Chapitre-22 :
Présent- 12 mai 2018
Les deux journées suivantes, Meika les consacra à lire par-dessus l'épaule de sa grand-mère. Elle grimaça à nouveau quand la doyenne tourna la page alors qu'elle n'en était qu'à la moitié. Puis un rire se libéra malgré elle à la description d'une scène torride. Le visage de l'aîné resta statique.
Le contraste avec l'autre bouquin fut éloquent. Sa couverte violette avait des taches décolorées. Elle réussit à déchiffrer le titre « La mort et le pèlerinage de l'âme » d'un certain Dr Michel Murphy. Le thème était bien différent de celui de la romance d'avant. Il évoquait l'accompagnement des mourants. Au bout de quelques pages, elle s'attarda sur une phrase soulignée au crayon de papier : « La mort est une réalité de la vie, et non un ennemi qu'il nous faut combattre- puisque, en ce cas, nous serions toujours perdants ». Des frissons lui parcoururent les bras, le contexte permettait une immersion totale.
Les mains de Solange serrèrent le bouquin, le paragraphe la touchait.
« Je me souviens que dans mon coma, je regardais des lionnes. C'était une vision pleine de grâce et pas du tout effrayante. Je n'ai pas vu la lumière au bout du tunnel dont on m'a parlé. Ce n'était pas ce que j'avais imaginé c'était sourd, rassurant. »
Si elle savait... La suite la troubla encore plus, certains avaient retrouvé des personnes qui étaient mortes, des membres de leur famille. Un passage attira son attention et sa grand-mère mit un marque-page. On y démontrait l'importance des proches. Une expérience avait eu lieu avec des volontaires pour les plonger dans le coma artificiel, afin de confirmer cette importance d'être entouré durant le processus. A tour de rôle, ils venaient réconforter le cobaye. Cette fois, Meika suivait la cadence.
« Elle rencontra des ancêtres, qu'elle n'avait jamais connus, l'une de ses grands-mères, qui avait été décapitée dans un accident de voiture, et d'autres personnes qu'elle connaissait bien, y compris son mari, décédé quelques années auparavant, tué dans une avalanche. »
Un rêve avait été émis comme hypothèse. Comment le compagnon avait-il pu conserver ses souvenirs ? Les fantômes pouvaient-ils réapparaître ? Même si ce livre n'était pas entièrement la vérité, cela aidera Solange à tendre vers le surnaturel. Sa curiosité ne s'assouvissait pas, il n'y avait aucune information sur un cas similaire au sien. De toute manière, ce n'était pas le sujet principal.
Son étonnement fut d'autant plus grand quand elle découvrit à qui ils avaient appartenu, Jean Leroy avait été barré et se trouvait désormais marqué le nom suivant : George Miret. Sa grand-mère n'avait pas lâché l'affaire.
***
L'habituel repas du dimanche en famille se déroula dans le self de l'établissement médical, le poulet frites avaient été remplacé par des sandwichs aux fromages. Solange s'éclipsa quand elle aperçut le pompier. Il n'était revenu que quelques fois pour des interventions. Meika sentait bien qu'une chose s'était brisée depuis la nuit où elle était rentrée dans ses rêves. Rory n'en menait pas large non plus, il était constamment dans sa bulle ou alors il disparaissait pendant des heures.
Solange l'interpella en plein milieu des couloirs et l'invita à se balader. Nathanaël n'avait pas d'échappatoire, la doyenne prit son bras comme soutien. Il salua mollement le fantôme et se força à garder un sourire poli.
L'angle violet du livre dépassait de son sac à main, elle aurait bien aimé le détailler un peu plus mais Solange n'avait pas continué depuis hier. George avait peut-être laissé des indices.
— Tu m'as dit que le sujet sur le paranormal t'intéressait, débuta-t-elle. Cela te peut paraître étrange mais crois-tu à la vie après la mort ?
Il interrogea du regard la cadette qui expliqua brièvement la source de cette soudaine passion pour le surnaturel. Il devint encore plus pâle et nia en bloque.
— J'ai été maladroite la dernière fois, je ne désirais pas te blesser.
A quoi faisait-elle référence ?
— Pouvons-nous nous asseoir ? Je me suis blessé à la jambe, il ne faut pas que je m'appuie dessus.
Ils étaient à seulement quelques mètres de la cafétéria.
« Tu travailles encore alors que tu es blessé. » remarqua Meika.
Il continuait à l'ignorer, à vrai dire il ne répondait à personne. Solange ne lui en tenait pas rigueur.
— Je ne t'ai pas revu à la maison depuis le décès de George, tu devrais boire un thé à la maison.
Sa mâchoire se crispa.
— C'était un exploit, tu arrivais à discuter avec lui.
« Tu ne l'as pas rencontré avant ? »
— Je sais ce que vous allez me demander et cela fait trois mois que je vous répète la même chose, répondit-il en se redressant. Je ne l'ai vu qu'une seule fois, c'est tout.
Solange menait la conversation que Meika avait toujours rêvé d'avoir avec lui. L'aînée sortit de son sac un téléphone et composa un numéro. Une sonnerie retentit dans la veste du pompier.
— Vous vous êtes appelé trois fois la veille de sa mort, de plus, il a passé un dernier coup de fil cinq minutes avant sa crise cardiaque.
Un souvenir lui revint en mémoire. Ils avaient fait un repas le soir d'avant. George avait eu un comportement étrange comme le fait qu'il avait discuté avec Maria. Il avait décroché un appel, c'était donc Nathanaël au bout du fil.
— Votre frère venait de mourir et vous l'avez appelé, pourquoi ?
Meika se détendit instantanément. C'était évident : il voyait Rory en fantôme.
« Tu avais besoin d'en parler à quelqu'un n'est-ce pas ? George était la seule personne qui avait le même don que toi. »
— Il avait promis une aide si j'en avais besoin. Je ne voulais pas de la pitié de mes proches, j'avais besoin d'un soutien extérieur.
« Pourquoi est-ce que tu ne me l'as pas dit avant ? »
Il posa son crâne sur le haut du siège.
— Je ne savais pas qu'il allait mourir.
Solange était moins sur la défensive, elle avait retrouvé son sourire mielleux.
« Pourrais-tu lui dire que je suis là ? » demanda la lycéenne.
Des pas précipités se rapprochèrent du duo.
— Maman, on te cherchait de partout, tu n'étais pas dans sa chambre.
Ses reproches se stoppèrent à la vue du pompier.
— Je sais qui vous êtes, vous avez essayé de voir notre fille, se rappela Fabrice en le fixant avec suspicion.
— Je ne te connaissais pas ! s'étonna Meika.
Katy expliqua qu'il avait souhaité la voir juste après l'accident, en pleine panique. D'après elle, il avait été incapable de se présenter.
— Je connais cet enfant depuis pas mal d'années déjà, il l'a rencontré au...
— Club de musique, je faisais du violon avec elle au Lydie, poursuivit-il.
— Oui il était secrètement amoureux d'elle, c'était il y a fort longtemps, depuis il me dit souvent bonjour quand je le croise.
Les deux avaient une facilité déconcertante à mentir.
— Le jour de l'accident, avant qu'elle ne prenne le bus, je lui ai parlé. Nous revenions de la salle de musique. J'étais revenue au lycée pour revoir mes professeurs. J'avais mon vélo et je devais rentrer chez mon père. J'ai préféré prendre le bus car l'orage allait éclater. J'avais oublié mes partitions à l'intérieur. Si j'avais insisté pour qu'elle garde mon vélo, elle ne serait pas dans cet état-là.
L'émotion dans sa voix fit froid dans le dos à Meika. Mais comment pouvait-il savoir ça ? Elle n'eut pas le temps de lui poser des questions que son père reprit la parole.
— Mais tu aurais pu tout simplement nous le dire. Nous sommes désolés, nous avons accepté qu'une de ses amis.
— Je culpabilisais, j'avais l'impression que c'était de ma faute.
Elle ne parvenait pas à croire qu'il jouait aussi bien la comédie. Ses yeux marron se perdaient dans le vide, ses épaules étaient abaissées.
— Tu n'as pas à t'en vouloir, c'est le hasard, affirma Fabrice d'une voix douce.
L'adolescente s'impatientait, elle tentait de communiquer avec le rouquin mais il demeurait concentré sur le dialogue principal.
— On te paye un café pour nous faire pardonner, nous n'avons pas été très aimables.
Il déclina la proposition et la remit à plus tard. Ses géniteurs affirmèrent qu'il était autorisé à rendre visite à leur enfant sans problème. Ils s'arrangeraient avec la direction. Meika était une pile électrique, elle ne tenait plus en place.
Solange le raccompagna vers la sortie.
— J'espère vraiment que tu vas m'aider à ton tour.
— Je crois que nous sommes quittes madame Smith.
— Pourquoi donc ? Ah, tu penses à la salle des archives. Voyons, ne jouons pas à ce jeu là. Nous sommes amis non ? s'offusqua-t-elle en fermant son gilet à cause du vent.
— Bien sûr mais je ne vois pas en quoi je pourrais vous venir en aide. Je dois vous laisser à présent, bonne journée, salua-t-il sans plus de cérémonie.
Il se dirigea en boitillant vers sa voiture. Le parking était désert et le temps était à l'orage. Cette ambiance lui donnait des sueurs froides, cela la ramenait toujours à l'accident.
— Attends-moi ! Comment as-tu su tout cela ? Tu n'étais pas là ! cria-t-elle en le rattrapant.
Sa main traversa son épaule quand elle souhaita de le stopper dans sa lancée.
— Je l'ai lu en partie dans tes pensées, marmonna-t-il en rentrant maladroitement dans la voiture.
Elle n'en croyait pas un traître mot. Avant qu'il ne décrive la situation, c'était encore trop flou.
— Et j'ai vu la scène au loin, j'étais au bar, ajouta-t-il en bouclant sa ceinture.
Il se permettait de parler à voix haute, étant à l'abri des regards. Il intercepta ses interrogations et y répondit calmement :
— J'ai paniqué, continua-t-il en tournant clef et en actionnant la marche arrière. Rory était collé à toi et je n'ai pas saisi ce qui se passait.
Il démarra brutalement et Meika le supplia de s'arrêter, le temps de finir la discussion. Il opina à contre cœur et coupa le moteur.
— Je suivais juste mon frère.
Il baissa la vitre pour faire rentrer de l'air frais. Ses cheveux roux cachaient une partie de son visage. Ses cernes étaient de plus en plus marqués.
— Je ne te l'ai jamais dit mais quand tu as fait ta crise au bar, il était à côté de toi.
Sa bouche s'ouvrit dans un o muet.
— Je crois que c'est à partir de ce jour qu'il t'a suivie. Pas tout le temps rassures-toi mais c'était souvent au lycée. Les pompiers sont arrivés et Rory m'a dit que tu agissais bizarrement.
« J'étais un fantôme et je me rendormais » récita-t-elle.
— Exactement alors j'ai voulu le voir de mes propres yeux. Je n'étais pas en tenue de pompier alors ils n'ont pas accepté que j'y aille. Maintenant, je trouve mon action stupide. Je ne te l'ai pas dit parce que ça ne servait à rien.
— Tu étais surpris quand tu m'as vue avec lui.
— Évidemment, tu étais un fantôme ! Je croyais que tu étais morte, Rory ne m'avait pas tout dit.
Il donnait des informations de façon décousue, elle se perdait un peu dans tout cela.
— Où est-il en ce moment ?
Il haussa les épaules.
— Ton cerveau bouillonne, ça me donne mal à la tête, blagua-t-il en retrouvant le sourire.
— Pour en revenir à ma mamie, pourquoi n'as-tu pas dit la vérité ?
Il grimaça et s'enfonça dans son siège, jouant avec les clefs.
— Tu ne sais pas ce que ça implique, on va me prendre pour un fou. Tu le comprendras peut-être un jour, quand tu verras des choses que personnes d'autres ne voient.
— Je voudrais juste la rassurer, lui dire que je suis là, répliqua-t-elle.
— S'il te plaît... C'est comme ça, je ne suis pas prêt.
Il alluma le moteur, signe que la conversation était close.
S'enfuir est le meilleur moyen de ne pas avouer ses peurs.
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Nathanaël a téléphoné à George après le suicide de Rory et juste avant la mort du vieillard. Qu'est-ce que George a dit à notre cher pompier ? Il avait le même don que le rouquin, c'était normal qu'il comprenait notre jeune adulte. Décidément le bar est très fréquenté et effectivement, on a une belle vue sur l'arrêt de bus.
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