Chapitre-39 :

Présent- 31 juillet 2018

De nouveau à la case départ, elle devait affronter les heures de silence dans le Noir. La vague de négativité continuait à se répandre mais une maigre lueur d'espoir parvenait à la repousser. Chaque fois qu'elle se sentait mal une plume de corbeau apparaissait. Quelqu'un allait l'aider, elle en était persuadée.

George lui envoyait un message, ce n'était pas possible autrement. Si personne ne la sortait de là, elle resterait coincée ici toute sa vie et malgré toute la volonté du monde, la dépression viendrait lui rendre visite un jour. Maria avait été le point de rupture, elle n'était plus maîtresse de sa propre vie.

Ce matin, elle allait à l'hôpital faire des examens. Ses parents continuaient à être inquiets pour leur fille, elle ne mangeait pratiquement plus et refusait de retourner chez la psychologue. Étrangement les souvenirs ne surgissaient plus dans les rêves.


Une petite musique annonça le réveil, Wendie ne mit pas longtemps avant de rejoindre Katy. Le silence s'imposa dans la cabine et la daronne lui annonça qu'elle avait un rendez-vous avec une cliente entre temps.

— Pas de problème, s'écria l'adolescente en descendant de la voiture.

Le trajet était identique et l'habitude avait pris les commandes. La propriétaire se faisait petite pour éviter de se faire remarquer. L'été était à son apogée et la chaleur fatiguait les deux jeunes femmes. Une sirène de pompier retentit et Meika se demanda ce que Nathanaël faisait. Pensait-il à elle ? Essayait-il de trouver une solution ? Après tout Rory avait implicitement annoncé qu'une bouée de sauvetage allait arriver. Était-ce vrai ou alors n'était-ce que son imagination ?

Elle soupira, lassée de toujours radoter. La médecin entreprit l'inspection. Elles avaient déjà évoqué son rétablissement rapide et miraculeux. Même si elle se nourrissait un peu moins, elle avait repris le peu de masse musculaire qu'elle avait perdue. C'était comme si son cerveau avait comptabilisé ses promenades spirituelles comme étant une véritable activité physique.

La porte s'ouvrit et une barbe brune apparut. Les yeux verts croisèrent ceux de la patiente et un sourire apparût sur leur figure. Baptiste expliqua la raison de sa venue et la professionnelle prescrit plusieurs rendez-vous à la jeunette. Il l'attendait dans le couloir, il avait encore sa tenue de travail et son chariot traînait sur le côté.

— Il faut que je te fasse quelques prises de sang, je sais que tu n'aimes pas trop, annonça-t-il avec un grand sourire. Je crois que tu as des choses à me raconter, nous n'avons pas trop eu l'occasion de discuter.

Wendie n'avait pas remarqué le stress visible dans les pupilles de son interlocuteur. La porte claqua et une toute nouvelle ambiance s'insinua dans la pièce. Rory se tenait à leurs côtés, en tailleur et la mine fatiguée. L'aîné s'affairait à ses préparatifs mais il ne cessait de jauger les réactions de son amie. Cette dernière avait mis plusieurs secondes avant de s'asseoir.

— Wendie, viens on joue, lança le cadet en tapant dans ses mains.

Elle sursauta, faisant bouger dangereusement la table d'occultation. Sa tête bougea de gauche à droite pour répondre non.

— S'il te plaît, tu me fais deviner comme ça tu n'as pas à parler.

Il ne paraissait pas aussi enjoué que cela de s'amuser car sa figure se contractait sous l'impatience. Wendie soupira et accepta à contre cœur.

— C'est un oiseau ?

Non.

— Euh.... Il est noir ?

Les sourcils de la lycéenne se froncèrent.

— Qu'est-ce que tu fais ? s'interrogea-t-elle en oubliant la présence de l'autre humain.

— Je prépare la piqûre, ne t'inquiète pas tu ne sentiras rien.

L'interlocutrice venait de perdre plusieurs couleurs de teint. Rory était passé au second plan, son attention se porta sur le barbu.

— Pourquoi est-elle aussi grosse ? Et tu n'es pas censé me faire une prise de sang ?

Un liquide étrange se profilait dans le petit tube. Il ne perdit pas une seconde de plus et actionna la manette. Meika se sentit partir, sa colocataire venait de bondir hors de portée du professionnel. Il n'avait pas eu le temps de le vider totalement.

Une vive douleur grandit au niveau de sa gorge, sa bouche s'ouvrit mais ne put en ressortir aucun son. L'adolescente comprit. C'était ce produit qui l'avait réveillée du coma et le même qu'il l'avait privée de son libre arbitre. Son sang s'écoulait si lentement que Baptiste dût la rattraper pour pas qu'elle ne tombe.

— C'est... Toi, marmonna-t-elle, la langue pâteuse. Le nœud papillon rose, le papa du gamin. Tu l'as tué...

Les pupilles vertes se rétractèrent d'effroi.

— Non non j'abrégeais leurs souffrances. Je ne suis pas le méchant dans l'histoire, je te jure que je ne pensais pas que Natha l'utiliserait contre toi.

Sa vision se flouta et il la mit en position latérale de sécurité. Sa main agrippa sa blouse et elle l'empêcha de partir.

— C'est Jean qui donnait les doses à George non ?

Sa tranchée avait de plus en plus de mal à capturer l'air. Son rythme cardiaque ralentissait et inhibait sa panique.

— C'est à cause de moi que Rory n'est plus là... chuchota-t-il d'une voix rauque.

« Il essaie de gagner du temps » pesta Wendie, à bout de force.

Ses paupières se clôturaient malgré elle, elle voulait voir s'il était réellement sincère et son regard le lui confirma.

— Tu n'es pas un meurtrier, affirma le pompier.

La porte se ferma dans un grand courant d'air. L'étudiante entendait seulement sa respiration bruyante. Une intense douleur effleura sa peau.

— Pas maintenant, il reste vingt minutes ! Voilà, mets le dans le placard.

Sa cage thoracique se libéra.

— Il faut mettre la fin sinon ça risque de ne pas être assez. Son cœur ne va pas tenir.

Wendie réagit et se précipita vers la sortie. Les mains solides de Nathanaël l'arrêtèrent.

« Je ne veux pas mourir, sanglota Meika.

— Fais-moi confiance, je vais te sauver.»

Son souffle était court. Ils parlaient à nouveau par télépathie, signe que cela faisait effet. Il ne réussit pas à finir la manipulation car la patiente se démenait pour échapper à l'aiguille. Meika avait deviné l'objectif de toute cela, les deux esprits seront expulsés de la chair et elle devra prendre l'ascendant sur elle. Mais comment allait-elle y parvenir ?

Les phalanges du rouquin encadrèrent son visage et il la força à le fixer.

— Tu peux le faire d'accord ? Saisis cette opportunité.

Elle recula et le chariot la percuta de plein fouet. Son dos se colla contre le placard et une nouvelle vague de chaleur la saisit. Wendie n'hésita pas à l'ouvrir et fit face au corbeau empaillé. La peur prit le pas sur la fatigue, le rythme cardiaque s'emballa.

— Vous allez nous tuer avec ça, cracha la femme en s'éloignant du danger.

Baptiste s'empressa de la prendre.

— Éloigne-moi ça de là sinon elle va autant être touchée que moi, prévint-elle en jetant des regards effrénés aux deux hommes.

La pièce se noircissait petit à petit, la bataille allait démarrer. Ils éloignèrent l'objet à l'origine de son mal de crâne, comprenant que cela fera plus de mal que de bien. Meika risquait de rester coincée si elle restait auprès de l'oiseau. Le produit fit enfin effet complètement et les deux âmes n'eurent plus conscience de ce qui les entourait.

La Noir ne portait aucun décor. Elles purent enfin se retrouver face à face, le dernier. Le sol tangua plusieurs secondes avant d'enfin se stabiliser. Quoi dire ? Ce n'était pas instinctif, aucune réplique ne réussissait à franchir ses lèvres. Son esprit était embrumé à cause de la vitesse de son sang qui s'était affaiblie.

Une plume tomba sur son cuir chevelu, suivie de nombreuses autres. La pluie n'avait jamais été aussi douce.

— George est avec moi, tu vas perdre, affirma Meika en fixant les plumes qui se mirent à briller.

— C'est toi qui les fais apparaître, ricana-t-elle en s'avançant vers elle.

Son aura se matérialisait par une énergie lumineuse. Ses traits étaient flous. A quoi ressemblait-elle vraiment ?

— Il se sert du corbeau pour me protéger, rétorqua l'adolescente en s'efforçant de ne pas bégayer. Il m'a prévenu pour l'accident, il m'a aidé à retrouver Isaïah, il a...

— Pourquoi n'est-il pas venu te voir ? Où était-il pendant que sa petite-fille se faisait posséder ?

La salive eut du mal à se créer, en témoigne sa gorge complètement sèche.

— Arrête de me retourner le cerveau. Regarde de tes propres yeux il est là ! s'emporta la cadette en levant les bras.

Sa respiration s'accéléra, elle ne tenait plus. Cette situation avait trop duré, il fallait que cela cesse.

— C'est dans ta tête, essaie de faire apparaître du vent et il arrivera par miracle.

— Comme un rêve lucide, murmura Meika en resserrant les poings.

L'objet à l'origine de l'espoir se retrouvait entre ses doigts. Elle avait fait apparaître ces plumes pour se rassurer mais en réalité elle était seule. Habituellement, elle aurait été abattue mais cette illusion d'être sans arme pour se défendre était fausse.

— Nathanaël, Baptiste, Rory, sont avec moi. Ils m'attendent.

Un courant d'air se leva. Ses phalanges se multiplièrent, ce n'était pas la réalité. Elle devait s'échapper de ce songe et la clef pour y arriver se trouvait dans son imagination. C'était le moment d'utiliser ses nombreuses heures d'expérience lucide au profit de l'expulsion de cet être indésirable.

Wendie recula, sa peur explosa et pour la première fois, la lycéenne ressentit toutes ses émotions.

— Tu es humaine alors, tu as des failles, tu peux être empathique. Tu l'as été avec Rory.

Une idée germa dans son crâne, elle ne visualisait que cela.

— Arrête de parler, grogna-t-elle en mettant encore plus de distance entre elles. Je l'ai tué, tu comprends ça ?

Le produit ne fera bientôt plus effet, sa fenêtre de tir ne sera ouverte qu'une seule fois.

— Tu commets la même erreur avec moi.

— Erreur ? Penses-tu que ce que je fais soit une simple erreur ? C'est affreux mais je veux juste vivre. Pourquoi moi je n'aurais pas le droit de respirer ? Où vais-je aller si je ne trouve pas un autre corps ?

Sa tirade lui permit de l'approcher sans qu'elle ne s'en rende compte.

— Pars, laisse-moi et tu découvriras où sera te prochaine destination. Et là tu seras en paix avec les autres et surtout avec toi-même.

Elle s'apprêtait à lui toucher la joue mais Wendie se défila.

— Désolée...

Elle se retourna et se précipita hors de portée de son interlocutrice. Meika se mit à courir après elle. Mais vers où ? Il n'y avait rien ici. Tout n'était qu'un songe. L'idée initiale lui revint en mémoire.Ses paupières se fermèrent, ses pieds s'ancrèrent dans le sol. Son souffle se stabilisa et elle commença à modifier son environnement. Une cage apparut au-dessus de la déserteuse. Cette dernière y échappa de justesse et une secousse ébranla sa course.

Quelqu'un apparût à ses côtés, il ressemblait étrangement au monstre qui l'accompagnait dans ses nuits depuis ses six ans. Il changea brièvement de visage et elle aperçut dans ses yeux une part d'humanité. C'était George ou du moins la forme qu'il avait prise. Elle savait exactement où Wendie se situait et il suffisait que le chemin ne fasse qu'une boucle.

— Mais qu'est-ce que... bafouilla-t-elle en voyant Meika.

— Tu es dans ma tête, je contrôle tout. Maintenant rends les armes.

La jeune femme se tourna et tomba sur l'ancien Pikerman. Ce dernier lui bloqua les bras derrière son dos.

— Mon grand-père n'est pas là, je sais mais son clone peut quand même t'empêcher de partir.

Elle n'eut d'autres choix que de se laisser approcher par la cadette. Sa figure se décomposa elle ne parvint pas à se défiler.

— S'il te plaît, je n'ai pas envie de mourir, supplia-t-elle en baissant le crâne pour cacher ses larmes.

Elle aimerait exaucer ses souhaits mais c'était sa vie en dépendait. Les murs blancs apparaissaient petit à petit dans son champ de vision. C'était maintenant.

— Passe-le moi, ordonna-t-elle à Nathanaël.

Une chaleur cuisante se propagea dans ses paumes.

— Wendie prends-le, accepte ton sort. Je ne veux pas te le donner de force.

Le manque de réaction de sa colocataire l'obligea à exécuter ses menaces. Le trophée se retrouva dans les bras du fantôme. La lycéenne hésita à le récupérer quand elle entendit son cri de douleur. Ses joues devinrent humides. Wendie disparaissait sous ses yeux dans d'atroces souffrances mais elle ne pouvait rien faire. Elle avait conscience que c'était la dernière fois qu'elle la verrait. Où ira-t-elle ?

Un élastique la ramena dans son corps et le Noir fut remplacé par une vive lumière artificielle. Elle avala une grande goulée d'air et par réflexe, analysa l'état de ses mains. Tout était parfaitement clair, elle ne rêvait plus.

— Elle est définitivement partie.

Je n'ai plus mal.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top