- Anna était une fille réservée, qui n'aimait pas attirer l'attention. Habituellement, elle se rendait à l'école à pied juste pour éviter les regards de ses autres camarades sur elle dans le bus. Elle n'avait pas de meilleure amie comme les autres filles de son âge pour bavarder en récréation au sujet des garçons ou juste critiquer une fille moche.

A l'école, les rumeurs la concernant avaient le pouvoir de faire glacer le sang des tout nouveaux. Certains disaient qu'une fois ses parents avaient trouvé des vers dans ses cheveux qu'elle ne coiffe presque jamais. Et derrière cette paire de lunettes noires qu'elle portait depuis qu'on la connaissait, se cachaient des yeux globuleux qui la rendaient horrible. D'autres étaient même prêts à se brûler la main pour jurer que cette professeure retrouvée pendue dans les toilettes trois ans de cela lors du bal masqué habituel de l'école était son oeuvre pour lui avoir enlevé de force les lunettes dans les couloirs. On dit qu'elle avait découvert ses grands yeux, prêts à tomber de leurs cornées dont elle seule et ses parents étaient au courant. Certes, la police avait bien parlé de suicide mais ceux qui y crurent sont peu nombreux.

On ne touche pas aux lunettes de cette fille. C'était l'une des premières mises en garde que les anciens donnaient aux nouveaux à chaque début d'année scolaire.

Était-ce ce qu'on racontait à son sujet qui la tenait loin des autres? Car oui, elle avait aussi entendu les rumeurs. Pourtant, lorsque ses parents lui proposèrent de changer d'école, elle avait carrément refusé. Elle tenait à y faire sa dernière année, histoire de les faire chier. Derrière cette fille timide, se cachait tout aussi une rebelle. Dans son coin, elle aimait observer les moindres gestes de chacun et ses lunettes noires rendaient l'affaire plus facile.

Les moqueries des autres ne l'avaient jamais atteint. De plus, elle ne prenait même pas son temps de répondre à leurs provocations. Mais ce jour où Marline avec son groupe l'attaqua, lui proférant des injures au milieu de tous les élèves sur la cour de récréation, elle jura d'extérioriser ce qu'elle était vraiment.

- Démon! Avait crié Marline. Pourquoi tu te caches derrière ces lunettes? Je suis nouvelle ici mais j'ai bien entendu parler de toi et crois-moi je ne vais pas te laisser être plus populaire que moi en jouant à la fille réservée. Tu es moche, c'est ça et t'as peur qu'on le découvre ? Allez, montre-nous ce qui se cache derrière ces lunettes.

Les amis de Marline tentèrent de la retenir par les bras et lui enlever les lunettes mais elle arriva à se détacher de leur emprise. Elle courut à travers les rues en direction de chez elle, les larmes coulant sur ses joues. Avant, tout cela se faisait dans des chuchotements mais maintenant qu'ils avaient franchi la ligne, elle pensa soudain à son ancienne prof.

***

Les élèves attendirent avec impatience le bal masqué prévu en l'honneur des seniors. Ils pensèrent à peine à cette fille qui aimait s'asseoir seule sur la cour et qui n'avait pas remis les pieds à l'école depuis son altercation avec la nouvelle. Bien sûr, les rumeurs avaient cessé un bon moment, rendant la vie des écoliers un peu monotone puisque tous ces potins ajoutaient du piment à leur vie scolaire.

Le jour J arriva. Les masques de chacun étaient beaux et effrayants. La musique presqu'à éclater les tympans rendaient ces écoliers fous et les forçait à crier à travers cette nuit qui n'annonçait pourtant rien de bon, à l'auditorium de l'école.

Lorsqu'on aurait dit que le plaisir de ces jeunes atteignait son paroxysme, il y eut une coupure d'électricité imposant le calme plat puis des chuchotements. Une voix, celle de l'animateur,leur demanda de rester calme en attendant que tout s'arrange alors qu'il alluma une petite torche la tenant penchée sur la foule. Certains allumèrent leur téléphone mais tout cela n'eut pas pour effet d'intimider l'obscurité qui planait sur cette grande salle.

Un cri strident se fit entendre et tous se figèrent en voyant une silhouette féminine pénétrer la salle traînant à ses pieds quelque chose qui ressemblait à une masse humaine. Certains se mirent à rire pensant que tout ça: la coupure d'électricité, cette entrée magistrale, n'était qu'une scène montée par les organisateurs du bal pour les garder dans l'ambiance. D'ailleurs, un bal masqué se devait être flippant non? D'autres furent secoués de peur lorsque, le même cri ayant retenti dans la salle, ils reconnurent le corps de Marline mutilé de part et d'autres, gigotant et arborant la mort, aux pieds de cette fille qui ne portait pour masque qu'une paire de lunettes noires.

Voilà!

- Est-ce encore une rumeur, Mme Thomas? Demanda l'un des élèves qui commençait à être perdu à travers ce texte que venait de leur lire leur prof de 4ème.

Elle s'approcha de la petite fille qui lui rappelait son enfance,assise seule dans un coin et donnant dos à tous les autres, elle enleva ses lunettes pour dévoiler deux yeux bien trop grands et qui donnaient la chair de poule:

- Confirme par toi-même.

Fin