Chapitre-32 :
Présent- 7 juillet 2018
Meika inspira profondément, c'était le grand jour. Elle laça ses chaussures avec une étrange appréhension. Elle avait enfin troqué sa tenue d'hôpital par l'indémodable short, t-shirt. Ses affaires étaient déjà parties et il ne lui restait plus qu'à prendre son violon. Les couloirs blancs lui étaient désormais familiers. Aujourd'hui, elle ne courait plus pour fuir sa famille mais bien pour la retrouver. Ces derniers mois l'avaient fait grandir. Elle avait découvert son entourage sous un nouveau jour.
— Utilise ta béquille au lieu de la traîner ainsi, râla faussement l'infirmier.
— Ça me fait des énormes cloques, rétorqua l'adolescente. Bon, que penses-tu de mes vêtements ? J'ai mis un peu de couleurs, le blanc ne m'allait pas trop au teint.
Une complicité était née assez naturellement entre les deux. Il l'avait aidé à reprendre ses marques et il était devenu rapidement un bon ami. Baptiste la complimenta et lui pria de se tenir à elle. Son corps avait très bien récupéré, au plus grand étonnement de l'ensemble des soignants. Sauf sa jambe droite, qui avait du mal à suivre le mouvement. Ils passèrent devant la cafétéria, qui était vide en ce milieu d'après-midi.
— Tu vas manquer à beaucoup de monde tu sais, ils aimaient bien t'entendre jouer.
Elle leva les yeux au plafond et lui reprocha d'exagérer. Clopinant aux bras du barbu, elle se demandait comment sa vie serait, si elle n'avait pas eu cet accident. Elle avait fait croire au rouquin qu'elle abandonnait les recherches. Durant la semaine, ils ne s'étaient vus qu'une seule fois mais elle se promit de rattraper cela.
— Tu n'es pas nostalgique tout de même.
— Franchement le couinement de tes crocs va me manquer.
Son sourire s'élargit, elle avait réellement hâte de rejoindre son petit cocon, loin des fantômes et de ce monde rempli de problèmes. Ils avaient reparlé brièvement de son don mais elle avait mis le holà. Pendant ces jours de rééducations, elle avait souhaité se concentrer sur sa guérison.
Ses yeux en amande s'écarquillèrent et se dirigèrent vers le brun, qui était satisfait de sa surprise. De multiples sourires lui firent face, ils appartenaient autant à des patients qu'à des personnels hospitaliers.
— Je t'ai dit que tu avais égayé cet endroit.
Elle lui mit une tape sur l'épaule en le traitant de cachottier. Ils la saluèrent chaleureusement, l'invitant à revenir de temps à autre. Elle avait une tout autre vision de cet établissement, quand elle était revenue chez les vivants, elle avait découvert une bienveillance sans nom, le contact humain, les discussions et la musique, l'avaient définitivement fait comprendre qu'elle était revenue des morts. Aucune tête rousse ne vint lui souhaiter bon rétablissement, une pointe de déception tâcha un peu sa joie mais elle se reprit, devant toutes ces marques d'affection, qui aurait pu être triste ?
Au plus grand bonheur de tous, elle joua un dernier morceau de violon. Sur les bouts des lèvres, elle chantait Believer. Des frissons parcoururent ses bras, les souvenirs se mêlaient aux paroles. Une larme ne put se cacher, elle coula sur sa joue, sonnant la fin du morceau. Des applaudissements marquèrent sa sortie.
— Tu es une vraie starlette ma fille, s'exclama Fabrice en la prenant dans ses bras.
L'infirmier lui dit au revoir et approuva la future carrière de son désormais ancienne patiente. Quand elle ouvrit la portière, son pied recula d'un pas. Le ciel était dénué d'oiseaux et ses yeux ne s'irritaient pas, aucune catastrophe n'allait se produire. Elle avait déjà eu des rendez-vous avec la psychologue, pour pallier à d'éventuels traumatismes, dont la phobie des transports.
Son père attendait patiemment et lui lança des regards d'encouragement. De grandes respirations plus tard, elle s'engouffra à l'intérieur de l'habitacle. Revenir chez elle était son principal objectif, elle ne pouvait plus se téléporter. Le silence s'imposa et Meika observa avec attention les différents paysages. La station-service était à présent entourée de champs de blé, la neige avait fondu depuis longtemps. Ils n'empruntèrent pas la route principale, afin d'éviter le Virage de l'orage.
L'habituelle odeur de lavande envahit les narines de la lycéenne, lui indiquant qu'elle était bien dans son appartement. Une pile monstrueuse de cadeaux s'entassait sur la table.
— Il n'y avait plus de place dans l'armoire et je me suis dit que tu préférais les ouvrir ici, expliqua Katy en posant la valise.
Elle avait réussi se libérer du travail. Elle enlaça son enfant avec force et lui souhaita la bienvenue. Fabrice lui fit ensuite un bisou sur le front et lui promit de revenir vite, il avait des courses à faire pour fêter son retour.
— Ils datent de ton anniversaire, on le fêtera un autre moment si tu le désires, expliqua la mère de famille. Ah j'ai aussi ça de Nathanaël, je crois que tu le connais bien.
Un étrange sourire accompagna sa remarque, elle tendit un paquet avec des autocollants de son club de danse et celui de musique : le Lydie. Elle ne répondit pas à son allusion et embarqua le paquet dans sa chambre. Solange et lui avaient continué à prétendre que Nathanaël était un ancien camarade du musique.
Tout avait été lavé et pas un grain de poussière ne traînait sous le lit. Son père avait tendance à récurer chaque partie de la demeure avec une grande minutie. Elle posa l'étui de son instrument contre l'armoire et ouvrit les rideaux en notes de musique. Au bord de la fenêtre, elle arracha le papier cadeau. Le pompier lui avait donné l'album, avec toutes les prises de notes.
Le croassement d'un corbeau résonna dans les rues.
— Je crois que c'est à toi, Joël Pikerman, marmonna-t-elle en refermant vivement la vitre.
Elle mit l'album dans son sac en toile et attrapa son smartphone. Nathanaël avait écrit son numéro de téléphone sur un bout de papier. Elle le remercia pour son merveilleux présent. Communiquer par télépathie était aussi pratique que cette technologie, même si le concept de vie privée n'était plus de mise. Elle jeta la feuille dans la poubelle et aperçut la lettre qu'elle avait faite sous les conseils de sa psychologue. Meika avait l'impression que c'était une autre personne, elle avait tellement changé. La fatigue la tiraillait et un peu de repos lui ferait du bien. Le matelas plia sous son poids et elle ferma les paupières pendant une bonne heure.
Des rires résonnèrent du salon, son géniteur était rentré. L'adolescente se réveilla en sursaut, elle avait fait un cauchemar. Cette fois, ce n'était pas une bête squelettique mais bien George qui la poursuivait. Elle allait régler ce problème très vite.
Différents ingrédients se promenaient sur le plan de travail, le couple s'occupait du dîner, discutant avec animation. Étaient-ils vraiment heureux ? Sa mère visiblement non, puisqu'elle le trompait. Elle chassa sa colère et les rejoignit. Ce n'était pas sa priorité pour l'instant, elle avait d'autres choses à boucler. La jeune femme savait ce qui allait suivre, elle leur demanda quand même.
— Déjà ? Tu viens juste de rentrer et on mange dans quelques heures. Puis la médecin a dit qu'il fallait te reposer.
— Je me suis reposée exactement cent deux jours, répliqua la cadette en s'asseyant sur le tabouret. Promis, je mange avec vous ce soir. J'ai envie de la voir.
— Je vais t'emmener, accepta Katy pour éviter un conflit.
Sa fille acceptait enfin de parler Solange, elle n'allait pas refuser. Le climatiseur avait remplacé le chauffage. La situation était la même qu'au mois de février mais aujourd'hui, ce n'était plus le silence qui primait. La conductrice baissa le volume et déclara :
— Je suis heureuse que tu parles enfin.
Ses doigts pianotèrent sur le volant, attendant une réaction. La sonnerie annonça l'arrivée d'un énième message.
— Avec Mamie, on dirait que ça va mieux. Lâche un peu ce téléphone, tu veux bien.
Meika ne tenait plus, elle arrêta de se ronger les ongles et se tourna vers elle.
— Pourquoi tu ne quittes pas papa ?
L'ambiance de la cabine s'alourdit brutalement.
— Je l'aime ton père, pourquoi je ferai cela ?
Sa main se referma sur sa ceinture.
— Pardon ? L'aimer en le trompant, c'est ça de l'amour pour toi ? Lui mentir, l'embrasser en nous promettant qu'on partira en vacances, comme une bonne petite famille unie.
Sa mère mit le clignotant et affirma d'un ton ferme :
— Ce n'est pas tes affaires, c'est entre lui et moi.
Un soupir d'agacement s'échappa de ses narines.
— Il le sait en plus et il l'accepte. Il manquerait plus que tu l'invites à manger !
Les nerfs de la passagère lâchèrent. La relation entre mère et fille s'effilochait à nouveau.
— Tu me disais que mamie n'était pas le bon exemple. Mais tu t'es regardée maman ?
Elle posa sa tête contre la vitre et se retint de craquer. La génitrice n'avait plus le contrôle de la situation.
— Comment t'expliquer cela, c'était une période compliquée avec ton père, on avait besoin d'autre chose. Tu comprends ? J'ai pratiquement été toute ma vie avec lui.
— Pitié, je veux pas savoir les détails, siffla-t-elle en regardant par la fenêtre.
— On nous a toujours mis dans le crâne qu'il fallait trouver le grand amour pour la vie, reprit-elle d'une voix calme.
— Ça a changé et heureusement.
— Tu vois on est d'accord là-dessus. Laisse-moi finir avant de m'interrompre. On imagine toujours le couple comme un garçon avec une fille, qui se marie et reste ensemble toute leur vie.
Cette phrase l'interpella. Satisfaite d'avoir capté l'attention de sa progéniture, elle poursuivit.
— Avec ton père, on en a conclu qu'on pourrait être un couple ouvert.
— Vous êtes polygames ?
Meika en avait déjà entendu vaguement parler.
— Non, on ne va pas se marier avec plusieurs personnes. On va juste voir ailleurs...
— C'est bon j'ai compris, coupa-t-elle, ne désirant pas en savoir plus. Du coup tu ne le trompes pas ?
— On a un accord, la notion d'infidélité n'est pas la même que dans les relations dîtes exclusives.
Sa rancœur venait de disparaître de sa cage thoracique.
— Je ne voulais pas t'en parler, puisque ça ne te concernait pas mais tu m'as un peu forcé la main. Je sais que parler de sexualité avec ses parents, ça peut être vraiment étrange.
Il était temps pour elle de leur dire la vérité. Elle avait eu la preuve que ses géniteurs ne la rejetteraient pas.
— Je suis sortie avec une fille, lâcha-t-elle en fixant droit devant elle.
Elle était tellement obnubilée par la conversation, que son malaise en voiture s'était évanoui sous le flot de révélations.
— Avec Maria c'est ça ? J'en étais sûre.
— En fait, confirma-elle en oubliant ses joues rougies. Le genre n'est qu'une idée abstraite pour moi, je tombe amoureuse d'une personne. Je n'ai pas envie de me coller des étiquettes et j'avais peur que vous ne compreniez pas.
L'expression de la conductrice était tout le contraire, un immense sourire dévoilait ses dents.
— Arrête de trembler comme ça, apaisa-t-elle en lui prenant la main. Ton père et moi, on n'est pas bien placé en ce qui concerne de sortir de la norme.
Elle s'enfonça dans son siège, soulagée. Meika avait enfin mis à plat tous ses tracas concernant ses géniteurs. Son orientation sexuelle ne la définissait pas entièrement. Même si sa famille cachait des secrets, elle avait une chance immense d'être avec un entourage ouvert d'esprit.
Parfois, une histoire peut bien se terminer mais pas pour elle.
₪₪₪₪₪₪
Meika est enfin sortie de l'hôpital et elle a l'air d'avoir marqué les esprits avec ses talents de musicienne (sans mauvais jeu de mot bien sûr).
On découvre enfin quelques détails que nous n'avions pas. Katy et Fabrice s'aiment mais ils ont décidé d'être un couple ouvert. Pour ceux qui ne connaissaient pas vraiment le principe, cela peut s'avérer étrange puisqu'ils sortent de la norme.
Meika a aussi dit qu'elle était sortie avec Maria et cela fait du bien parfois d'avoir une héroïne qui ne s'en prend pas la figure à cause de son orientation sexuelle.
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