Partie 2

Tony effectua un virage à la rue Oswald Durand où il espérait trouver des clients mais à son grand désespoir, il n'eut personne sinon d'autres chauffeurs qui attendaient la même chose que lui. Le peu de gens qu'il avait croisé au cours du parcours avait préféré marcher que de courir le risque de recevoir un coup de pierre en plein visage dans un taxi. Il guetta chaque route avant de s'aventurer et Dieu merci qu'on avait pas encore commencé à dresser les barricades sur celles empruntées.

Arrivé près du stade, il coupa le moteur et décida d'attendre de préférence. Avec le calme qu'il y faisait, il sentit son coeur battre la chamade. Il savait qu'il encourait un grave danger. D'ailleurs, un zen pourrait être éclaté à tout moment. Il regarda les quelques passants, ceux qui malgré la peur décidaient quand même de sortir de chez eux.

- Chauffeur, dépose-moi à la première avenue. Les tensions montent déjà dans les rues.

Il n'avait pas vu l'homme en face de lui tellement il réfléchissait. Ce dernier,paniqué, agitait déjà deux billets de 100 gourdes devant lui. Tony les prit sans dire un mot et l'homme grimpa derrière lui. Il aurait préféré un plus long parcours ou un client plus généreux. Comme ça, il n'aurait pas besoin de se trouver quelqu'un d'autre, déjà que le temps pressait.

Il démarra avec une vitesse folle, rassurant le passager qu'il avait le contrôle de la situation. Le soleil semblait lui en vouloir tellement il dévorait sa peau. Les gouttes de sueur couvraient presque tout son visage et il dut se servir du col de son t-shirt par moment pour essuyer le goût salé que ça donnait à ses lèvres. Par prudence, il resta collé aux autres véhicules et si l'un ralentissait, il faisait de même pour ensuite accélérer s'il était le seul dans une impasse.

Il esquiva des caoutchoucs qu'on n'avait pas encore allumés et continua d'avancer. Des piles d'immondices , des masses d'eaux boueuses se dressaient en obstacle devant lui mais il réussît quand même à passer. Il recula seulement lorsqu'il vit des gens courir dans tous les sens cherchant un endroit où s'abriter. L'un d'eux lui fit signe de faire un détour lui disant qu'il y avait des lancées de pierre plus haut. Il stationna quelque part réfléchissant à une autre possibilité d'atteindre la première avenue. Le passager descendit alors et lui dît:

- Remets-moi mon argent. Je continue à pied.

- Quoi? Fit-il.

L'homme fonça sur lui et essaya de fouiller ses poches. Tony tomba de la moto dans la boue, ne s'y attendant pas. Il se releva, essayant de s'essuyer mais il ne faisait que se salir encore plus. Il enleva alors son maillot pour se retrouver en une simple chemisette noire et s'essuya avec, proférant toutes sortes d'injures à sa malheureuse vie.

Il voulut pleurer lorsqu'il s'aperçut que le passager avait réussi à lui prendre l'un des billets. Il pensa à sa femme et à son enfant qui allait bientôt naître et décida de se trouver d'autres passagers. Ce n'était surtout pas le moment d'abandonner.

Il fit un détour. Avec un peu de chance, il trouvera quand même quelqu'un et cette fois il n'allait reculer devant rien. Il vit l'homme qui l'avait averti du danger courir, tenant la main d'un enfant. Il les rattrapa et leur demanda s'ils n'avaient pas besoin de taxi.

- Nous allons à Gérald Bataille. Répondit le père. Je n'ai que 500 gourdes sur moi.

C'était déjà trop pour Tony. Même quand le parcours lui paraissait très long, il se dît qu'il ne devait pas laisser passer une telle opportunité. D'ailleurs, il ne devait pas avoir d'embouteillage sur la route.

- Montez. Dît-il.

Et ils s'éxecutèrent.

- Ma famille vient de m'appeler, expliqua l'homme qui fit asseoir sa fille devant lui. Les choses sont gravés au niveau du Carrefour de l'aéroport. Évitez-le.

- Je trouverai bien un moyen, le rassura-t-il. C'était là que je travaillais avant. Je peux gérer.

L'homme soupira, peu rassuré.

- Vous avez quelle heure? Lui demanda Tony.

Il regarda son poignet gauche et répondit:

- 10h30.

Il avait encore du temps. Il le remercia et garda les yeux fixés sur la route. Alors que le passager se plaignait de la situation du pays, lui, il pensait à sa petite fille. Il n'aurait pas pu demander plus que ça. Il se jura qu'il allait tout faire pour qu'elle ne manque de rien. Ce problème de 250 gourdes qui le poussait à risquer sa vie comme ça ne se répéterait plus jamais. Il pensa un moment à reprendre l'université mais il n'en aurait pas les moyens. Il se dît alors qu'il allait travailler plus dur et économiser pour que,après au moins 2 ans, il puisse se tirer de ce pays qui ne lui offrait rien. Il vendrait sa moto, sa pièce de maison et tout ce qui vient avec. Il n'était pas question qu'il élève sa fille ici, dans ce pays où l'état ne pouvait même pas assurer la santé à ses citoyens. C'était tellement écoeurant de voir tous ces malades à l'hôpital sans personne pour s'occuper d'eux et sa femme...Celle-là qu'il s'était juré d'en prendre soin, sa vie était conditionnée à partir de 250 gourdes qu'il n'avait pas encore. Le pire dans tout ça c'est qu'il savait que l'argent pour l'intervention n'était pas le plus grand problème. Il priait déjà en son coeur pour que le médecin qui s'approcherait d'elle soit au moins compétent, pour qu'il n'y ait pas de panne de courant lors de l'opération ou encore pour qu'on ne lui demande pas de courir acheter à la dernière minute une quelconque chose comme des gants. Une larme s'échappa de ses yeux et il s'empressa de l'effacer.

L'odeur de fumée effleura ses narines. Il sut alors qu'il était tout près du Viaduc de Delmas. Il décéléra sans couper le moteur et se fondit dans la masse des autres véhicules qui continuèrent à avancer. Un autre piéton héla un taxi et il prit le risque de s'arrêter et le laisser monter en précisant:

- Je n'irai pas plus loin que le Carrefour Gérald Bataille.

- Je vais descendre près de la Place de Maïs-Gaté. Répondit la jeune femme en tenant fermement son sac sous ses aisselles.

- 250 Gourdes. Négocia Tony.

- Quoi? S'étonna-t-elle. C'est presque le triple de ce que je paie d'habitude.

- Vous pouvez toujours choisir un autre taxi. Enfin, si vous y arrivez. Conclut-il.

- Si vous avez l'argent, arrêtez de vous plaindre. Votre vie vaut mieux que ça. La conseilla l'autre passager.

Elle regarda derrière elle et vit combien chanceuse elle était d'avoir enfin trouvé un taxi malgré les bousculades et les tensions dans les rues. Elle résolut qu'elle devait simplement se plier si elle voulait rentrer saine et sauve chez elle. Elle tira le billet de 250 gourdes de son sac et le lui tendit, ce qui eut pour effet d'esquisser un sourire du coin des lèvres de Tony. L'autre passager fit de même avec son billet de 500 gourdes. Il se sentit content d'en gagner un peu plus. Comme ça, la monnaie pourrait lui servir pour acheter des médicaments si besoin.

Tony fit zigzaguer la moto sur les déchets placés au milieu de la route,exprès pour l'obstruer. Les mains de l'enfant s'agrippèrent à sa taille. Ce simple geste le porta une énième fois à penser à sa fille.

Son téléphone vibra dans ses poches et il se pencha pour s'en saisir et décrocher. Les passagers ne paniquèrent pas face à cet acte d'imprudence. D'ailleurs, c'était toujours comme ça de toute façon: les chauffeurs haïtiens avaient toujours conduit comme s'ils étaient seuls sur la route. Ils ne respectaient pas les codes de la route( pour ceux qui les connaissaient ), accéléraient quand il ne fallait pas ou encore grillaient les feux rouges. Un passager qui s'en inquiétrait avait juste à prier.

La voix paniquée de sa femme le fit réduire de vitesse:

- Tony, où es-tu? Dans moins de 30 minutes, je devrais être en salle d'opération. Je ne peux plus supporter la douleur.

- Je serai là à temps, je vous le promets. Je t'aime.

Il remit le téléphone à sa place et accéléra. La femme, arrivée à destination, descendit et souhaita prudence aux autres. Quelques minutes plus tard, il atteignit le Carrefour Gérald Bataille et aida l'homme à faire descendre sa fille. Il avait remarqué le sol noir et les caoutchoucs empilés un peu plus loin.

- Faites attention. Conseilla Tony.

Il sourît à la petite fille qui s'accrocha au bras de son père. Ils traversèrent de l'autre côté et disparurent dans une impasse. Tony allait redémarrer la moto quand un jeune homme s'approcha de lui.

Des clients, il n'en manque pas aujourd'hui. Pensa-t-il joyeux.

- Mec, aide-nous avec ça. Ordonna le jeune homme en indiquant les caoutchoucs entassés. On va dresser une barricade de ce côté et tu nous donneras un peu d'essence pour faire brûler.

Il aurait voulu le frapper un instant mais il sut qu'il n'en sortirait pas vivant. Il le suivit alors en jetant des coups d'oeil de temps à autre à sa moto. Avec toutes ces péripéties auxquelles il faisait face, il ne serait pas étonné qu'une autre plus grave vienne s'ajouter à la liste. Il se joignit au groupe qui portait les pierres pour les déposer perpendiculairement au tronçon de route visé.

Il se pencha en avant, s'accapara de deux à la fois pour faire plus vite et les fit rouler à l'endroit destiné. Ses mains se fatiguèrent mais il voulut leur donner l'impression qu'il était avec eux dans cette bataille dont il s'en foutait royalement en vérité. Il n'avait jamais aimé la politique, même en parler le mettait mal à l'aise. Il n'avait voté qu'une fois dans sa vie et une fois élu, le candidat qui caressait les oreilles des gens et faisait d'innombrables promesses s'était transformé en pilleur. Il s'était donc juré ne plus le refaire de peur de participer à l'élection d'un incapable, d'un voleur. Il aurait participé aux manifestations s'il n'était pas témoin des distributions d'argent à des chefs de gang dans son quartier pour qu'ils y sèment la pagaille. Il ne comptait pas combattre, voir y laisser sa vie pour qu'un tel cycle se répète. Les votes des gens étaient achetés par un parti lors des élections, ces mêmes gens qui vendraient plus tard leur opinion pour un billet de 1000 gourdes à un autre parti en allant manifester contre celui qu'ils avaient voté. Si ce n'était l'urgence de sa femme enceinte et la nécessité de nourrir sa famille, il serait resté cloué chez lui comme la plupart car il considérait que l'opposition qui disait réclamer ses droits à travers les rues en pillant les autres était tout aussi coupable que le gouvernement en place qui n'avait pas su mettre les structures nécessaires pour que lui et sa famille vivent dans des conditions humaines.

Une fois terminé, il s'empressa de redémarrer la moto et de vider les lieux, laissant de grandes flammes derrière lui. Il ne voulait pas s'arrêter, même pas pour un passager qui lui payerait des centaines de gourdes pour le plus petit parcours. Il avait déjà perdu trop de temps. Il espérait arriver avant l'heure, comme ça il s'assurerait que le médecin ne se penche pas sur un autre cas plus grave que celui de sa femme, déjà qu'il n'y avait pas assez de médecins aujourd'hui( en tout cas, un peu moins que les autres jours).

Il prit certains raccourcis, évitant les routes principales sujettes au blocage. Il espérait pouvoir traverser le Carrefour de l'aéroport encore une fois mais il se maudit en remarquant de plus grandes barricades sous le viaduc. Tout à l'heure, il y avait du trafic mais il se rendit compte que la route était maintenant évitée. La fumée s'élevait des tas de caoutchoucs établis sur plusieurs endroits de la route, un empilement de pierres s'était établi en barricades. Certains piétons prenaient leur jambe à leur cou pour disparaître de cet endroit où ne s'annonçait rien de bon. Il était le seul avec un véhicule. La rue était suspecte. Il savait bien, étant chauffeur, qu'emprunter une route dangereuse plus d'une fois dans un court espace de temps n'était pas prudent. S'il avait pu faire les nouvelles ou s'il n'était pas aussi stressé, il aurait cherché un autre chemin pour accéder à l'hôpital.

Le temps pressait. Il tourna la tête dans toutes les directions cherchant à voir si des gens veillaient à ce que les barricades ne soient traversés. Comme il ne vit rien, il décida de prendre un virage à droite. Au moment où il voulut passer à la vitesse supérieure, il sentit quelque chose le frapper à la tête et il bascula sur sa moto. Il dut rouler sur le côté pour empêcher qu'elle ne lui tombe sur le corps. Il passa sa main près de sa tempe où la douleur devenait de plus en plus insupportable pour essuyer le sang. Il avait toujours su que le casque était un équipement essentiel lorsqu'on conduit une moto. Nombreuses étaient les contraventions qu'il s'était faites coler pour n'en avoir jamais eu. Il fuyait tant bien que mal les policiers de la circulation et liait même amitié avec certains pour s'en éviter ou consentissait bien souvent à leur filer un billet de 250 gourdes. Même quand la volonté était là, les moyens manquaient. Cet argent qu'il devait dépenser pour acheter un casque servait à tuer les vers dans son ventre et celui de sa tendre Anne.

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