Chapitre-18 :
Présent- 8 mai 2018
Encore chamboulée, Meika revint auprès de son corps inerte. Elle avait vu Nathanaël trois fois en moins de vingt-quatre heures, ils avaient ri, s'étaient disputés et il la haïssait désormais.
« Je veux juste fermer les yeux et arrêter de faire n'importe quoi. »
Elle avait déjà sombré pendant vingt-huit jours. Et si cette fois, elle ne se réveillerait jamais ? Elle s'affala sur la chaise. Après quarante-trois jours avec elle-même, la perspective de s'ennuyer avait changé. Elle passait autrefois sa vie devant un écran, pour se divertir et oublier de réfléchir. Son crâne tomba sur le côté et ses bras se posèrent sur les accoudoirs. Son vœu s'exauça et elle bénéficia de plusieurs heures de répit.
La porte s'ouvrit à la volée. L'esprit se leva d'un bond et fit face à l'infirmier. Ses yeux verts et sa barbe brune confirmèrent son identité. Baptiste analysa chacune des données demandées et s'attarda un instant sur ses mains.
Son souffle se coupa et elle sut quoi faire. Elle se dirigea vers son nouvel objectif. Elle atterrit comme à son habitude dans la volière. Le nombre de plumes n'avait pas augmenté. Elle n'y resta pas et rejoignit la cabane à outils. Le corbeau empaillé se tenait là, les pupilles éteintes. Le soleil était à son zénith mais la pièce était plongée dans le noir.
Elle faisait peut-être une bêtise. L'adolescente refoula ses interrogations, elle avait trop réfléchi. Ses doigts s'approchèrent de l'objet mystérieux. La chaleur était plus douce. Elle s'agenouilla et posa ses paumes sur ses ailes. Elle se détendit instantanément, les muscles de son visage se relâchèrent.
L'énergie devint plus agressive et la propulsa en arrière. Sa respiration se coupa et c'était à ce moment-là, qu'elle ressentit pleinement la brûlure. Un rictus se dessina entre ses traits tiraillés par cette étrange douleur. Elle ne resta pas un instant de plus dans cet endroit et se réfugia à l'hôpital. Baptiste n'avait pas bougé, son stylo s'était figé au-dessus de la feuille. Sa peau qui était en contact avec l'oiseau empaillé était jonchée de cloques.
Cette pulsion se dissipa et elle prit conscience de l'ampleur de son acte.
« Ferais-je un jour quelque chose de bien ? »
Le jeune adulte lâcha un juron et se précipita vers la sortie. Meika lui emboîta le pas, encore chamboulée par les cinq dernières minutes. Elle ne souffrait pas vraiment, c'était plus un picotement le long de sa blessure. Ils arrivèrent dans les vestiaires. Le brun fouilla dans son casier et en sortit un smartphone.
— Allô ? Oui papa, est-ce que je peux avoir le numéro de Solange Smith s'il te plaît ?
— Qu'est-ce qui se passe ? C'est à propos de Meika ?
L'infirmier regarda l'heure et s'impatienta. Il nota le contact sur un bout de papier et le salua :
— Je dois te laisser, je t'expliquerai plus tard.
Il raccrocha et s'empressa de composer l'autre numéro. Elle avait eu ce qu'elle espérait : son attention.
Après avoir donné un rendez-vous à sa grand-mère sans en donner les raisons, il continua sa course. Il descendit dans les archives et se connecta directement à l'ordinateur. Il consultait sans arrêt sa montre. L'historique de son compte s'afficha, il cliqua sur le mois d'avril. Un petit cri de victoire retentit. Trois dossiers avaient été ouverts le huit avril 2018 par la doyenne via le compte du Leroy.
Son nom apparut suivi de celui de Pikerman et de Miret. Pourquoi Solange avait-elle cherché celui de George ? Il les transféra sur la clé USB et se précipita à l'imprimante. Une fois sa mission terminée, il ne perdit pas une seule seconde et retourna auprès de sa patiente.
Meika se téléporta et vérifia l'état de ses membres. Ses doigts n'étaient pas aussi meurtris que tout à l'heure. Le barbu ne tarda pas à la rejoindre et il se hâta de penser les plaies. Il ne souhaitait pas que ça se sache tout de suite. Son ton était un peu froid quand il discutait avec ses collèges. Les grandes aiguilles n'avançaient pas assez vite au goût des deux protagonistes.
Elle ne le quittait plus d'une semelle. Maintenant qu'elle avait engendré cela, elle ne pouvait qu'observer les réactions en chaîne. Elle ne savait pas trop si c'était une bonne nouvelle. Nathanaël n'accepterait plus de l'aider. Elle devait trouver une parade et continuer à trouver d'autres pistes. Au fur et à mesure que le temps passait, elle trouvait son idée stupide. Elle ne pourrait jamais communiquer avec Baptiste. Mais si sa grand-mère et lui faisaient équipe, ils trouveraient peut-être ensemble les pièces manquantes du puzzle.
***
Sa grand-mère tarda à arriver, dix-sept heures allait sonner quand elle se présenta à l'infirmier. Ce dernier avait fini son service et patientait dans les couloirs, proche de la chambre de Meika. Il relisait sans cesse les papiers et l'adolescente n'avait pas découvert d'autres informations. Il avait ouvert celui de George rapidement mais elle n'avait pas eu le temps de lire avec lui qu'il l'avait refermé violemment. Les marques de politesse se déployèrent avec réticence.
— Et Jean, va-t-il mieux ? Je n'ai pas eu le temps de le téléphoner ces temps-ci, questionna-t-elle en s'asseyant.
— Mon père est une force de la nature, il a vécu bien pire, affirma-t-il en serrant les dossiers contre lui.
Il posa ses coudes sur ses cuisses et se tut quelques instants.
— Vous savez, commença-t-il en se tournant vers elle. Au sujet des dossiers à la salle des archives, je vous ai donné mes codes d'accès. Il y a des traces de votre venue, que ce soit au niveau des caméras ou de l'historique.
L'expression ferme de l'aînée accentua ses traits d'origine asiatique, étirant ses yeux en amande. Les deux femmes attendaient la suite de ses explications.
— Pourquoi les avoir pris ? Il n'y a rien qui pourrait vous aider. Ceux de Joël Pikerman et de George Miret vous avancent à quoi ?
Meika avala de travers sa salive, il était beaucoup trop intéressé.
— Vous ne comprenez pas, c'est un miracle que Meika soit encore en vie !
Une armoire à glace lui faisait face, son habituel sourire de mamie gâteau avait disparu.
— Puis il n'y a pas d'explication sur le décès de monsieur Pikerman et le dossier de George Miret n'a été ouvert que dans les années soixante.
Était-il fiable ? Apparemment, Solange se posait la même question, elle le jaugeait du regard. « Il n'a pas parlé du coma de Joël » songea-t-elle.
— Vous avez effacé une partie des données ! comprit-il en se levant.
S'il était mal intentionné, Nathanaël pourrait toujours prévenir. Elle eut un pincement au cœur. En intervenant dans ses rêves, cela avait empiré les choses et elle se trouvait coincée. Le plus simple pour connaître les intentions de Baptiste, ce serait de décrypter son esprit. Ce dernier attendait toujours une réaction de la part de la grand-mère.
Rory ne l'avait pas rejoint, elle aurait aimé qu'il lui explique comment il faisait. La pensée n'était pas quelque chose de physiquement perceptible, cela l'avait toujours fasciné. Le contact visuel l'aidait à se concentrer. Un sentiment l'envahit : la curiosité. L'infirmier ne voulait pas utiliser ces informations contre elle, il désirait juste satisfaire sa soif de savoir.
— Je crois que votre père vous fait confiance, alors tenez. Le dossier de Joël Pikerman est le seul que j'ai modifié, avoua-t-elle en sortant le précieux objet de son sac à main.
Baptiste ne se fit pas prier et le feuilleta avec sérieux. Elle avait supprimé la partie du son coma. Meika réussit à lire la date : 1963. Il faisait des allers retours, lisant à toute vitesse.
— C'est arrivé durant ma première grossesse, trois mois à prier pour que mon ami d'enfance s'en sorte.
Joël était son compagnon et le grand-père de la lycéenne. La doyenne lui mentait. Adriel n'était pas encore là et Katy était née en 1964, correspondant tout à fait à la date du coma.
— Comment s'est-il réveillé ?
Ses lèvres s'élargirent, elle était à moitié plongée dans ses souvenirs.
— Tu as dit la même chose pour ma petite-fille : c'est un miracle.
Baptiste fronça les sourcils et se détendit.
— Va, tu peux les garder. De toute manière, tu ne trouveras rien, soupira-t-elle en se levant avec raideur.
— Merci beaucoup madame, s'exclama-t-il en l'aidant. Vous devriez manger avec nous un jour, mon père a besoin de compagnie.
Solange avait des cartes à jouer : Baptiste n'était pas blanc comme neige. Meika se promit d'élucider cet autre mystère. Même si ces dernières vingt-quatre heures l'avaient déboussolée, elle n'avait pas tout perdu.
Mon passé donne un sens à mes actions mais n'excuse en rien le mal que j'ai pu commettre.
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C'est un chapitre plutôt court mais intense. Meika a encore fait des siennes.
La grand-mère est une maline, elle a voulu que personne ne sache pour le coma de Joël mais pourquoi ?
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