La vie était meilleure qu'ici, même en enfer (Partie 1)
Les gens se bousculèrent dès l'entrée de l'hôpital où puaient à même le sol des malades qui attendaient dans l'agonie que quelqu'un vienne s'occuper d'eux. Parmi eux, il y avait aussi certains victimes des manifestations qui avaient débuté depuis le 2 Septembre. Plusieurs s'étaient entassés les uns sur les autres dans un coin afin de laisser un espace de circulation ou s'étaient allongés sur ces bancs en bois qui étaient plus qu'un supplice pour leurs fesses. Leurs gémissements étaient telle une alarme mais qui ne semblait pourtant pas déranger le personnel dont la plupart tripotait au téléphone. Entre blessures infectées, jambes cassées ou encore des malades qui imploraient pour une simple consultation, la situation était plus que triste. A cela, venait s'ajouter l'absence des médecins cloîtrés chez eux à cause de la conjoncture du pays.
Cet hôpital, né d'une entente entre une association de médecins et l'état haïtien et inauguré deux ans de cela, devait pourtant répondre aux besoins de plus d'un. Les services de soins n'étaient certes pas gratuits mais c'était quand même un soulagement pour ceux qui ne pouvaient se payer des soins dans un hôpital privé ou qui refusait catégoriquement de mettre les pieds à l'hôpital général où la santé était elle-même malade.
Tony franchît le pas de la porte, retenant d'une main la taille de sa femme enceinte qui ne cessait de crier à plein gosier à cause des fortes contractions et de l'autre un sac qui contenait le nécessaire: la clé de sa moto garée devant, quelques vêtements pour sa fille qui allait bientôt naître, des couches et autres accessoires pour bébé et aussi l'argent qu'il avait réussi à économiser pour l'accouchement. La dernière fois qu'il était venu ici avec sa femme, on lui avait assuré qu'il ne payerait pas plus de 13 000 Gourdes et ce, seulement au cas où une césarienne se révélerait nécessaire. Mais aussi prudent qu'il avait toujours été et connaissant la situation actuelle du pays, il brava l'insécurité dans les rues faisant le taxi moto de 6ham jusqu'au coucher du soleil pour avoir 2000 gourdes en plus. Le mois dernier, à cause de la rareté du carburant, il avait dû passer plusieurs nuits dans les pompes à essence. Une stratégie que beaucoup de chauffeurs avait utilisée et qui leur permettait d'acheter le carburant de très tôt et commencer ainsi leur journée de travail à temps. Mais malheureusement, sur la route pour se rendre à l'hôpital, il avait dû donner 200 Gourdes à un groupe d'hommes qui dressaient des barricades pour qu'on les laisse passer.
Il n'était que 9h du matin et la salle d'attente grouillait déjà de gens. Il chercha des yeux un coin où pourrait se mettre sa femme. Il tira un oreiller de son sac qu'il avait pris avec lui par prudence et la fit asseoir dessus.
- Madame, cria-t-il arrêtant une infirmière sur ses pas. Ma femme va accoucher.
Elle lui fit signe de l'attendre et décrocha son téléphone qui sonnait. Il fouilla ses mains dans ses poches et tapota le sol du pied, agacé pendant que la jeune femme riait aux éclats avec son interlocuteur.
- Vous n'avez pas l'air de comprendre. Paniqua-t-il. Ma femme va accoucher.
Elle raccrocha et lui dît:
- Vous voyez tous ces gens-là? Ils attendent. Nous manquons de bras ici. La plupart des médecins ne peuvent pas traverser les barricades dressées dans les rues. D'autres comme moi l'ont fait au péril de leur vie. Alors si vous pourriez bien attendre votre tour...
Sur ces mots, elle disparut dans une salle alors que Tony ne put rien dire. Il s'en alla vers sa femme et s'assit près d'elle, la main sur son ventre.
- Anne chérie, tu peux encore attendre quelques minutes ? Lui demanda-t-il.
- Oui. La douleur s'est calmée un peu. Répondit-elle. J'ai juste besoin d'un peu d'eau.
Il se maudit d'avoir oublié de prendre de l'eau à la maison avec lui. Comme ça, il n'aurait pas besoin de toucher encore à l'argent de l'accouchement. Il en prit quand même 50 Gourdes et acheta deux bouteilles d'eau devant l'hôpital. De toute façon, il lui en resterait de la monnaie après. Au bout de 15 minutes, l'infirmière leur fit signe de venir la rejoindre dans la salle de consultation.
- Elle devra être au bloc opératoire dans une heure et demie. Conclut-elle. Passez à l'administration.
Elle lui tendit le formulaire qu'il devait donner à l'administration et il sortit de la salle avec Anne.
- 15 000 gourdes. Lui dît la femme derrière la caisse, abaissant ses lunettes sur son nez pour bien lire le formulaire.
- Quoi? S'étonna-t-il.
Il regarda sa femme qui avait la tête appuyée contre un mur de la salle d'attente et reprit:
- Non. Je veux dire...Le mois dernier, je m'étais renseigné au près d'un employé ici et il m'avait dit que ça ne serait pas au-dessus de 13 000 Gourdes. Comment le prix peut-il grimper d'un coup?
Elle enleva ses lunettes et plongeant ses yeux rouges, qui donnaient l'allure d'être en manque de sommeil, dans les siens, elle lui dît:
- Écoutez, c'est soit vous donnez ou vous ne donnez pas. Vous vous êtes renseigné au près de la mauvaise personne et de plus, tous les cas ne sont pas pareils. L'hôpital est à moitié privé.
- J'ai... En fait, je n'ai que 14750 gourdes avec moi. Bégaya-t-il en retirant l'argent de son sac. Ma femme avait soif et...
- Alors revenez quand vous aurez tout l'argent. Suivant!
Il se laissa bousculer par quelqu'un, pressé d'avoir son reçu. Il revint vers la femme.
- Je peux toujours donner les 250 gourdes après. Ce n'est rien ça. Je vous jure que j'avais tout l'argent avec moi. J'ai dû en donner pour traverser une barricade et ma femme... elle avait juste soif.
- Elle avait soif et moi j'ai faim. Répliqua-t-elle en tendant un reçu à un vieillard. Je vous assure que le bistouri ne touchera pas son ventre tant que vous n'aurez pas payé tout l'argent. Je suis désolée.
Il recula de quelques pas pendant que les autres le regardaient pitoyablement. Il aurait pu passer sa fierté de côté et mendier les 250 gourdes à l'hôpital mais il savait que tous ici étaient dans le besoin, peut-être même plus que lui. Il prit son visage dans ses mains une seconde en se redirigeant vers Anne. Il la regarda qui caressait son ventre souriant. Cette femme qu'il avait épousée malgré les interdictions de ses parents et qui lui coûta même son héritage était tout ce qu'il avait de plus précieux. Il n'avait réussi à quitter sa maison avec pour seul bien sa moto, laquelle il transforma en Taxi pour prendre soin d'elle qui était orpheline des deux côtés. Ses parents lui reprochèrent de n'avoir pas fait l'honneur de la famille en choisissant pour femme quelqu'un de si bas niveau et qui plus est, était une simple ouvrière de factorie.
Ils avaient emménagé à Fontamara 23 et vivaient leur vie sans complexe. Lorsqu'elle lui annonça qu'elle attendait un bébé, il ne pouvait être plus heureux. Il redoubla les heures qu'il passait dans la rue à faire le taxi afin de pouvoir accueillir son enfant dans les meilleures conditions qui soient. Malheureusement, les tensions dans le pays depuis plus d'un mois paralysèrent ses activités. Anne n'a pas pu aller travailler et lui il ne pouvait sortir que rarement gagnant à peine le quart de ce qu'il gagnait d'habitude. Le lock du pays imposa l'utilisation d'une bonne partie de leur économie, sinon ils auraient crevé de faim.
Il esquiva les malades par terre et rejoignit sa femme, s'asseyant près d'elle.
- Je dois sortir. Dît-il cherchant son regard.
Elle lui prit la main et s'inquiétait déjà.
- Non. Tu ne sortiras pas. Tu sais bien qu' à partir de 10h les rues seront plus dangereuses. Tu dois être là quand je donnerai naissance à notre Anny.
- Chérie, écoute. L'argent n'est pas suffisant pour l'accouchement. Il faut vraiment que j'y aille pour revenir à temps.
- Tony, il n'y a pas d'activités. Lui rappela-t-elle.
- Je trouverai bien quelqu'un. Un seul client me suffira. Lui dît-il.
- Alors c'est si peu?
Il hocha la tête. Il n'eut pas le courage de lui dire qu'il allait risquer sa vie pour seulement 250 maudites piastres. Elle lui proposa d'appeler ses parents pour les secourir mais il refusa carrément. Il revenait à l'homme de prendre soin de sa famille et il ne voulait passer aux yeux de quiconque comme un incapable. Elle lui pressa la main et déposa un léger baiser sur ses lèvres. Il embrassa son ventre à plusieurs reprises.
Il prit la clé et lui donna le sac.
- Papa revient. Murmura-t-il contre son ventre avant de sortir de l'hôpital.
***
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