Justice 4-3

Ni une, ni deux, le duo ramène l'autre cercueil et le dépose sur une table à côté. Tandis que les traînées d'eau imbibent le plancher, le propriétaire des lieux s'active à le sécher. Le croque-mort, dans sa délicatesse légendaire, attrape son petit pied-de-biche fixé à sa taille. Dès lors, il commence à démonter les couvercles dans le bruit infernal, causé par l'extraction des longs clous prévus à cet effet.

— Mais enfin, arrêtez ce massacre ! s'insurge le juge, bras au ciel.

Au même moment, le pasteur déboule, le souffle court et trempé.

— Cet outrage va vous envoyer droit en enfer ! Ces deux âmes reposaient en paix, et vous...

— Fermez vos grandes gueules, tous autant que vous êtes. Au passage, Monsieur le religieux, au cas où vous ne l'auriez pas remarqué, on est déjà en enfer ici. Rangez donc votre croix !

Le religieux, blanc comme neige, tremble et balbutie quelques mots incompréhensibles, puis s'assoit avant de tomber dans les pommes. Le professionnel termine sa besogne et décale le premier couvercle, qui finit au sol dans un fracas ahurissant. Une odeur pestilentielle envahit la salle.

— Voilà monsieur le Maire, comme vous me l'avez demandé. J'ai ici-même la lettre écrite et signée par vos soins. Merci au passage, pour le joli paquet de dollars en prime, de même que la caisse de whisky.

— Mais, mais.... Je n'ai jamais rien deman... dé.

Josh comprend sans ambiguïté le coup de grâce de Mary. Toujours en lutte avec son rhume, elle ne manque pas de le lui confirmer, clin d'œil à l'appui. Tandis que les protagonistes protègent leurs oreilles de la manœuvre similaire infligée sur le second cercueil, Josh profite de l'occasion.

— Maintenant que vous avez Jackson et Marco, vérifiez l'impact des balles et vous verrez qu'il m'était impossible de les tuer en même temps. Qui possède deux revolvers à sa ceinture et les exhibe avec fierté ?

Le juge, sous le coup de l'émotion, a viré au pale. Il tire sur son veston et se racle la gorge, puis toussote, afin de se donner une sorte de courage. S'ensuivent plusieurs pas afin d'analyser les corps. Les deux macchabés affichent un trou en pleine tête, à l'opposé l'un de l'autre, ce qui renforce un peu plus la version de Josh. Les paupières fermées, les corps ont à peine gonflés et dégagent une impression de paix et de sérénité.

— Moi je veux bien, Parson, mais rien ne vous disculpe ici. Vous avez très bien pû exécuter l'un d'entre-eux puis l'autre ensuite.

— Bon sang, vous avez tout sous votre nez. Attendez Lemeunier, il confirmera la thèse des tirs simultanés ! Merde quoi !

— Vous avez évoqué un ami à vous, juste avant ce fiasco. Pourrait-il corroborer votre version ?

— Oui, mais comme par hasard, Murdock a jeté son dévolu sur lui et il ne manquera pas d'essayer de le tuer. Joe est un témoin gênant. Il pourra attester ma théorie sans problème.

Le juge se gratte le menton. Il doit se montrer ferme, sinon son discrédit vis-à-vis de Rodgers ne manquera pas de le rattraper à un moment ou un autre.

— Bon, donnez-moi cette fameuse lettre.

Le croque-mort la lui donne, puis passe ses pouces dans ses sempiternelles bretelles. Après une lecture avisée, le juge rejoint l'estrade, attrape une feuille et demande au gérant du Saloon d'amener une plume et de l'encre. À peine le temps de dire ouf, que l'élu se retrouve à écrire un texte quelconque, dicté par Finn. Ce dernier pose alors la lettre à côté de la feuille et compare.

— J'veux pas dire, Rodgers, mais c'est bien la même typographie, bon sang !

L'afflux sanguin à son paroxysme, le concerné explose une nouvelle fois, l'index pointé vers Josh.

— Petit tas de merde ! Qui as-tu engagé depuis ta cellule pour réussir une telle supercherie ?

Ricon empêche le Maire de s'approcher du détenu. Dans ce contexte, le pasteur se lève et sort du Saloon, dépité.

— Atchoum ! Désolée.

Le juge reprend alors les affaires en mains.

— Soit, refermez ces couvercles, par pitié. Les défunts retrouveront leur repos bien mérité dès que possible demain, après la pendaison de Parson.

— Mais bordel de merde, vous pouvez pas attendre Lemeunier ?

— Ma patience est à bout, Parson, aussi, j'aimerais en finir avec tout ce cirque.

Debout devant sa table, il balance le verdict.

— La cour vous condamne, Josh Parson, à la pendaison jusqu'à ce que mort s'ensuive !

Un gros coup de maillet vient appuyer l'inculpation. Le diagnostic de Mary s'avère donc bien être le bon, il sera pendu de toute manière demain matin. Sans tergiverser, Josh est reconduit à sa cellule, sous des précipitations moins denses. Cette nuit-là, l'apparition d'un brouillard tenace affiche cette identique composition à celle de son âme. Bien que Mary ait tout préparé, il ne peut s'empêcher de penser à une fin tragique. Il suffit d'un aléa de dernière minute pour tout faire louper. Il mange les quelques restes, pense à sœur, à Joe. Il tourne en rond, dans l'incapacité de trouver le sommeil. Désormais devenue habituelle, sa petite visite nocturne l'interpelle depuis le fenestron.

— Pssst, bel étalon !

Après s'être mouchée, elle bascule la tête en arrière et descend plusieurs gorgées de whisky. Dans la foulée, elle lui passe la bouteille, que Josh ne manque pas de saisir.

— L'alcool ne guérira pas tes plaies, tu le sais bien.

Ni une, ni deux, elle s'allume une cigarette, inspire vite et expire une longue colonne.

— Pffff, je sais bien. Mais ça m'arrive parfois, ou du moins, plus souvent que tu ne le penses. Qualifie cela d'automédication si tu veux.

Après une bonne descente, il déglutit et lui tend le précieux liquide, puis échange avec la cigarette. Le front plissé du détenu suscite un milliard d'interférences, quant à connaître l'origine du mal qui la ronge.

— J'écoute, de toute manière, j'ai toute la nuit.

Elle rempile une dose. Il fume.

— J'habitais à Lawrence*, dans le Kansas. Bordel, en ce mois d'août 1863, la milice de Quantrill a massacré tout le... monde. Je me rappelle bien lorsqu'ils ont forcé la porte d'entrée. Comme j'ai toujours bravé les interdits, j'étais réveillée et fumais en cachette. Du coup, j'ai pû anticiper et me suis cachée dans la cave.

Elle fume. Il rempile une dose.

— Poursuis.

— J'avais seize ans. J'ai vu, par les espaces entre les planches, les égorgements de mes parents, Josh, ainsi que ceux de mes deux jeunes frères. Comment peut-on faire une chose... pareille ?

Les larmes dévalent sur ses tâches de rousseur. Elle renifle et tousse.

— Atchoum !

— La guerre n'a jamais grandi les hommes, de mon expérience. Juste des morts, encore et toujours des morts.

S'ensuit une nouvelle dose de whisky.

— Hummm... Bordel, ça décoiffe !

Elle inspire une longue bouffée de cigarette. Le bout incandescent illumine son visage plus significativement. Depuis l'intérieur de la prison, toujours cette même lampe sur le bureau du shérif, qui émet une faible luminosité.

— Le sang coulait dans la cave. J'étais pétrifiée. Au petit matin, je suis sortie à l'arrivée des secours. Le sénateur James-Henry Lane* m'a prise sous son aile. Ce jour-là, j'ai décidé d'assouvir ma soif de vengeance... Atchoum !

Josh vide le reste de la bouteille.

— Tu veux donc tuer des hommes. Mais pourquoi pas moi, du coup ?

Elle rigole, puis expulse une énième colonne de fumée et écrase la cigarette. Après un demi-tour, elle colle son visage plein de tristesse aux barreaux.

— Tu peux compter sur moi demain matin. Je sais que tous les mâles ne sont pas mauvais.

Ils s'embrassent, elle ferme les yeux et apprécie l'étreinte et son effet bienfaiteur. Avant de s'en aller, elle récupère la bouteille, de façon à ne pas laisser un soupçon de traces de son passage interdit. Elle se mouche encore et s'éloigne dans le brouillard. L'ambiance rendue est morose, proche d'un adieu.

Réveillé en sursaut par l'ouverture de la cellule, par un des deux gardes de monsieur Ricon, Josh tente de rester calme. Lorsque la porte grince, la peur s'immisce dans son être, bien malgré lui. Dans un silence mortuaire, il se retrouve à marcher jusqu'à la potence. Le brouillard n'octroie qu'au dernier moment la présence du boisage. Les marches craquent à sa progression lente, comme pour renforcer l'instant fatidique. Sur sa gauche, à peine décelable, la diligence. Les juments expirent, motivées par l'effort qu'elles vont devoir fournir sur le chemin en direction de City of Kansas. Une d'entre-elles s'ébroue. Bien entendu, les mêmes protagonistes qu'au procès sont au rendez-vous. Impossible pour Josh de voir l'expression des visages.

L'humidité grisâtre envahit tout et se colle à la peau, accompagné d'un calme désagréable. Placé sur la trappe, le bourreau, masqué et les bretelles en évidence, lui passe la corde au cou et serre bien fort. Le rythme cardiaque du condamné s'envole. Sur sa droite, le pasteur déblatère une ou deux prières en vu d'une ultime bénédiction. Josh déglutit avec difficulté, ses oreilles bourdonnent, puis il expire. Mary a beau dire, un instant comme celui-ci n'augure rien de bon. Perdu dans une autre dimension, la peur au ventre, il ne perçoit même pas la croix du religieux, actant ses dernières paroles saintes. La suite accélère le passage à l'acte. En effet, un coup feu vient de faire fuir tous les chevaux, détachés au préalable par le jeune garçon engagé par Mary. Dans la foulée, la majorité des hommes, dont les deux gardes de Ricon, partent à pieds à la recherche de leur monture. Rodgers ne se laisse pas démonter par ce désordre et ordonne la pendaison.

— Putain, vous attendez le dégel ou quoi ! Allez, du nerf !

Le bourreau active la trappe. De là, tout va très vite. L'atterrissage de Josh reste rude, mais par chance sans casse. Dans cette cohue, le gamin rejoint Josh et, comme prévu par Mary, le libère de ses liens. Rodgers n'arrive pas à réaliser ce qui vient de se produire. Dans un brouillard encore plus dense, Josh rampe jusque sous la diligence avec la corde de la potence en main. Il s'emploie alors à fixer le plus vite possible celle-ci, puis se tracte et se calle tant bien que mal entre les essieux. La douleur à l'épaule ainsi ravivée, il serre la mâchoire et tourne ses poignets autour de l'épaisse longe. Tandis que la diligence démarre, ses pieds tombent au sol. Dans un effort dont il se croyait plus capable, il se renfrogne et se positionne d'une autre façon. Désormais lancé à pleine vitesse, et ce malgré les conditions visuelles défavorables, l'engin file vers le nord.

Combien de temps s'écoule, impossible pour lui de l'évaluer, mais il s'étonne à réussir à tenir ce qui se rapproche d'une éternité. Toutefois, la fatigue imprègne de plus en plus son corps. Ses muscles se tétanisent et, malgré quelques prouesses techniques, le moment tant redouté devient inéluctable. Josh lâche prise et tombe lourdement au sol. Dans cette chute, l'essieu arrière percute sa tête de plein fouet, le laissant inerte, étalé sur le dos. Une mare de sang s'étale depuis l'impact. Semi-inconscient, il sent le froid prendre son âme et son cœur. Il le sait, lorsque cette sensation-là arrive, la mort l'accompagne. Dans un dernier effort de survie, il tente de basculer sur le ventre, sans y parvenir. Désormais dans l'acceptation de son sort tragique, des flashs défilent devant lui. La ferme familiale. Les foins. Les sourires avec Jenny. La beauté de ces contrées sauvages et la vie rude.

Puis une silhouette s'accroupit à côté de lui. Le dos d'une main se pose avec délicatesse sur son front. À moitié conscient, il n'enregistre que des passages succins de la personne, sans réussir à déterminer à qui il a affaire. Il réussit à avaler quelques gorgées d'eau depuis la gourde posée sur sa bouche. Il tousse, puis repart dans un état de semi-inconscience plus prononcé. Lorsqu'il se réveille, bien plus tard, il se retrouve fixé dans une espèce de luge faite maison, tractée par une jument. Le brouillard est toujours là et sa plaie a été nettoyée et bandée à l'aide d'habits. La douleur reste vive, ce qui occasionne un râle de douleur. Son sauveteur arrête l'attelage et détèle la structure en bois. Il claque des dents. De nouveau accroupis à côté de lui, il sent la goulotte de la gourde et boit.

— Je vais vous faire du feu. Votre plaie est vilaine. Votre nom ?

— Josh... Merci... ci.

— Plume-de-faucon. Avec plaisir.

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* Lawrence : le 21 août 1863, cette petite ville du nord du Kansas fût massacrée par une milice pro sudiste, sous les ordres de Quantrill.

* Sénateur Lane : seul survivant du massacre. En peignoir, il s'était réfugié dans un champ de maïs attenant à la ville.

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