Coupé-Court 8-2
Le lendemain matin, Josh est secoué à l'épaule. Il baille, cligne des paupières et met quelques secondes pour émerger. Devant lui, Ours-Fougeux, qui trépigne d'impatience et lui occasionne presque un arrêt cardiaque, par son Tomahawk un peu trop en évidence. Son buste relevé à la vitesse de l'éclair, Josh lui bloque le poignet incriminé. Son vis-à-vis éclate de rire.
— Ça va pas la tête !
— Échange ?
Il souffle, le relâche et peine à comprendre ce qu'il souhaite. Le jeune Cheyenne pointe le fusil d'un index.
— Ah, merci d'éclairer ma lanterne. Mais j'aurais bien dormi un peu plus.
Il insiste, la mine sérieuse. Le rythme cardiaque redevenu normal, Josh accepte, s'habille et sort avec ses béquilles. De toute façon, il ne lâchera pas l'affaire. Il met son chapeau militaire et l'instant d'après, se trouve à marcher côte-à-côte avec Ours-Fougeux. Ce dernier est muni d'une sacoche en cuir, à cheval sur une épaule, avec des munitions dedans.
— On va où ?
— À l'écart, pour sécurité. Wa...shi...ta !
— Ah, mais bien sûr.
— Tu, très bien tirer.
— Oui. Où est ta sœur ?
À peine le temps de répondre, qu'elle les rejoint en compagnie d'une femme blanche et de son enfant d'une douzaine d'années. Elle les présente. Par habitude, il enlève son couvre-chef.
— Voici Clara Blinn* et son fils Willie.
— Enchantée, monsieur.
Ils se serrent la main. De prime abord, Josh note que l'adolescent a les pupilles humides et a la facheuse tendance à se ronger les ongles. Il voit bien la détresse qui émane du visage de la captive de petite taille, cheveux châtain foncé, mais ne peut pas intervenir en sa faveur. Du moins, pas encore. Pour cela, il doit se créer une place dans la tribu. Mais tout ne tient qu'à un fil et créer une polémique, à peine arrivé, ne peut que jouer en leur défaveur. Plume-de-Faucon s'éclaircit la gorge.
— J'ai compris : bénédiction. Merci.
— Tu te joins à nous ?
Elle analyse les deux hommes, leur attirail explicite et accepte bien volontiers.
— On se revoit plus tard, Clara Blinn.
La concernée serre les dents, entoure de ses bras sa progéniture et les contemple s'éloigner, désemparée.
— Ça fait longtemps qu'ils sont ici ? Ils ont l'air stressé.
— Non, Woqini les a pris sous son aile après un raid sur Saline.
— Pourquoi ils sont privilégiés ? J'veux dire, les autres n'ont pas cet égard.
Elle lève un sourcil et concède en silence à cet analyse.
— Je croyais que Black Kettle ne souhaitait pas d'exactions avec les colons ?
— Lui, non. Mon père n'a jamais approuvé, mais bon voilà, Woqini n'en a fait qu'à sa tête, comme toujours.
— Il avait beaucoup de fidèles acquis à sa cause ?
— Pas vraiment, mais bien des Pawnees.
Josh remet son chapeau. Tout ceci le tracasse et quelque chose lui échappe. Le trio arrive sur un bout de berge plat et dégagé sur une bonne centaine de mètres. Ils posent leurs affaires. Josh souffle sur ses mains et les frotte avec vigueur. Remonté comme une pendule, Ours-Fougeux court marquer un premier arbre à une vingtaine de mètres, puis un autre tout au bout, d'une croix creusée dans l'écorce à l'aide de son couteau.
— Tu désapprouves pour les prisonniers ?
— Non, les miens font pareil. C'est juste que c'est pénible de toujours devoir faire couler du sang.
Elle se contente de l'écouter. Inutile de renchérir. Voilà déjà les prémices qui peuvent entraver leur relation, si toutefois elle évolue de manière plus intime. Ours-Fougeux revient, très satisfait, l'entraide va enfin pouvoir débuter.
— J'ai eu mon premier cours d'écriture avec Tara Blinn.
Il siffle. Décidément, cette jeune femme n'arrêtera pas de le surprendre. Le benjamin arrive et lui montre comment tenir son Tomahawk. L'instant d'après, la hachette fent l'air et se fige dans le tronc le plus proche. Josh le félicite et confie une béquille à Plume-de-Faucon, puis essaie à son tour. Il gonfle ses joues au piètre résultat : il a bien atteint la distance, mais le Tomahawk passe à côté de la cible. Loin de se moquer de Coupé-Court, le maître d'apprentissage improvisé lui explique la technique. Cette dernière, constituée d'un subtile mélange d'équilibre et d'adresse, délivre un résultat rotationnel très varié selon la position de la poigne sur le manche. Josh réessaye. La hachette se fracasse sur le tronc et virevolte dans les airs, pour finir par s'écraser à une dizaine de mètres d'eux. Par réflexe, Josh se protège. Le jeune guerrier ne bronche pas d'un cil, bouche-bée, et enfonce son menton en arrière.
— Quoi ?
— Force. Toi, grande force.
— Si tu le dis.
Les tentatives se suivent et deviennent de plus en plus précises. Plume-de-Faucon a le rythme cardiaque accéléré et invoque les grands esprits pour l'aider. Le couperet tombe lorsque le Tomahawk se plante enfin. Très fier du résultat, il lève un poing au ciel.
— Oui ! J'y crois pas.
— Les Tomahawk, à toi.
— Ohhh, merci. Les deux ?
— Pas soucis, en avoir d'autres. Maintenant, apprendre moi fusil.
Le visage pâle opine et le laisse armé le Spencer par le levier de sous-garde. Il est clair qu'il possède les bases. L'œil dans la ligne de mire, il tire à l'instinct et manque sa cible. Plume-de-Faucon récupère la seconde béquille et reste attentive à la prestation à venir.
— La respiration, c'est la clé. Là, toi, tu inspires et expires sans y prêter attention. À noter que je n'ai pas dis en apnée, tu saisis la nuance. Au-delà des trois, quatre secondes, ça va entacher ton tir. Et, important, lorsque tu peux le faire, même en plein combat, utilise la bretelle.
— Bretelle ? Je pensais que c'était juste pour transporter ?
— Ben non, ma belle ! Ça se règle et ça sert à stabiliser le long rifle.
« Ma belle ? »
Elle se sent éprise d'une bouffée de chaleur. Tandis qu'il enroule son avant-bras gauche, étale sa palme sous le canon en guise de soutien, il finit son coude calé contre ses abdominaux. Le résultat donne une tension adéquate pour une stabilité renforcée. Il inspire et relâche en douceur, puis tire dans le mille. Ours-Fougeux, tout fou, envoie ses bras au ciel et crie.
— Moi, essayer !
— Tu connais le principe de la hausse, je suppose ?
En guise de réponse, il lui montre comment cette dernière se relève et indique d'un doigt les graduations, qui correspondent à la distance souhaitée. Josh met un pouce en l'air et le laisse tenter sa chance. Il suit à la lettre les directives et la balle se loge dans le tronc. Le tireur explose de joie. Josh le contient et bloque le canon, ses doigts au niveau de la culasse. Ours-Fougeux déglutit.
— Je sais que tu es content, mais focalise-toi sur tes tirs, l'environnement qui t'entoure. Tu dois compenser la direction et l'intensité du vent, de même s'il fait chaud, les tirs montent. Inversement si le temps est couvert. Tu pourras faire la fête et aussi pleurer tes morts une fois la bataille terminée.
Il acquiesce, front plissé.
— Vas-y, recommence et enchaîne jusqu'à vider le chargeur.
Sérieux, il se replace. Il a compris la leçon et le levier de sous-garde parcourt, cadencé, sa trajectoire semi-rotationnelle.
— On ira voir le groupement. À toi. Tu prends l'arbre juste à gauche.
Josh confie ses béquilles à Ours-Fougeux. Elle réitère plusieurs fois l'opération, afin de bien tirer. Il raccourci la bretelle et sent qu'elle appréhende. Il se place alors derrière elle, sa tête par-dessus son épaule, puis lui murmure à l'oreille.
— Serre fort la crosse contre toi, sinon le retour va te faire mal.
Elle cligne des paupières à cette soudaine proximité. Les rythmes cardiaques s'envolent. Le jeune frère, les mains jointes derrière sa tête, rigole à la scène et voit bien qu'elle perd pied. Elle inspire, souffle. Son toucher afin de l'aider lui créer des palpitations. Elle n'arrive pas à contenir ces sensations qui déferlent dans son être.
— STOP !
Elle sursaute. Il bloque l'arme. Le trio se fige dans le marbre face à la scène surréaliste qui vient d'apparaître sur la gauche du pas de tir. Elle baisse le fusil. Josh croit halluciner. Il récupère ses béquilles et commence de marcher. À mi-distance l'un d'entre elles vole. Frère et soeur se regardent, effarés. Les larmes coulent sur son visage et son menton tremble au fur et à mesure qu'il s'approche. Il se jette sur elle et l'enlace par l'encolure, elle hennit, puis s'ébroue. Il éclate en sanglots. L'instant, en proie à une tendresse et une amitié sans faille, ne peut qu'émouvoir Plume-de-Faucon, le dos d'une main sous son nez. Ours-Fougeux affiche, comme à son habitude, un sourire radieux à ce tableau. Josh essuie l'humidité, rit et embrasse sa jument. S'ensuit une inspection générale. Les sacoches sont là, intactes, avec tous ses effets personnels emportés depuis Fort Phil Kearny dans le Wyoming. Quelques égratignures, mais rien de grave.
— Pfff, je ne pensais plus jamais te revoir, ma jolie. Énorme. La vie est bizarre parfois.
Plume-de-Faucon caresse l'équidé à son tour. Elle brille et sa robe noire accentue cet effet sur le fond neigeux. Un morceau d'harmonica scelle cette retrouvaille. Elle est encore plus sous son charme. Désormais, il danse dans son cœur. Après la prestation musicale improvisée, le duo applaudit.
— Elle s'appelle comment ?
— Vipère !
Le visage de la jeune femme se décompose, une main étendue sur sa bouche. Elle tremble. Pas qu'elle en veuille à qui que ce soit. Josh réagit dans la foulée et lui attrape l'autre membre.
— Wow, il se passe quoi, là ?
Elle déglutit, souffle et tente de retrouver ses facultés, puis balbutie.
— Tu te souviens de la vision prémonitoire de Jenny Parson ?
— Oui. Le... ?
Sourcils levés, il vient de faire la relation.
— Elle m'a bien dit, pas seulement un serpent, mais bien une... vipère.
— Pfff... tu parles d'une coïncidence ! C'est dingue.
Il l'entoure de ses bras et l'embrasse sur son front, afin de la calmer. Elle plaque sa tête de biais sur son torse, comme pour s'y blottir. Les rythmes cardiaques battent la chamade. Après ce moment mi-figue, mi-raisin, le trio ramasse ses affaires. Ours-Fougeux décide de rester sur place pour s'entraîner. Ainsi, Josh et Plume-de-Faucon retournent au campement. À leur arrivée, il déleste son équidé des deux sacoches en cuir, avant que cette dernière ne soit prise en charge par un jeune garçon dénommé Cheyenne Jack*. À cet instant là, Black Kettle s'approche. À ses côtés, un homme d'une corpulence à peu près similaire. Il se présente comme Little Rock et va jouer le rôle de traducteur. Déduction faite, Plume-de-Faucon s'éloigne et Josh retire son couvre-chef, en guise de respect.
— Je vais laver le linge à la rivière.
— Ok, c'est noté.
Le trio évolue sans précipitation entre les tipis. Des enfants courent, jouent, sans s'occuper des tractations des adultes. Little Rock expose alors la raison de cet échange.
— Notre chef. Lui vouloir savoir ce que toi penses. Danger ?
— Oui. Je ne peux rien prouver pour l'heure, mais d'après mes déductions, je mettrai ma main au feu que votre réserve est dans le collimateur de Rodgers.
— Qui, Rodgers ?
— Un visage pâle fou. Il projette le passage du cheval de fer à travers vos plaines.
Le petit groupe s'immobilise. Black Kettle réfléchit, une main sous son menton, puis débite des paroles rapides et incompréhensibles. Le ton grave ne présage rien de positif.
— Il dit qu'il possède traité, signé par tous les clans et armée.
— Euh...
Le chef lui coupe la parole et renchérit, presque en colère, avec une gestuelle en adéquation.
— Il dit que visages pâles doivent tenir parole.
Josh relève son attirail sur son épaule, se calle sur ses béquilles et vocifère de plus belle. Il doit choquer, marquer le coup et sortir le chef de la tribu de ses convictions.
— C'est Woqini qui avait raison ! Croire en la paix avec les miens est une utopie ! Une connerie ! L'armée n'a pas respecté le traité de Fort Laramie, vous y étiez pourtant ? Alors ? Que vous faut-il de plus ?
L'entrevue tombe dans un silence à couper au couteau, mais le recul des deux sages marque la réception de son intervention. Ni une, ni deux, Black Kettle sort de ses gonds, rouge comme un chaudron. Josh encaisse, plisse le front et cligne des yeux. Tandis qu'il s'attend au pire lorsque Little Rock se met à traduire, le chef s'en va en maugréant.
— Dès que tu remis sur pied, toi partir !
Il ne bronche pas d'un iota et replace son chapeau. Il le laisse dire, ses mots sont sortis sur le coup de la colère. À lui de prouver qu'il a tort de croire en une paix durable. Sur sa droite, Clara Blinn rentre dans un petit tipi mis à sa disposition. Il s'y rend et entre.
— Madame.
Elle se lève et s'essuie les mains dans un torchon.
— Monsieur Parson. Que me vaut cette visite ?
Il se racle la gorge.
— Auriez-vous une plume et un encrier, par le plus grand des hasards ?
Clara ouvre un coffret et lui donne son bonheur.
— Génial, merci beaucoup. Dites...
Il hésite, mais la tentation devient trop forte, il doit savoir ce qui se trame. Elle est toute ouïe.
— Pourquoi avez-vous la bénédiction de Woqini ? Vous voyez où je veux en venir, c'est louche, non ?
Elle baisse la tête. Il a marqué un point. Willie s'avance alors.
— Monsieur Woqini nous a sauvés des griffes des Pawnees.
— Éclairez ma lanterne m'dame, parce que là je ne pige pas tout.
— Il y a eu une violente dispute entre lui et ce chef Pawnee. Un colosse.
Josh plisse le front.
— C'était sur Saline, c'est bien ça, vous corroborez les faits, m'dame ?
— Exact. Le type, ils l'adulent, le vénèrent comme le guerrier rouge, il avait un arrangement avec Woqini.
— Vous en connaissez les tenants et les aboutissants ?
Elle serre les dents et détourne son visage.
— Woqini devait lui fournir des armes et des munitions en échange de captifs.
Josh réfléchit. Les prisonniers sont une monnaie d'échange de grande valeur pour les Autochtones. Les options de ce genre de stratégie sont très efficaces : libérer les leurs, faire du troc pour des armes et des munitions, ou bien exercer une pression sur une éventuelle attaque de l'armée américaine. La mort de dizaines de colons pour ne pas avoir respecté un traité, par exemple, reste un atout majeur. Il saisit mieux la réaction de Black Kettle.
— Si je comprends bien, il n'a pas tenu parole. Pourquoi ?
— Aucune idée, monsieur Parson ! On ne comprend rien à leur langue de sauvage ! Sortez !
Une fois dehors, joues gonflées, il remet son couvre-chef. Décidément, tout semble tourner au vinaigre et il se demande ce qu'elle cache. Tandis qu'il se dirige vers la rivière, il cogite. Il sait que certains Pawnees ont une sale réputation et collaborent avec l'armée pour des terres allouées en compensation de leurs bons et loyaux services. Rumeurs fondées ou pas ? À vérifier. Il pose ses béquilles contre un arbre. Sa sacoche, ainsi que ses deux Tomahawk terminent au sol. Il s'assied le long de la berge, s'adosse au chêne d'amérique et étend ses jambes. Dans sa ligne de mire, Plume-de-Faucon qui lave le linge dans la rivière. Elle l'a repéré et esquisse un sourire furtif. Il le lui rend.
— Pfff, ça fait du bien de se poser un peu.
Encrier et plume à disposition, il dégrafe son carnet et le feuillette. Il n'en revient pas, ses croquis des champs de bataille, des paysages à couper le souffle, des Sioux Lakota aussi. Parfois, incorporés en disgrâce, des bouts de textes peuvent remplir une demi-page, ou bien une vingtaine, selon l'inspiration du moment. Ce sont des comptes-rendus de faits divers, mais en majorité des horreurs de la guerre. Plume en main, il commence un portrait de la belle Cheyenne. Elle le scrute de plus en plus et donne l'impression de se douter de quelque chose. D'ailleurs, elle ne manque pas de venir vers lui, curieuse. Ça l'amuse. Elle s'assied à côté de lui et replace ses longs cheveux noirs derrière ses oreilles. Il adore ce geste. Elle admire et siffle, subjuguée par la qualité des rendus.
— T'as du talent, Josh Parson. Je peux ?
Il lui passe l'objet. Au fur et à mesure qu'elle tourne les pages, dans un froid assez marqué, il remarque que des larmes embuent ses yeux. Touchée dans son âme, elle découvre une facette supplémentaire de lui. Une chaleur se diffuse dans tout son corps. Au bout de son index droit, il réussit la prouesse de maintenir un Tomahawk en équilibre, droit comme un I.
— Mon père ?
— En bref, il rêve.
Avec une dextérité parfaite, l'arme exécute un tour complet pour finir dans sa position initiale. Deux, trois réglages au niveau du doigt, lui permettent de stabiliser sa prestation qui, il faut bien le dire, a bien pour but de la séduire. Elle recule son buste en guise d'appréhension.
— Comment t'as fait ça ?
Il fronce les sourcils. S'ensuit une étincelle de génie, du moins, selon lui. Le Tomahawk termine sur sa gauche et la facilité avec laquelle il crée une réplique de ce dernier sur papier la décontenance. Il retrace l'objet sur l'autre page, allonge le manche et diminue la partie métallique. Elle voit bien que ce n'est pas le moment de l'interrompre. Elle se lève et ramasse son linge propre.
— Tu pars déjà ? Excuse-moi, je...
— Chuuut, y a rien de grave. On a tout notre temps.
Il la regarde partir.
— Je te vois, Josh Parson. Tu me mates !
La mine satisfaite, il sourit à cette vérité, puis fignole son esquisse. Il saute une page, trempe à nouveau sa plume et inspire un grand coup.
« Salut Jenny,
Ça fait un bail que je ne t'ai pas écrit. Je rencontre une forte opposition de Black Kettle, quant au fait qu'un drame va se produire ici, sur Washita. Comment ? Je reste dans le flou, mais je finirai bien par savoir. J'espère avoir fait le bon choix en ne me mettant pas à ta recherche. De toute évidence, Joe, que j'ai rencontré, bref, c'est une longue histoire. Où en étais-je ? Ah, oui, Joe et son ami Ngoma sont dans ton sillage et je me raccroche à eux pour te venir en aide. »
Il soupire et arrache la page précédente avec son croquis du Tomahawk, ferme son carnet et ni une, ni deux, le voilà parti à la recherche du forgeron. À l'aide des indications de Cheyenne Jack, il trouve le concerné. La discussion avec le vieil homme vire, de loin, à une comédie gestuelle. Toutefois, ils parviennent à se comprendre et le forgeron se met en ordre de bataille pour lui confectionner ses modifications. Il scrute avec admiration et respect le savoir-faire de l'artiste. Lorsque la nuit tombe, il a son vœu exhaussé et remercie le professionnel d'un joli morceau d'harmonica. Sa prestation ne manque pas d'attirer l'attention, notamment des enfants. Le sage essaie l'instrument. Josh lui confère les notions de base et l'homme réussit déjà à improvisionner une mélodie au talent. L'ex soldat croise ses bras sur son torse et relève ses épaules, bouche-bée face à cette facilité innée qu'ont ces gens à apprendre. Plume-de-Faucon a rejoint la petite foule qui siffle et applaudit la fin du spectacle. Ils se remercient l'un l'autre et Josh rentre dans le tipi, en compagnie de la jeune femme.
Les jours défilent et les béquilles ne tardent pas à disparaître du paysage. Il s'entraîne avec Ours-Fougeux et le résultat des Tomahawk va au-delà de ses espérances. Sa maîtrise côtoie le virtuose. Le jeune Cheyenne progresse de son côté avec le long rifle, implacable. D'après les échanges avec Plume-de-Faucon, il déduit que l'adolescent a un problème de blocage lorsqu'il doit passer à l'acte : celui d'ôter une vie humaine. N'en démordre sa confrontation avec Jenny, dans la butte.
Ce chêne devient un endroit fétiche pour les jeunes "tourtereaux". L'attraction physique est bien là, mais chacun hésite à engager le premier pas vers l'autre. Ils connaissent les enjeux d'une telle relation. Elle le rejoint un soir avec une peau de bison, comme à l'accoutumée. Elle l'étale par terre, ils s'assoient dessus l'un à côté de l'autre et elle pose sa tête contre son épaule. Le vent souffle à toute berzingue dans cette soirée étoilée. Les feuilles du chêne s'envolent, emportées sous la houlette de la pleine lune et marquent ainsi la bascule plus radicale vers l'hiver. Il écrit.
« Chère Jenny, c'est encore moi.
La neige a fondu pour laisser place à une boue qui m'exaspère. Non pas par son existence en tant que telle, mais par les mauvais souvenirs qu'elle implique. On ne se refait pas, que veux-tu ? Je peine à croire que les hommes de notre espèce comprennent un jour l'essence même du bonheur. Ici, sur Washita, en très bonne compagnie, je scrute un coucher de soleil sur la rivière. Tu me manques, petite sœur. Je regrette encore d'avoir tant attendu pour revenir à Hovertown.
On est fin octobre et la pleine lune a fait son retour. J'ai plus appris ici en trois semaines qu'en toutes ces années de guerre absurde. L'argent, la gloire, tout ça n'est que pacotille à côté du bonheur simple que nous offre la nature. Mais si... »
Elle lui enlève son carnet des mains et le pose sur sa droite. Ses phalanges croisent les siennes et les rythmes cardiaques s'envolent. Il amène sa main vers sa bouche et l'embrasse. Elle fond. Se rapproche. Elle n'en peut plus, adviendra ce qu'il adviendra. Le baiser, long et langoureux, la transporte au-delà de tous ses préjugés.
« Enfin ! »
Il soupire fort et renforce l'étreinte grâce à ses doigts au niveau de sa mâchoire, à moitié enfoncés dans sa chevelure. L'envie devient incontrôlable, passionnelle. Elle lui arrache presque son veston militaire et sa chemise. Même la forte bise n'entache pas ce moment magique. Elle se met à cheval sur lui et frisonne, puis les enveloppe de la peau de bison. Tandis que ses longs cheveux noirs virevoltent de manière anarchique, elle se dénude avec maladresse. Il la laisse se dépatouiller et enfonce ses doigts sur ses fesses. Elle fronce ses sourcils quant à son inaction et a encore plus envie de lui. Elle tressaille à l'apparition de la chair de poule. Il fait durer le plaisir et se délecte de redécouvrir son corps, ses seins. Leurs cages thoraciques se soulèvent et descendent jusqu'à atteindre leur paroxysme.
— Plus de rêveries ?
Elle se penche en avant, lui mordille l'oreille et murmure.
— Tu veux bien te taire, Josh Parson.
Il y va doucement. Elle...
« Hummm... »
... gémit. Puis elle se met à danser avec ses hanches dans un rythme de plus en plus cadencé, ses bras en l'air et ses mains agrippées dans sa chevelure ébène. Il lui saisit les jambes sous les genoux et les relève. Les expirations se fondent, s'entrecroisent, jusqu'à la jouissance. La tête en arrière et la bouche grande ouverte, elle profite de l'extase. Il ne s'arrête pas et conclut à son tour, dans un bonheur intense. Après cet acte hors-norme, ils se blottissent l'un contre l'autre. La peau de bison délivre une protection optimale et ils s'endorment, sous un ciel plein d'étoiles filantes et un vent encore plus significatif.
----------------
* Clara Blinn et son fils ont été enlevés en octobre, lors d'un des raids Amérindiens. Ils sont donc fraîchement arrivés.
* Cheyenne Jack a bien existé. Il a notamment servi de messager entre Clara Blinn et l'armée américaine.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top