Chapitre-27 :
Présent- 26 mai 2018
Meika réussit à revenir dans la voiture à son plus grand étonnement. Elle avait mis plusieurs minutes pour récupérer un état normal, désormais, elle était déterminée. Son esprit devait se fermer, sans quoi, Nathanaël ne lui dévoilerait rien. Il ignorait superbement le fantôme et se contentait de hocher la tête à chaque intervention de la doyenne.
— Vide-moi ton sac mon petit, je crois que tu en as besoin, s'exclama Solange en se redressant.
L'adolescente se figea. Lui dira-t-il la vérité ? Les vitres s'abaissèrent et le vent glacé inonda la cabine. L'automobile avait dépassé la limite de vitesse autorisée dans ces routes de campagne. Il appuyait sur l'embrayage plus fort que nécessaire et la pédale de l'accélérateur pliait sous son poids.
— Pourquoi ça m'arrive à moi ? En quoi la mort de mon frère va pouvoir me faire avancer ? Pourquoi est-il mort hein ? C'est injuste.
Les paroles d'Isaïah leur revenaient en mémoire : la rage grandissait en lui et détruisait chaque parcelle de bonheur qu'il réussissait à créer.
— Pourquoi mon mari, Adriel, est-il mort ? J'ai été heureuse pendant vingt-quatre ans. J'ai créé une famille à ses côtés et on m'a retiré un pilier, poursuivit-elle en tombant sur le siège. Mes enfants ont vu dépérir leur père. Et Joël...
Sa phrase fut coupée par le ronronnement du moteur. Elle se tourna vers le conducteur.
— Dieu a un drôle d'humour mais soyons heureux d'être en vie, prêcha-t-il avec ironie. Remercions les cieux d'avoir encore de l'impact dans ce monde.
Cette scène était surréaliste. Meika refoula ses interrogations pour assister à cet échange particulier.
— Vis mon garçon pour que tu n'aies pas de regret si tu devais mourir demain.
Pour la première fois, il lui jeta un coup d'œil à travers le rétroviseur. La petite-fille se contenta de la saluer avec la main.
— Meika tu as intérêt à revenir vivante, murmura Solange en observant les sapins avec nostalgie.
— Elle t'entend, j'en suis sûr.
Il avait à nouveau regardé la plus jeune passagère. Il n'était pas parvenu à lire dans ses pensées. Elle lui supplia de lui faire passer un mot.
— Et elle t'aime.
***
La destination n'était nul autre que le cimetière. Même si le soleil était encore levé, le vent rafraîchissait l'atmosphère.
— Je n'ai jamais pu voir la tombe d'Adriel, annonça Solange en scrutant les alentours. Il est amérindien et pour lui, la mort c'est une étape naturelle de la vie. Il est allé rejoindre ses ancêtres.
Meika ne connaissait pas du tout la vie de ce père, décrit comme étant dévoué et formidable. Une photo ornait le buffet dans le salon mais c'était la seule trace de son existence. L'aînée rajouta qu'elle ne se sentait pas à l'aise dans cet endroit, elle voyait tant de personnes qui étaient mortes bien trop tôt. Une pierre blanche se démarquait des autres : le nom de Rory y était figuré et le nombre d'années se comptait sur les dix doigts.
— C'est vide, il n'y a que des corps, sans aucune âme. C'est un territoire neutre, réfuta-t-il en s'avançant dans les allées.
Son interlocutrice analysait toutes ses paroles. Elle avait toujours été très observatrice. Il s'agenouilla sur les graviers et fixa le tas de fleurs. Il changea l'eau et sa grand-mère se retira, pour le laisser tranquille. L'adolescente se tenait à quelques mètres. Tout se mélangeait dans son crâne. Pour où commencer ?
— C'est pas de sa faute, commença-t-elle en avançant d'un pas, ni de la tienne. Mais à cause de George non ? Il l'a utilisé.
Ses paupières s'ouvrirent et ses sourcils se froncèrent.
« Je ne comprends pas pourquoi tu ne voulais pas que je le sache » songea-t-elle.
Elle se maudit quand son regard noir la transperça, toute cette agitation l'empêchait d'avoir du tact.
— C'est Wendie qui a possédé Rory. Mon grand-père, continua-t-elle en grimaçant, il vous a tous manipulé.
Elle s'approcha un peu plus.
— Je ne connais pas ses raisons mais il n'avait pas le droit, cracha-t-elle en revalant ses larmes.
« Comment sais-tu que c'était Wendie ? »
Elle n'arriva pas à cacher son soulagement, elle avait vu juste. Rory lui avait déjà parlé du jeu qu'est-ce que tu penses, ils y jouaient ensemble. Et Isaïah... L'ancien Pikerman n'avait pas pu en discuter avec lui, ce vieil homme n'aurait jamais pu tolérer un tel acte. Le pompier restait muet, son visage était fermé, aucune expression ne se démarquait. Était-ce de la colère ou de la tristesse ?
— Je suis persuadée qu'il a fait la même chose avec Henry Charles. Son patron ne souhaitait plus vivre alors...
Elle se stoppa, ses poings se serrèrent.
— Pour Abigaëlle, c'était différent. Pourquoi ne s'était-il pas arrêté là ? Rory avait envie de se suicider et George en a profité, au lieu de le soigner.
« Tais-toi. Je ne veux plus en entendre parler », ordonna-t-il en se levant d'un bond.
Ils partirent et les jambes de la lycéenne demeuraient stoïques. Les photos du défunt ornaient la tombe, des dizaines de pots de fleurs y étaient déposés. Un dessin sous film plastique l'interpella. Trois enfants se tenaient la main et les prénoms étaient lisibles en dessous : Mathilde, Rory, Gabriel. Malgré les réticences de leur mère, ils ont pu se recueillir sur sa tombe. Elle s'assit et posa sa tête sur ses genoux, les bras l'enfermant dans sa bulle.
Qui était réellement George ? Nathanaël avait encore choisi de se renfermer sur lui-même. Ils avaient dû se voir beaucoup plus souvent. Le pompier l'avait appelé le jour de la mort du cadet, il n'avait jamais émis l'hypothèse que les deux adultes de l'album auraient pu être eux aussi avoir été possédés.
Il n'avait pas pu assumer devant elle. Alors pourquoi avait-on dit que c'était un suicide ? S'il avait pris une crise cardiaque, personne ne se serait posé des questions. Peut-être que George avait essayé mais qu'il n'y était pas parvenu.
***
A son retour à l'hôpital, elle sentit que sa journée était loin d'être terminée. Elle avait l'esprit embrumé et chacune de ses réflexions se tournait vers la famille Clerc. Elle n'était pas la seule à être dans un sale état car Baptiste passa en trombe devant elle, des perles salées se déversant sans retenue. Un esprit le suivait et lui murmurait :
— Je suis heureux, en paix, tu ne m'entends pas...
Sa surprise fut décuplée quand elle reconnut Jean, le père adoptif. L'orphelin gravit les marches avec rage, il supplia la direction d'arrêter son service. Le nouveau fantôme remarqua alors la présence de l'adolescente. Il eut un mouvement de recule. La ressemblance à Katy et à Solange ne faisait aucun doute sur son identité.
— Alors c'était vrai, souffla-t-il en se rapprochant d'elle. Vous avez vraiment ce don.
Meika était mal à l'aise avant de comprendre où il voulait en venir. Elle hocha la tête et il reprit la parole :
— Tu es dans le coma, comme Joël.
Il s'arrêta et aperçut Baptiste s'éloigner à vive allure.
— Nous en reparlons tout à l'heure si tu veux bien. Je t'invite à mon enterrement, nous éclairerons certains sujets.
Cette phrase en décalage complet la fit rigoler nerveusement. Qu'allait-elle apprendre encore sur son grand-père ? Le doyen des Leroy est son ami d'enfance, il l'avait revu plusieurs fois pendant ses longues années de fuite, il était sans nul doute, le meilleur placé pour la renseigner. Elle enchaînait découvertes sur découvertes.
***
Sa tenue d'hôpital faisait tache avec la noirceur des autres vêtements. Elle était face à cette multitude de personnes en deuil. Solange était aux côtés de ses géniteurs, la mine déconfite. Elle avait perdu son ex-mari, son ami d'enfance et peut-être même, Meika, si elle ne se réveillait pas, en l'espace de quelques mois seulement.
L'invité d'honneur se trouvait à la droite du fantôme et scrutait l'assemblée avec sérénité. La lycéenne n'avait pas encore osé lui parler de George. Baptiste se plaça devant le cercueil et entama son discours.
— Il avait déjà soixante-huit ans quand il m'a adopté. Son amour a été aussi fort, il m'a aimé comme son fils biologique. A vrai dire, ses propres parents ont su donner un foyer à ces jeunes en difficulté. Les valeurs de la famille d'accueil ont été ancrées lui et il me les a transmises. J'ai évité de passer mon enfance sans avoir un réel pilier, clama-t-il en chassant une énième larme. Et j'ai construit ces murs, façonné ma vie avec lui. J'ai l'impression que toutes ces cloisons sont parties avec lui mais je sais que c'est faux. J'en ai fini avec cette analogie de la maçonnerie car il était médecin. Je t'aime papa.
Le concerné lui souriait tendrement, ayant rigolé devant ses blagues douteuses. Le public n'avait pas l'air d'avoir apprécié la finesse de son humour. Des émotions positives émanaient de Jean. Meika en ressentait toute la puissance. Est-ce qu'il pouvait influencer son entourage ainsi ?
Chaque personne posa une fleur sur le bois poli. Meika en avait assez de ces lieux sinistres, le cimetière hier et l'église aujourd'hui.
Meika lui posa enfin la question qui lui brûlait les lèvres. Il était étonné qu'elle ait attendu aussi longtemps avant de la lui demander.
— Joël, je préfère l'appeler ainsi, a été pendant quelques années dans la famille d'accueil de mes parents. Et puisque Solange et moi étions amis, ils ont fait connaissance. Ta mamie est bien plus jeune que nous, Joël en avait quatorze quand elle avait neuf ans. Ça ne les a pas empêchés de tomber amoureux quand ils sont devenus adultes.
Une certaine mélancolie apparut sur sa figure. Alors c'était bien eux trois dans le cadre photo.
— J'imagine que tu étais là pendant notre dernière dispute avec Solange, ajouta-t-il en guettant son entourage qui se dispersait.
Ses yeux marron rencontrèrent les siens.
— J'aurais dû lui dire la vérité avant, maintenant, nous n'aurons plus jamais de discussion.
Meika désirait en savoir plus sur ses arrières-grands-parents.
— Son père est mort à la guerre mais je n'ai jamais su pour sa mère. Certains pensaient qu'elle était morte de maladie. A vrai dire, à cette période, on ne comptait plus vraiment le nombre de décès. Solange le sait sûrement.
— Je suis désolée de vous déranger avec ça alors que vous vivez un moment assez fort, marmonna-t-elle quand les cloches sonnèrent.
— J'ai toujours trouvé ça horriblement long les enterrements, je dis juste adieu à mon corps. Je suis encore là. Puis, j'ai vu assez de très près la mort au cours de ma vie, je n'ai plus peur. Comment ça se passe pour moi maintenant ? Joël a toujours été vague à ce sujet.
Elle lui expliqua brièvement. Il parut calme et posé quand il entendit la réponse. Même la perte de mémoire ne le fit pas grincer des dents. Il avait accompli tout ce qu'il voulait au cours de sa vie.
— Ne te méprends pas, j'ai fait de nombreuses erreurs, répliqua-t-il suite à sa remarque.
Il lui faisait penser à Isaïah, même si la culpabilité se lisait tout de même dans les prunelles de son interlocuteur.
— Je vais devoir te laisser, j'aimerais assister à l'enfouissement de mon corps.
Elle avait encore de nombreuses questions, elle en posa juste une dernière.
— Pourquoi à ma rencontre, avez-vous reculé ?
Elle saura enfin pourquoi les fantômes la fuyaient.
— On entend ton cœur battre.
La paix, je veux être en paix maintenant.
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Meika a pu enfin parler avec Jean, même si c'étaient dans des circonstances déplaisantes A mon avis, elle a oublié plusieurs questions essentielles mais elle ne peut pas toujours penser à tout.
On a enfin la raison pour laquelle les autres fantômes l'évitent. Nous sommes fin mai, cela commence à faire très longtemps qu'elle est dans le coma. Va-t-elle s'en sortir ?
On sent la tension qui commence à être beaucoup trop pesante sur la petite famille. Nathanaël n'est toujours pas dans un bon état et maintenaient, notre cher infirmier a perdu Jean, l'ami d'enfance de notre chère Solange Smith.
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