CHAPITRE 11 : Fureur de vive.
Deux jours se sont écoulés depuis leur départ de Washita. Le trajet se durcit encore d'un cran dû à un vent glacial qui cingle les visages par moments. En l'absence de précipitations, rien de compliqué de suivre à la trace les quatre Pawnees. En tête de cortège, Josh et Silence-de-Brume. D'un an plus jeune que sa sœur, son visage angélique lui confère une apparence plus proche d'une adolescente. Devant eux, son homme, Sewatis, piste les intrus.
— Toi, aimer Plume-de-Faucon ?
— Oui, madame.
Cette franchise la satisfait et ses yeux en pétillent d'éclat. Sewatis, le chef Arapagos, jette un coup d'œil furtif à l'arrière et note que Plume-de-Faucon surveille toujours de près la captive, puis dresse le constat.
— Faut pas laisser ensemble. Elle scalper traîtresse.
L'évidence engendre une rigolade commune, mais la séparation des empreintes des sabots les interpelle. Les deux meneurs mettent pied à terre et le groupe de guerriers s'arrête. Accroupis, les doigts du visage pâle analysent l'évidence de la situation.
— L'un d'entre eux est parti vers l'Est.
— Guerrier rouge !
— Aucune idée, mon frère.
Maintenant debouts, les sœurs les rejoignent et Josh sort sa carte d'état major, depuis la sacoche de sa jument. Le plan s'étale sur le sol.
— Humm, y a rien dans cette direction, ça sent le roussi.
— Moi, suivre traces.
— Merci pour l'offre, mais je vais m'en charger. J'ai confiance en toi pour mener à bien cette opération à Saline. Soyez vigilants, mes amis.
La grimace de sa bien-aimée donne déjà sa forte désapprobation.
— C'est du suicide, Josh Parson.
— Te fais pas de bile, ma belle. Promis, je ferai attention, mais il est primordial de savoir ce qui se trame.
Cette perspective ne l'enchante guère, mais l'action est indispensable, quoique dangereuse. Ni une, ni deux, le voilà sur Vipère.
— Ours-Fougeux, mon frère, surveille bien Clara. Ne vous faites pas berner, je vous laisse la carte et vous rejoins sur le trajet dès que j'en sais davantage.
— Sewatis sent blizzard arrive, Coupé-Court. Toi, pas tarder, sinon perdre, seul.
— J'en prends bonne note. Aux abords de Saline, faites attention aux embuscades. Ça sera pas quatre Pawnees là, ils seront en surnombre, mais les conditions seront les mêmes pour eux et leur progression se trouvera ralenti. De surcroît, un chariot leur sera nécessaire pour transporter les armes et les munitions.
— Compris, on les trouver en chemin, avant Saline.
— Exact, Sewatis.
S'étant rapproché de Plume-de-Faucon, leurs phalanges s'entrecroisent et ils s'embrassent. Sa gorge se noue lorsqu'elle le voit s'éloigner à contre cœur. Au fur et à mesure de son avancée, les flocons grossissent pour prendre possession des lieux. Face au déluge neigeux, un foulard pour protéger ses voies respiratoires et un resserrage du chapeau ne sont pas un luxe. Bien emmitouflée d'une peau de bison, les points de repères s'effritent dans ce chaos. Faute d'espérer quelconque miracle, il doit bien reconnaître de s'être perdu. Toutefois, si une bonne étoile veille sur lui, elle aura fait son travail à la perfection.
En effet, des tentes à tire-larigot ne laisse pas place au doute : l'armée campe. La chair de poule l'accapare car la compréhension de la situation devient limpide comme de l'eau de roche. Rodgers aura-t-il donc poussé la plaisanterie jusqu'à prévoir le passage du chemin de fer à travers la réserve autochtone, afin de désenclaver Hovertown, allant jusqu'au massacre ? N'en déplaise, cette thèse expliquerai le vol de chevaux dressés pour venir gonfler les rangs des soldats, et pour cause, marcher sur Washita incombe un nombre accrue d'Arapagos non négligeable. Pourquoi attendre alors ? Le blizzard, oui, mais surtout le précieux stock d'armes et de munitions depuis Saline, qui sera le déclencheur des hostilités.
Afin de passer incognito, sa stratégie est d'attendre la nuit et de se glisser parmi les soldats pour déterminer le pourquoi du comment de leur présence dans les parages. Le moment opportun arrive et il laisse sa jument libre, juste au cas où les choses s'enveniment. Fidèle et usitée à la tâche, Vipère a toujours été infaillible. À proximité des tentes, un soldat se détache pour uriner. L'occasion fait le larron. Une fois neutraliser et revêtu de ces habits militaires, le voilà en train d'évoluer à l'intérieur du campement. De petits feux animent les hommes, tant en chaleur qu'en distractions variées, tels des jeux de cartes ou de beaux morceaux d'harmonica. Bien sûr, l'alcool ne manque pas à l'appel. Sa progression, en rien entravée, lui permet d'atteindre celle du responsable de l'expédition. D'ailleurs, le haut gradé sort de son abri, whisky en main. Souvent, une bonne dose de culot permet de renforcer une position outrageante comme la sienne. À sa hauteur, les insignes déterminent le grade de lieutenant-colonel du zig. D'aspect chétif, le quidam est doté d'une épaisse moustache châtain clair.
— Je peux ?
Sourcils levés, l'interpellé ne voit pas d'objection à partager son breuvage. L'espion descend quelques grosses gorgées provocatrices.
— Eh, dites-donc, inutile de vider le flasque ! Mon stock n'est pas éternel.
— Délicieux, j'en avais besoin, mon colonel.
Le pris à parti opine et passe sur son attitude déplacée. Malgré les bourrasques anarchiques, le responsable s'allume une cigarette et lui en offre une. Qu'à cela ne tienne, Josh accepte bien volontiers, histoire de consolider sa théorie.
— Je comprends bien, la route a été longue, mais on est presque rendu à Washita.
Glacé d'effroi, mais professionnel jusqu'au bout, l'imposteur prend le risque de rester un peu plus longtemps. Son rythme cardiaque s'accélère, car chaque seconde supplémentaire l'expose au risque d'une alerte et son usurpation d'identité avérée, le verrait mis aux arrêts. De longues colonnes de fumée s'évadent vers le ciel chaotique.
— Pas de bol, tout de même, tout ceci retarde notre attaque de plusieurs jours à rallonge.
— Une fois n'est pas coutume, Sir.
Dès lors, une imposante silhouette sort du côté opposé et là, impossible de se reprendre. Le mastodonte n'a nul autre pareil et se dirige vers eux. Sa boiterie renforce sa déduction : le guerrier rouge. Josh inspire à l'exagération sur son mégot et tire sur l'avant de son couvre-chef, histoire de ne pas se faire démasqué. De toute façon, partir maintenant serait suspicieux, mieux vaut rester naturel. Du culot, encore du culot.
— Monsieur Custer.
— Oui, mon ami, dîtes.
— Mes braves, ramener armes et munitions depuis Salines. Mais temps mauvais...
— Et je vous en suis gré, soyez-en assuré. Ce Jacko n'a pas pu venir en personne ?
— Non, empêchement.
— Dommage, je le rémunerai plus tard, sa livraison antérieure de chevaux dressés a marqué le début d'une relation de confiance. En tout cas, très bonne initiative de votre part, un arsenal supplémentaire ne sera pas de refus. Comme promis, votre peuple pourra s'installer à Washita, sous la condition sine qua non de signer notre accord de laisser passer le chemin de fer depuis Hovertown, afin de relier City of Kansas à la Californie.
Josh grince des dents à cette confirmation.
— Merci, Monsieur. Attendre maintenant.
— Et s'ils ne reviennent pas ?
Interpellé par l'intervention surprise de Josh, qui lui tend sa cigarette, le géant accepte son offre et aspire dessus avant de lui donner son point de vue.
— Braves revenir. Aucun doute.
— Eh, eh ! Arrêtez-le ! Il est là, les gars !
L'afflux massif de soldats ne lui laisse même pas la possibilité de fuir. Le guerrier rouge le reconnaît alors, mais reste silencieux. Quant à Custer, sourcils levés, c'est l'affliction d'avoir été berné avec autant d'aplomb qui le laisse pantois. Ne connaît-il pas ses hommes à ce point ? Jeté dans une carriole pénitentiaire, avec trois rebus de la société enveloppés dans plusieurs couches de couvertures, il sait sa position très critique. Le vent glacial s'engouffre à tout va et sa mâchoire claque. Toutefois, contre toute attente, l'arrivée du géant le surprend de son geste compassionnel. Il lui donne de quoi se protéger des aléas climatiques.
— Merci.
Le mastodonte lui passe sa cigarette, presque consumée.
— Toi, grand combattant. Vrai nom ?
— Pfff, Josh Parson.
— Je faire ceci pour mon peuple.
Une épaule contre les barreaux, la fumée grise s'échappe vers les hauteurs.
— Conneries, mon gars, conneries !
Le mégot retourne au Pawnee, qui inspire à son tour. Sans détour, Josh tente un coup de semonce.
— Les blancs ne respectent jamais quelconque putain de traité et tu le sais très bien. Arrêtez de vous faire berner par ces salauds. Sitting Bull n'a jamais renoncé à ses terres ancestrales, jamais, quitte à crever digne, mon frère.
Le pris à parti se racle la gorge avant d'émettre sa position.
— Sioux, beaucoup, Pawnees, peu.
— Rien ne vous empêche de vous unir. À ce que je sache, les Cheyennes du nord se sont liés aux Sioux Lakota. Je peux en témoigner, j'y étais, à la bataille de Wagon Box.
L'Amérindien lui refile le bout de cigarette, l'air dépité. Peut-être une once de remords ? Un doute ? Le visage pâle prend une dernière taffe et écrase le mégot dans ses doigts.
— Réfléchis-y, mon pote. Rester digne, même si c'est tout ce qui nous reste, c'est toujours mieux qu'enfoncer une lame dans le dos des siens.
Le guerrier rouge leur passe de la viande séchée qui se trouve vite dispatchée. Affamés, les prisonniers engloutissent le met. Après un soupir, le zig s'éloigne.
— Merci encore.
Les jours s'empilent comme un lion en cage. Ses compagnons de fortune sont des déserteurs, récupérés suite à une folle course-poursuite. Plus de quinze jours s'écoulent pour enfin deviner, un soir, l'arrivée du précieux convoi Pawnee. Les mains ancrées dans les barreaux, Josh assiste impuissant et dépité au spectacle. Le blizzard cingle les visages et enduit les terres de congères gélifiées, dans un ciel noir bouché à l'émeri. Mais l'incroyable supercherie tourne au suicide collectif par bien trop d'audace. À un contre cent, tel un cheval de Troie et en usurpant l'identité de leurs adversaires, les Cheyennes et Arapagos viennent de rentrer la tête la première dans la gueule du loup. L'échauffourée vire au bain de sang collectif et une partie de ses amis réussissent à fuir le campement. Des cadavres sont à déplorer des deux parties concernés.
Dans l'incapacité de déterminer si Plume-de-Faucon fait partie du lot, Josh met des coups de pieds dans la porte, mais c'est peine perdue. Il gueule. Les tirs fusent et une trentaine de soldats partent à la poursuite des fuyards. Une fois le calme revenu, voilà au tour des Pawnees de se pointer, la tête basse. Après un échange vigoureux avec leur chef charismatique, ce dernier s'approche de la carriole avec Vipère.
— Malin, mais désespéré. Les tiens avoir berné les miens, sans tuer.
— Est-ce qu'elle... ?
— Non, pas de femmes, que hommes.
Très remonté, Custer ordonne de marcher sur Washita.
— Armes oui, mais aucun munitions.
Le guerrier ouvre l'accès et autorise le visage pâle à descendre, puis lui coupe ses liens.
— Bon courage, brave. Dégagé.
Il lui tapote l'épaule et un simple regard croisé suffit à comprendre la gratitude de l'un et les remords de l'autre. Dans la confusion générale, Josh détale sans difficulté incognito. S'ensuit un chemin de croix, dans ce déluge climatique, où seule l'approximation de la lueur du soleil qui s'éteint lui confère la direction à suivre. Atteindre Washita dans ces conditions et ce, avant l'armée, tient du miracle. Le cœur serré et la boule au ventre, il persiste et signe jusqu'à une accalmie salvatrice à l'aube. Petit à petit, le jour glacial imprègne sa patte blanche et morbide sur la région.
En ce vingt-sept novembre 1868, un cri aigu, suivi d'un coup de feu annonciateur des hostilités, pétrifie Josh sur place. Guidé par le bruit des tirs, il déboule au triple galop le long de la rivière. Transcendé par la fureur de vivre, le cavalier fuse à travers l'étendue liquide pour intercepter l'abominable Custer. En effet, le lieutenant-colonel s'approche des corps sans vie de plusieurs autochtones qui flottent à la dérive dans le courant. Mais pire encore, les pleurs de Plume-de-Faucon tailladent ses entrailles. Accroupie et à l'agonie, deviner l'identité de Black Kettle et de sa femme s'avère une évidence.
Vulnérable, l'énergumène tend son revolver vers elle. L'impact, d'une violence inouïe, fait partir le coup de feu et basculer cavaliers et juments dans l'eau gelée. Trempés et la mort dans les os, Josh prend d'emblée le dessus. Ancré sur Custer avec ses genoux pliés le long du torse de son adversaire, il lui assène un défilé de coups de poings à faire pâlir les anges. Le visage du gradé exécute des va-et-vient de gauche à droite, accompagné d'un épais filet sanguin qui s'évade, tel le fil de la vie.
— AHHHHH !
À bout de souffle, le Cheyenne blanc lui enfonce la tête dans le lit de la rivière. Les jambes gesticulent, mais la vue de sa bien-aimée qui lui tend un bras interrompt son action. Il marche, tombe, se relève et la rejoint enfin. Dans cette folie meurtrière, ils s'embrassent. En arrière plan, l'instigateur du massacre de Washita tente de revenir de l'au-delà et tousse.
— Mes parents, nos frères... sœurs... mon amour... Comment... ?
Josh serre sa mâchoire et la soulève dans ses bras, demi-tourne et l'amène le plus loin possible de cet enfer. Une fois sur la berge opposée, elle pose avec délicatesse, tremblante, sa main à plat sur son visage et plisse son front pour exécuter un non de la tête. Les larmes dévalent. Il tresse ses phalanges dans les siennes. Le froid les inhibe de sa traîtrise et le cri de désespoir transperce les âmes errantes. Il la blottit contre elle.
— NONNN...
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