Retour au bercail 2-3


Midi s'affiche dans le ciel limpide avec un vent qui ne cesse de se renforcer. Les deux cavaliers rejoignent la rivière et Josh extrait un harmonica d'une de ses sacoches. Après s'être éclairci la gorge, il entame une ballade. Joe, la mine satisfaite, profite de l'ambiance musicale qui lui confère une ribambelle de souvenirs en tout genre. Les bribes de poussière terreuse accompagnent la mélancolie engendrée. Une fois son long morceau terminé, l'auditoire applaudit.

— Merci, ma ami. Je avoir adoré ! Je dois apprendre ce instrument.

S'ensuit une révérence du haut du corps digne d'une représentation officielle dans un Saloon. Tout en rangeant le Matth Hohner AG, Joe pointe du doigt le cours d'eau. Dans une concertation mutuelle silencieuse, ils décident de se poser un moment sur la berge. Les juments, après avoir rassasié leur soif, se voient attachées à l'ombre d'un grand arbre. Cette protection naturelle confère une petite couche d'herbe à cet endroit, dont les équidés ne manquent pas de faire façon.

Les selles posées à l'opposé des monogastriques, toujours à l'abri des rayons du Soleil, donnent lieu à un bon moment de repos bien nécessaire. Leurs habits leur collent à la peau et Joe ne tarde pas à se déshabiller. Josh, quant à lui, hésite et émet une certaine réticence à se laver dans l'eau claire. Tout en dévoilant son torse nu et sa condition peu musclée et sèche, Joe étale ses habits sur un paquet de rochers apparents, afin d'en extraire l'humidité. Juste muni de son caleçon, il s'enfonce dans le liquide salvateur.

— Oh, elle est fraîcheur ! Tu ne veux pas ta baigner ?

Son élocution fait sourire Josh. Tandis que son compagnon de route s'immerge et remonte, le jeune homme, malgré l'envie et la nécessité de se décrasser, appréhende toujours de se laver en présence d'une tierce personne. Les atrocités du passé l'ont marqué à vie et, avec elles, les questions ne vont pas manquer.

— Si tu as une soucis, tu savoir que je ne te demanderai pas rien, ma ami.

— Merci. D'accord alors.

Rassuré, Josh retire ses vêtements et, comme Joe, entre à son tour dans la rivière. En prime, le grand blond rentre son ventre, souffle et gonfle les joues à la nette différence thermique. Au premier abord, Joe ne peut que constater la forte musculature de ce dernier. Des pectoraux larges et saillants, de même pour les abdominaux et les membres. Vis-à-vis de sa réticence à se découvrir de la sorte, il ne remarque rien, notamment dû à ses longs cheveux qui couvrent ses épaules. Mais il comprend lorsqu'il se tourne et découvre son dos meurtri. Sans aucune ambiguïté, Josh a été torturé. Les traces, bien cicatrisées, permettent de déduire que les coups de fouets datent déjà de plusieurs années.

— Toujours ta fichu flageolet pour manger ?

— Exact, désolé, mais je suis à cours de stocks.

— Pas souci.

Après un sérieux nettoyage, Joe sort en premier. Il laisse à la forte chaleur le soin de le sécher. Il se met alors en quête d'un bout de bois. Il casse une branche bien droite et rejoint la berge. Débute alors une série de mouvements à la fois complexes et virtuoses, tel un danseur dans une chorégraphie millimétrée. Tandis qu'un filet de saleté s'évade avec le courant, Josh poursuit de frictionner sa barbe et ses cheveux tout en portant attention au défilé rotatif maîtrisé du bâton. L'objet fend l'air, accompagné d'un son vif et devient ainsi une arme redoutable. Les sourcils levés et les mains sur ses hanches, Josh s'immobilise, absorbé par la prestation de Joe. À la fin, l'artiste le remercie, mains jointes, buste vers le bas et Josh applaudit.

— Bref, ce qui est sûr, c'est que je voudrais pas avoir affaire à toi !

— Merci, kata chinois, tradition ancêtres.

— Ancestrale, tradition ancestrale, Joe. Celle-là tu dois bien la formuler.

— Raison. Ancestra...le.

Heureux comme il ne l'a pas été depuis longtemps, il sort à son tour et adopte la même stratégie que son acolyte au niveau du séchage intégral. Quelques pierres, des branchages et un coup d'allumette engagent la cuisson des derniers flageolets. L'instant d'après, après avoir laissé refroidir le plat unique dans l'eau, ils mangent avec les doigts. S'ensuit un nettoyage des mains et un rangement de l'ustensile de cuisine.

Rhabillé, le duo reprend son itinéraire vers Hovertown. Le vent, peu présent dans la protection naturelle offerte par la petite cuvette proche de la rivière, prend un caractère plus fougueux au fur et à mesure qu'ils s'en éloignent. À peine deux heures et, en parallèle de la rivière, ils croisent un sentier à peine décelable, témoignage d'une faible fréquentation. Au bout de celui-ci, ils rencontrent un homme avec un chapeau jaune qui plante un piquet. Dessus, un écriteau annonce le supposé nom de l'endroit.

— Bien le bonjour, monsieur. Woodward* ?

— Bonjour messieurs. Eh oui, je compte bien créer mon propre patelin ici-même. Mon nom c'est Woodward Murdock, dit-il les mains coincées dans ses bretelles et son insigne de shérif en évidence.

D'un ridicule à mi-chemin entre la tristesse et le pathétique, un rapide coup d'œil suffit à faire le tour du propriétaire : une cabane.

— Ben, c'est pas gagné !

— Nan. Regardez Hovertown, jeune homme, Rodgers y est bien parvenu et tout le monde le prenait pour un fou à l'époque !

— Exact, mais ça date et il faut reconnaître qu'il a fait des pieds et des mains pour faire arriver une vingtaine de familles au tout début.

— Vous m'avez l'air bien renseigné ?

— Normal, je fais partie d'une de ces premières familles.

— Ben aujourd'hui, Hovertown en compte tout de même une trentaine et quoi, une centaine d'habitants ?

— J'veux pas dire, mais ça reste ridicule. Ça n'a guère évolué.

— J'approuve, mais Rodgers est un visionnaire et il va m'aider dans mon projet. Il prévoit un tracé ferroviaire jusqu'à Hovertown, ce qui le reliera à City of Kansas. Ça va nous permettre de nous développer, vous allez voir ça !

Peu enclin à poursuivre cette discussion stérile, Josh préfère changer de sujet.

— Bref, tant qu'on parle de la compagnie ferroviaire, justement, y-a-t-il moyen de laisser un courrier adressé à leur attention ?

— Tout à fait, je suis un factotum. Un type passe ici une fois par mois pour le relevé. Mais avec la prévision du chemin de fer, on aura aussi le télégraphe.

Sourcils levés, il croise la mine de Joe, tout autant déconcertée que la sienne, puis descend de son cheval. Le maître des lieux enlève brièvement son chapeau et dévoile ainsi son crâne rasé, avant de le replacer aussi sec. Un bras tendu en exagération, il invite Josh à entrer dans sa demeure.

L'endroit est propre, simple et sobre. L'homme semble être un illuminé, mais pas de quoi s'alarmer. Ce dernier s'installe à une petite table, sort du papier et une enveloppe. S'ensuit la plume, hydratée dans l'encrier d'un geste maladroit, puis, l'oreille tendue, il attend son message. Surpris de ne pas devoir le rédiger lui-même, Josh cligne des paupières. Après une rapide réflexion, il concède de lui dicter son texte. Après tout, le contenu ne comporte rien de confidentiel non plus.

— Concernant l'attaque des géomètres, ce ne sont pas les Cheyennes. Après avoir croisé l'un d'eux, un Mexicain, on peut penser à la bande à Jacko. Ils font du trafic d'armes et de chevaux. Joshua Parson.

Sur l'évocation de son nom, Murdock a un moment d'arrêt, puis il met la lettre dans l'enveloppe mentionnée au nom de la compagnie ferroviaire.

— Envoyé c'est pesé !

Dans la foulée, Josh paye rubis sur l'ongle, puis il sortent ensemble.

— Merci, bonne fin de journée monsieur Murdock.

— Vous de même.

L'évidence de l'arrivée des rails ne peut qu'être bénéfique pour le développement économique de ces contrées qui ne demandent qu'à être conquises. En découle d'ailleurs le nombre croissant de colons européens, en quête de rêves et d'idéaux parfois utopiques. Dans la réalité, la survie reste le maître-mot dans ces lieux avides de richesses indomptées et d'horizons flamboyants. Si ocres parfois, qu'on pourrait penser que le sang du choc des civilisations s'est déversé à profusion sur les crêtes abruptes et rocheuses. La mort, tout comme la vie, s'affrontent en permanence dans une bascule idéologique d'un filin parfois si minuscule, que les cœurs peuvent s'arrêter de battre à n'importe quel moment pour n'importe quelle futilité. Remonté sur sa jument, il donne ses impressions à Joe.

— Ce type ne m'inspire pas confiance.

— Il est un louche, oui.

— J'ai comme un mauvais pressentiment, mon ami. Bref, on a le temps de faire une pause, je suis exténué. On pourra tout de même être rendu chez mes parents avant la nuit. Tu pourras y dormir sans problème, j'y veillerai.

— Si je ne pas déranger. Je peux aller le dormir dans le grange.

Josh lui tapote l'épaule de manière fraternelle puis se tourne. Il extrait d'une de ses sacoches de la nourriture et lui tend deux morceaux de viande séchée bovine. Joe ne rate pas l'occasion et mange par petits bouts.

— Bien le merci, répond-il la bouche pleine.

Josh sourit à son allocution et profite de cet agréable moment. Des hommes francs et honnêtes, avec une parole, restent trop sporadiques en ce bas monde. Cependant, l'aîné des Parson s'interroge sur l'intérêt soudain de ce shérif envers lui, lorsqu'il a donné son nom. Bien malgré lui, cette impression de mal-être ne le quitte pas et il appréhende la confrontation avec ses parents. Toutefois, son cœur se remplit de bonheur, rien qu'à imaginer ses retrouvailles avec Jenny. Comment est-elle aujourd'hui ? Pour sûr blonde. Toujours des grands yeux bleus et une bonne taille ? Sept ans, ça va leur faire un sacré choc à tous.

Tandis que l'horizon s'imbibe des dernières larmes lumineuses du Soleil, annonçant la fin de la journée, le duo, après une pause salvatrice de deux heures, arrive à l'intersection des pistes vers la propriété familiale. À l'arrêt, Josh remarque les restes calcinés de la charrette sur l'accotement. Descendu de Vipère, il s'avance jusqu'au lieu de l'accident et enfonce sa main avec vigilance dans les cendres froides. Il laisse alors s'échapper un mince filet grisâtre d'entre ses doigts qui rejoint le sol poussiéreux à l'oblique. Quelques pas supplémentaires vers l'avant et il déduit sans ambiguïté des traces de sang dans la terre. Preuve irréfutable que l'animal concerné a été tué et embarqué. Il déglutit avec difficulté, remonte à cheval et siffle un coup sec.

Les oreilles dressées, les équidés entament le chemin d'accès à la ferme familiale au galop, sous la prestance immuable des chênes d'Amérique. Au fur et à mesure de leur progression, le sang afflue de manière bien trop désagréable dans les veines de Josh. Comme si son instinct avait déjà compris et analyser le drame survenu il y a quelques jours de cela.

Vient alors l'odeur des cendres qui se diffuse dans les alentours, attisées par les bourrasques aléatoires, qui lui noue la gorge d'un coup. La chair de poule les envahit lorsqu'ils déboulent dans la cour, où seul le puits pointe encore dans une espèce de miracle malfaisant. Effaré, la bouche grande ouverte, Josh foule le sol lunaire. Face à eux se dressent encore deux trois éléments de pièces de charpente d'entre l'amas grisâtre, seuls témoignages de l'existence de la maison d'habitation et de la grange. Les larmes dévalent, mais la colère les fait disparaitre dans la foulée. Un bruit de cheval les interpelle.

— Attention !

Le Colt dégainé, Josh arme le chien et pointe son canon dans les alentours. Joe se positionne derrière le puits. Ni une, ni deux, plusieurs tirs fusent et Vipère détale. Ils ripostent.

— Ahhh ! Merde ! Fous le camp Joe, et emmène les juments !

— Pas de question !

Profitant d'une accalmie, en raison d'une probable recharge de leur adversaire, Joe rejoint son ami. Un bras tendu et au risque d'être touché à son tour, le jeune asiatique l'aide à se hisser sur Esprit, puis fait demi-tour vers l'allée des feuillus. Aplatis contre le cheval et grâce aux épais troncs, les fuyards réussissent à échapper de justesse au guet apens. À l'intersection, Josh, mâchoire serrée, pointe de l'index la direction de Hovertown, vers la gauche. À droite, résonne un tir en provenance d'un cavalier, dont le chapeau jaune confirme l'identité. Arrivé avant eux, notamment à cause de leur pause, Murdock a mis en place ce piège.  S'engage alors une course-poursuite.

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* Woodward : petite touche humouristique qui place surtout le trajet de Josh et Joe à l'actuel Woodward, le long de la rivière Grand Canadian. Cette ville ne voit le jour qu'en 1887.

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