Chapitre-30 :
Présent- 27 juin 2018
À la vue du rouquin, Meika s'empressa de se lever pour le prendre dans ses bras.
— Tant de tendresse, en quel honneur ?
Elle lui frappa le torse, sa grand-mère s'était éclipsée discrètement.
— Là tu es obligée de faire mes éloges à voix haute.
Nathanaël prit sa main avant qu'elle n'atterrisse à nouveau sur sa joue. C'était étrange d'être en contact avec lui.
— Je ne sais pas si je dois t'engueuler ou te remercier, lâcha-t-elle en instaurant une distance raisonnable.
Ces cinq derniers jours, elle avait supplié Rory d'aller chercher son grand frère mais il ne daignait pas briller par sa présence.
— Je t'avoue que j'aurais préféré un réveil plus en douceur. J'ai vu... George et une femme, c'était étrange.
Elle y repensait seulement maintenant. Au départ, ce n'était qu'un songe mais ayant déjà vécu une situation similaire pendant sa crise de panique, elle reconsidérait désormais la chose.
— Tu ne comptes pas arrêter tes recherches ? Qu'as-tu à apprendre encore ? On a compris ce qu'il voulait dire dans l'album, maintenant tu peux retourner à une vie normale.
Elle s'assit sur le rebord du lit, ses pupilles noires fixant le sol.
— Est-ce que je t'en ai déjà parlé ? Je ne sais plus... souffla-t-elle en posant son crâne dans ses mains. Pendant l'accident, ils étaient tous statiques.
— C'était juste une... illusion, comment peut-on être figé ?
Un soupir lui répondit, elle n'avait pas envie de se battre pour avoir raison.
— Adam, un des passagers, est venu me voir une fois, j'ai sa lettre et il affirme la même chose que moi.
Il ne rajouta rien mais elle voyait bien qu'il n'était pas convaincu.
— Pourquoi as-tu dit à Baptiste que tu communiquais avec son père ?
Même si elle ne pouvait plus lire dans son esprit, elle devinait aisément sa surprise. L'infirmier toqua timidement à la porte.
— C'est l'heure du concert ! s'écria-t-elle en ouvrant son armoire, oubliant la conversation qu'elle menait.
Son instrument sur ses genoux, sa bonne humeur éclatait sur sa figure, atténuant ses cernes violacés. Aurait-elle la force d'y jouer ? Sa rééducation se passait à merveille, aucune conséquence lourde n'avait été détectée.
— Tu vas sortir quand ? questionna Nathanaël.
Elle haussa les épaules et répéta les diagnostics des médecins : un mois environ. Leur discussion de tout à l'heure n'était pas terminée et il fallait attendre d'être que tous les deux. Le pompier se contentait donc de pousser son fauteuil roulant. Ils papotèrent et elle mit du sien pour y participer.
— Alors vous ensemble depuis combien de temps ?
Meika lança un regard interrogateur à son voisin et elle se rappela du mensonge qu'il avait inventé pour la voir avant son réveil.
— Oh trop longue histoire, marmonna la patiente.
Le pseudo copain se moqua gentiment de la tête qu'elle tirait. Il subsistait un lien fort entre les deux et elle était heureuse de ne pas avoir quelqu'un qui intercepte ses pensées.
Sa première scène se fera à côté de la cafétéria. La nouvelle musicienne s'installa, cela faisait depuis chez Gabriel et Mathilde qu'elle n'avait pas joué devant un public. Elle frissonna au contact du bois et le fait de sentir sous ses doigts l'instrument la détendit. Ses paupières se clôturèrent et l'air envahit ses faibles poumons.
Elle se vit, s'acharner devant ce bijou, à enchaîner les notes pour qu'elles soient justes. Les fausses manipulations s'insinuèrent parmi la prestation, le temps de reprendre ses marques. Son pouls s'accéléra et résonna dans sa bulle. Sa respiration se lia avec la musique, elle donnait un rythme, qui valsait en fonction du morceau. Les retrouvailles avec son vieil ami étaient puissantes. Elle ne pouvait pas courir, ni aller de partout en une seconde mais là, elle se sentait vivante.
Elle finit son morceau, consciente de ses erreurs. Des personnes applaudirent et elle ne savait pas vraiment si c'était par pitié, puisqu'elle était en tenue d'hôpital. Les deux jeunes hommes la félicitèrent avec une tape sur l'épaule pour un et un clin d'œil pour l'autre. La douleur dans ses paumes encore endolories par la brûlure à cause du corbeau n'était rien en vue de son sourire béat. Elle poursuivit ses spectacles improvisés dans divers services, avec des personnes âgées, des enfants et même dans la salle de repos des infirmiers pendant leur pause.
L'étiquette violoniste ornait son front et on la sollicitait parfois. Meika n'acceptait pas les pièces mais elle soupçonnait les garçons de les récupérer pour les passer à ses parents. En dehors des examens et des visites, cette activité lui accordait des bouffées d'oxygène. On ne lui parlait pas de son rétablissement miracle ni de comment elle allait. Non, quand les cordes vibraient sous ses doigts, seule la note importait. Elle avait enfin pu prendre du temps pour elle, loin des secrets familiaux et de ce satané Pikerman. Rory l'accompagnait pour tous ses concerts et il avait une meilleure mine.
Des oiseaux accompagnés par des cigales chantaient en cette fin de juin et elle pensa à ce corbeau, qu'elle n'avait pas revu depuis des semaines. Où était George ? Baptiste et elle eurent un tête à tête dans le parc. Lui installé sur le banc et elle toujours sur son fauteuil, leur discussion divaguait sans cesse sur de divers sujets et ils apprenaient réellement à se connaître. Quand il évoqua Jean, elle eut un sursaut. Le père était là, à moitié effacé, comme Rory et ce jeune garçon malade. Enthousiaste, elle en saura enfin plus sur George. Elle déchanta rapidement, sa mémoire s'était peu à peu effacée et il ne subsistait presque plus rien.
— Peux-tu lui faire passer un message ? demanda-t-il, le regard plein de tendresse.
Elle hocha la tête et transmit sa dernière phrase :
— Nourrir son bonheur, c'est s'autoriser à être libre.
L'effet fut immédiat et l'infirmier la fixa d'un air ahuri. Baptiste tira sur sa barbe, essayant de comprendre où elle voulait en venir. Les dernières pensées de ce vieil homme étaient dirigées vers son fils. Jean se tourna à nouveau vers elle, ses yeux autrefois marron se plissèrent.
— Je... commença-t-il en s'approchant d'elle, te reconnais.
Il lui montra ses paumes et instinctivement, elle l'imita. Ses bandages avaient été refaits de nombreuses fois, à cause des blessures qui avaient du mal à se cicatriser. Au fond d'elle, Meika avait peur que cela ne se referme jamais.
Il posa ensuite sa main sur sa joue et pleura. Meika était mal à l'aise, pourquoi réagissait-il ainsi ? Apercevait-il Solange en elle ?
— Protège-toi, marmonna-t-il, la gorge serrée. Je ne sais plus pourquoi mais s'il te plaît, fais attention.
Elle ouvrit la bouche mais aucun son ne réussit à en sortir. L'adolescente se crispa dans son fauteuil et Baptiste l'observa avec curiosité.
— Pourquoi ? murmura-t-elle à l'encontre du vieillard. Qu'est-ce...
L'infirmier se plaça devant elle et plongea ses pupilles vertes dans les siennes.
— Que vois-tu ? Tu vois mon père c'est ça ? Qu'est-ce qu'il dit ?
La patiente demeura impassible quelques instants et revint à elle.
— Je disais, pourquoi est-ce qu'on ne rentrerait pas ? Je commence à être fatiguée.
Le fantôme venait de disparaître. Elle aurait dû être plus prudente. Ils faisaient comme si de rien n'était mais le barbu trépignait d'impatience.
***
Un soupir clôtura la dispute avec ses parents. Meika redoublait sa seconde mais dans un autre lycée. Cela nécessitait d'être interne. Ils ne comprenaient pas pourquoi. Les personnes du collège l'avaient suivie au lycée, elle avait besoin de changer de têtes, là où on ne la catégoriserait pas de la muette qui avait eu un accident. Ses géniteurs étaient seulement sous le choc, leur fille sera loin d'eux. Elle ne resterait pas jusqu'à la fin de sa vie avec eux, sous prétexte qu'ils avaient peur de la perdre à nouveau.
Cette matinée n'allait pas l'empêcher de passer une bonne journée. Isaïah et Nathanaël devraient bientôt la rejoindre. Peut-être que cela se passera mieux que les visites précédentes. Ses amis étaient venus et ils paraissaient tellement différents d'elle, un fossé s'était creusé entre eux. Ils s'étaient rencontrés au collège pour la plupart, elle ne voulait pas perdre contacts avec eux mais elle avait besoin de nouveauté. Elle était quand même déçue que Maria ne soit pas là. Elle était partie en vacances avec sa grande sœur. Elle n'arrivait pas à se défaire de ce sentiment étrange : la vie avait poursuivi son cours mais Meika avait évolué dans ce qui semblait être un univers parallèle.
La énième grille de sudoku remplie sur ses genoux, elle accueillit les invités avec un grand sourire.
— Plus jamais je n'irai à la messe, râla le rouquin. Mais votre repas était très bon.
La jeune aux traits asiatiques ne pouvait bouger de son lit, la séance de rééducation l'avait exténuée. Elle leur proposa de s'asseoir auprès d'elle.
— Tu rayonnes, remarqua Isaïah en lui prenant les mains bandées, je suis content de te voir.
— Heureusement que l'ennui ne tue pas, blagua-t-elle. Je vais sortir dans quelques jours. Les résultats des examens sont pour l'instant favorables.
Nathanaël se faisait petit, il devinait la suite de la conversation. Tant pis, si cela ne lui plaisait pas. Jean avait affirmé qu'elle devait se protéger. Elle avait eu du mal à interpréter son message d'alerte mais maintenant elle le comprenait enfin.
— Je veux tout savoir au sujet de la possession.
Le vieillard l'avait évoquée brièvement l'autre fois et sa crise de panique avait abrégé leur rencontre, laissant un flou sur la manière de procéder. Rory n'était pas présent, à son plus grand désespoir. Son téléphone possédait très peu de forfait internet mais juste avant le rendez-vous, elle avait fait de brèves recherches. Il fallait se protéger si la personne souhaitait accomplir la projection astrale, sans quoi des démons pourraient prendre possession de son corps et elle se retrouverait bloquée. Ces êtres démoniaques étaient pour elles, de simples fantômes.
Elle n'en avait pas touché un mot à Nathanaël, qui aurait dû la prévenir de ce danger, puisque lui, avait accès au Web depuis des mois. La preuve que cela aurait pu se produire : Rory y était parvenu sans la moindre difficulté. Ce dernier avait pourtant affirmé que cela ne marchait jamais, peut-être qu'il réfléchissait sur le long terme.
« Il était directement concerné » songea-t-elle avec amertume, elle considérait l'acte de George comme le pire qu'il soit.
— Qu'avons-nous besoin ? Quels sont les risques ? Pourquoi cela a marché sur vous mais pas sur Rory ? relança-t-elle.
Le religieux connaissait l'histoire du rouquin, peut-être même avait-il pris connaissance du plan de George ?
— Il faut que le corps et l'âme se détachent physiquement, comme tu l'as fait pendant des mois.
— Et j'ai lu qu'il fallait parfois des semaines voire des années d'entraînement pour être à mon niveau.
Le pompier ne ratait pas une miette de l'échange. Ces derniers jours, il n'avait pas pu aller à l'hôpital. Sa voisine attendait avec impatience de revenir à la charge et il en avait bien conscience, il ne pourrait plus fuir indéfiniment.
— Il y a une manière plus rapide de le faire : avoir l'impression d'être mort.
Cette phrase fit frisonner la lycéenne.
— Tu as tout un tas de manières de créer l'illusion à ton cerveau que le corps lâche.
— Comme être dans le coma, compléta-t-elle.
— Ça je n'en sais rien, il peut y avoir beaucoup de complications. Je dis cela d'après mon expérience.
Discuter directement avec lui était bien plus plaisant et naturel que par l'intermédiaire de quelqu'un.
— Dans le pire des cas, c'est une crise cardiaque. Le corps s'affole, il veut rejeter ce corps étranger et le cœur ne supporte pas.
La dangerosité avait pour but d'éviter tout débordement mais comme les fantômes restaient des êtres humains, il était évident que certains esprits tenteraient par tous les moyens de revenir à la vie.
— J'insiste encore sur un point : posséder quelqu'un sans son consentement, cela ne va pas fonctionner. Je ne t'ai pas dit pourquoi car soit comme je l'ai précisé, le possédé va essayer de se débarrasser de l'intrus, soit il va totalement abandonner et là c'est un processus d'autodestruction qui s'enclenchera
Elle fronça les sourcils.
— Aurait-on envie de se suicider ?
Sa question fit réagir Nathanaël, qui serra la mâchoire.
— Pour George, il acceptait l'échange d'âmes à une seule condition : son consentement. A part vous, qui aurait pu désirer perdre leur libre arbitre ?
Le pompier répondit d'un ton froid :
— Celui qui souhaite abandonner.
— Voilà, alors vous dîtes que la possession rend dépressif, c'est un cercle vicieux, personne n'est heureux au final. Le possédé s'imagine qu'il va laisser la place à un autre être pour lui offrir une seconde chance mais il en devient plus malheureux. C'est affreux ! Même si vous avez trouvé un équilibre, il menace à chaque instant de basculer.
Elle avait volontairement mis de côté le cas de Rory, elle espérait en discuter directement avec les Clerc. La colère continuait à monter avec la peur. Elle s'efforçait de garder bonne figure mais les invités voyaient ses traits se crisper à chacune de ses interventions.
Isaïah l'intriguait énormément, sa place ici était floue. Qu'est-ce que cela lui apportait ? Elle lui fit part de ses interrogations.
— Ton grand-père veut que je sois là.
— Quoi ? Comment ose-t-il vouloir mon bien alors qu'il a tué des innocents ? Vous savez ce qu'il a fait et vous suivez ce qu'il a dit, siffla-t-elle en oubliant la politesse.
Elle ne réussit pas à mettre un mot sur ce qu'il clochait dans toute cette histoire. Nathanaël était inclus dans le vous, elle s'adressa à lui.
— Tu le connaissais depuis quand ? Dis-moi la vérité, ordonna-t-elle d'une voix dure.
Il lâcha en bégayant que cela faisait sept mois quand Rory était mort. L'infirmier débarqua en trombe dans la pièce. Il salua à peine les deux hommes et indiqua par ses gros yeux verts, qu'il fallait se parler, seuls.
— Excusez-moi, nous avons des soins à faire, allez prendre vous rafraîchir à la cafétéria, il est nécessaire de boire avec cette chaleur.
En vue de ses sourcils froncés, Nathanaël n'était pas dupe. Il sortit à contre cœur, non sans lancer des regards interrogateurs aux jeunes. La porte se ferma, Baptiste s'approcha d'elle et s'efforça de chuchoter :
— Dis-moi que tu le savais, ça ne peut pas être une coïncidence !
Il sortit une feuille de sa poche et expliqua son contenu :
— Wendie est morte et a eu un accident de voiture au même endroit que toi.
Arriverais-je aussi à manier cet instrument avec ses doigts de fée ?
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Beaucoup de tension dans ce chapitre ! Qu'en pensez-vous ?
Meika essaie de comprendre la situation mais il y a sans cesse des non-dits. Peut-on faire confiance à son entourage ?
Jean est revenu avant de disparaître et malgré sa mémoire en grande partie occultée, il lui a demandé de se protéger. Meika a fait des petites recherches et elle a effectivement remarqué que des fantômes pourraient les posséder.
Isaïah reste tout de même discret mais on apprend qu'il faut vraiment que le corps et l'esprit se détachent. Quelles sont toutes les manières ?
Baptiste a tendance à arriver pendant les conversations importantes mais là, il vient de lancer une bombe : Wendie a elle aussi eu un accident au Virage de l'orage. On en a déjà entendu parlé pendant un flashback avec les géniteurs de Meika, c'est le chauffeur qu'il l'a évoqué.
Je ne parle pas délibérément des petites phrases en fin de chapitre mais elles ont l'air d'être de plus en plus oppressantes. Que va-t-il se produire ?
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