Chapitre-16 :

Présent- 7 mai 2018

Meika ne resta pas dans sa chambre. Parcourir les couloirs de l'hôpital lui permettait de réfléchir. Son pas effréné était au rythme de ses pensées. Passant une nouvelle fois devant le secrétariat, elle remarqua le nœud papillon rose. L'adolescente s'approcha et aperçut une forme se détacher de la paroi blanche.

— Coucou, comment t'appelles-tu ?

Il sursauta et se tourna vers elle, c'était Hugo. L'enfant passa une main sur son crâne chauve, troublé. Il était bien plus jeune que Rory. Ses yeux bleus l'analysèrent un instant quand elle lui demanda depuis quand il était dans cet état là.

— J'sais plus, j'ai juste plus mal grâce à eux et lui c'est mon papa.

Meika confirma son hypothèse, durant ses vingt-huit jours de sommeil, Hugo avait perdu la mémoire. Le père se démenait à trouver son portefeuille dans son long manteau. Une enveloppe tomba, il se précipita pour la ramasser et fit un sourire au secrétaire, l'air de rien.

— Dites-moi, est-ce Baptiste Leroy est en service ? Il devait me donner l'adresse d'une psychologue.

— Vous venez juste de le manquer. Est-ce la première fois que vous consultez ? s'informa-il en pianotant sur l'ordinateur.

Le père de famille hocha la tête et rajouta que pour lui, c'était difficile de sauter le pas. Il avoua qu'il n'avait pas l'habitude de dévoiler ses ressentis. Il avait aujourd'hui besoin d'aide pour surmonter son deuil. Elle était émerveillée par ce talent d'acteur. Elle avait vu cet homme un mois et demi plus tôt, assis dans la salle d'attente d'une psychologue.

L'enfant à côté d'elle était ailleurs, impossible de dialoguer avec lui. Le fantôme devenait de plus en plus transparent. Les adultes bavardèrent encore un peu moment et il obtint l'adresse d'une professionnelle.

Baptiste était de partout, elle se souvint de sa barbe et de ses yeux verts. C'était peut-être un ami de la famille d'Hugo. Solange l'avait menacé pour qu'il lui donne l'accès à la salle d'archives. Le géniteur froissa le papier avec le numéro et le balança quelques mètres plus loin. C'était une excuse pour voir l'infirmier. Qu'est-ce qui se passait dans cet hôpital ?

— J'ai p'u peur, annonça Hugo en lui souriant pleinement.

Il la salua et disparut. Venait-il de partir pour de bon ? Elle observa les alentours, rien. De toute manière, cela n'allait pas la faire avancer dans sa quête. Elle desserra les poings. Des millions d'individus subissaient la perte d'un proche et ils n'avaient pas conscience qu'ils restaient à leurs côtés. Ce gamin était parti trop tôt et maintenant, un vide restera à jamais dans le quotidien de cette famille.

Rory l'appela, ses sourcils étaient joints. C'était une des premières fois qu'il semblait aussi inquiet. Meika sortit totalement de sa tête Hugo et Wendie le remplaça. Le sommeil permettait de couper la journée. Son cerveau envoyait un signal de détresse : de la tranquillité !

— Je te cherche de partout, t'étais où ?

Il se balançait d'une jambe à l'autre, ne sachant pas quoi faire de son corps. Son ton de reproche la dissuada de dire la vérité. Elle lui mentit à moitié et dévia sur le fantôme qu'elle venait de voir.

— Puis il disait que c'était grâce à ses parents qu'il était là, continua-t-elle en se promenant dans les couloirs. Tu avais raison, il suffit de moins d'un mois pour perdre tous les souvenirs.

Sa colère s'était évanouie, il l'écoutait avec attention, fier d'avoir eu raison. Elle brûlait d'envie de l'interroger mais se retint. Rory était intenable.

— Tu m'avais promis qu'on jouerait à qu'est-ce-que tu penses. Je veux m'amuser !

Le rythme de leurs pas se stabilisa et elle accepta à contre cœur. Elle soupira, ruminer ne servirait à rien et se changer les idées lui ferait du bien.

— Bon, c'est un objet ? Un animal ? Alors ça existe vraiment, ce n'est pas un personnage inventé ? On s'en sert ? On le trouve à l'état sauvage ? Un aliment ? C'est super dur ! s'exclama-t-elle en agitant les mains.

— Ça laisse des traces à vie.

— Une blessure ? Une coupure ? Une brûlure ?

— Oui mais comment je me suis fait mal.

Elle ouvrit grand la bouche et prononça la réponse dans un souffle : le feu.

— Bravo ! Trop forte ! félicita-t-il. J'ai appris que le feu c'est important sinon on peut pas vivre. C'est quoi pour toi ?

La brûlure qui recouvrait ses mains avait disparu. La vision du corbeau empaillé se superposa avec les bougies qui s'éteignaient.

— Nous avons besoin de chaleur. J'en ai peur, je ne peux même pas mettre un bois dans la cheminée.

Des esprits se poussèrent sur leur passage et Meika fit mine de les ignorer.

— Une fois j'ai renversé une bougie et tout a pris feu, même moi, raconta-t-il.

Son nez se retroussa, comme s'il sentait encore la fumée. Ils frissonnèrent en même temps. Il souleva son t-shirt et elle vit sa cicatrice qui longeait son ventre. Une grimace sur son visage montra sa compassion.

— Je joue d'habitude avec Wendie. Elle me dit toujours que ça permet d'en apprendre un peu plus sur toi.

Il avait enfin révéler son existence ! Avait-elle son âge ? Lors de ses séances de baby-sitting avec Gabriel et Mathilde n'avaient jamais mentionné cette fille. Les deux énergumènes avaient décrit chaque élève de cette école primaire, elle saurait désormais les reconnaître. D'après leur mère, Rory avait été dans leur classe. Étrange, que Gabriel n'avait pas évoqué ce nouveau copain. « Il est mort à cause des adultes » avait dit le pompier. Qui était donc cette Wendie ? Qu'est-ce qu'elle aurait pu faire pour le pousser à mourir ? Ses poils se hérissèrent, elle n'osait imaginer toutes les possibilités. Le rouquin l'interpella.

— Oui pardon, s'excusa-t-elle. Tu disais ?

— Un personnage ? Un objet ?

— En quelque sorte.

« Bien sûr que tu as envie de savoir » se souvint-elle. Nathanaël n'avait pas tort.

— J'en ai chez moi ?

— Dans des cartons, sur des meubles.

Si cela se cassait, se coupait, se déchirait.

— Du papier toilette !

Cela la fit éclater de rire. La chose était unique, différente, mis à part si on la copiait. Ils étaient arrivés dans le jardin, loin de tous ces fantômes. Elle sentait la présence du pompier et il apparut, encore en tenue de danse. Rory l'avait amené ici pour le rejoindre. Leur regard se croisa.

« Tu as intérêt à m'expliquer ce qui se passe »

Elle ne savait pas sur quel pied danser avec lui. Il semblait avoir complètement oublié leur altercation.

— Viens jouer avec nous ! s'écria le cadet.

Nathanaël allait tricher. Elle ferma tant bien que mal son esprit mais il la dévisagea, en essayant de percer ses défenses. Rory lista tous les indices et le jeu continua.

— Tout le monde...

— A des photos ! compléta le pompier en ricanant devant les réprimandes des joueurs. C'est bon, je vous jure que j'ai trouvé tout seul.

Seules quelques heures les séparaient depuis leur dispute mais il s'était produit tellement de choses. Meika fulminait mais Rory s'obstinait à continuer. C'était au tour de l'aîné d'expliquer ce que lui évoquaient les photographies.

Ces bouts de papier permettaient au grand frère de palper ses souvenirs, de les figer un instant, pour ne plus les oublier. Quand viendra son heure, tout sera effacé. La lycéenne ferma le cercle et ne put s'empêcher d'observer ses réactions.

— Pour moi, c'est une preuve tangible du passé. On ne peut ni mentir, ni nier les faits.

Le pompier se mordit la lèvre inférieure et marqua un sourire, qui cachait sa gêne. Rory souhaitait poursuivre mais le grand frère l'arrêta. Son tour de garde allait commencer. Meika se demandait comment elle parviendrait à semer le cadet pour pouvoir discuter avec l'autre membre de la famille Clerc.

***

Ils n'avaient pas eu besoin d'inventer une parade car quand Nathanaël avait annoncé son départ, Rory désirait rentrer chez lui. Le pompier était parti pour la caserne et Meika en profita pour se joindre à lui. Elle parvenait à maintenir son esprit fermé, il n'eut pas le loisir d'apercevoir son impatience. Les doigts qui pianotaient sur ses cuisses pendant le trajet en voiture lui donnaient un indice clair. Alors qu'elle se préparait à débuter son discours, il la stoppa :

« Je sais que j'ai des choses à me faire pardonner, des réponses à te donner mais attends la pause. Va faire un tour, repose-toi, fais comme tu veux. J'aimerais être concentré pour le boulot. »

Elle hésitait entre lui dire qu'il était gonflé de la laisser ainsi ou s'avouer qu'elle n'avait plus de force pour tenir une conversation décente. Elle s'installa sur la banquette, tandis qu'il lui promit de l'appeler si c'était calme.

Trois heures s'écoulèrent et elle n'avait pas bougé, somnolant. Le pompier volontaire frappa sur la vitre. Elle se leva d'un bond et put traverser le toit sans aucun dommage.

— Je me disais, comment ça se fait que tu es toujours à l'hôpital ?

Elle poursuivit dans sa lancée et ne prit pas la peine d'ouvrir la porte. Il parut surpris par cette première question.

« J'ai parfois des urgences. »

En ce début mai, les nuits étaient fraîches. Meika ressentait le froid malgré tout et la vue de son café brûlant lui donnait soif.

« Et ce soir, je suis revenu parce que je voulais m'excuser. »

Il massa son cou en faisant mine d'observer les véhicules sur le parking.

« Quand on parle de mon frère, j'ai tendance à vriller facilement. »

Ils s'assirent sur les marches d'escalier. Le ciel étoilé était effacé à cause de la pollution lumineuse. Ses lèvres étaient scellées. Elle aurait voulu l'accabler de tous les problèmes, le maudire pour lui avoir caché une chose pareille. Il prit une feuille morte entre ses doigts, pour l'émietter.

« Ça fait longtemps que tu n'as pas eu une véritable conversation ? questionna-t-il en arrachant la tige. »

Elle affaissa ses épaules et jeta un coup d'œil à la rue déserte.

« Les seules personnes avec qui je communique, soit me mentent, soit changent d'humeur toutes les cinq secondes.

— Je me retrouve dans les deux catégories, je suis celui qui change d'humeur ? »

Il arqua un sourcil avec un petit rictus moqueur.

« Tu ne discutes qu'aux enfants. J'ai un énorme privilège car tu m'adresses la parole, si on peut dire ça comme ça. Je sais que c'est à cause de George.

— S'il te plaît arrête, supplia-t-elle en fermant les yeux.

— Tu as envie de le retrouver mais...

— Pourquoi tu me parles de ça, alors que toi-même, tu refuses de communiquer au sujet de ton frère ? songea-t-elle avec amertume. »

Elle ouvrit la bouche et tenta vainement de se rattraper.

« Ne t'en veux pas, tu as parfaitement raison d'être énervée contre moi. Qu'attends-tu de lui ? »

Une tension se dissimulait parmi les blagues.

« Franchement, je n'en sais rien, soupira-t-elle en passant ses bras autour de ses genoux. Il n'a jamais rien apporté dans ma vie. Maintenant qu'il est passé de l'autre côté et que moi aussi, je me dis qu'il est le seul lien dans ce monde complètement abstrait pour moi. »

Elle laissa aller ses jambes sur le béton.

« Il savait des choses sur mon grand-père, Joël, sur le monde des esprits. Et aussi Is... L'album, je veux comprendre son utilité. »

Une autre pensée la titillait.

« J'imagine que si je te demande comment tu as rencontré George, tu ne me le diras pas. »

Elle se tourna vers lui et s'étonna d'être aussi patiente.

« Comment puis-je te faire confiance si tu ne me dis pas toute la vérité ? »

Il tripotait cette fois le gobelet vide.

« Il m'a compris, commença-t-il en serrant la mâchoire, c'était la première personne qui a su pour mon don. J'ai cru que j'étais devenu fou. J'étais seul et il m'a rassuré.

— Qu'est-ce que Rory fait dans cet album ? »

Il avait perdu son sourire narquois depuis longtemps.

« Je n'en ai pas la moindre idée. »

Le jeu est un bon moyen de connaître l'autre et de rentrer dans la tête des gens sans craindre de représailles.

₪₪₪₪₪₪

Elle revoit le papillon rose et son fils, Hugo. Ce dernier n'avait plus de souvenir. D'ailleurs il n'avait pas peur de notre héroïne.

Puis il était temps pour Meika de s'expliquer avec Nathanaël ! A-t-il dit la vérité ?

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