Chapitre-17 :

Présent- 8 mai 2018

L'alarme les arracha de leur conversation. Nathanaël lui lança un regard d'excuse et se précipita à l'intérieur du bâtiment. Les camions surgirent des garages et leurs gyrophares s'éloignèrent. Elle n'avait plus rien à faire ici, elle avait obtenu ce qu'elle souhaitait. Elle se contenta juste d'observer la lune. Qu'est-ce qu'elle cherchait réellement ? Ses paupières se fermèrent, elle atterrit dans sa chambre et entendit les bips caractéristiques du radioscope. Assise sur le sol, avec les genoux repliés contre son torse, elle n'osait pas ouvrir les yeux.

Elle était rentrée dans un état méditatif, proche de la somnolence. Elle avait découvert cette parade, afin d'avoir l'illusion de dormir. Plusieurs heures plus tard, une autre présence pénétra dans la chambre d'hôpital. Rory tenta de discuter avec elle mais elle l'ignora. Il se mit alors en tailleur à ses côtés et lui souffla une idée.

— Mais es-tu sûr que je peux le faire ? Je ne peux même pas lire dans les pensées.

Elle était désormais totalement réveillée. « J'avais raison ! » s'extasia-t-elle. Le rouquin ne rêvait plus, alors rentrer dans les songes des autres l'avait aidé à surmonter sa solitude. Il se sentait moins anormal, plus humain. Sa déclaration était saupoudrée d'un profond enthousiasme, qu'il exprimait en gigotant ses bras dans tous les sens.

— Maintenant je peux plus, je suis trop vieux, soupira-t-il en abaissant les épaules. Ça me manque.

Il afficha à nouveau un sourire et continua de vanter les mérites du processus. Quant à Meika, elle était toujours adossée contre le mur désespérément blanc et refusait de faire cela. Allait-il disparaître comme Hugo ? Cela faisait largement plus de trois mois qu'il était mort. Quand pourra-t-il trouver la paix ?

— Je te jure que Natha veut bien, croix de bois croix de fer, si je me mens je vais en enfer !

Il tendit sa main pour sceller le pacte. Où est-ce que les fantômes allaient après être partis du monde terrestre ? Y avait-il un paradis ? Elle fit mine d'enlacer les doigts du rouquin.

— Allons explorer l'âme du grand-frère, s'écria-t-elle en se remettant sur ses jambes.

Elle gardait en tête un détail important : les fantômes étaient capables d'influencer dans les rêves. Le corbeau n'était pas le fruit de son imagination, alors si George par ce biais là, parvenait à s'insinuer dans son cerveau, le faire sur Nathanaël sera un jeu d'enfant. Et si le monstre qui la pourchassait depuis ses six ans était un fantôme ? Des frissons lui parcoururent le bras.

Rory lui annonça qu'il faudra le suivre dans un endroit inconnu.

— Tu m'suis, touche-moi le bras.

Meika ne lui avait pas raconté son petit voyage dans le village d'à côté, ni dans la volière ou dans la caserne du pompier. Le cadet avait testé ses limites, après plusieurs dizaines de jours sans dormir, il n'avait que cela à faire. Aurait-il pu absorber la joie des personnes pour préserver ses souvenirs ?

Il était en attente d'une réponse. Il ne perdait pas sa mémoire et ce n'était qu'un petit garçon de dix ans, il ne ferait jamais cela. La solitude le poussait à s'occuper pour ne pas devenir fou. Il restait sûrement avec elle pour les mêmes raisons.

— Tu penses à quoi ?

Elle leva la tête pour croiser son regard. Cela faisait plusieurs secondes qu'il patientait. Combien de temps allait-il demeurer sur terre ?

— On y va ?

C'était son point de repère malgré tout, s'il disparaissait, ce serait à son tour d'être seule.

***

Le lotissement était composé de maisons toutes semblables. Aucune voiture ne s'aventurait encore dans les rues. Elle pénétra dans sa chambre. Les volets à demi-ouvert laissaient entrevoir les trophées poussiéreux. A part cela, tout était parfaitement bien rangé. Une pile de vêtements se logeait sur une chaise à sa portée. Il n'avait pas oublié son sweat jaune moutarde avec la tête de Mickey. C'était simple et efficace, puis il gagnait du temps le matin. Une horde de photos ornaient le mur en face du lit. La conversation de hier soir prenait enfin sens. « C'est une preuve tangible du passé » avait-elle dit avec fermeté.

Le rouquin dormait à poings fermés, la couette dévoilant ses pieds. Meika ne savait pas trop comment se placer. Rory l'invita à se pencher vers lui et affirma que la suite viendrait instinctivement. Sa joue rentra à son contact et elle perçut la chaleur de sa peau au bout de ses doigts. Ses traits étaient détendus, il n'avait pas une once de malice ou de colère sur son visage. Il ne faisait pas ses dix-huit ans. Le jeune adulte dégageait un certain charme.

Elle émit un petit ricanement. Heureusement qu'il dormait car elle n'aurait pas voulu qu'il l'entende. Maria était encore sa priorité. Elle ne le connaissait pas, il était une des uniques personnes avec qui elle parlait, elle projetait seulement sur lui, ses fantasmes infondés. « Je délire complètement » souffla-t-elle en se concentrant sur sa tâche principale.

Il n'avait plus aucune défense. Elle attrapa immédiatement quelques bribes de ses songes. Des images se mélangeaient à la réalité. C'était impossible de les comprendre. Son crâne se mit à tourner.

Puis, dans un souffle, tout devint stable. Pendant plusieurs secondes, elle crut qu'elle avait échoué car une masse sombre se situait encore sous le drap. Une affiche d'Harry Potter avait remplacé les photographies. Une lampe torche s'alluma, la lumière était atténuée par le bout de tissu. Il lisait sûrement la célèbres saga de JK Rowling.

Une sensation étrange la saisit. Ses doigts se décuplaient à chacun de ses coups d'œil. Un sourire de triomphe se plaqua sur ses lèvres. Les impressions étaient les mêmes que durant ses rêves lucides : les lettres se mélangeaient, ses membres étaient flous, le cerveau essayait sans cesse de la ramener dans l'inconscient. La porte grinça et Rory se faufila à côté de l'armoire, il était vraiment jeune. Des cris se déversèrent dans la pièce et le grand-frère de onze ans s'empressa de prendre l'enfant dans ses bras. Il flottait dans le sweat Mickey, encore trop large pour lui. Le cadet émit un reniflement, plaqué contre le torse de son protecteur.

— T'inquiète pas, ça sert à rien de pleurer, apaisa-t-il en resserrant son étreinte. Papa et maman s'amusent.

Les deux êtres enlacés furent remplacer par un immense château. Une vague d'émotions la submergea, elle provenait de Nathanaël. L'ambiance était magique. Les enceintes camouflées donnaient l'impression qu'une mélodie survenait de nul part. La foule se faufilait parmi les décors somptueux. Des milliers d'employés permettaient de faire fonctionner cette illusion, celle d'un univers Disney retranscrit dans la réalité. Les doigts liés, ses parents observaient leurs progénitures avec amour.

« Ils n'étaient pas encore séparés. Qu'est-ce qui s'est passé ? » pensa-t-elle avec curiosité. Le cauchemar prit le dessus sur cette atmosphère féerique. Le couple se disputait, il n'y avait plus de décor, plus aucun son. Elle ne distinguait plus leur visage.

Une flamme s'abattit sur elle, la faisant sursauter. Elle avait beau savoir que ce n'était qu'un songe, son angoisse grandissait. Ses battements de cils ne réussissaient pas à chasser les larmes dues à la fumée. La sirène des pompiers se rapprochait du lieu. Elle fut projeter hors des flammes et se trouva à côté de Rory. Ce dernier était allongé sur un brancard, la figure pleine de suie. Sa petite main broyait celle de son grand-frère.

— J'ai mal ! se plaignit-il en fixant sa peau rougie.

Son ventre fut recouvert avant qu'elle ne découvre sa blessure. C'était cet incendie qui l'avait marqué à vie.

— Mais non, ce n'est qu'un accident, rien de grave, le rassura son frère en lui touchant ses cheveux.

Ils avaient pris plusieurs années, le cadet était passé de trois à sept ans. L'odeur du brûlait envahissait ses narines, la déconcertant quelques instants. Tout s'était joué à quelques seconds d'inattention.

— Dis, ça va rester ? A l'école, on me prendra encore plus pour un monstre, comme Gabriel, ils disent qu'il est pas normal, il a un nez tordu.

La détermination de son protecteur apaisa sa frayeur. L'amitié de ces deux petits garçons dataient de plus longtemps qu'elle ne l'imaginait.

— Les cicatrices, ce sont les marques de notre vécu. Le signe qui montre que nous sommes devenus plus fort, après avoir vaincu une épreuve. Ton ami comprendra plus tard, il en fera sa force, pour combattre ses problèmes.

— Merci... Je t'aime... Je voulais pas être dans le noir, je suis désolé, gémit-il. Mais avec toi j'ai plus peur.

Le lien fraternel qui les liait était si puissant, le décès de Rory avait fait perdre tout espoir à l'aîné. Elle tomba sur des scènes entre amis et des cours de danse. Elle jonglait entre les souvenirs avec facilité.

Son pouls s'accéléra en même temps que celui du rêveur. Il devina que quelque chose de grave venait de se produire. Le salon était éclairé par les derniers rayons du soleil. La porte s'ouvrit la volée et le petit garçon rentra, en pleurs. Son visage n'exprimait rien, en comparaison

à la tempête qui se déroulait à l'intérieur de son crâne. Rory ressentait la même douleur que quatre ans auparavant. Elle se propageait dans chaque pore de sa peau, dans ses muscles et surtout dans son cœur. Il s'effondra dans les bras de son frère.

— Tu es brûlant ! paniqua Nathanaël, en le portant jusqu'au canapé.

Sa bouche s'ouvrit et lâcha un râle rauque, ses cordes vocales en prenaient un coup. La poche de glace ne diminuait en rien cette fièvre qui venait de nul part. Les yeux clos, son aîné n'arrivait plus à analyser la situation, submergé par les émotions. Il lui parlait, le suppliait de rester conscient. Quand il posa ses doigts contre son cou, une décharge électrique l'obligea à reculer. Sous son poids, l'étagère tomba à la renverse.

— Pars ! implora l'enfant.

— Bon sang, arrête de dire n'importe quoi.

Il s'avança, ne se souciant pas de son avertissement. Il l'obligea à enlever son t-shirt. Il eut un haut le cœur. Ses lèvres tremblèrent et ses joues devinrent humides. L'ancienne brûlure était jonchée de veines noires.

— Qui t'a fait ça ? Réponds-moi !

Il redevint lucide lorsqu'il se rendit compte que son cadet ne réagissait plus. Il attrapa le téléphone et appela les urgences. Une silhouette apparut devant lui. Le mobile lui échappa des mains et se fracassa au sol. Il se trouva à nouveau seul. Le corps de son frère n'avait pas bougé du salon. Son don venait de se déclencher.

Meika cherchait quelque chose en particulier mais ne réussissait pas à contrôler le rêve à sa guise, le rêveur l'en empêchait. Des dizaines de voix explosèrent dans son crâne. La nuit l'avait enveloppée. Des phrases se démarquèrent des autres et la firent redescendre sur terre.

— Arrête s'il te plaît ! Je peux pas faire ça ! Meika ! S'il te plaît !

Ses membres surchauffaient et elle sentait son cœur battre dans tout son corps. Elle distingua enfin les contours des meubles.

— Tu n'avais pas le droit ! sanglota le pompier en s'asseyant sur le côté du lit.

Ses deux mains encadraient ses tempes et il respirait trop vite. La culpabilité l'envahit. Elle était allée trop loin. Comment avait-elle pu rentrer dans son intimité ainsi ? Cette expérience était née d'une curiosité malsaine et de l'envie de toujours repousser ses limites. Figée, aucun mot d'excuse ne franchissait ses lèvres.

Rory n'était qu'un enfant et elle l'avait écouté sans réfléchir. Tous ces cauchemars, toutes ces souffrances avaient été exposés à sa vue sans son consentement. C'était elle qui avait tenu les rennes, elle avait orienté les scènes pour parvenir à ses fins. Elle l'avait pris à la légère, comme si c'était un simple jeu d'enfant. Elle faisait exprès de laisser passer ses pensées, pour qu'il comprenne qu'elle était navrée.

— Dégage de chez moi. Je ne veux plus te voir, compris ?

Son ton ne lassait place à aucun doute. Il s'allongea et abattit sa couette sur lui. Elle lui tourna le dos pour partir et fit face aux nombreux souvenirs, cette fois figés dans du papier. Une photo identique à celle dans l'album représentait Rory avec son énorme gâteau d'anniversaire.

Il aurait pu être un allié, lui expliquer la relation qu'il avait avec George. Elle avait tout gâché. D'un pas lourd, elle suivit son ordre. Le mur qui les séparait n'était pas suffisant pour apaiser la tension entre les deux.

Le salon était comme aseptisé. Tout était rangé à la perfection et cela s'apparentait à une publicité plus qu'un foyer chaleureux. Elle fut frappée par une chose : il n'y avait aucune photo, comparée à la chambre de l'aîné. Personne n'aurait pu imaginer qu'un garçon de neuf ans habitait ici autrefois.

Un reniflement se fit entendre, le même son que dans le rêve. Elle dénicha la cachette de Rory. Il se trouvait dans une pièce entièrement vide, dont le plafond était orné d'étoiles. Une faible lumière fuyait à travers la porte. Le rouquin fixait ces étranges lueurs.

— L'espace est vide, maman, papa et Natha aussi. Ils ont mal au cœur. J'pouvais rien faire, c'était trop dur.

Sa façon de parler différait de d'habitude, comme s'il ne restait que les paroles d'un être innocent : un enfant. La famille Clerc avait effacé toute trace de leur dernier fils. Seul Nathanaël préservait son souvenir. Le cadet se trouvait piégé. Il ne pouvait pas faire son deuil, il voyait son frère tous les jours. Il ne reviendra jamais et le pompier devait le comprendre. Son frère était bel et bien mort.

Les rêves semblent si réels, ils mélangent vérités et fantasmes. Quand le cœur perd sa vie, l'âme ne demande qu'à en chercher un autre.

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Oups ? C'est le mot qui résume ce chapitre. J'espère que vous avez aimé de chapitre. Ils sont à peine réconcilié qu'elle fait une nouvelle boulette. Malgré tout, cela nous a permis de découvrir un bout du passé de la famille Clerc.

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