CHAPITRE 2, Retour au bercail 2-1


Des voix s'élèvent en contrebas du canyon. Curieux, Josh met pied à terre et attache ses deux juments. Il arme son Spencer d'un geste contenu et discret par le levier de sous-garde, puis rampe sur le tapis d'herbe séchée jusqu'à la corniche. Caché derrière le tronc d'un résineux, il analyse la situation. À une quinzaine de mètres, cinq bandits masqués encerclent un homme. Ce dernier, les bras attachés dans le dos et une longe autour du cou, les supplie de lui laisser la vie sauve. Josh comprend l'urgence d'intervenir.

L'œil dans la ligne de mire, l'index appuie sur la détente jusqu'à atteindre la butée. La respiration est lente, maîtrisée. L'un des quidams met une claque sur les fesses de la jument, qui s'avance d'un coup. Josh inspire et relâche l'air, sans précipitation. Il se focalise sur sa fréquence cardiaque. Satisfaits de leur prestation, les malfrats se délectent de la vaine lutte du condamné, dont les jambes gesticulent dans le vide. Le coup de feu, entre deux battements de cœur, touche un des malfrats et effraie le groupe, qui détale sans tergiverser. Le pendu s'étale sur le dos et tousse. Le tir, parfait, vient de sectionner la fine corde. Les équidés en main, Josh rejoint le chanceux par un sentier escarpé. Aux abords de la rivière Arkansas, parfois, le relief est très accidenté.

— Bon sang, merci ! J'ai bien cru que ma heure avait sonné.

Un couteau en main, il s'accroupit et libère l'homme, qui reprend peu à peu des couleurs.

— Pas de quoi. Qu'est-ce qu'ils voulaient ?

Tandis qu'il retire le nœud autour de son cou, tout comme les liens à ses poignets, une quinte de toux apparaît à nouveau. Juste après, Josh l'aide à se relever et constate que son vis-à-vis fait une tête de moins que lui, à peine dans les un mètre soixante-dix. S'ensuit une bonne poignée de main, puis l'homme exécute un mudra*. Josh lui retourne la pareille de façon maladroite.

— Ni hao. Ils voulaient ma cheval. J'me présente, Joe Wang, enchanté de faire ton connaissance.

— Josh Parson.

— J'ai un dette envers toi, merci beaucoup. Sacré tir !

— Pas de souci, de plus, t'as du bol, je me déplace avec deux juments. Par contre, je ne les vends pas, car y en a une pour ma petite sœur, en cadeau.

— Je comprends. Je descends vers la sud, il a fallu que j'achète une canasson car le grève généralisée des drivers s'est répandue une petite peu partout dans le alentour. Beaucoup du danger avec raids indiens et surtout le bande à Jacko.

Josh ne se moque pas de son interlocuteur, bien au contraire. Il conclut que Joe a appris la langue sur le tas et qu'il maîtrise pour sûr celle de ses origines asiatiques.

— Je savais pas, mais j'évite les villes depuis le Wyoming, ça explique mon ignorance sur le sujet. Lorsque j'y repense, ça me semble faire déjà une éternité. Bref, je longe le cours d'eau puis je compte m'en éloigner en direction du sud pour quitter le Kansas et descendre jusqu'à Hovertown, dans l'Oklahoma. Si tu veux, on peut faire la route ensemble jusque là-bas ?

Les sourcils levés, Joe se frotte le cou, tandis que son interlocuteur lui présente les rênes. L'homme aux yeux bridés les saisit bien volontiers.

— Ben c'est pile poil ma point de rendez-vous. Avec ce insécurité, on sera pas trop de deux.

Déjà remonté en selle, Josh retire son couvre-chef et dévoile l'intégralité de ses longs cheveux blonds, qui descendent au-delà de ses larges épaules. Il s'essuie son front perlé de sueur d'un avant-bras.

— C'est qui exactement, ce Jacko ?

Joe ramasse et époussette son chapeau Unioniste, identique à celui de son sauveur, puis le replace sur ses cheveux noirs hirsutes et monte sur l'équidé.

— Une mexicain, chef d'un bande de hors-la-loi. Le rumeur dit qu'il s'en prend aux colons. Au fait, toujours en service pour le armée ?

— Non, après la bataille de Wagon Box, il y a un an, mes valeurs en tant que soldat se sont lentement effilochées je dirais. J'avoue avoir un peu perdu la notion du temps. On est quand ?

— La sept septembre, je crois.

Ils rigolent de leur approximation mutuelle. Josh secoue sa tête puis siffle, étonné de se trouver déjà si loin dans la saison estivale. Il en déduit que la solitude de ces trois derniers mois induit ce décalage avec la réalité, ce qui, quelque part, n'est pas pour lui déplaire.

— Bref, jai décidé depuis un bail de quitter tout ce cirque. J'veux plus avoir à tuer comme ça. Encore, lors de la guerre civile, on se battait pour une cause noble, mais maintenant, c'est ni plus ni moins de l'extermination d'Amérindiens. Tiens, vu qu'ils t'ont aussi pris tes armes, tu me le rendras une fois sur place.

Josh remet son couvre-chef et passe son long rifle à Joe. Ce dernier le gratifie d'un geste de la main qui attrape l'avant de son chapeau, puis admire l'arme, canon vers le haut. Dans la foulée, il l'enfile dans le fourreau, placé sur le flanc de l'animal.

— Je suis d'accord avec ta point de vue, ça semble être une besoin vital pour le homme de souiller le terre de sang. Je te rassure, ceci est pareil en Chine.

Joe lui tapote l'encolure. La jument, oreilles dressées, manifeste alors son impatience de repartir en grattant le sol d'un antérieur.

— Le nom de ta jument c'est Esprit, la mienne Vipère, de vraies pépites.

— Eh, salut Esprit.

— On rejoint la rivière, elles ont soif.

— Ok.

L'instant d'après, les deux coéquipiers s'engagent dans un sentier, le long de la paroi abrupte.

— Tu souhaites récupérer ta jument ?

— Non, c'est bon, j'ai eu mon dose, j'ai la don de m'attirer le problème, j'évite donc de m'en créer davantage. De plus, la surnombre joue en la leur faveur.

— Bonne analyse.

Au bout d'une dizaine de minutes, le binôme entame un passage escarpé. La pente, raide, se fourvoie un sillon entre les incroyables falaises rocailleuses, d'une beauté à couper le souffle. En contrebas, la rivière coule à faible débit. Les deux cow-boys se penchent vers l'arrière, les jambes tendues en guise de soutien. Les juments soufflent, se calent avec prudence, tandis que de petits cailloux roulent le long de l'itinéraire. Les cavaliers aguerris atteignent la berge, moins accidentée, et la splendeur de la nature s'offre encore à eux, telle une partition virtuose. Le Soleil, prêt à se coucher, termine sa course en épousant d'un côté les cimes des résineux et de l'autre, les crêtes à l'horizon, dont l'ocre s'emploie à refléter ses dernières couleurs. Le spectacle, magnifique, inonde une dernière fois les versants acryliques d'herbe séchée.

— Ça me va pour la nuit.

Descendu de cheval, Josh laisse boire l'équidé. Accroupi, il se rafraîchit de quelques salves d'eau sur le visage, puis n'enlève que succinctement les reliquats d'humidité imprégnés dans sa barbe. De son côté, Joe a déjà eu la même initiative. Après avoir attaché les chevaux à des arbustes, Josh s'affaire à délimiter un cercle avec quelques gros cailloux. Dans le même laps de temps, Joe rassemble de l'herbe sèche et du bois mort. Un coup d'allumette suffit à démarrer le feu. La nuit scintille de mille étoiles, mais en cette fin d'été, l'amplitude thermique reste forte dans la région et cette source de chaleur est bienfaitrice. Allongés l'un après l'autre, à même le sol, la tête sur les selles, Josh propose une cigarette à son compagnon de passage.

— Excellent, merci, ma ami !

Après avoir craqué l'allumette contre une section métallique de son attirail, ils se délectent de cet instant. Plusieurs longues colonnes de fumées s'évadent vers le ciel.

— T'as un femme, Josh ?

— Pfff, j'ai eu deux, trois relations, mais rien de sérieux. J'ai remarqué ta bague, marié ?

— Tout à fait, avec un belle canadienne de Colombie Britannique, française de sa côté mère, dont le cheveux sont noirs comme le miens. Tiens, regarder.

Il extrait de la poche intérieure de son veston une photo, puis la lui passe et inspire une bouffée de fumée. Josh déplace son buste sur le côté et regarde l'image avec attention. Il met un coup de pied dans les braises qui, ainsi ravivées, délivrent un éclairage plus intense, accompagné d'un crépitement de circonstance. L'instant suffit à décrypter avec plus de précision la personne et il siffle, puis lui repasse son bien.

— Très belle, son nom ?

— Myrtille Webb. On travaille à avoir une enfant, enfin, tu vois la truc.

L'intonation, plus grave, dénote un problème. Josh s'allonge à nouveau sur le dos et pose son couvre-chef à côté de sa selle. Une énième colonne grisâtre s'envole.

— T'inquiète pas, ça va venir. Vous avez quoi, mon âge, dans les vingt-cinq ans ?

— Bon appréciation.

— Sans indiscrétion, pourquoi t'es pas avec elle en ce moment même ?

— Un question d'héritage, en Californie, à Bakersfield. Mon mère d'adoption, Américaine, ne pouvait pas avoir de enfants. Elle vient de décéder à sa tour. Lorsqu'elle a rencontré ma père, elle m'a adopté. Il était contremaître pour le Central Pacific*. Je pense vendre la ranch, enfin, je reste encore indécis sur ce question.

— Mes condoléances. Ça fait une trotte à cheval, espérons que la Transcontinentale se termine un jour.

— Ils s'y emploient en tout cas, mais traverser le Rocheuses semble une sérieux défi. Et toi alors, ton raison pour te rendre à Hovertown ?

— La famille et la ferme familiale. J'ai un différent avec mes vieux. Je n'y suis plus retourné depuis le début de la guerre civile.

— Sérieux ? Sept années, c'est long, ma ami.

— Tu m'étonnes, j'ai surtout hâte de revoir ma soeur, Jenny. Elle a vingt ans maintenant.

— Ah, mais en plus, le gens changent beaucoup dans le adolescence.

Josh termine sa cigarette et jette le mégot dans le feu. Dans la foulée, il attrape son chapeau et le pose sur son visage. Joe l'imite puis baille. Il n'insiste pas plus et ferme les yeux à son tour. Il ne les réouvre qu'à l'aube, lorsque Josh lui tapote l'épaule.

— Salut, tiens.

Encore à moitié endormi, Joe s'assied en tailleur et attrape la tasse de café fumante. L'instant d'après, le liquide salvateur réchauffe son corps en plusieurs gorgées successives. La fraîcheur matinale laisse place, petit à petit, aux rayons du Soleil.

— Bonjour, excellent ta jus, merci.

— Avec plaisir.

Dans la foulée, le duo range et éteint les braises, puis reprend sa route le long de la rivière, l'astre face à eux. Ici, le relief s'étire sur un plateau à perte de vue, puis, une fois sortis de la forêt de plus en plus clairsemée, ils s'immobilisent. Josh déplie alors une carte d'état major.

— Prendre vers le sud maintenant peu s'avérer judicieux, t'en dis quoi ?

L'index dessus, Joe trace l'éventuel parcours proposé. Il semble s'y connaître en orientation.

— Ça peut faire, on a que de grandes plaines. Sauf si tu as besoin de te réapprovisionner, dans ce cas-là, problème.

— Les réserves sont bonnes, même pour deux.

— Ça me va pour moi.

Après une vérification grâce à sa boussole, Josh range la carte avec soin dans l'une de ses deux sacoches, puis ils filent au trot. L'herbe, jaunie par cette sécheresse qui frappe toute la région depuis plusieurs semaines, craque sous les sabots. Au bout de quelques heures, le duo baisse la cadence, afin de laisser les juments reprendre leur souffle. Ils les félicitent.

— Ohhh, les filles, bon boulot.

Immobiles, ils descendent. Les équidés en profitent pour s'ébrouer et manger le peu de verdure à la base des plantes. Josh retire son chapeau et essuie à nouveau la sueur qui perle son front. Interpellé par un objet dans son champ de vision, Joe s'avance.

— Pssst, viens voir ça !

Josh le rejoint et ils découvrent un, puis une ligne de jalons, qui se fond dans le paysage légèrement vallonné.

— Ben dis-donc, on dirait bien que le fièvre de le Transcontinentale s'est répandue jusqu'ici.

— Effectivement. Je me demande s'il n'y a pas une relation avec ce que tu m'as dit hier, cette bande à Jacko.

— Bon pioche, ma ami. Mais ça voudrait dire qu'ils font régner le terreur afin que le Kansas Railroad puisse racheter le parcelles.

— Quelque chose de ce genre, oui. Ça reste à clarifier. Continuons, on devrait tomber sur les arpenteurs.

Ni une, ni deux, les cavaliers suivent le tracé. À peine un quart d'heure s'écoule, lorsqu'ils rencontrent les ingénieurs, protégés par deux quidams. Un regarde par le théodolite, tandis que l'autre place le prochain jalon. Les mains en l'air, leurs rythmes cardiaques s'accélèrent face aux deux zigs qui braquent leurs fusils en leur direction.

— On fait que passer, messieurs.

— C'est bon, les gars, vous voyez bien que ce ne sont pas des sauvages, intervient l'expert topographique.

Le danger écarté, ils mettent à nouveau pied à terre. Josh passe ses rênes à Joe, puis s'avance et interroge les experts.

— Bien le bonjour, messieurs, la compagnie compte passer par ici ?

Celui qui regarde par l'instrument de mesure les salut à son tour, par une bonne poignée de main.

— Oui, va bien falloir, si on veut attirer des colons dans ce secteur encore sauvage, sous territoire Cheyenne. D'où la protection rapprochée. Cela dit, rien n'est encore défini.

— Vous n'avez pas peur qu'ils vous fassent la peau ? C'est pas pour faire la morale, mais juste quelques types en guise de protection, ça semble dérisoire.

— Bien sûr, mais avec une douzaine de gars armés qui arpentent en amont, on est tranquille.

Des coups de feu percent le ciel bleu. Les juments de Josh ne bougent pas d'un cil, habituées aux tirs. Par contre, les quatre autres, attachées au chariot des géomètres, paniquent. Les deux gardes les rejoignent afin de les calmer. Sans tergiverser, Josh et Joe filent en direction des affrontements. Quinze minutes plus tard, le macabre résultat s'expose à eux. Les chargés de sécurité viennent d'être massacrés, scalpés, gisants dans leur sang. Le long rifle armé, Joe pointe le canon et ratisse les alentours, au cas où, mais les fauteurs de troubles sont déjà repartis. Quelques flèches attestent sans ambiguïté de leur appartenance à la nation Cheyenne. La plupart des cadavres, ont pris une balle en pleine tête. Le souffle court, la vigilance des deux hommes baisse d'intensité. Josh range son Colt et la colère monte en lui.

— Ben ils pensaient quoi, que ça allait se faire sans effusion de sang ? Bande de crétins !

Maintenant accroupi, il scrute avec attention le sol. Joe le rejoint et les regards s'ancrent.

— Bon sang, tous le chevaux sont ferrés !

— Bien vu, Joe, c'est un coup monté. Et ceux qui ont fait ça ne se sont pas privés de récupérer les juments.

— Comme bon hasard.

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* Mudra : geste de salut et de respect, mains jointes devant le cœur et penché vers l'avant. Souvent accompagné d'un namasté.

* Central Pacific : c'est la compagnie de chemin de fer sur la partie occidentale de la Transcontinentale. Elle part de Sacramento pour rejoindre l'Union Pacific depuis Omaha. Les deux compagnies se livrent une compétition acharnée pour se rejoindre en 1869 à Promontury Summit dans l'Utah. La Central Pacific emploie beaucoup de travailleurs Chinois.

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