Chapitre-8:

  Présent- 6 avril 2018

Si elle restait allongée, Meika réussissait à se tenir éveiller pendant plusieurs heures. Elle fit le vide dans sa tête, attentive au moindre son qui passerait à travers la porte. La docteure ne tarderait pas à arriver. Ne tenant plus, Meika se détacha de son corps d'origine pour se placer aux côtés de ses parents, qui attendaient dans les couloirs. L'ambiance s'alourdit à la vue de la blouse blanche. Elle les invita dans son bureau et malgré son masque impassible, ils sentaient une vraie générosité à travers ses yeux en amande. Les explications de la professionnelle refroidirent instantanément l'atmosphère.

— Êtes-vous certaine de votre conclusion ? questionna Fabrice.

La gorge de la cadette serra et elle chassa ses larmes avec rage. Pendant ces dernières vingt-quatre heures, elle avait su les contenir et c'étaient trop de chamboulements pour un seul être humain. Elle était là, auprès d'eux, mais eux n'avaient en tête que leur fille, inerte, dans la pièce d'à côté.

— Nous n'avons fait que les examens habituels. Elle réagit à tous les stimulus, mais elle n'est pas consciente. Elle devrait être parfaitement réveillée et en bonne santé.

Meika lâcha un hoquet de surprise.

— Vous ne pouvez pas la réveiller ? Elle...

Katy ne finit pas sa phrase, elle sut à travers le regard de son interlocutrice qu'elle ne pourrait rien faire. Ses lèvres tremblaient et elle ferma son veston sur elle. Son mari n'en menait pas large non plus, il paraissait si frêle dans son polo bleu.

— Et comment pourrait-on l'aider ?

Son père broyait le poignet de sa compagne.

— Nous avons un maigre revenu, puisque nous essayons d'être présente avec elle.

Ils feraient tout pour sauver leur fille unique, tant pis, si cela les endettait pour vingt ans. Les propos du médecin s'entremêlèrent dans sa réflexion. Des frissons lui parcoururent l'échine. « Pourquoi ne suis-je pas avec eux ? » pensa-t-elle en s'imaginant les prendre dans ses bras.

— Il faut juste attendre et surveiller que son état ne se dégrade pas. Nous ne pouvons pas garantir son éveil, ni dire que tout est perdu. Nous garderons les aides, même si elle peut respirer toute seule.

Elle avala difficilement sa salive. Toutes ces informations tourbillonnaient dans sa tête. La spécialiste proposa ensuite un accompagnement. Elle souligna que son système immunitaire fonctionnait à merveille, même mieux que d'habitude. Les termes techniques lui donnèrent le tournis. Elle retint qu'ils étaient autorisés exceptionnellement à lui rendre visite régulièrement. Il n'y avait aucun risque, s'ils suivaient les précautions d'hygiène.

— Le plus grand mystère reste la raison de cet état. Cet accident aurait pu être plus grave car d'après un témoignage, elle était debout lorsque les vitres ont explosé. Elle n'a subi aucun traumatisme, rien qui expliquerait pourquoi son cerveau a décidé de réagir ainsi. Nous verrons...

La porte venait de s'ouvrir brutalement, un infirmier appela la docteure en urgence. Baptiste avait entendu la fin de la phrase et ses yeux se portèrent sur le couple.

— Et pour la patiente 539 ?

Sa mine se durcit.

— Crise cardiaque... son cœur ne battait plus assez vite.

La docteure congédia les géniteurs. Encore sonnée par ses révélations, elle ne suivit pas le mouvement. Une sorte de fatigue l'accabla, mais lorsqu'elle revint dans sa chambre, elle se sentit beaucoup mieux. Ce fut de courte durée car sa vision fut obscurcie par des images. Celles de ces éclats de verre qui explosaient autour d'elle la hantaient. Un son lointain se fit de plus en plus intense, elle entendait le bruit du moteur, comme si le bus était dans la même pièce qu'elle.

— Meika ? T'es là ?

Elle essayait de se souvenir de tout ce qui s'était passé, mais elle n'entendait que la toile qui percutait le chêne de plein fouet. Une chevelure rousse se superposa au souvenir. Elle cligna des yeux plusieurs fois et parvint à se sortir de ce mauvais rêve. Mais était-ce vraiment un songe ? Elle était allongée sur le sol, mais ne sentait pas le carrelage gelé dans son dos.

— Réveille-toi, hou-hou, appela Rory en agitant sa main devant son visage.

Sa couleur semblait étrange vu de près, comme s'il avait une lumière au niveau de son plexus solaire. Elle s'assit et posa sa tête contre ses genoux. Sa respiration se stabilisa. Sa mémoire ne cessait de la faire revenir onze jours auparavant. Les trois personnes étaient toujours figées, l'observant avec leurs pupilles éteintes, alors qu'elle cherchait une porte de sortie.

Le jeunot resta avec elle pendant de longues minutes, la scrutant avec curiosité. Une idée germa dans son esprit et elle interrogea Rory.

— Non, je vois plus trop de nouveaux esprits, ils veulent pas parler.

— Penses-tu qu'on pourrait aller chercher d'éventuels blessés dans les chambres, pour voir s'ils n'y sont pas ?

Il était sceptique, mais accepta à contre cœur. L'adolescente souhaitait retrouver ceux qui étaient avec elle lors du drame. Peut-être qu'ils avaient vu la même chose. Elle aurait ainsi la preuve que ce n'était pas un mirage. L'espoir d'obtenir des réponses lui fit oublier la douleur qui la lançait quand elle s'éloignait de sa chair inerte.


— Dis-moi, c'est quoi la différence entre toi et moi ?

Elle sera les dents quand elle traversa à nouveau le mur. Ça ne servait à rien de faire des détours alors qu'ils pouvaient couper tout droit.

— Tu as un corps qui t'attend, murmura-t-il avant de redevenir un peu plus joyeux. Je peux pas lire dans tes pensées.

— Sérieusement ? s'exclama-t-elle en ricanant. Mais depuis quand un fantôme peut-il faire ça ?

Devait-elle être heureuse qu'il ne puisse pas lire en elle ? Elle n'était ni vivante, ni morte. De quel côté allait-elle basculer un jour ou l'autre ?


— Bah, je sais pas moi, c'est naturel. Par contre, je comprends pas tout, on est trop bavard dans notre tête, répondit-il en montrant du doigt un infirmier.

Il s'arrêta et l'examina avec attention. Meika se languissait de voir le résultat. C'était l'homme qui avait interrompu le rendez-vous tout à l'heure.

— Il s'appelle Baptiste Leroy, je crois, je l'ai déjà vu plusieurs fois, expliqua-t-il en s'approchant un peu plus. Il est inquiet, c'est le mot qu'il dit. Ça a l'air d'un truc d'adulte compliqué et super-dangereux. Maintenant, il se rappelle qu'il doit acheter un paquet de croquettes.

Ses yeux verts semblaient avoir aperçu les deux fantômes, mais l'infirmier vit seulement le nœud papillon rose qui arrivait droit sur lui. Les deux promeneurs décidèrent de rentrer car Meika se sentait un peu trop patraque.

Rory voyait les choses simplement, il était sans cesse en train de se perdre dans ses propos. Il continua son manège. Elle demeurerait pensive, l'écoutant d'une oreille.

— Comment peux-tu être sûr de ne pas avoir oublié des choses ? interrogea-t-elle en passant dans une chambre vide.

Elle essaya de rassembler ses idées et d'éviter une maladresse. Il lui confia être effrayé. Il désirait savoir comment on disparaissait et pourquoi il était condamné à garder la mémoire. Cette lucidité la déconcerta. Ce dernier sursauta et observa autour de lui. La sirène des pompiers retentit.

— Quand pourrais-tu part... Rory ? Où es-tu ?

Il venait de disparaître et l'avait laissé parler dans le vide. Elle était dans une partie de l'hôpital qu'elle ne connaissait pas. Elle soupira, il manquait plus qu'elle se perde... Cette journée l'avait fatiguée. Elle s'étonna d'être encore éveillée. Ses pas avancèrent au hasard, elle essayait de se repérer avec les panneaux, mais elle était dans le service des personnes âgées. Comment auraient-ils pu trouver quelqu'un accidenté ici ? Elle voulait demander son chemin, mais elle ne croisait que des blouses blanches ou des fantômes qui l'évitaient à la seconde où elle s'approchait d'eux. Elle mit du temps à reprendre des repères et retourna dans son cachot, sur les nerfs.

Sa colère s'envola à la seconde où elle vit sa grand-mère, un mouchoir dans la main. Solange paraissait être en grande discussion.

— On ne m'a pas donné beaucoup de temps, commença-t-elle en fixant le sol. J'ai cru ne jamais remettre les pieds dans cet hôpital avant ma mort.

La petite-fille se mit en face d'elle, intriguée.

— Le même cauchemar qu'il y a soixante ans. Si tu savais, ma chérie, j'ai su trouver la paix avec Adriel après tout ça. Tu ne l'as pas connu, mais il t'aurait aimé. C'était un mari tendre et attentionné. Il aurait montré son amour d'une meilleure manière que moi.

Elle contempla d'un air vitreux le lit. Elle était assise sur le fauteuil, essayant de lisser sa combinaison.

— C'est pour ça que j'ai appelé ta tante Serena, pour remercier la vie de m'avoir apporté quelques années de sérénité, après tous ces moments chaotiques que ta mère et moi avions subis, poursuivit-elle en cachant son visage avec ses mains ridées. Il a été un véritable père pour Katy.

Les perles salées longeaient sa figure, perçant son masque de glace. Meika s'approcha de Solange, et scella ses doigts sur les siens. Elle n'en ressentit qu'un bref frisson.

— Que Dieu te préserve, mon ange et qu'il te protège de tous ces mensonges, mieux que moi, souffla-t-elle dans une prière.

La prendre dans ses bras était son souhait le plus cher en cet instant. Toute cette rancœur envers elle s'était évaporée. Les larmes faisaient fondre cette armure. Meika ne comprenait toujours pas pourquoi elle avait besoin de lui mentir, ni pourquoi les dernières paroles de George étaient si importantes. Mais elle voyait la raison pour laquelle, sa grand-mère se comportait de cette manière. Elle ne savait pas pourquoi elle était dans le coma, ni pourquoi son corps et son esprit pouvaient se dissocier, mais elle devait être forte et garder la tête haute, pour ne plus sombrer.

Parfois le pardon passe par des mots et une compréhension de l'autre. Je ne comprends toujours pas pourquoi il m'a pardonnée, je l'ai pourtant tué.

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