CHAPITRE 5 Pour solde de tout compte 5-1


À l'arrivée de midi, seuls quelques chevaux ont retrouvé leurs propriétaires. Le brouillard, toujours aussi dense, complique les recherches. Après cette pendaison ratée, le croque-mort argumente plusieurs théories afin de déterminer le coupable de l'évasion de Parson, en présence du Maire et du pseudo juge, sans toutefois réussir à le démasquer. Le pasteur, ulcéré par l'outrage profané le matin même, ne manque pas de renchérir sur cet acte ignoble.

— Je vous ordonne de remettre ces cercueils en place et ce sans délai ! Quelle honte !

— Ah, mais, mes gars vont s'en charger. Allez-y, je reclouerai les couvercles au cimetière, envoie l'homme aux bretelles.

— Non, maintenant !

— Sans façon, j'ai besoin de mes outils : tenailles, marteau et nouveaux clous. Et ça, c'est de la pratique, pas des élucubrations spirituelles ! C'est sur le chemin en plus.

Désespéré par le signe rotatif de l'index de l'énergumène, à hauteur de la tempe, le religieux exécute un signe de la croix et sort. Le binôme en question, bien éméché, s'extrait avec difficulté de ses tabourets accolés au bar, puis rejoint les tables où trônent les deux défunts. Le chariot, toujours présent, accueille avec violence le premier mort. Ce manque de tact dénote l'état des transporteurs, qui ne manquent pas d'en rire. Ni une, ni deux, le second ne tarde pas à rejoindre son acolyte. S'ensuivent les deux couvercles qui finissent rangés entre les deux cercueils, sur la tranche. Tous les protagonistes sortent alors et ils sont tout de suite attirés par un léger bruit de sabots. S'avançant un peu plus, deux silhouettes floutées de cavaliers se dessinent dans ce brouillard à couper au couteau. Fait notoire, l'un d'entre-eux a passé l'arme à gauche, plié par le ventre sur une jument à robe noire. Ses membres pendent de part et d'autre de la selle. Rodgers, interloqué, se frotte le visage et s'approche du probable responsable de cet état de fait. Il reconnaît alors le chapeau jaune kaki, ainsi que l'insigne du shérif, c'est Murdock, en chair et en os. Maintenant à proximité de lui, l'élu ne peut retenir sa satisfaction.

— Magnifique, Murdock ! Je suppose que c'est l'ami évoqué par Parson, celui qui pouvait témoigner des soi-disant deux tirs simultanés ? Bravo !

Rodgers applaudit et l'instant reste en suspend, comme figé dans le temps. Puis le cliquetis du réarmement du barillet par le chien se traduit par un geste vif et précis. En résulte, à la grande surprise de l'élu, le positionnement du canon du revolver sur sa tête. Le cœur glacé d'effroi et le souffle coupé net, ce dernier se met à trembler de peur. Tandis que les autres commencent de dégainer à leur tour, un autre homme, à pied, les fige sur place avec son fusil braqué sur eux.

— Ne bougez pas, c'est un grand conseil.

Au son de cette voix, le croque-mort ne peut s'empêcher de faire claquer ses bretelles, puis monte dans les tours, les bras en l'air.

— Putain de négro de mes deux ! Je te croyais parti depuis perpète !

— N'ayant pas de nouvelles de mon ami, Joe, ici présent, je suis retourné ici. De plus, Jenny voulait savoir si son frère était revenu. Joe m'a tout expliqué en chemin jusqu'ici, et vice-versa.

Forcé de constater que la mise en scène ne manque pas de réussite, car le voilà pris au piège. Dans l'impossibilité de s'enfuir, le Maire soupire fort des narines.

— Où est ma ami ? S'il a été pendu, je te exécute sans une problème, pourriture. J'ai dans le sacoche ici, plusieurs documents vous mentionnant. Des ordres d'exécutions de propriétaires en le faveur de Jacko. Murdock vous servait d'intermédiaire, d'homme à tout faire pour le sale besogne. Un carte aussi, avec une tracé ferroviaire et des lieux où voler des chevaux dressés et le armes qui vont avec.

— Putain, j'y crois pas ! Ton copain est vivant, va. Dans la cohue, ce fumier a réussi à s'évader ce matin, il doit être très loin maintenant et a sans conteste eu de l'aide.

Voyant l'occasion unique de prendre la main se profiler, le pseudo juge tente de trouver un compromis en sa faveur.

— Pouvez-vous confirmer et ce, par déposition, que les tirs sur Jackson et Marco étaient simultanés ?

— Oui, sans une problème.

— J'aurais donc besoin d'une déposition en bonne et due forme de votre part. Ceci disculpera définitivement Josh Parson. De plus, après consultation de ces documents, je vous propose d'ores-et-déjà de mettre Rodgers au frais et d'attendre l'arrivée du détective Lemeunier. Recouvrez les cercueils, mes amis, et remettez-les dans le Saloon, de façon à ce que les corps puissent être examinés.

Sans tergiverser, le croque-mort claque des doigts et ses sbires s'exécutent. Descendu de la jument de Murdock, Joe range son revolver, tandis que Rodgers est amené en cellule sous la supervision d'Ngoma. Une fois sous les verrous, l'Afro-Américain l'interpelle.

— Vous devez de l'argent aux Parson.

— Pfff, vous trouverez cela dans mon coffre-fort.

— Pourquoi ne pas l'avoir donné dans la foulée ?

— Faut que je te fasse un dessin, putain de Yankee !

L'arrivée de Joe augmente la tension.

— Toi, tu voulais encore la service de Jacko !

Le prisonnier applaudit, un désagréable rictus en prime.

— Oh le gros malin ! Je veux négocier. Vous aurez le code de mon coffre si j'ai une peine minimisée.

Le pseudo juge roule des yeux et implore de la sorte à Rodgers de se taire. Alors que le corps de Murdock se voit déposé au sol par les deux hommes du croque-mort, Joe étale les documents sur la table. Face à ces preuves accablantes, Finn se voit dans l'obligation de jouer fin avec les deux chasseurs de primes.

— Bon, je garde tout ceci en lieu sûr.

— Non, je préfère la remettre en main propre à la détective privé.

Sans pouvoir intervenir, Ngoma ramasse déjà les précieux papiers.

— Soit, à la bonne heure !

— Nous nous installons à l'hôtel, Josh Parson est vivant, c'est le principal. À défaut de passer son temps à le chercher sans perspective de le trouver, on va tirer ces affaires au clair, le disculper officiellement et placé la somme qui leur est dûe à la banque. Au moins, Jenny et son frère seront tranquilles lorsqu'ils reviendront ici.

— Bien, bien, je le disculpe sur-le-champ.

Après vérification du verdict modifié, le duo sort, amène les juments au maréchal-ferrant et se rend à l'hôtel. Maintenant seuls, Finn s'approche de Rodgers.

— T'inquiète pas, je vais t'éviter la corde, va. Par-contre, il me semble qu'un échange de bon procédé est de mise.

— Je comprends. Tu veux ma place de Maire, c'est ça ?

Le juge acquiesce. Par manque d'option, Rodgers lui accorde sa vilaine manœuvre. Toutefois, il ne compte pas en rester là et va s'assoir sur le banc, à l'écart de l'énergumène tout aussi opportuniste que lui. Ce dernier sort et ferme à clé. Désormais bien seul face à ses contradictions, Rodgers réfléchit sans arrêt de quelle manière il pourrait se sortir de cette mauvaise passe.

Plusieurs heures s'écoulent lorsqu'un cavalier arrive à Hovertown. Il laisse sa jument chez le maréchal-ferrant et marche jusqu'à l'hôtel, un petit sac en cuir dans une main. Une fois dans l'établissement, Ngoma et Joe, installés à une table, déduisent tout de suite l'identité du personnage, qui réserve déjà une chambre. Aucun doute possible, sa tenue vestimentaire, dotée d'un chapeau melon marron foncé, de petites lunettes rondes et d'une longue veste, agencent le fameux détective tant attendu. Le duo l'interpelle alors.

— Monsieur Lemeunier, je suppose ?

— Tout à fait, avec qui ai-je l'honneur de parlementer ?

— De parlem... Enfin bref, je m'appelle Ngoma, je connais bien Jenny Parson et voici Joe, mon meilleur ami, à qui Josh Parson a sauvé la vie.

— Enchanté de faire votre connaissance, messieurs. Va falloir éclaircir ma lanterne sur la situation actuelle. Impossible de dissimuler la potence, je ne puisse être arrivé trop tard ?

— Pas le soucis, asseyez-vous. Par chance, Josh a réussi à se faire le malle.

— Ouf. Une bien bonne nouvelle.

Les poignées de main sont franches et Lemeunier, une tête de moins qu'eux, enlève son couvre-chef qui dévoile alors une épaisse chevelure noire, puis s'installe à leur table. Après deux bonnes heures d'explications, le détective analyse et accumule les preuves en provenance des sacoches de Murdock. Dès lors, le trio se lève et se dirige vers le Saloon, afin que le professionnel puisse procéder à une vérification finale sur les cadavres. Après quelques brèves présentations avec Finn, le croque-mort et les autres, la première chose qui les frappe est l'odeur pestilentielle qui émane des cercueils. Usité à des scènes de crimes bien plus effroyables, le détective positionne son foulard sur ses voies respiratoires puis sort sa loupe et se penche sur les défunts à tour de rôle. L'air sérieux et concentré, il se redresse, range son outil de travail et le verdict tombe, d'un ton solennel.

— Aucun doute possible, les impacts prouvent sans aucune ambiguïté des tirs à courte distanciation, qui plus est de revolvers. Le présumé tireur, ce Murdock, était-il ambidextre ?

— Oh que oui, m'sieur, il s'en vantait d'ailleurs, hip ! envoie un des sbires du croque-mort.

L'annonceur, dans un état d'ébriété avancé, se rend à peine compte de la bourde qu'il vient de commettre. Son employeur grimace de plus belle, le regard inquisiteur, tandis que Benjamin Lemeunier ajuste ses lunettes d'une sorte de toc systématique.

— Excellent, donc par déduction, on peut prétendre avec aise qu'ils sont simultanés et que le commanditaire Murdock a tué de sang-froid les deux hommes de loi, ici-même en mode trépassé. Quelle subtile chance que la vôtre que Parson s'en soit tiré en capacité de respirer, sinon vous auriez un meurtre sur le dos et un procès à l'arrière-train. Je vous explique même pas le funeste dénouement, vous saisissez la subtilité ?

Ses propos bizarres, mais toutefois explicites, s'accompagnent d'un index pointé en direction des concernés. Afin de rattraper le coup, Finn argumente dans le sens du poil.

— Nous n'avons pas votre qualité d'expertise, Monsieur. De ce fait, notre verdict reste dans le bien vouloir d'établir la vérité, en toute honnêteté, soyez-en certain.

— Des amateurs ne devraient pas s'improviser juges et de surcroît lorsqu'une vie s'implique dans ce genre de jeu à finition morbide ! Une aubaine qu'aucun d'entre-vous ne soit susmentionné dans les documents incriminés. Tenez-vous dans vos petits souliers, sinon je ne manquerai pas de vous en coller un à mon tour, vous saisissez ?

Finn déglutit, tout penaud. Afin de se donner de la vigueur, il vide son verre de whisky cul sec et poursuit son plaidoyer.

— Bien compris, Monsieur. J'ai bien modifié le verdict, vous pouvez vérifier.

— Parfait. D'ailleurs, en rapport avec l'élu commanditaire des répressions il est stipulé, carte à l'appui : «...que tout colon qui entrave l'itinéraire du futur chemin de fer doit être, je cite...»

Joe étale les papiers sur une table et Benjamin retrouve le document, puis le tient en hauteur. Il s'éclaircit la gorge et lit à voix haute.

— «...Éliminé de gré ou de force. Il en va de l'avenir et du développement de Hovertown et de toute la région. »

— Bon sang, mais pour quelle raison Murdock a-t-il conservé toutes ces preuves accablantes ? s'insurge le pseudo juge. Quel con !

— La type voulait la pouvoir et quel bonne moyen que de conserver ces preuves pour prendre son place.

Désemparé, le pseudo juge ordonne au croque-mort et ses deux employés de pacotille de replacer les deux cercueils au cimetière. Ni une, ni deux, le trio s'active à la besogne. L'un d'entre-eux va récupérer la carriole et ratèle l'équidé, laissé également chez le maréchal-ferrant. Alors que les quinze heures sonnent déjà au coucou de l'horloge du Saloon, ce qui ne manque pas de surprendre Benjamin, le détective prend l'initiative d'aller interroger Rodgers. Il veut en savoir davantage sur ses manigances. Marchant maintenant côte-à-côte dans un brouillard toujours aussi tenace, Benjamin s'interroge, les mains jointes dans le dos.

— Il doit, pour certitude, y avoir une implication de quelques personnes bien placées chez la Kansas Railroad Compagnie, ne pensez-vous pas ?

Finn se contente d'un soupir en guise de réponse. Ngoma profite de l'occasion pour rebondir sur une toute autre affaire.

— Jenny Parson souhaite employer vos compétences pour retrouver la trace de sa sœur, Mickaella.

— Intéressant, dites-moi en plus.

— Elle aurait été adoptée toute jeune par un certain Egbert à New-York.

— Je regarderai cela avec intérêt, mais mes tarifs peuvent engendrer des coûts exorbitants parfois. Cela dépend en particulier du temps passé, ça explose les honoraires.

— Je crois que ça n'est pas une problème, Monsieur Lemeunier. Josh aussi veut savoir. Pour la souci pécuniaire, Rodgers doit une montant pour le vente de le propriété familiale.

— Et le montant est dans son coffre-fort, à la mairie. On a juste besoin du code, mais il refuse de le donner et souhaite négocier.

— Pfff, je libérerai le cellier sans difficulté, pas besoin de son approbation, ni de son code. Je prendrai juste un acompte et on verra par la suite pour le solde de tout compte.

— Ils en seront ravis, précise Ngoma.

Le quatuor entre dans le bureau du shérif et se fige devant la cellule. En effet, Rodgers est étalé par terre, dans son vomi. Lemeunier secoue Finn par une tape sèche à l'épaule. Le concerné sursaute et déverrouille l'accès. Accroupis devant l'ex élu, il vérifie par acquis de conscience le pouls du défunt et fait un non de la tête. Le chapeau retiré et posé au niveau de son cœur, Finn prend un moment de recueil face à ce revirement de situation. Ceci est de bonne augure pour lui, le propulsant à la place de Maire tant convoitée. Joe ramasse la gourde, à proximité de la main droite de Rodgers et Benjamin se relève d'un bond pour le lui subtiliser.

— N'y touchez pas ! Bon sang !

Le détective verse le reste du contenu au sol, qui se dévoile en un mince filet noirâtre.

— Humm, comme on se retrouve, l'Empoisonneuse ! Les symptômes collent avec la belladone, mais par Dieu, comment ce poison a-t-il pû se trouver dans cette gourde ? Va falloir qu'on m'explique.

Les autres se grattent la tête, interloqués par ce constat.

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