami. La pente, engagée par une forte bute à la base, est dévorée par l'équidé avec une facilité déconcertante. Dans l'interstice, les poursuivants se heurtent à leur tour à la difficulté de passer l'obstacle naturel. L'écart, certes momentané, est creusé.

S'engage dès lors une course-poursuite dans un slalome permanent entre les troncs disparates de Grandis, sur un tapis de mousse grillé. Le sang coule en abondance depuis l'épaule de Josh, qui ne peut plus tenir et lâche prise. Ayant anticipé la chute, Joe freine la jument, ce qui limite l'éventualité d'une blessure supplémentaire. Étalé sur le dos, Josh grimace et émet un râle de douleur, puis souffle un bon coup avant de se ressaisir. Son Colt en main, il exécute quelques tirs imprécis afin de ralentir l'arrivée imminente des poursuivants.

— Fous le camp, Joe ! Dégage, maintenant !

— Merde, je reviendrai ta chercher !

Ni une, ni deux, l'Asiatique siffle sec et quitte les lieux, bien malgré lui. En effet, la silhouette d'un troisième cavalier se profile, probablement le tireur embusqué à la ferme. Et d'ailleurs, qui sait combien ils sont au final ? Murdock arrive le premier sur Josh, qui pose déjà son revolver au sol.

— Je préfère vous prévenir tout... de suite... shérif de pacotilles. Si vous ou quiconque avez tué ma famille... je vous ferai la peau !

— Tes vieux sont crevés et enterrés y a trois jours à Hovertown.

Le visage de Josh s'imprègne d'une profonde tristesse. Toutefois peu enclin à se morfondre, il se raccroche au fait qu'il n'a pas mentionné sa sœur.

— Enfoirés ! Je suppose que c'est pour... magouiller avec les propriétés. La bande à Jacko...

— Yep, Jacko sert juste à accélérer les choses. Ton père était une vraie tête de mule, comme tant d'autres au passage. Vendre à un prix correct, nan, surtout pas. On a dû employer la force.

Les deux autres cavaliers arrivent à la hauteur de Murdock, et s'immobilisent de chaque côté de celui-ci. Josh les identifie sans aucune ambiguïté : le shérif Jackson de Hovertown et son adjoint, Marco.

— J'en déduis que Rodgers est à l'origine de cette... affaire ?

— Exact. Vraiment désolé pour tes parents, j'en suis peiné, précise le shérif Jackson. Il en va de l'avenir de la région. Jenny est en vie, si ça peut atténuer ta douleur. Elle a finalement concédé de vendre la propriété familiale et a quitté Hovertown.

— Compréhensible, bande de... pourris ! Et vous comptez me... descendre ?

— Nan, plutôt un procès en bonne et due forme, suivie d'une pendaison. C'est plus drôle.

Le sourire de Murdock qui accompagne son allocution donne une sensation étrange à Josh. Le buste redressé et sa main ensanglantée sur son épaule blessée, Josh appréhende cet homme, qu'il considère comme calculateur et opportuniste.

— Va falloir avoir un... sérieux mobile.

Les bras de Murdock se croisent devant lui, saisissent les Colts dans leurs fourreaux respectifs, puis se tendent vite à l'horizontale. L'espace d'un instant, il arme les chiens. S'ensuivent deux tirs simultanés qui ôtent la vie à Jackson et Marco. Leurs corps inertes s'effondrent alors au sol.

— Nan, mais le voilà ton p'tit mobile, Parson. Tu vas être inculpé pour avoir tué deux hommes de loi, des vrais. Ça suffira, je pense, pour te passer la corde au cou ! De plus, sans concurrence, je prendrai vite la place de shérif, belle promotion, non ?

Sans voix et consterné face à la cruauté du zig, qui vient de descendre de son cheval, Josh se voit traverser par une sérieuse chair de poule. Le quidam récupère l'arme de poing de Josh, ainsi que le reste des balles dans le barillet. Après une vérification minutieuse, afin de s'assurer que le blessé ne porte pas d'autres moyens de défense, il l'incite à se relever. Le souffle court et l'équilibre fragile, l'aîné des Parson réussit à se tenir tant bien que mal sur le cheval de Jackson. Murdock lui lie les poignets ensemble.

— Tombe pas, crétin, sinon j'vais devoir te trainer avec une corde ! Pigé ?

Josh opine de la tête et s'agrippe à la selle. L'instant d'après, le tueur charge les deux macchabés sur l'autre équidé, les y fixe, puis relie les montures entre-elles. Dans la foulée, il monte sur sa jument, puis rebrousse chemin. Sans surprise, il guide le macabre cortège vers Hovertown. Dans l'incapacité de tenter quoique ce soit, Josh subit et se contente de lutter pour rester en vie. Pour l'heure, c'est tout ce qui importe.

— Autant te prévenir, si ton ami le bol de riz tente un truc débile, type sauvetage ou je ne sais quoi de stupide, il finira avec toi au bout d'une corde ! Tu raccordes ?

Josh ne répond pas à ce qui s'apparente, de toute manière, à une perte de temps. De surcroît, avec sa baisse de lucidité actuelle, il pourrait délivrer des informations compromettantes sur Joe, sans même le vouloir. Il ferme les yeux et place son visage de travers, dû à une forte bourrasque. Avec elle, s'accompagne une élévation poussiéreuse éphémère. La douleur engendrée par la balle logée dans son épaule le lance parfois, par brides, selon la qualité du parcours.

C'est avec le rythme cardiaque à son paroxysme, que Josh retrouve son village natal. Quelques gens, curieux, les examinent, consternés. S'ensuivent des injures envers Josh. La foule grossit d'une dizaine d'âmes jusqu'à leur arrivée au bureau du défunt shérif Jackson. Les questions fusent, mais Josh, dans un état second et en proie à des vertiges, n'entend plus grand chose de concret. L'instant d'après, il se voit transporter par deux hommes et allongé sur un banc dans l'unique cellule. Le maire ne tarde pas à débouler, effaré par le drame survenu. Sans tergiverser, l'élu envoi un môme avertir le docteur Nelson et le croque-mort, puis s'adresse aux badauds.

— Allez, mes chers concitoyens, rentrez chez vous. Murdock et moi-même s'occupons de tout.

Dans un brouhaha de complaintes malveillantes, les gens retournent vaquer à leurs occupations. Maintenant devant la cellule, Rodgers s'adresse à Josh, l'air grave.

— Jenny m'a averti de ton arrivée imminente. Du coup, nous étions sur le qui-vive. Par chance, Murdock a été plus rapide que toi et ton ami asiatique. Toutefois, je ne pensais pas que tu tuerais Jackson et Marco. En gentil homme que je suis, tu vas avoir droit à un procès équitable. Mais ne te fais pas d'illusion, tu vas finir au bout d'une longe sur la place publique.

À cet instant, le docteur entre dans le local. Murdock, fier comme un coq, déverrouille l'accès et Nelson place une chaise à côté du blessé, puis défait quelques boutons des habits du détenu. Maintenant que le médecin peut accéder à la blessure, il sort un morceau de bois et le présente face à Josh. L'intéressé connaît la procédure par cœur et mord dedans. Dans la foulée, Nelson enfonce sa pince à clamper. Josh gémit et se tord de douleur, poings serrés et la tête en arrière.

— Tiens bon, mon gars.

L'objet se fraye un passage dans la chair à vif. Tandis que le sang coule de plus belle, le docteur opte de discuter avec son patient, histoire de le soustraire un peu, par diversion, à la douleur créée par l'intervention.

— J'ai vu Jenny avant qu'elle ne parte, après l'enterrement.

La poitrine de Josh se soulève et redescend vite. Concentré, le docteur perçoit la balle. Il serre les pinces et l'extrait.

— C'est bon ! Ça va rentrer dans l'ordre, mon garçon.

— Elle... Pfff... Elle est partie... seule ?

— Non, elle était bien accompagnée selon moi, avec un Afro-Américain. Un dénommé Ngoma. Ils ont pris vers l'ouest, j'en sais pas davantage.

— Mer... ci. Au-moins, elle est... en vie.

— Allez, je te mets un peu d'alcool afin de désinfecter la plaie. Ensuite, tu auras droit à un bandage. Redresse-toi s'il te plaît.

Avec l'aide de Nelson, Josh grince des dents et termine adossé contre la paroi de la cellule. Ni une, ni deux, le vieil homme descend quelques gorgées de whisky, puis en imbibe généreusement un coton. Il l'applique alors sur la blessure.

— Maintiens-moi ça.

Avant même que Nelson puisse ranger son flasque, Josh, d'un coup de nerf, le lui subtilise et vide le reste du contenu d'une traite. Alors que le docteur entame de faire le bandage, Josh l'interrompt et lui murmure à l'oreille.

— Connaissez-vous... un bon... détective privé dans le coin ?

L'intéressé se racle la gorge et reprend ses soins.

— Benjamin Lemeunier sur City of Kansas. C'est le meilleur dans la région.

— Envoyez-lui... d'urgence... un message, s'il... vous plaît. Et donnez-lui la... balle.

L'homme déglutit, acquiesce et termine son intervention. Ses affaires rangées, il se lève et sort avec la chaise. Murdock referme à clé, tandis que Nelson sort du bureau du shérif. Seuls, il s'adresse au détenu.

— T'inquiète, p'tit con, on a déjà pris nos dispositions pour que ton procès ait lieu le plus rapidement possible. Les types de la potence débutent leur besogne dès demain.

— Tu ne... t'en... sortiras pas comme ça !

Murdock éclate de rire, puis s'installe sur une chaise et étale ses jambes sur le bureau, croisées au niveau des chevilles. Sans aucun remords, le shérif s'allume une cigarette et jubile de la réussite de son tour de passe-passe. Recroquevillé par une forte sensation de froid, Josh tremble de tout son être et, par instinct, se met sur le côté, en position fœtale. Maintenant seul face à lui-même, face à la réalité cruelle de sa situation, il réalise de manière plus significative la perte dramatique de ses parents. Malgré leurs différents, il culpabilise. Il a trop trainé à revenir. Ses paupières se ferment et les larmes dévalent en silence sur son visage. Il claque des dents et pense à Joe, puis s'endort. Mais le repos le renvoie dans un passé écorché vif...

Fait prisonnier et enchaîné dans un chariot avec ses frères d'armes, Josh scrute l'horizon. La défaite des Confédérés à Gettysburg risque d'avoir des conséquences néfastes sur eux. Par le petit espace, doté de barreaux, allouant une analyse sur la situation, Josh tente de faire une sorte d'état des lieux. Les Sudistes sont à bout de nerfs et se querelles pour un oui ou pour un non. Un fantassin le dévisage et crache en sa direction.

— Putains de Yankees ! Tu veux mon portrait toi ?

De nature à ne pas se débiner, le jeune Parson lui tient tête.

— Quelle belle déculottée que vous avez prise là ! La grande avancée du général Lee n'aura pas durée !

— Fais bien attention, p'tit morveux, un accident est si vite arrivé !

L'index pointé vers lui, Josh renchérit pourtant, malgré les avertissements des autres prisonniers.

— Tu crois faire quoi, gringalet ?

Le concerné siffle et fait arrêter le chariot. Josh poursuit alors sur sa lancée.

— Oh la la, monsieur est fâché, les gars.

L'instant d'après, la porte arrière s'ouvre et le Confédéré le sort du chariot. Balancé à terre, enchaîné aux poignets, Josh se relève dans la foulée.

— À genoux, connard !

— Va chier !

Le fantassin lui assène un coup de poing, mais Josh anticipe son mouvement. Par un habile jeu de jambes, il l'esquive et place ses chaînes autour du cou de son agresseur. Un genou dans le dos, accompagné d'un tirage modéré, suffit à étaler son adversaire au sol.

— Tu fais moins le malin on dirait, Ahhh !

Une forte douleur percute alors son dos...

La porte de la cellule s'ouvre en grand et claque. Le souffle court, il se réveille en sursaut et tombe du banc. Il râle au choc engendré avec son épaule blessée. Dans l'incapacité de déterminer son temps de sommeil, il se relève et bégaie face au vieillard qui se tient dans l'entrée.

— Désolé... qui... êtes-vous ?

Josh se rassoit et souffle, tout en se tenant l'épaule blessée de sa main droite, accompagnée d'une grimace de circonstance. Murdock avance à son tour dans la cellule.

— Ben mon cochon, t'as roupillé toute la nuit, il est neuf heures. N'oublie pas, t'as un pot de chambre à ta disposition dans l'angle, si nécessaire. Grouille-toi, ton procès débute dans une heure. J'ai mis des gars à la recherche du p'tit crétin qui t'accompagnait. Aucune trace pour le moment, va falloir que je fasses le boulot moi-même. Bon, v'là ton avocat.

Le quidam en question découvre alors sa tête, chapeau melon marron foncé entre ses doigts rabougris. Doté d'un surpoids pondéral marqué, c'est surtout sa calvitie prépondérante qui frappe au premier abord. La sueur perle son crâne. Josh pose le dos de sa main sur son front.

— J'ai de... la fièvre ! Mais sérieux, sans vouloir être... malpoli... le type a l'air encore plus mal en point que moi, monsieur ?

— Monsieur Mendez est tout à fait habilité à te défendre.

— Sî, gringo.

Josh, malgré la douleur engendrée, réussit à sortir un rire jaune.

— C'est une... farce ! Sans... déconné, il empeste... l'alcool !

L'avocat s'assied sur le banc opposé, la mine déconfite. L'implacable justicier semble à l'agonie avec lui-même et il reste évident que sa désignation dans cette affaire est une blague de mauvais goût.

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