Coupé-Court 8-3
À l'aube, le vent est tombé. Torse nu, Josh s'accroupit au bord de la rivière et se rafraîchit le visage. La bruine noie l'horizon, la soudoie de stries intermittentes en suspension, dans un teint grisâtre proche de l'opaque. Habillée, elle se penche sur lui, l'entoure de ses bras et l'embrasse sur une joue.
— Soucieux, Josh Par... ?
Il l'interrompt, sa main droite grande ouverte à la verticale. L'espace d'un instant, les respirations se bloquent dans un silence bien trop suspect. Sans un bruit, le duo évolue main dans la main le long de la berge, jusqu'à atteindre un bouquet d'arbres. Immobiles, cachés derrière les troncs, ils scrutent les alentours, où seul le cours d'eau délivre un son suspicieux. Une petite silhouette s'enfonce dans la surface pour disparaitre l'instant d'après. Les regards se croisent et les secondes virent à l'éternité, mais le couperet tombe : un cavalier, puis deux, puis au final cinq s'extirpent du voile en suspension. À peine décelable, le petit groupe d'intervention atteint déjà la moitié de l'affluent. En tête, le guerrier rouge donne froid dans le dos. À peine le temps de réaliser et voilà déjà les intrus de l'autre côté, mais plus en amont. Dans l'urgence, le duo rejoint, le souffle court, «leur» chêne. Sans arme à feu, Josh s'équipe de ses Tomahawk.
— Pawnees !
— Cours par la droite jusqu'au village pour alerter tout le monde. Ton frère doit tirer en l'air pour que tous les braves se mettent sur le pied de guerre.
Elle acquiesce, front plissé, et file. Bien déterminé à mettre un terme à cette incursion stratégique, il sait qu'il va devoir ruser.
« Ils cherchent quoi ? »
De retour au bouquet d'arbres, le dernier cavalier, en mode guetteur, lui en donne l'opportunité. Grâce à l'effet de surprise, il le renverse. S'ensuit l'impact violent et côté plat de l'acier du Tomahawk, qui le met hors d'état de nuire. Ni une, ni deux, la rage au ventre, il retire le Spencer de son fourreau et grimpe sur le cheval. Quelques tapes amicales sur l'encolure déstressent l'animal. Inutile de s'affoler, ces chevaux, tout comme Vipère, ne bougent pas d'un iota, usités à ce genre de situation sur le fil du rasoir. Il souffle, inspire, expire et ajuste son canon, mais la mauvaise visibilité le dissuade d'écoper d'un tir bien trop hasardeux. D'ailleurs, le coup de feu d'Ours-Fougeux oblige le quatuor à accélérer sa tentative d'approche. L'escarmouche ralentit les contrevenants et Josh profite de l'occasion pour contourner par l'ouest.
— Ya, ya !
Les cris percent l'atmosphère saturé de Washita et la riposte Cheyenne monte crescendo. Dans une sorte d'accalmie météorologique salvatrice, l'ex soldat anticipe la trajectoire du fameux guerrier rouge. Ce dernier fait fi des autres et se dirige vers un tipi bien précis. Sur son itinéraire, Ours-Fougeux. Dans ce face-à-face inégal, le jeune homme tremble et panique. En hypoxie, la peur vient d'envahir ses entrailles et le cristallise telle une statue de marbre.
Entre-temps, Josh déboule d'entre deux grands tipis et arrive à la hauteur du chef Pawnee. La puissance des galops occasionne un lourd effet vibratoire sur le sol. Confus, le pris à parti ne peut que contenir le choc induit par le saut du visage pâle. Déstabilisés, le binôme s'échoue dans la boue. Plume-de-Faucon, l'afflux sanguin à son paroxysme, rejoint son frère, blanc comme neige. Elle le secoue. Il inspire et reprend des couleurs. Dans l'interstice, elle tend son arc mais s'arrête net face à la grande probabilité de blessé son amoureux.
Toutefois, le duel hypnotise l'attention et abroge les échauffourées. Le géant aux cheveux longs tressés et à la peau imbibée de sang, arbore son lourd Tomahawk. Son nom, scandé par les siens, le galvanise.
— Sewatis, Sewatis !
Ils tournent l'un autour de l'autre. La gorge nouée, la jeune femme assiste, impuissante, à ce combat mortel. Le Pawnee lance les hostilités en une première salve circulaire horizontale. Coupé-Court s'accroupit et esquive avec brio. Le retour, à fleur de sol, se voit fendre l'air car l'artiste saute à pieds joints par-dessus, ses genoux contre son thorax. Dans la foulée, la troisième tentative l'oblige à reculer son buste et lui occasionne une légère entaille sur son épaule gauche. Toutefois, après cet effort, Josh note la forte fréquence cardiaque de son adversaire. Le constat est simple : sur le plan de la force physique, Josh se trouve en deçà de lui, par contre, niveau rapidité, le quidam peut se faire du souci. Le point faible en exergue, le Cheyenne blanc ne tarde pas à exploiter la brèche. S'ensuit une roulade avant, accompagné avec dextérité d'un vif geste latéral en fin de course.
— AHHHHH !
Le mollet sectionné, la réponse ne tarde pas, mais là encore, elle se perd dans le vide sidéral de la bruine. L'effet escompté des modifications apportées aux Tomahawk prend tout son sens dans ce corps-à-corps. Plus long d'une dizaine de centimètres et plus légers, ils lui confèrent une distance de sécurité renforcée. La seconde blessure ne traine pas et résulte en une vilaine coulée sanguine à la cuisse du géant. Pris d'une rage folle, il se renfrogne et lui assène un coup-de-pied en plein torse. Ses membres croisés en guise de protection à l'impact, le visage pâle vole à un mètre et s'étale de valeur sur le dos. Interpellé par un acolyte, le mastodonte remonte sur sa monture et les agresseurs quittent les lieux sous la ferveur des Cheyennes. Plume-de-Faucon rejoint son héros, admirative de sa prestation hors-norme. Couvert de boue, il graillonne et se relève en deux fois.
— Ça va, Josh Parson ?
Tandis qu'il abonde dans son sens, un cri déchire l'air. À proximité, Clara Blinn s'effondre à genoux.
— Ils ont enlevé mon Willie ! Ils ont enlevé ma chair et mon sang !
Inconsolable, Plume-de-Faucon s'accroupit à ses côtés, afin de la calmer. Josh, le souffle court, s'approche d'Ours-Fougeux et le prend dans ses bras puis lui tapote l'épaule.
— Je... Je paniqué.
— C'est rien, t'es trop jeune pour ces conneries. T'as bien évolué, mon ami. Tiens-moi ça, s'il te plaît.
Le jeune homme prend une des hachettes, un sourcil arqué. L'air grave et la mâchoire serrée, Josh s'empare sans détours de Clara et la soulève de force par le col.
— Pourquoi ?
— Josh Parson ? Arrête !
— Répondez ! Qu'est-ce que vous cachez ?
Les mains ancrées dans l'avant-bras gauche de son agresseur, elle tente de se défaire de son étreinte, sans y parvenir. Dans un éclair de lucidité et afin d'en avoir le cœur net, il tend ses habits et les entaille à grands coups de Tomahawk. Elle se débat avec vigueur.
— Retirez vos sales pattes de moi, traite sauvageon !
En rien perturbé, il poursuit, balance son arme, agrippe la chemise dans ses poignes et l'arrache en deux. Ainsi exposée, ses seins et son ventre à l'air, elle ne peut plus nier l'évidence. Sa poitrine se soulève et redescend dans une cadence folle. Son sang ne fait qu'un tour et elle se renfrogne, l'écume à la bouche.
— Vous irez tous crever en enfer, bande de Peaux-Rouges de merde !
Bouche-bée, les oreilles de Plume-de-Faucon sifflent. Son regard hagard s'ancre dans celui de Josh.
— De qui ?
— À l'évidence, du seul fournisseur d'armes et surtout de munitions de toute la région.
— Jacko ?
— Exact, ma belle. On a un sérieux problème, Gand Sagem. L'arrangement avec Jacko procurait à Woqini l'exclusivité de l'approvisionnement, en échange d'une protection rapprochée de sa chère et tendre épouse. On peut donc s'attendre à un sérieux arsenal caché sur Saline.
— Et maintenant, faire quoi ?
Clara recouvre sa grossesse et Ours-Fougeux diffère la probable explication vis-à-vis du chef de la tribu. L'adolescent lui tend un bout de tissu afin qu'il panse son entaille. Black Kettle, hébété, a du mal à saisir l'enjeu final.
— Il me faut des braves pour empêcher les Pawnees de s'en emparer.
— Et Willie connaît planque.
— Tout juste, Ours-Fougeux. Là, ils n'étaient que cinq et voulaient passer incognito. Mais si les Pawnees prennent possession du pactole, ils reviendront en très grand nombre. Si ça devait se produire, je ne donne pas cher des Cheyennes et Arapagos sur Washita. Vous saisissez l'affaire ?
Little Rock traduit. Le chef demande.
— Ils vouloir quoi, au final ?
— Votre territoire, vos femmes. Ces Pawnees, eux, valideront sans problème le projet du cheval de fer en contrepartie de votre réserve.
La gravité de la situation les accapare. Plume-de-Faucon déglutit et un goût amer lui reste en travers de la gorge. Cette femme blanche, d'apparence si douce, montre une toute autre facette de sa personnalité. Sa haine envers les siens se lit dans ses pupilles vitrifiées. Elle effectue deux pas en sa direction puis s'immobilise net. Cet affront lui coupe le souffle. Elle la toise, poings fermés.
— Quoi, tu croyais quoi, toi ? Au lieu d'écarter les cuisses avec le premier venu, tu...
La gifle lui dévisse la tête sur le côté et terrasse Clara Blinn de tout son long dans la boue. Effarée face à cette réponse du tac au tac, la provocatrice pose une main sur sa joue en feu et essuie le filet rougeâtre qui s'effiloche au sol. Inutile d'expliquer à Black Kettle un état de fait qu'il connaît déjà. Le sage débite une série de phrases. Plume-de-Faucon pleure. Josh l'entoure de ses bras pour la consoler. Elle renifle.
— Mon père nous dit de contacter les Arapagos. Ma sœur cadette, Silence-de-Brume, est mariée avec leur chef, on trouvera sans difficulté des volontaires.
— Et ?
— Il m'interdit de t'accompagner.
— T'inquiète pas, on trouvera une solution.
Il abroge l'étreinte pour mettre au clair ses intentions.
— Ô grand Sagem, merci de votre compréhension. Clara Blinn vient avec nous.
— Je vous crache tous dessus, chiens galeux ! Mais pourquoi pas, je veux retrouver mon Willie.
— Entendu, on part ce soir. Ours-Fougeux, tu te joins à nous ?
La captive opine et s'éloigne sous escorte rapprochée vers son tipi. L'adolescent, d'abord surpris, lève un poing au ciel, plein de panache, accompagné d'un cri de guerre.
— Allez, on prend les chevaux et on se rend chez vos voisins.
Plume-de-Faucon essuie ses larmes, heureuse. Ils marchent.
— Inutile de s'y rendre, on va délivrer le message d'une manière plus rapide.
Les yeux tout ronds, il se questionne quant à la méthode employée. À l'entrée du paddock, Cheyenne Jack leur amène leurs juments. Elle grimpe dessus, mais Josh diffère son action et pétrifie le jeune responsable.
— T'as pris un bain dans la rivière ce matin ?
Sa trahison mis à jour, il baisse la tête, silencieux. Hors de lui, Josh contient les ardeurs d'Ours-Fougeux.
— Tu viens aussi avec nous. Surveille-le mon frère.
Il opine, en colère, tout comme sa sœur. L'ex soldat se met en selle et leur demande de garder le secret. Le fautif va devoir se racheter. Sans tergiverser, le couple s'éloigne vers l'Est et la couverture nuageuse ne pleure plus. Néanmoins, la température chute.
— Ça va ?
Les larmes coulent à profusion sur le visage de la jeune femme. Ils s'immobilisent. S'ensuit un geste délicat de Josh qui dépose sa main gauche sur un côté du visage attristé. Elle ferme ses paupières à cette chaleur salvatrice et fond ses phalanges dans les siennes, puis elle rit. Ce genre de rire de décompression, mi-figue, mi-raisin.
— J'ai eu si peur de te perdre.
— Moi !
Il exhibe ses biceps en l'air. Elle cache ses voies respiratoires pour contenir sa joie subite, mais la positivité retombe vite.
— Arrête tes pitreries, veux-tu ? Y a rien de drôle. C'est vraiment un truc masculin, ça.
— Ah, je voulais juste te déstresser.
— Réussi.
L'humidité essuyée, ils repartent et récupèrent leurs effets personnels sous «leur» chêne. Quinze minutes plus tard, les juments montent une petite colline. L'endroit, dégagé de toute végétation en un cercle de plusieurs mètres de diamètre, offre un point surélevé dans le relief. Pieds à terre et les équidés attachés, elle entre dans un mini tipi et en ressort vite. Dans ses bras, des branches sèches qui ne tardent pas à s'entasser au centre. Il saisit l'affaire, craque une allumette prise dans sa sacoche et admire la prestation à venir.
Un petit tapis entre les mains, Plume-de-Faucon étudie l'intensité du feu qui crépite. Jugé adéquat, elle effectue des gestes ancestraux qui délivrent des bouts de nuages successifs. Les joues gonflées à bloc, il est impressionné par ce patrimoine culturel. En l'absence de vent, le message s'élève sans accrocs et se lit à des kilomètres à la ronde. À peine dix minutes s'écoulent lorsqu'une réplique identique apparaît à son tour.
— Un relayeur ?
— Exact. Les guerriers Arapagos arriveront dans l'après-midi, sans faute. Si j'ajoute de l'herbe grasse au feu, la fumée sera très blanche et sa signification sera positive. Ici, juste avec des branches, la couleur plus sombre et la fréquence rapprochée, annoncent de l'aide.
Époustouflé, il se positionne derrière elle et l'enlace. Les nez rosés, ils savourent cet instant de bonheur éphémère. Juste avant le crépuscule, le groupe formé de Cheyennes et d'Arapagos quitte Washita, sous de mauvaises auspices, car la neige virevolte. Hors de vue du campement, Josh fait arrêter les guerriers. Clara Blinn s'insurge.
— Vous attendez quoi, bordel ?
— Fermez votre grande gueule !
La mâchoire serrée, la malfaisante, stupéfaite, ne peut que subir l'arrivée de Plume-de-Faucon. L'animosité entre les deux femmes annonce déjà un probable règlement de compte.
— Allez, en avant. Direction Saline dans le Kansas.
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