Le déserteur 9-2


Au détour d'un énième tertre, le duo s'enfonce un peu plus sur les hauteurs de la montagne et le sentier se soustrait tant en distance qu'en pénibilité. Sous l'effet miroir majoré par le manteau neigeux, l'obscurité se décante, pour s'effilocher entre les grands sapins couverts d'un blanc immaculé. De surcroît, le gel renforce cette impression de vision améliorée en une féérie de scintillements. Jenny scrute le ciel étoilé.

— D'où vous affirmez que le temps va virer au vilain ?

La monture s'immobilise et Tim craque une allumette. Incommodée par l'allumage impétueux de la lampe, sa tête dévie de côté. À peine le temps de s'acclimater, qu'elle note la flasque qui bascule dans le gosier de son propriétaire. Face à eux, l'habitation admet ses contours.

— C'est un vice rédhibitoire, vous savez ?

Tim s'essuie sa barbe et lui tend l'objet. Les yeux exorbités, elle reste pantoise.

— Il confirme, son paternel était un pochtron, mais elle devrait essayer. De temps à autre, ça fait du bien, notamment avec le froid, ou la peine, au choix.

Elle déglutit. Il redresse ses épaules carrées avec un regard inquisiteur, puis...

— Sans... façon.

...laisse choir sa décontenance, mais insiste une ultime fois.

— Ça va la détendre. Allez, quoi, elle doit décompresser !

Elle le soupçonne de la défier. Et puis pourquoi pas ? Pas du genre à se morfondre pour si peu, le goulot termine à sa bouche. S'ensuit une bonne descente. Sous son chapeau de plus en plus bizarre, se déploie un sourire radieux en forme de banane. Ses pupilles pétillent-elles de bonheur ou de malheur, ou bien des deux ? Allez savoir. Une chose est sûre, de profondes cicatrices l'animent lui aussi. Elle avale et perçoit la forte chaleur du whisky qui tombe et se diffuse à profusion dans tout son être, pour finir avec le dos d'une main sous son nez rosé.

— Pouah ! Ça a le goût de pisse, votre truc !

— Ah, ah, ah, excellent !

Elle tousse et tape sur sa poitrine. L'horizon vaseux tangue et la silhouette de la maison se délite. Jenny apprécie cet état de légèreté et comprend mieux l'argumentation de certaines personnes. Oublier les horreurs du passé, juste l'espace d'un instant et faire abstraction de cette douleur permanente a du sens. Pourtant novice en la matière, elle vide le contenu, au grand dam du Confédéré.

— Ehhh, tout doux la p'tite dame ! Là, elle va virer pompette !

— Oups, le goût ne s'améliore pas avec la quantité. Bon sang, hip, tout est sens dessus dessous. Brouuuu...

Il récupère sa gourde et secoue sa tête à son manque d'anticipation. Pied à terre, il saisit Poésie par le licol et soupire, mélancolique.

— Elle doit descendre, on est arrivé.

— Ih, ih, balivernes. Dîtes, comment vous vous procurez le tabac et le whisky, vu votre situation ?

La lampe s'élève et éblouit la cavalière, dont les iris se vitrifient.

— Il part travailler à la belle époque, un, voire deux mois, juste assez pour toucher sa paie et s'approvisionner jusqu'à l'été prochain.

— Bon sang, quelle chaleur ! J'parie que vous êtes bûcheron !

Penchée sur l'avant de la selle, elle fredonne des non-dits. La mine déconfite, Tim s'en veut de l'avoir incité à boire.

« Pauvre crétin ! »

— Ma foi, charpentier de père en fils. Son dernier travail, il a choisi des arbres et tailler des traverses pour la Transcontinentale. Attention !

L'éclairage percute le sol. Cramponnée à sa veste grise, l'écorchée vive pleure. Ses membres inférieurs quittent la selle. Blottie dans les bras forts de cet inconnu, toute sa peine et sa tristesse éclatent en sanglots.

— Faut qu'elle laisse aller le mal.

— AHHH !

— Chuuut...

En silence, le quarantenaire ramasse sa lampe et la transporte sur le perron. Une fois à l'intérieur, plein de délicatesse, l'hôte pose l'éclairage sur le petit meuble à côté de son lit et l'allonge dessus. En position fœtale, l'amas de couvertures lui procure une sensation de bien-être, de calme. Tout ouïe, le murmure de la jeune femme l'interpelle. Il tend l'oreille.

— Jamais j'y arriverai, jamais j'arriverai à tuer cette pourriture de Jacko.

Tim se redresse et soupire, embarrassé. La source de lumière tendue devant lui, ses petits pas lourds s'éloignent dans la pièce principale où il retire son carquois et son arbalète. L'accès reste entrouvert, puis il retourne dehors pour mettre les équidés à l'abri. Une fois dans le box, les chevaux sont délestés de leur attirail. Ces derniers jettent leur dévolu sur du bon foin en libre service, agrémenté par de l'eau limpide. Le fusil dans sa poigne, la sacoche d'argent, ainsi que le gros sac en cuir de Jenny basculent sur ses épaules. De retour dans l'habitation, la lampe termine sur l'épaisse table et un des deux bancs attenant accueille les effets personnels de Jenny. Dans la foulée, le gros poêle ne tarde pas à chauffer les pièces. Même si la tentation est grande de connaître le montant du pactole, profiter d'une telle situation pointerait du doigt sa perfidie. Par contre, osé en savoir davantage sur Jenny, afin de mieux l'aider, est judicieux. Ni une, ni deux, il fouille dans la sacoche et la lettre, dotée d'un tampon militaire, l'intéresse. Près du feu qui crépite, il lit dans sa chaise à bascule. L'humidité noie ses pupilles et il renifle, se mouche, après quoi, le feuillet retrouve son enveloppe, puis sa place initiale.

Lorsque Jenny émerge, le jour inonde la maison. La température ambiante l'enveloppe de sa bienfaisance, avec en prime une odeur de café. La vue panoramique sur la montagne, magnifique et en tenue hivernale, confère sa suprématie et sa grandeur face aux mortels. Elle guigne la fumée de la casserole au centre du plateau, attrape un bol en terre cuite et se verse une partie du précieux breuvage. Assise, elle profite de l'instant et mange de la viande séchée en libre service dans une assiette. Le Confédéré, chargé d'un monticule de bois fendu, ouvre la porte, satisfait de sa présence.

— Ah, elle est réveillée. Elle a bien dormi, midi a déjà passé !

— Oui, merci beaucoup pour votre hospitalité et désolée pour hier soir.

— Son oeil ?

— Beaucoup mieux !

Il se dandine jusqu'au poêle et y dépose son fardeau, ainsi que sa veste. Assis face à elle, il se sert à son tour et pose son grand couvre-chef bien trop rond vers l'angle du mobilier. Ses épais cheveux châtains hirsutes le mettent en valeur et lui confère un attrait moins rude. Un bout de nourriture disparaît dans sa bouche.

— Bon, parlons sérieux. Elle estime à combien de lascars le groupe à sa poursuite ?

Après une bonne gorgée, sa curiosité l'emporte.

— Bizarre, votre chapeau et vos bretelles !

Il soupire à sa perspicacité et croise ses gros doigts, dans l'attente d'une réponse plus appropriée.

— Euh, en un, Jacko, c'est lui que je veux tuer. Peut-être son acolyte Aldo, quoique j'en doute, après sa rédemption et, sans son aide inespérée, je ne serai plus de ce monde, je pense. Pour le reste, Nathaniel, le maitre d'œuvre de l'extraction aurifère avec ses dix ouvriers.

— Humm, okay, on va dire une bonne douzaine. Ça sera pas du gâteau, ils peuvent débouler sans tarder. Va falloir agir vite avant le mauvais temps.

Elle vide son bol. Mine de rien, petit à petit, l'assiette se déleste de son contenu.

— Ça a l'air calme, non ?

— Il connaît sa montagne comme sa poche. Sa main au feu que le blizzard va déferler demain, voire après-demain.

— Sérieux ?

Le café disparaît cul sec et il se lève, motivé. Son couvre-chef définitivement suspect suit son geste de la tête et l'incite à le suivre. Les vestes en place, les pieds craquent dans la neige fraîche et ils se dirigent vers un cabanon un peu à l'écart, sous la protection d'un immense résineux. Après deux, trois coups de pied, afin de dégager l'accès, ce dernier s'ouvre.

— Il a autre chose à savoir ?

— Oui et non, c'est aléatoire. Tout porte à croire que mon ami, Ngoma Jackson, est sur mes traces.

— Un affranchi ?

Elle opine.

— Devenu chasseur de prime.

— Sacrée reconversion réussie ! Il lui tarde de le rencontrer. Accompagné ?

— Exact, un certain Joe Wang, je...

La tristesse s'affiche sur le visage de la miraculée. Il n'insiste pas et change de sujet.

— D'accord, en tout cas, des hommes aguerris et de tout horizons. Ça en jette.

— Mon frère pourrait répondre présent, Josh, sans conviction toutefois.

Sa démarche si singulière rejoint une malle. Une fois la couverture de protection enlevée, le contenu se dévoile. Ses joues gonflées face à cette découverte inattendue, ses mains se croisent sur sa poitrine.

— Comment ?

— Il s'entendait bien avec un des contremaîtres de l'Union Pacific. En échange de quelques dollars, il s'en est procuré en catimini. Il remercie Alfred Nobel*.

Un spécimen bien en évidence dans sa poigne, l'appréhension la fait reculer illico d'un pas et son rythme cardiaque s'accélère.

— Nulle besoin d'avoir peur, la p'tite dame. Il possède même un enrouleur avec une longue amorce.

— Désolée, mais toute personne normalement constituée prendrait les jambes à son cou face à ce genre de dispositif. Quel génie, votre type !

Bien conscient des dangers, l'exemplaire retourne dans la malle.

— Et pourtant, oui, il est un génie pour avoir observé et déduit que le Kieselguhr, une terre siliceuse et poreuse, absorbe la nitroglycérine.

— Et ?

— Ben, naissance de la dynamite, ma chère, du grec « dunamis », force. Le produit est beaucoup plus stable et sécurise de la sorte son emploi.

— D'accord.

Face à ce manque d'enthousiasme, il sort tout le matériel nécessaire : la fameuse mèche enroulée et un énorme paquet de dynamite bien serré. Ni une, ni deux, ils se dirigent vers la petite écurie attenante à l'habitation. Jenny caresse les chevaux et selle la sienne. L'instant d'après, le duo se munit de vivres et de leurs armes respectives, puis quitte les lieux.

— Je présume que nous retournons au dispensaire ?

Il acquiesce et enfin elle réussit à mettre un doigt sur ses origines.

— Pourquoi ne pas être resté avec votre communauté ?

Même pas surpris par sa question, il arrache un bout de viande séchée et souffle fort des narines.

— Les bretelles ?

— Oui, le chapeau était d'ailleurs déjà douteux.

Il avale et sourit.

— Il voulait voir la vie moderne. Trop jeune, trop con.

— Je vous remercie.

Ils rigolent, s'ensuit un allumage intempestif de cigarettes.

— Résultat des courses ?

— Pfff, il aurait mieux fait de rester en Pennsylvanie avec les siens.

Les colonnes de fumée s'évadent vers le ciel voilé. Après un passage abrupte, un faux-plat lui permet d'en savoir davantage sur l'énergumène.

— C'est vrai, pour la ferme en Caroline du Sud ?

Il s'immobilise, aspire une grosse bouffée, dont l'expulsion dessine de petits cercles. Va falloir qu'elle apprenne ce truc.

— Bien sûr, mais disons qu'à la base, il était en charge de la gestion de la propriété, tant en main d'oeuvre, pour ne pas dire esclaves, qu'en cultures de canne à sucre et de coton.

— Vous avez fait quoi ?

— Ce type était juste ignoble, inhumain, et avec mes valeurs Amish, elle comprend bien que ça n'a pas passé.

— Alors, vous n'êtes pas parti ? J'veux dire, vous auriez pu ?

Pensif, le quidam s'oublie dans sa cigarette, mais finit par répondre.

— Il ne se défile pas pour une cause juste. Il a fait comme lui avec ses nègres, comme il aimait à dire. Si c'était à refaire, il n'hésiterait pas une seconde.

Cramponnée à la selle, elle apprendre la suite. D'un coup de doigt maîtrisé, le mégot vole dans les airs.

— Il l'a donné à bouffer à ses cleps, pas de traces, pas de coupable. À bon entendeur !

Le cavalier repart, de but en blanc. La chair de poule la terrasse sur place. Jamais elle l'aurait imaginé capable d'une telle atrocité et, dans un certain sens, ce constat vient de la revigorer sur ses propres capacités à y parvenir. Poussée par une sorte de frénésie vengeresse qui envahit tout son être, elle le rejoint avec l'envie d'en découdre à son tour. De jour, l'itinéraire se dévoile plus réaliste et plus dangereux qu'à l'aller. Juste après une courbe, le sentier se fourvoie dans la roche en un sillon naturel. Sur le qui-vive, le guide analyse la falaise abrupte sur leur gauche.

— Inutile de taper la causette, le manteau est instable. Sur la droite, elle peut déceler un raccourci, mais l'inclinaison nécessite un sérieux niveau de maitrise des chevaux et, il faut le reconnaître, un grain de folie notoire.

La dextérité des équidés s'accorde à la beauté sauvage des paysages. Aux aguets et naseaux ouverts, les chevaux soufflent fort. Une fois le délicat passage derrière eux, s'enchaîne un défilé de buttes, dont les immenses troncs d'arbres arborent leur magnificence. La nature brute et sauvage daigne, une fois encore, le respect. À une centaine de mètres du dispensaire, bien en évidence en contrebas, Tim quitte sa monture et la confie à sa coéquipière.

— Il préfère prendre la pente dans ce sens que la remonter une fois sur place. Pas de jambes, une tête.

La mèche fixée autour d'un arbre, l'enrouleur se vide de sa charge et Jenny mène les juments jusqu'à la bâtisse. Pied à terre, ces dernières sont attachées au boisage extérieur, même plus bon à brûler. Son Spencer en mains et des munitions à foison dans ses poches, elle laisse la porte ouverte. Le plancher pourri émet des sons aussi suspicieux que la veille, l'endroit l'angoisse et sa gorge se noue. Par les fentes des parois miteuses, elle observe les alentours et l'expert amateur déboule sans délicatesse depuis l'écurie.

— Il a l'œil, pile poil. Il reste juste assez pour placer la charge dans la cave.

Un sourcil levé, elle se contente de contempler l'artiste qui souffle comme un taureau en rut. Nulle doute, il a intérêt à utiliser son cerveau, car niveau physique, c'est une catastrophe. Il écarte la poussière volatile et soulève la trappe par un anneau métallique incrusté dedans. L'endroit doit être béni par les dieux pour ne pas tomber en carafe à chaque incursion outrageante. Il s'époussette et entame son inconscient périple.

— Stop, j'y vais. Sérieux, vous êtes au bout de votre vie et je pèse trois fois moins que vous.

Il se gratte au-dessus d'une oreille.

— Elle a pas faux. Son quintal lui fait défaut.

Le fusil sur la table, son cœur s'accélère outre-mesure lors de sa descente aux enfers, par une échelle rudimentaire dont le dernier barreau est fantomatique. L'endroit, exigu et morbide, lui crée des sueurs froides. De plus, l'air humide cautionne la saturation et le dégoût. Ni une, ni deux, il revient après avoir récupéré les explosifs sur son cheval, les relie à la mèche et les lui passe, le front perlé. Avoir des bâtons de dynamite entre ses mains va bien au-delà d'une sinécure, l'incitant à ressortir illico. Il referme la trappe et un morceau se détache. En résulte un bruit sourd et un brouillard poussiéreux qui tarde à se résorber par les ouvertures. Ils graillonnent, le temps que tout se décante.

— Bon sang, fallait me demander, vous allez rameuter tout le village.

Il grimace et hausse ses épaules, puis essuie l'humidité sur son visage.

— Il est trop vieux, désolé. Il remonte et vérifie l'état de la mèche, elle n'aura qu'à le rejoindre avec les juments.

— On les attend patiemment, je suppose ?

— Elle a bien pigé, et il allumera la mèche au moment opportun. C'est le seul itinéraire de toute manière, ses agresseurs vont passer ici tôt ou tard.

Tandis qu'il emprunte déjà la montée à l'arrière de la bâtisse, une mauvaise intuition l'incite à nouveau à scruter le sentier d'accès en provenance de Blackhawk. Les yeux tout ronds, elle décèle quatre cavaliers en approche et en tête de cortège, Jacko. Poésie et sa congénère tirent au renard et hennissent pour avertir du danger. Dans leur recul, le poteau pourri jusqu'à la moelle supposé les contenir, rend l'âme. S'ensuit un démarrage en trombes vers les hauteurs, à faire trembler les alentours. Nulle doute, son geôlier aura reconnu Poésie et donc sa présence en ces lieux maudits. Elle saisit en urgence son long rifle sur la table et, le souffle maîtrisé, le canon pointe un des deux adversaires.

« Merde, ils sont où ? »

Jacko et Nathaniel ont disparu. Sa première balle se loge en pleine tête et le zig s'écrase au sol, sans vie. Dans l'intervalle, le levier de sous-garde exécute un geste vif et maîtrisé. Le second se déplace sur sa gauche. Ses pas chassés suivent le mouvement. Il a du mal à contenir son cheval et il riposte trois fois avec son revolver...

« Prend ton temps, relax. »

...avant de se faire crucifier à son tour. Le règlement de compte s'acte par l'arrivée de l'homme d'affaires, dans son dos. Sa discrétion la fait sursauter. Un bras enroulé autour de son cou, il la tire en arrière et la soulève de terre, mais elle pose une jambe contre la paroi et les propulsent de toutes ses forces vers l'arrière. Il atterrissent sur la table. Sous cette impulsion inattendue, Nathaniel lâche sa proie et roule à toute vitesse de l'autre côté du mobilier. D'instinct, le coup de feu du long rifle s'incruste dans le plateau. La mâchoire serrée, elle déverse toute sa hargne sur l'énergumène, de façon à couvrir son passage dans l'autre local. Une pluie de douilles vides déferle à ses pieds. Sans avoir le courage de riposter, ni l'âme d'un tueur d'ailleurs, l'homme subit, le flux sanguin à son paroxysme. Il peine à reprendre ses esprits et souffle fort. Une fois dans l'autre pièce, la survoltée s'engaillardie de sa prestation et s'adosse derrière un lit. S'opère alors un vide complet dans tout son être. Ses gestes s'affranchissent de tout obstacle sentimental, son ouïe devient acerbe, sa respiration fonctionnelle et cet état catatonique supplante la peur au rang de dérisoire. Elle le sait maintenant, elle a les tripes pour éliminer Jacko.

Pendant qu'ils rechargent, Tim, en manque d'oxygène, s'arrête net à une vingtaine de mètres du départ de la mèche. Le constat des affrontements ne lui plaît guère et leur moyen de transport a filé. Mais un sifflement l'interpelle. Sans tergiverser, l'arbalète décoche illico un carreau qui se plante dans le tronc.

— Ben, j'ai de la veine ! Dis donc, papy, t'as pas l'air dans ton assiette.

Caché à son tour à l'abri d'un résineux, le Confédéré réarme. Aucune ambiguïté, le zig, Mexicain, est le fameux Jacko en question.

— Elle t'a promis quoi, la jolie Jenny ? Parce qu'attend, t'es tombé dans le panneau de la pauvre petite cocotte en détresse. Laisse-moi rire, cette salope, elle est revêche ! Tiens, j'te le donne en mille que tu crèches un peu plus haut dans la montagne, vrai ? Pépère, loin de la civilisation, t'es le genre pommé, rongé par son passé. Mais y a bien un truc à moi là-bas, genre magot, j'ai plus qu'à suivre le canasson, dis-moi si je brûle ?

Rouge cramoisi, le déserteur tente de reprendre des couleurs et l'autre jubile.

— Qui ne donne mot consent ! Ou bien, comment c'est déjà ? Peu importe, allez, ça va swinguer.

Jacko s'accroupit, craque une allumette et amorce la mèche. La flamme d'étincelles file à toute berzingue, sous les yeux hagards de son propriétaire. Le malfrat fanfaronne et se redresse.

— Boum ! Merci pour l'opportunité.

Au risque de s'exposer aux représailles de son adversaire, Tim court pour empêcher l'explosion, mais il chute et roule sur quelques mètres avant de se stabiliser, le menton dans la neige. Pendant qu'il crie, le hors-la-loi emprunte le sentier pour se rendre au chalet.

Côté dispensaire, le poltron fuit en direction de la sortie et la trappe cède sous son poids. Il heurte le sol de plein fouet, à moitié sonné. Les pas de Jenny se calent avec assurance sur un rebord, sa cible en plein dans sa ligne de mire. Le visage ensanglanté, il implore son pardon et son aide. Méfiante, elle hésite à saisir sa main tendue pour l'extraire de là, mais la voix dévergondée de son coéquipier percute ses tympans telle une pic.

— SORS DE LÀ, ÇA VA SAUTER !

Déjà dans la section des lits, sa course vient fracasser la porte donnant sur le cimetière, d'un coup d'épaule magistral. Le reste n'est plus qu'un bourdonnement invraisemblable. Projetée par la déflagration, elle termine à plat ventre et se protège la tête. Les bouts de planches volent en éclats de partout, dans un fracas hors-norme. Néanmoins, elle se lève et fend le brouillard cendré. À peine deux cents mètres et ses sens à l'affût, elle croise un Tim stoïque face à la détermination dans son regard.

— Ouf, elle est vivante. Elle doit m'attendre, il va retrouver son cheval qui a pris la poudre d'escampette.

— Sans façon, j'ai un règlement de compte à effectuer. Je prends le raccourci.

Jenny file sur les traces de son bourreau, au grand dam de Tim qui assiste à scène, impuissant.

— Et merde ! Bordel de merde !

Dans l'optique de la rejoindre au plus vite pour lui prêter main forte, il se met en route afin de trouver son moyen de transport. Au bout d'une heure et sous une forte bise, stupéfait, il croise deux cavaliers. La poudreuse les a tous recouvert et elle plaque aux visages meurtris.

— Il doit être Ngoma. Et lui, Joe. Il se nomme Timothy Ortiz, Tim pour les intimes.

Les deux amis retirent l'humidité et se regardent.

— Au moins, on est sur le bonne piste.

— C'est ça que vous cherchez, m'sieur Tim ?

Il opine à la vue de sa jument à côté de celle d'Ngoma et grimpe dessus.

— Les autres nous ont freiné dans notre poursuite, mais ils ont fini par se rendre. Où est Miss Jenny ?

Le déserteur pointe son index vers les crêtes.

— On suit la guide. Allons-y, qu'on en finisse avec ce saloperie !

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*Alfred Nobel : inventeur Suédois de la dynamite et du détonateur. Surtout connu pour avoir fondé les prix Nobel, cet homme n'a jamais fréquenté d'université et n'a obtenu aucun diplôme.

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