Chapitre-13 :
Présent- 8 avril 2018
Solange rassembla les dossiers en trois tas et finit son thé à la mangue, le regard dans le vide. Elle non plus n'avait pas trouvé d'autres renseignements sur le coma. Elle n'avait jamais eu conscience des pouvoirs de son ex-mari : Joël Pikerman avait lui aussi la capacité de séparer son corps et son esprit. Meika aurait tellement aimé rencontrer cet homme, il lui aurait permis de contrôler ce don et peut-être même de la sortir de ce coma. Comment avait-il fait ? La lumière s'éteignit, signe qu'il était temps de rentrer. La doyenne se réfugia chez elle.
Meika eut une idée, elle traversa le jardin, qui était devenu un terrain de chasse pour les animaux nocturnes. Le grillage se retrouva à sa hauteur, ici, se téléporter était plus simple. Maintenant qu'elle s'était arrêtée un instant, elle sentit une forte énergie qui émanait des environs. Elle retourna dans la cabane à outils. Sa vue s'habitua à l'obscurité. La lune sortit des nuages, éclairant la pièce. Deux pupilles noires surgirent de l'ombre. Meika sursauta et fit quelques pas en arrière.
Elle crut tout d'abord que c'était le corbeau mais il était étrangement immobile. Sa curiosité la poussa à s'approcher, il ne pourrait rien lui arriver. Elle souffla et ferma les yeux. C'était seulement l'oiseau empaillé. Une étrange chaleur réchauffait l'atmosphère. Elle se tourna à nouveau et s'approcha. Ses mains n'eurent pas le temps de le toucher qu'une vive douleur l'obligeât à reculer. Par réflexe, elle vérifia l'état de ses doigts. Même si d'apparence, ils n'avaient rien, elle était persuadée d'avoir été brûlée. La force que l'objet dégageait ne la laissait pas indifférente. Son instinct la poussait à s'éloigner le plus loin possible. Elle se réfugia dans la volière.
Et si autrefois, elle n'avait pas pu pénétrer dans la demeure à cause de cela ? Il protégeait la maison de Solange et on l'avait sûrement déplacé. Alors pourquoi son champ d'action s'était-il réduit ? George savait que les fantômes existaient et s'en protégeait. Au fond d'elle, elle était sûre qu'il savait pour son don. Peut-être connaissait-il Joël ? Était-ce pour cela que Solange avait la possibilité d'avoir des réponses ? Mais sur quoi ? Même si tout était encore flou dans sa tête, elle avait de l'espoir. George se servait de ce corbeau. Elle le contacterait, elle le retrouverait où qu'il soit.
Elle regarda une dernière fois les plumes noires et le décor changea. Elle vacilla sur le côté. Son enthousiasme ne suffisait pas à lui redonner de l'énergie. Rien n'avait changé. Son corps était toujours inerte, plongé ainsi dans le noir. Son organisme avait réagi et l'avait plongé dans l'inconscient. Et quand elle reviendra parmi les vivants, est-ce qu'elle verrait encore les fantômes comme Nathanaël ? Ou bien est-ce qu'elle pourrait redevenir un esprit quand elle dormirait ?
Elle s'était assise en face du lit, la lumière des machines donnait un aspect orangé à la pièce. Elle décida pour la première fois de s'allonger sur le matelas. Un frisson lui parcourut l'échine. Elle pensait trop, elle voudrait se reposer réellement, se laisser le loisir de rêver. La fatigue faisait surface, engourdissant ses muscles et alourdissant ses paupières. Elle se posait encore des milliers de questions. « Si je reste avec mon corps assez longtemps, je pourrais me réveiller... Si... ». Et si au contraire, elle n'émergerait jamais, resterait-elle condamnée à errer pour l'éternité ?
Sa respiration se fit plus régulière. Des picotements sur les doigts continuaient à sévir mais elle n'eut le temps de le remarquer car elle plongea dans un sommeil profond.
***
Un cri résonna dans le noir, c'était seulement au bout de longues minutes, qu'elle identifia son origine. La nuit l'enveloppait. Elle avança sans but et s'arrêta brutalement. Une lumière illumina ses mains : elles étaient floues. Son cerveau comprit : elle rêvait. Un détail l'interpella, sa peau était rouge mais ce n'était pas une brûlure. Elle ne réussit pas à faire disparaître cette couleur. Sa respiration s'efforçait de rester lente.
Elle sortit de sa contemplation, une plume venait de se poser dans ses paumes. Elle étendit la lueur autour d'elle et chercha l'animal. Sa volonté avait moins d'impact qu'auparavant. Elle ne maîtrisait pas entièrement le songe, une force extérieure l'influençait. Son impatience grandissait, elle devait le voir.
« Réveille-toi ! »
Cet ordre résonna de tous les côtés.
« Meika ! »
La voix était déformée et elle ne put distinguer qui c'était. Son rythme cardiaque s'accélérerait, bientôt elle reviendrait à elle. Elle marcha à l'aveugle mais ne rencontra pas l'oiseau. Tout était en suspend, rien ne bougeait, elle entendait parfois le bruit du radioscope. Elle était seule et se sentait trahie. Le corbeau ne viendrait pas, il n'était que le fruit de son imagination.
Des rires résonnèrent dans ses oreilles. Les rayons du soleil l'éblouirent. Ses pieds touchèrent immédiatement le sol et elle resta scotchée devant tout ce monde. Une tête rousse traversa les cloisons, sans que Meika ne parvienne à l'interpeller.
Son souffle se stabilisa et le bourdonnement dans ses oreilles devint des paroles plus claires. Que faisait sa famille ici ? La pile de cadeaux lui mit la puce à l'oreille : c'était son anniversaire. Un gâteau aux fruits lui confirma son hypothèse. « Absurde » chuchota-t-elle en se levant. Ils faisaient comme si de rien n'était, la reine de la fête était aux abonnés absents.
Elle fut coupée dans son élan à la vue des pétales qui tourbillonnaient dans le vent. C'était là qu'elle comprit que sa nuit avait été longue. La chaleur était revenue et le printemps s'était bien installé. Elle avait sombré le huit avril et sa seizième année commençait le six mai. Ses sourcils se joignirent et elle se déplaça dans la pièce, aux aguets. L'angoisse du cauchemar se dilua parmi le brouhaha.
Ses deux tantes questionnaient leur sœur à propos de son travail. L'une d'entre elles, Serena la sermonna, l'argent n'allait pas venir tout seul. Avec un mari fleuriste, ce n'était pas cela qui allait les faire vivre. Puis vint au tapis le sujet des études de Meika, ce qu'il fallait ou non pour elle.
Un sentiment de colère la prit à la gorge. Sa famille ne la connaissait que par sa classe au niveau scolaire, son futur métier et miracle, si elle avait un petit ami. Ils ne rajoutaient jamais un e. A croire que ces trois choses étaient les plus importantes. Pas de passion, c'était pour le week-end, il valait mieux se concentrer sur les factures à payer pour les besoins de son foyer. Toujours les mêmes conversations, les petits bobos et les potins sur les voisins, amis, collègues. Et voulaient-ils vraiment venir ? Où était-ce par obligation sociale afin de soutenir les membres en détresse ? Pas de bougies, la sécurité sans doute, ni d'ouverture de cadeaux, qui se constituaient majoritairement d'enveloppes.
Sa propre mauvaise humeur l'agaça. Elle voyait tout en noir alors qu'ils s'étaient déplacés pour aller la voir. Peu importe les raisons, elle était quand même soutenue. La chambre se vida et elle partit en quête de Rory.
Les couloirs étaient les mêmes, rien n'avait changé. C'était quand elle vit les deux enfants de la famille Clerc, qu'elle comprit vraiment que beaucoup de jours s'étaient écoulés. Ils se précipitèrent vers elle. Rory se téléporta avec aisance. Il n'eut le temps d'ouvrir la bouche que l'aîné lui bombarda de questions :
— Mais qu'est-ce que tu nous as fait ? Tu as vu ce qui...
Les regards se tournèrent vers lui, il se tut et il l'invita à le suivre dans le parc pour être plus tranquille. Ils se retrouvèrent dans la même situation qu'un mois auparavant. Ils ne s'étaient réellement parlés qu'une seule fois. La journée avait été si longue. Ils coupèrent à travers les murs, en silence. Le vent chaud la fit frissonner. Les odeurs envahirent ses narines. Son cerveau retranscrivait tous ses sens. Elle entendit les pas du pompier dans son dos. Il était essoufflé, son sprint avait dépassé les capacités du pompier. C'était le seul endroit où personne ne les verrait. Le jardin était plus brisé maintenant que la nature s'était réveillée. Meika s'apprêtait à lui expliquer toutes ses découvertes mais le rouquin fut plus rapide :
— Bonjour, je n'ai pas eu le temps de suivre les formalités d'usage. As-tu bien dormi ?
Rory ricana à ses côtés et ajouta :
— Je l'ai appelé, il a failli faire trois accidents.
Sa remarque la fit grimacer, la taule se froissait encore à l'évocation du mot accident. Il ne remarqua pas sa gêne. Les yeux noisette de Nathanaël rencontrèrent les siens. Un soulagement se lisait sur son visage. Pour elle, seulement quelques heures s'étaient écoulées. Ce décalage la dérangeait.
— Pourquoi étais-tu aussi inquiet ? Nous nous sommes vus trois fois.
Elle n'avait pas eu besoin de prononcer à voix haute ses questionnements car il l'avait déjà entendu dans sa tête. Il s'assit sur un banc, lasse.
— Je suis toujours curieux. Puis tu ne peux le voir aujourd'hui mais tu avais les mains brûlées. Je voulais savoir comment tu as pu te débrouiller.
Il annonçait cela comme si elle s'était pris un coup de soleil. Elle se souvenait partiellement de ses songes. Elle avait senti cette blessure. C'était le corbeau empaillé qui l'avait mutilée. Nathanaël essayait de lire en elle mais elle réussit à le repousser, à son plus grand étonnement. Ce somme l'avait requinqué.
— J'imagine que tu veux savoir pourquoi, spécula-t-elle, impatiente de lui raconter.
Elle lui expliqua alors pour George, qui avait placé cet étrange talisman dans la maison et le corbeau qui ne la quittait plus. Rory était fasciné mais le pompier restait impassible.
— Pourquoi se protégeait-il ?
« J'en suis venue à la même conclusion », soupira-t-elle en s'allongeant dans l'herbe.
Le silence avait repris place, des personnes âgées passèrent auprès du pompier sans l'apercevoir, il était caché parmi les arbres fleuris. Elle se dressa sur les coudes et le fixa. Elle avait tellement de choses à lui dire qu'elle ne savait pas par où commencer. Elle devait d'abord régler un détail.
« Comment fais-tu pour me bloquer tes pensées ? »
Rory ne voyait que leur échange de regard. Il n'appréciait pas qu'on le laisse à l'écart mais ne fit aucun commentaire.
« Je voulais qu'aucun esprit ne parvienne à lire en moi. »
Elle aimerait en faire autant avec lui, c'était assez déstabilisant de savoir qu'un autre être humain puisse s'insinuer dans ses réflexions.
« Tu n'as rien à me cacher Meika, t'as pas à t'inquiéter. »
Chacun a son jardin secret, j'ai lu un jour : « le travail éloigne de nous trois grands mots : l'ennui, le vice et le besoin ». Malheureusement, la terre ne se cultive pas par la pensée, il me faut des mains pour planter.
₪₪₪₪₪₪
Meika avait décidé de faire long somme. Comprenez-vous sa réaction vis à vis de sa famille ?
Que pensez-vous du fait que Joël soit son grand-père ?
Pourquoi a-t-elle dormi autant de temps ?
Quels sont ces plumes qui la suivent dans ses songes ?
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