Pour solde de tout compte 5-2


— Pour sûr, une seule femme s'est retrouvée seule ici avec Parson, juste avant son procès. Elle doit être la coupable que vous recherchez.

Tandis que Benjamin s'empresse de fouiller les poches intérieures du veston du Maire, le détective jette un regard inquisiteur vers Finn. L'orateur poursuit son hypothèse.

— Mary Corvette, la jeune femme rousse mariée avec...

— Ah, bingo !

Apparaît alors dans la main de Lemeunier, la petite clé qui, en toute vraisemblance, correspond au coffre-fort du défunt. À nouveau debout, il repousse de l'index ses lunettes.

— Ben je donne pas cher de la vie de ce bon monsieur. Où sont-ils à l'échéance actuelle ?

— City of Kansas, avec une diligence privée. C'est pas comme s'il y avait une autre option de toute façon !

Lemeunier écarte grand les bras et les laisse choir aussitôt.

— Mais, m'enfin ! Je les ai croisés sur la piste, à mi-chemin. Que les dieux soient maudits.

Face à ce constat, Ngoma et Joe restent impassibles. Si Mary Corvette a, de près ou de loin, contribuée à la mort de l'élu, tant mieux. Pour eux, le décès prématuré de Rodgers ne peut que mettre un terme à ses exactions.

— Très bien, je dois donc m'employer à me soustraire de la situation présente, afin de m'y rendre dans un délai proche de l'instantané. Veuillez tous m'accompagner jusqu'à la mairie. J'eusse l'intuition que les indices vont se décanter à notre joyeuse intrusion.

Sans tarder, le quatuor se retrouve à nouveau dans la rue principale. Toujours dans un brouillard tenace, ils entrent dans la bâtisse. Face à l'objet de leur convoitise, rectangulaire, grand et profond, la clé s'enfonce dans la serrure. Dans la foulée, voilà Benjamin l'oreille collée à la molette noire. Il la fait tourner lentement, jusqu'à ce que le cliquetis change de gamme sonore. Amusé tel un enfant de cinq ans, l'expert jubile dans la perspective de déjouer le code.

— Ah, le trois. Notez.

Il poursuit ainsi jusqu'à effectuer un tour complet et obtient deux chiffres supplémentaires. L'engouement de Benjamin retombé, Joe a vite fait de lui exposer les six combinaisons possibles. Le détective soupire, déçu par une telle simplicité. Son troisième coup d'essai s'avère fructueux et la porte en fonte se débloque.

— Saperlipopette, niveau sécurité, ça manque de piment. Voyons voir ce que nous eussions trouvé.

L'ouverture dévoile deux parties. Celle du haut, moins volumineuse, contient des documents administratifs, tandis que dessous, trônent des liasses de billets bien empilées. L'argent, en grosses coupures, ne tarde pas à se retrouver sur la petite table attenante à la pièce. Ngoma a du mal à digérer le mensonge de Rodgers.

— Bon sang, mais il avait largement de quoi payer Jenny pour la vente de sa ferme. Quelle pourriture !

— La transaction était de combien ?

Ngoma précise le chiffre à Lemeunier, qui se met à compter et décale la dette à part du reste.

— Prenez ce dont vous en avez la besoin pour retrouver le sœur de Josh et Jenny. Je pense que c'est le bonne chose à faire.

— D'accord. Comme convenu au préalable avec vous deux, je me fournis d'une caution volontaire obligatoire. Quoi ?

Interloqués par son qualificatif, le trio reste silencieux.

—  Il va de soi que les Parson se verront munis d'une facture en bonne et due forme.

Sans attendre, le détective place l'argent dans sa mallette en cuir. Il s'assied, sort une feuille et utilise la plume et l'encrier à sa disposition sur le plateau. Dès lors, il produit un reçu et un devis, puis tend le papier aux deux amis. Joe se charge du précieux sésame et l'agite afin qu'il sèche au maximum. Finn, quant à lui, empile le tas de chemises sur les liasses. Lemeunier se hâte de découvrir leur contenu. Des actes notariés frauduleux, des montants d'offres et de transactions qui s'étendent bien au-delà de leur propre juridiction. Un index pointé sur un paquet de relevés parcellaires attaché par un trombone, Joe commence à entrevoir l'ampleur de l'opération du Maire. L'ambition de l'ex élu dépasse l'entendement.

— C'est pas la croyable. Ce type avait déjà tout le prévu avec le Kansas Railroad Compagny.

— Précisément.

— Ça correspond avec ce qu'on a vu avec Josh, sur la chemin vers ici.

Les sourcils levés, Benjamin le toise par dessus ses verres ronds.

— C'est à dire ?

— Des employés de la compagnie ferroviaire jalonnaient au milieu de le nulle part. Une probable tracé, je suppose.

— Humm... Regardez les croix, elles sont numérotées. En découle l'aisance d'une planification savamment orchestrée, messieurs. J'eusse attiré votre attention à la chronologie des exactions selon les lieux, si vous voyez où je souhaite en venir ? La dernière en date, je vous la donne comme une poule dans un champ de maïs !

Déconcertés, les protagonistes restent sans voix.

— Le ferme des Parson ? Pourquoi avoir conservé des traces qui pouvaient l'inculper ?

— Mon cher Finn, ce type était un grand malade mental. Le genre de psychopathe qui se sent invincible et jusqu'ici, mis à part la mort, qui eusse prétendre l'arrêter dans sa folie ?

Le pseudo juge secoue la tête de gauche à droite, bien loin de penser que l'élu en question soit capable d'aller aussi loin. Dans le même laps de temps, Ngoma a contourné Finn afin de se rapprocher du coffre et l'analyse sous tous ses angles. Il semble dubitatif et ose exposer ses doutes vis-à-vis de l'objet, au risque d'être pris pour un simple d'esprit.

— Dites, on dirait que le coffre est plus profond, vu de l'extérieur.

Lemeunier se lève, intrigué.

— Humm, c'est un effet d'optique, je suppose. Les parois sont épaisses et...

Dans la réalisation de la véracité de l'énoncé que lui propose Ngoma, le détective privé a le rythme cardiaque qui s'accélère outre mesure. Le professionnel sort à la hâte la planchette, puis enfonce une main dans le coffre et tapote le fond. L'expression sur son visage montre l'étonnement complet.

— Creux ! Bordel de cervelet en ecchymose ! C'est une quinte flush royal !

Sous l'attention médusé du trio, Benjamin tâtonne alors et trouve une minuscule poignée à droite. Il la bascule d'un quart de tour puis ouvre alors le faux fond. Le cœur dans les chaussettes, les protagonistes découvrent plusieurs grandes cartes enroulées. Une fois dépliées, la consternation prend toute son ampleur. Les mots de Murdock reviennent alors à Joe, comme si c'était hier. Un visionnaire, Rodgers était un visionnaire. Le tracé prévu de la ligne de chemin de fer va bien de City of Kansas à Hovertown, certes, mais il ne s'arrête pas là. La ligne prévisionnelle poursuit son itinéraire plus en direction du sud-ouest, puis plein ouest, jusqu'à violer le traité de Médecine Lodge* avec les tribus Amérindiennes ainsi que l'immunité même de la réserve. Le but est de traverser les Rocheuses par le sud, voire les contourner, et de finir en Californie. De cette manière, la conquête de l'ouest, dans le sud des États-Unis, pourra s'accélèrer de manière drastique.

— Mais comment ce taré comptait-il s'y prendre pour faire partir les Cheyennes de leur réserve ? La bande à Jacko ne peut pas s'y risquer, face au surnombre des autochtones.

— Bonne question, monsieur Ngoma. Vous me posez une colle. Je prends tout ceci comme pièces à conviction et engage un procès à l'encontre des responsables. Justice sera octroyée, rubis sur l'ongle.

Consterné, Joe, d'un geste vif, empêche Lemeunier de ranger les relevés parcellaires. Il interpelle son ami sur la trajectoire depuis Hovertown jusqu'à Washita. Ngoma, attentif, vire tout blanc. Les gorges se nouent. Les bras écartés, Lemeunier veut une explication à leur état d'urgence si soudain.

— Bonne mère, mais dîtes-moi tout !

— Regardez, le prochaine propriété à éliminer.

Le doigt cogne plusieurs fois sur le plan. Le détective hausse les épaules, dans l'incompréhension.

— C'est le chez nous, Monsieur, c'est là qu'on habite ! Mon femme, Myrtille, est là-bas !

— Avec Jenny. Merde, occupez-vous de retrouver la sœur Parson et d'arrêter les coupables, Monsieur Lemeunier. J'amène le reste de l'argent avec moi. Faut qu'on se grouille avant qu'il ne soit trop tard.

— Je m'occupe de tout. Je serai en chair et en os à City of Kansas, afin d'engager le procès et, avec de la chance, d'arrêter l'Empoisonneuse par la subtilité de l'occasion.

— Dans le urgence, si vous croisez Josh sur... Je...

— Bien entendu. L'ignorance rend la normalité sobre, le savoir, quant à sa raison d'être, s'accompagne d'une perspicacité audacieuse dont j'eusse joui, par la sainte Vierge ! Bonne chance à vous.

Sans avoir le temps de décrypter le contenu toujours aussi bizarroïde de ses propos, les deux hommes se précipitent dehors. En moins de temps qu'il ne le faut pour le dire, le cœur lourd, le binôme fonce au galop à travers les grandes plaines. Le brouillard, comme offusqué par cette tragique perspective, se désagrège et disparaît, pour laisser place à une nuit fraîche et étoilée, sous la houlette d'un croissant de lune.

L'arrivée, juste avant l'aurore, aux alentours de la maison d'habitation, délivre déjà l'odeur des flammes. De loin, l'incendie marque au fer rouge le désastre. Les équidés, les naseaux grands ouverts, soufflent avec force dans l'exécution de leur dernier effort.

Ils mettent pied à terre à plusieurs dizaines de mètres du brasier. Impossible d'intervenir. La chaleur engendrée les oblige même à reculer, une main en guise de protection faciale. Le bruit si distinct, aigu, perce l'espace devenu malfaisant. La peur s'immisce dans leurs veines, la peur de la perte d'êtres chers. La colère monte chez Ngoma, qui, comme toujours, garde espoir. Il hausse le ton, afin de maintenir l'attention de son meilleur ami.

— Je contourne vers la droite. Eh, Joe, ressaisis-toi mon frère ! Elles sont peut-être encore en vie, faut chercher.

Les larmes dévalent sur le visage dur et fermé de Joe. La mâchoire serrée, il attache Esprit. Ngoma, inquiet, fait de même avec sa jument. Ils arment leur Spenser et commencent à ratisser les lieux, chacun de leur côté. L'angoisse de rencontrer un cadavre, ou plusieurs, envahit les veines. L'afflux sanguin au paroxysme, ils fouillent le moindre indice, la moindre empreinte. Sous la houlette d'une semi-pénombre, le rendu s'apparente à une partition bien morbide. Après dix minutes, Ngoma tombe sur un mort. Il siffle. S'accroupit. Joe déboule. L'Afro-Américain retire son couvre-chef. Essoufflé, Joe positionne ses mains sur ses hanches, puis soupire, dépité.

— Trois balles, regarde. Une au bras, l'autre à la cuisse et la dernière...

— Dans le tête. Pauvre Owen.

— Il s'est défendu, je crois. Mais le tueur était en embuscade. Il l'a sans doute pris par surprise.

S'ensuit un coup-de-pied dans la terre de Joe. Encore plus énervé que jamais, il se frotte le menton et poursuit ses investigations plus à l'écart de l'habitation. Ngoma le suit. Le binôme s'enfonce dans la forêt aux attraits lugubres. Dans une espèce de fougue désorientée, ils errent et ratissent les alentours, toujours plus loin. Maintenant à une vingtaine de mètres de son ami, Ngoma se fige d'un coup.

Son menton se met à trembler. Les sanglots surviennent, incontrôlables. La mine défigurée, il enlève à nouveau son chapeau et le fait tourner dans ses mains, dévasté. La nervosité, la consternation, l'impossibilité de faire machine arrière et la radicalité du spectacle qui s'offre à lui, le fait craquer. L'arrivée de Joe qui s'effondre à genoux, sa tête entre ses mains qui agrippent sa chevelure, ne couvre même pas les bruits sournois de la branche de chêne, sous la contrainte du poids sans vie de Myrtille, pendue à la longe.

— AHHHHH... !

Ngoma se jette sur son frère et l'enlace. Dans cette étreinte machiavélique, l'horreur et le désespoir prennent la part belle.

Le lendemain, après avoir creusé et emmitouflé les deux corps dans des draps blancs, Ngoma s'improvise pasteur. La bible toujours dans ses affaires, il lit un passage de cette dernière. Les mots percutent les âmes jusque dans les profondeurs de leur chair. La cicatrice indélébile laissera à tout jamais une trace incommensurable dans leur existence.

Après avoir rebouché les sépultures, Joe enfonce, tel un exutoire de Dieu, une croix faite maison à chacun des êtres chers. Assis face au tas de cendres encore brûlant, Joe fixe le néant et ressasse le passé. Le sourire de Myrtille, leurs regards complices, son corps nu, tout se mélange dans sa tête. Il n'en revient toujours pas. Qui a bien pu perpétrer une telle atrocité ?

De son côté, Ngoma ne tarde pas à trouver des traces de chevaux. Grâce aux fortes pluies de ces derniers jours, les empreintes des sabots ne mentent pas. Accroupis, il déduit l'évidence : ils sont deux. Puis sa main droite analyse la profondeur des marques dans la terre très meuble par endroits. Visiblement, sans toutefois pouvoir l'affirmer avec certitude, les deux montures ne sont pourvues que d'un seul cavalier chacune. Une conviction : Jenny est vivante. Pour quelle raison le tueur ne lui a pas ôté la vie reste un mystère. Il effectue le chemin retour à pied et son attention se porte sur un élément inattendu. Il récupère le mégot et le décortique. Le tabac froid dans sa palme gauche, il hume l'odeur si particulière. Son sens olfactif ne manque pas de reconnaître celle du Maire, qui avait foudroyé sur place Jenny, à Hovertown. Face à ce constat, la déduction est très vite faite : le tueur en question est Jacko. Bien décidé à en découdre avec le malfrat et à sauver la jeune Parson, le pisteur rejoint Joe et l'informe de sa trouvaille. Ni une, ni deux, le binôme se met en ordre de bataille en direction du nord-est.

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Le traité de Médecine Lodge :  signé en Octobre 1867, il a pour but de maintenir la paix dans une vaste région et de parquer, à nouveau, les différentes tribus concernées.

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