Retour au bercail 2-2
Remonté en selle, le binôme entend la course d'un cheval lancé au galop. L'attente, courte, laisse place à l'arrivée d'un des deux gardes présent avec les géomètres. La consternation s'affiche sur son visage, qui se dégrade d'un coup, dans des traits de plus en plus marqués. Le souffle court et, dans l'incapacité de maintenir son équidé en place, l'homme affiche une grande détresse. Dès lors, les larmes dévalent jusqu'à son menton tremblant. Une triple tentative, afin de descendre de sa monture, lui permet enfin de fouler le sol et de tituber vers un des défunts. Josh rattrape la jument effrayée juste avant qu'elle ne détale. Le garde s'effondre à genoux et éclate en sanglots.
— Putain de sauvages ! Ils vont le payer tôt ou tard. Ils viennent de tuer mon fiston !
Pour Josh, la situation est jugée bien trop délicate pour engager une quelconque argumentation. Le père, enfoui dans sa peine et sa colère, n'écoutera probablement pas son explication. Dans la foulée, le second garde arrive à son tour. Josh lui confie les rênes de l'animal, oreilles dressées, dont la contention demeure compliquée.
— On part sur leurs traces, mais on ne vous promet rien. On enverra un courrier à la compagnie, si nécessaire.
Le dernier arrivé, debout, acquiesce. Ni une, ni deux, Josh et Joe filent vers le sud. La grande quantité de sabots donne lieu à une vaste étendue d'herbe aplatie facile à suivre et dénote un sérieux groupe de bandits. Au bout de plusieurs heures, le duo s'arrête.
— Ohhh, Vipère ! Tranquille ma belle. Là, ça va, c'est du bon boulot.
Les cœurs des juments cognent fort, à tel point qu'elles deviennent audibles. Les naseaux grands ouverts, elles soufflent à maintes reprises. Tandis qu'ils les laissent se calmer, Joe analyse le terrain, recouvert d'innombrables traces. L'herbe jaunie d'origine, n'existe plus qu'en quelques touffes sporadiques, broyée jusqu'à l'état de poudre par le piétinement. La surface, d'une bonne centaine de mètres carrés, confirme un point de rendez-vous. L'instant d'après, ils se retrouvent accroupis, afin d'en savoir davantage.
— Quelqu'un les attendre ici.
— Je suis d'accord avec toi, ces types ont prévu leur coup.
Relevé, Joe s'avance un peu plus loin et pointe de l'index deux traces de roues en direction du sud, tandis que le reste du groupe a bifurqué vers l'Est.
— Une chariot. Pour ce quoi faire ?
— Bonne question. En tout cas, ils ne se sont pas scindés pour rien, on peut supposer qu'ils ont livré quelque chose. Attends un instant, regarde-moi ça !
Un peu à l'écart du regroupement, d'autres marques de sabots. Cette fois-ci, en déterminer le nombre est simple. Joe le rejoint et ses yeux noirs bridés émettent alors comme une étincelle.
— Six, c'est eux qui avoir voulu ma prendre !
Suite à l'intonation inquisitrice, Josh acquiesce. L'affaire devient de plus en plus bizarre.
— Que choisir ?
— Ben, déjà, on reste ensemble. Les bandits ont dû galoper aussi, sinon on les aurait rattrapés depuis perpète. Comme on doit se rendre à Hovertown, on va filer le chariot qui, à l'évidence, reste le plus à même de se rendre dans la même direction que la nôtre. Ça te va ?
— Oui, et puis plus, Esprit et Vipère sont beaucoup fatiguées.
— T'as raison, allons-y tranquillement, de toute manière, on aura vite fait de rattraper notre retard sur l'attelage. Mais on garde de la distance, histoire de voir ce qui se trame.
— Bien le d'accord.
Sans tergiverser, les cavaliers reprennent leur poursuite. La chaleur donne l'impression de les cuire sur place. Les gourdes d'eau s'amenuisent et l'inquiétude grandit maintenant vis-à-vis des juments. Immobiles, ils consultent à nouveau la carte.
— Regarde, une ruisseau.
— Allez, espérons qu'il coule encore un peu.
À peine dix minutes plus tard, ils atteignent l'endroit indiqué. Mais les craintes des deux hommes, quant à la réelle probabilité d'eau, s'avèrent juste. Josh soupire, tandis que Joe murmure à l'oreille d'Esprit. Josh met pied à terre et attrape sa dernière gourde encore pleine. Dans la foulée, il verse le précieux liquide dans sa casserole, sortie d'une de ses sacoches, puis en donne à sa jument dotée d'une robe bai. Sans avoir à lui expliquer, Joe fait de même avec la sienne, dont la robe noire brille, accentuée par la forte luminosité. La position de l'astre, à environ seize heures, ne laisse aucune ambiguïté sur l'urgence de trouver de l'eau. Les juments en longe, ils passent le ruisseau asséché, pour se mettre à couvert sous un bouquet d'arbre inespéré et salvateur. Dans une ambiance un peu plus supportable, sous la houlette du chant perpétuel des grillons, ils attendent la tombée du jour pour repartir à leur besogne après le chariot. L'occasion est idéale pour fumer une cigarette.
— Je peux prendre le carte d'état le major ?
— Je t'en prie.
Une fois l'objet déplié par terre, à l'ombre entre les troncs arbres, ils analysent leur position. Maintenant à genoux, ils retirent leurs chapeaux et essuient la sueur qui coule sans interruption sur leurs fronts.
— Campement Cheyennes sur rivière Washita.
Tandis qu'une colonne de fumée s'expulse de sa bouche, Josh hausse brièvement les épaules.
— Je ne sais pas, ça fait sept ans d'absence pour moi. Je te crois sur parole. Avant la guerre civile, je ne m'aventurais guère au-delà de Hovertown.
— Affirmatif. Nous vivre proximité rivière Canadian, ouest d'Hovertown, limite réserve indienne. Nous devons faire le attention, certains Cheyennes sont sur la sentier de le guerre.
— Je sais, oui. Bref, quoi de plus normal d'ailleurs, après le massacre de Sand Creek*. L'homme blanc ne respecte pas ses propres traités de paix et s'étonne ensuite des conséquences.
Après s'être délectés de leurs cigarettes, Josh range la carte et décide d'attendre des conditions plus favorables pour poursuivre leur filature. Ce n'est que lorsque l'astre percute l'horizon, rouge flamboyant, dans une diffusion éphémère mais ô combien somptueuse des étendues sauvages à peine vallonnées, qu'ils lèvent le camp. S'ensuit le crépuscule, lorsqu'ils atteignent un cours d'eau salvateur, bien que réduit à l'état de filet. Les juments passent en priorité, en alternance, puis c'est leur tour. Dans la foulée, et de peur que le peu de liquide vital ne soit plus qu'un vulgaire souvenir le lendemain, Joe remplit les gourdes. Dans l'interstice offert par l'infime clarté, Josh place des pierres à la va-vite et allume un feu. La température vient de dégringoler, comme à l'accoutumée. Josh fait cuire le reste de ses flageolets. Le maigre repas disparaît en deux temps trois mouvements. Allongés comme la veille, les deux hommes fument une dernière cigarette pour clôre cette journée.
— On part avant l'aube. J'enverrai un courrier à la Kansas Railroad, suivant ce qu'on va découvrir demain.
— Si découvrir quelque chose !
Les colonnes grises s'échappent vers le ciel étoilé. Joe baille, ce qui engendre la même réaction chez Josh.
— Moi et ma meilleur ami, Ngoma, on avoir participé au siège de Petersburg. Tu y être aussi ?
— Oui. Quelle boucherie ! Quatorze mille soldats et plus de cinq mille morts, les deux partis confondus. Et quoi, plus de mille disparus ? T'imagines, disparus, Joe ! Bref, les guerres ne valent rien et n'engendrent que peine, chaos et désolation.
Sans répondre, Joe tente de se contenter du moment présent. Le silence, magnifiquement perturbé par la nature environnante, octroie un plaisir simple des plus appréciable. Mais les deux hommes le savent, leurs vies ont basculé à tout jamais le jour même où ils se sont engagés dans cette guerre civile. Trop d'horreurs, de carnages, trop d'effusions de sang. ce qui quelque part a engendré une perte d'âme, une partie d'humanité qu'ils ne retrouverons jamais. Exténués et encore la faim au ventre, ils s'endorment.
Comme prévu, le duo sillonne les marquages laissés par le chariot à la lueur du jour. Les expirations s'affichent dans l'atmosphère encore fraîche. Cette ambiance, nettement plus supportable, permet aux juments de tenir une bonne cadence. Au passage dans l'Oklahoma, le Soleil délivre déjà une chaleur oppressante, tandis que l'itinéraire de l'attelage emprunte un sentier qui longe la rivière North Canadian, en direction de Woodward. De là, ils perçoivent des échanges verbaux portés par une brise qui vient de se lever.
Les juments attachées, ils rampent entre les hautes herbes sèches et quelques arbustes sporadiques. Sur la berge, le fameux chariot. Josh sort sa longue vue et tente d'identifier les différents protagonistes. Un type d'allure mexicaine, barbu et plutôt de petite taille, discute avec une quinzaine de Cheyennes. Il leur donne un des deux équidés attaché à l'arrière du chariot, celui à la robe grise. Josh le reconnaît, c'est celui de Joe. Les braves chargent alors une cargaison d'armes et de munitions. Le chef des guerriers est facile à reconnaître, de par son crâne presque rasé dans son intégralité. Seule une crête de cheveux noirs divise son encéphale depuis le front, jusqu'à créer une longue queue de cheval. L'homme impose de la crainte, en raison de la multitude d'entrailles sur son corps.
Sans ambiguïté, Josh conclut que les malfrats dépouillent leurs victimes pour faire un troc contre des peaux de bisons et autres, ainsi que des arcs et des flèches, qui sont chargés en contrepartie dans la carriole. Cela leur permet, par la même occasion, de faire porter le chapeau de leurs exactions aux Amérindiens. Joe scrute à son tour par la longue vue. Josh anticipe sa réaction vis-à-vis de la jument. Et en effet, Joe sursaute.
— Ma cheval ! Mexicano a vendu ma cheval !
Une main de Josh termine sur la bouche de Joe et contient le son bien trop élevé de ses propos. Il acquiesce, une main levée, face à son erreur.
— On reste tranquille. Chuuut.
Le cœur en accélération, l'Asiatique serre la mâchoire et se frotte par instinct la base du cou. Il respire profondément, afin de retrouver un peu de normalité. Le faible vent, toujours en provenance de l'ouest, couvre quelconques odeurs susceptibles de les faire repérer par les Cheyennes. Dix minutes plus tard, les Amérindiens s'en vont.
Le malfrat, quant à lui, se réhydrate et scrute les alentours. Sans attendre, ce dernier repart dans le sens où il est venu. Remonté en selle, le binôme le prend en filature, bien décidé à en découdre une bonne fois pour toute. Au détour d'un virage, dans un relief vallonné, ils se trouvent nez-à-nez avec le chariot à l'arrêt. La toile arrière est ouverte et le Mexicain les attend, cigarette à la main.
— Ola, seniors. Yé remarqué vos traces. Gracias la discrétione. Yé mé présente, Aldo. Yé pé vous aider ?
Joe fait mine de prendre le long rifle, mais Josh l'en empêche, une main sur la sienne. Au regard de la distance qui les sépare, ils ont peu de chance de réussir à intercepter le bandit sans une effusion de sang, voire pire. La ruse semble une meilleure option, afin de temporiser la situation et d'en savoir davantage.
— Ola, bien le bonjour. Vous vendez des armes et des munitions, de ce qu'on a remarqué.
— Sî. Tou es intéressé, gringo ?
— Oui, notre stock de balles est faible. Vous en auriez pour un Spencer et un Colt ?
— Pé-être qué si. Mais pirquoi dé Yankees mé suivre ? Véné voir.
Le binôme se méfie de cette invitation. L'homme semble fourbe et a visiblement plus un tour dans son sac, sinon il aurait déjà pris la fuite ou engager les hostilités. La confiance qu'il affiche demande réflexion. La prudence reste de mise. Le silence s'éternise et la tension monte, ce qui décide le malfrat à retirer la toile à côté de lui.
— Yé vous conseille de courir plou vite qué votre ombré !
Face à l'apparition de la machine infernale, le duo détale. Aldo engage alors le système de rotation de la Gatlin, dans une effroyable cadence de tir. Les deux fugitifs atteignent in extremis la petite colline, qui leur offre une protection naturelle salvatrice. Le bruit de la mitrailleuse, hors norme, s'accompagne, par chance, d'une salve de balles bien trop basse. Pour certitude, l'opérateur n'est pas un accoutumé de cet appareil, sinon il les aurait abattus sans problème.
— Ça va ?
— Oui. Cette type est folle !
Après une vérification d'éventuelle blessure des équidés, Josh soupire, heureux qu'elles n'aient pas fait les frais de cette altercation.
— Bon, je sais pas toi, mais j'ai eu ma dose pour aujourd'hui. On contourne la rivière un peu plus en amont, puis on descend sur Woodward. Une fois sur place, j'enverrai un courrier pour les tenir au courant.
— Bien le d'accord.
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* Massacre de Sand Creek : le 29 novembre 1864, dans la plaine de Big Sandy Creek, Colorado, une milice de cet État a attaqué un camp Amérindien. L'affrontement a engendré le massacre d'environ cent-cinquante Amérindiens, dont femmes, enfants et vieillards. Du côté des soldats, vingt-quatre morts. Le contexte, suite au traité de Fort Laramie en 1851, octroyait un vaste territoire à sept tribus. Cependant, la découverte d'or dans la région de Pikes Peak, en 1858, engendra des heurts. Bien évidemment, un énième traité, dénommé Fort Wise, fût signé, le 18 février 1861. Les Arapahos et Cheyennes cédèrent à nouveau du terrain.
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