Chapitre-10 :
Présent- 7 avril 2018
Son cœur lui reprocha sa nouvelle saute d'humeur. Meika s'assit machinalement sur une chaise de l'hôpital, n'en ayant pourtant pas besoin. Rory n'était plus avec elle. Elle ne comprenait pas sa réaction. Puis, comment avait-il fait pour la rejoindre ?
Elle réfugia sa tête entre ses mains, le corps redevenait stable. La dernière phrase de George lui revint en mémoire. Ce n'était pas anodin, tout avait un lien. Il n'avait pas lancé une banalité, il lui avait demandé de faire attention et d'essayer d'analyser son entourage. Pourquoi Solange avait-elle voulu en prendre connaissance ? « Elle avait peur qu'il me révèle un secret ». Mais qu'était-ce donc ? Elle ne savait pas pourquoi elle réfléchissait à cela maintenant, alors que des milliers d'autres questions se posaient.
Ces dernières semaines s'étaient déroulées comme dans un rêve. Elle avait pris l'habitude de se poser, de juste respirer tranquillement et de se libérer de toutes ses pensées. Ce n'était plus le cas désormais, elle était sans cesse sollicitée.
Quand elle y repensait, cela s'apparentait à de la méditation. Lors de l'exercice de la psychologue, elle avait vraiment eu la sensation de se détacher de son enveloppe charnelle. Et si elle avait réussi à devenir un fantôme ? Son don ne s'était pas déclenché le jour de l'accident, il était déjà là bien avant.
Il fallait qu'elle se déconnecte un instant. Toutes ces intenses émotions devaient être démêlées. Elle se mit en tailleur, puis changea plusieurs fois de positions, pour trouver celle qui convenait. Ses paupières s'alourdirent. L'imagination l'emmena au bord de l'eau. Le vent secouait les premières feuilles. Elle ressentait enfin ses poumons se remplir d'air frais. Son ventre arrêta de se contracter. Elle sentit le dos de sa main sur ses cuisses. Ses vertèbres s'emboîtèrent, en étant ainsi, complètement droite, elle était plus forte. Son instinct lui affirma qu'elle était dans le parc de l'hôpital, mais elle ne vérifia pas. Elle préférait se concentrer sur ses perceptions physiques autres que la vue.
Cet état de quiétude fut brisé par ses pensées, qui s'emballèrent.
Les scientifiques n'avaient pas découvert ce monde. Les témoignages étaient peut-être enjolivés et ils ne souhaitaient pas perdre leur temps. Cela modifiait tout, la vision de la mort et de la vie. Et s'ils faisaient exprès de nous le cacher ? Les chercheurs ne pouvaient pas vraiment mettre en place un protocole pour vérifier si c'était réel. Les concernés oublieraient les instructions en moins d'un mois et disparaîtraient.
Elle fronça les sourcils, elle désirait arrêter de penser, mais son cerveau lui soufflait des nouvelles interrogations.
En parlant de preuves, elle devait essayer de dénicher un indice qui prouverait la présence de George. Mais pour quelle raison aurait-il pu rester sur Terre au-delà vingt-huit jours après son décès ? Pourquoi avait-il fait cet album ?
« Pourquoi ai-je atterri dans cette église ? Comment... »
Elle secoua la tête, son attention se porta à nouveau sur ses membres. Le calme l'enveloppa, elle pourrait aller n'importe où. Un prénom s'imposa comme une évidence : George. Elle souhaitait le rejoindre.
L'atterrissage fut tout aussi brusque. Ses yeux louchèrent sur un grillage. C'était la volière de sa grand-mère. L'espoir s'envola, évidemment qu'elle n'allait pas se retrouver en face de lui.
Des plumes de corbeau voltigeaient avec le vent, qui s'immisçait à travers la porte grande ouverte. Cette fois, elle devait revenir sur ces dernières heures. L'ombre l'avait emmenée vers cette lueur. Le corbeau l'avait ensuite guidée.
« Alors pourquoi Rory me croyait-il en danger ? ». Elle était juste arrivée dans cette église, elle avait seulement eu le temps d'apercevoir un vieil homme, rien de plus. Puis, les monuments religieux n'étaient-ils pas des endroits où le mal devait rester en retrait ?
Des graines gisaient de tous les côtés. Ce détail l'alerta. George contrôlerait-il cet oiseau ? Elle avait espéré voir ce vieil homme et le fait qu'elle était ici n'était pas anodin. Cela ne rimait à rien, il aurait pu aller lui parler, lui expliquer ce qu'elle avait comme don. Il ne serait pas resté silencieux. En vérité, elle ne le connaissait pas, elle l'avait toujours écarté de sa vie. Il était resté à la place de ce vieillard, silencieux.
Tout cela était stupide.
Elle coupa à travers la cabane à outils, qui était désormais rangée. Elle verrait peut-être sa grand-mère, assise sur sa table, avec un journal dans une main et son thé à la mangue dans l'autre. Le jardin accueillait le printemps avec joie. Des frissons lui parcourent l'échine quand elle passa à côté du rosier, encore sous les cendres. Elle s'approcha du tas et vit qu'une tige poussait. Elle arriverait elle aussi, à se réveiller et à sortir de ce coma. Elle détourna le regard et s'approcha du mur en pierre.
Quand elle passa un pied dans la maison, elle se sentit repoussée en arrière. L'élastique qui la maintenait autrefois dans le bâtiment hospitalier venait de refaire surface. Meika fronça les sourcils et avança son bras. Il fut transpercé par des vibrations, la chaleur qui s'en dégageait pourrait lui causer une brûlure. Elle fit le tour du bâtiment et tenta de nouveau. Impossible. Elle n'était pas autorisée à pénétrer cette demeure, les autres esprits non plus.
L'incapacité d'accomplir ce qu'elle aimerait faire la mettait en rogne. C'était comme si deux boulets la ralentissaient constamment. L'oiseau empaillé se trouvait au coin de la pièce. Toujours ce même corbeau. Elle soupira et imagina cette bête, qui accueillait l'âme de son défunt maître.
C'était trop tiré par les cheveux, il manquerait plus qu'elle contrôle le feu... En tout cas, c'était un début de piste, au point où elle en était, chaque détail était utile. Tant qu'à la mener dans une impasse, au moins elle avait quelque chose. Cela rassurait un peu son cerveau, qui mettait des mots cette situation complètement illogique et surnaturelle.
***
Des éclats de voix la déconcentrèrent, les bruits des machines lui indiquèrent son environnement : elle était de retour à l'hôpital.
— Madame, c'est seulement autorisé pour la famille ! Puis elle vient d'avoir une grave crise. Et les heures de visites sont...
— S'il vous plaît, juste cinq minutes.
Plusieurs phrases inaudibles et un soupir d'approbation annoncèrent la venue d'un individu. Sa coupe afro fit naître en elle une profonde nostalgie. Maria se tenait dans l'entrebâillement de la porte. Sa peau mâte était marquée par des cernes violacés. Son sourire se figea quand elle aperçut son ancienne copine, emprisonnée par ces tuyaux.
— C'est un cadeau pour toi, commença-t-elle en s'avançant d'un pas. La tête des gens de la classe, quand ils ont vu que je me portais volontaire. Ne t'inquiète pas, je leur ai rien dit, même si tes amis ont grincé des dents. Ils ne pouvaient pas savoir ce qui nous reliait, ils ne nous ont jamais vues ensemble.
Meika s'approcha d'elle et imagina son parfum de vanille. Ses doigts touchèrent sa joue gelée, espérant qu'elle ait un peu d'influence sur la réalité. Plantée en plein milieu, Maria ne parvenait pas à maintenir son regard sur le corps immobile.
— Puis il y a un gars, je sais pas son nom, qui m'a demandé de te remercier. Il avait perdu ses partitions et cela lui a permis de ne pas monter dans le... bus, expliqua-t-elle rapidement, pour masquer sa peine.
Elle se tenait seulement à quelques centimètres d'elle, mais Maria n'en avait pas conscience.
— Si tu avais été plus altruiste, tu aurais tenu ce vélo, continua-t-elle en riant nerveusement.
Elle retroussa son nez, signe qu'elle était mal à l'aise. Elle était si magnifique. Se concentrer sur son visage lui permettait de ne pas voir les images de l'accident défiler dans sa tête.
— Je me dis toujours, que si nous avions encore été ensemble, tu serais en pleine forme, murmura-t-elle en serrant les contours du paquet. On jouerait Believer, moi à la batterie et toi au piano ou au violon.
Leur gorge se serra. Meika refusait qu'elle se sente coupable. Elle l'aurait quand même pris ce tas de ferraille, le fait qu'elles s'étaient séparées n'aurait rien changé du tout.
Ce qu'elle était en train de vivre, c'était bien plus qu'une expérience paranormale. Quand on était sur le point de perdre un proche, on se rendait compte que tout pouvait basculer. Des larmes glissèrent sur ses joues et elles suivirent le même chemin sur sa véritable chair.
Rory apparut dans la pièce et Meika se retint de le bombarder de questions, puisqu'elle désirait profiter un maximum de la présence de Maria. Elle lui lança tout de même un regard noir, rempli de reproches. Puis elle s'adoucit, elle avait disparu pendant un bon moment, il aurait pu accomplir l'exploit de la retrouver une deuxième fois. Elle aura ses réponses plus tard.
— Tu l'aimes ?
Surprise, elle se mit à rigoler pour masquer sa peine. La jeune asiatique ressentait encore des sentiments à son égard. Cela avait été si fort entre elles. Ce n'était pas si facile de l'oublier. Il avoua avec ses mots à lui que l'amour n'avait pas d'étiquettes, que l'amour pour l'astronomie était le même que pour son frère. C'était juste une question de priorité. La conversation évoluait tellement vite avec lui, derrière ce visage d'enfant se cachait un être très intelligent. Ses dents se dévoilèrent et il murmura :
— Elle ne peut pas te faire un bisou sur la joue, on lui a interdit, chuchota-t-il après avoir lu dans les pensées.
Maria jeta un coup d'œil vers sa montre et se mordilla la lèvre. Elle lui avoua qu'elle ne reviendrait sûrement pas. Elle ne posa pas le cadeau, pour plus d'hygiène. Maria s'arrêta, dos à la scène qui la pesait de plus en plus.
— George m'avait demandé de veiller sur toi, je n'ai pas réussi, chuchota-t-elle en s'efforçant de réprimer ses sanglots.
La tenue blanche partit et laissa Meika en proie à une incompréhension totale. « Alors c'était ça qu'il lui avait dit, la veille de sa mort ». Il avait compris que leur relation était plus qu'amicale. Elle était sur le point de la rejoindre, mais elle se tourna vers le cadet. Elle se remémorerait la scène plus tard, elle avait d'autres choses urgentes à régler.
— Pourquoi as-tu eu peur dans l'église ?
Il ne répondit pas tout de suite et se contenta de fixer le sol.
— Je savais pas où on était. Puis t'as jamais réussi à partir d'ici et...
Meika n'était pas dupe, il mentait ou du moins, ne disait pas entièrement la vérité. Si elle insistait, il risquait de se braquer un peu plus. Ses paupières se fermèrent afin de reprendre contenance, quand elles s'ouvrirent, elle vit que Rory avait changé de place, il se penchait sur son corps.
— Regarde ! s'écria-t-il en désignant sa joue. Tu as pleuré !
Elle resta stoïque un instant, puis se laissa emporter par son émerveillement.
— Tu penses que si je me blesse... se demanda-t-elle, suspicieuse. Mais quand je traverse les murs, il ne se passe rien.
Elle voyait la différence depuis la crise de ce matin : elle ne ressentait plus les piqûres. Pourtant, l'émotion avait été si prenante, que l'âme s'était reliée au corps. Elle doutait de son raisonnement. Son cœur ne s'était pas mis à battre plus vite pendant la discussion. C'était sûrement exceptionnel.
Rory s'était placé contre le mur, les genoux pliés, l'air d'être en pleine réflexion. Elle se mit en tailleur en face, dos au lit.
— Tu sens le sol ?
Il leva la tête et déplia ses jambes.
— On m'a dit que c'était mon imagination.
S'il avait froid, ses poils allaient-ils se hérisser ?
— Peux-tu influencer le monde des vivants ?
Il ne justifiera pas sa réaction dans l'église, il était passé à autre chose.
— Oui, avec les rêves, susurra-t-il avec une moue amusée. Tout le monde peut pas le faire. Moi, je peux plus, je suis trop vieux !
Cette information la coupa dans son élan. Cela changeait tout. Lorsqu'elle avait voulu se téléporter, elle avait vu le corbeau, ou du moins ses plumes. Et si c'était George qui l'avait incitée à se rendre là-bas ? Il était encore là et il l'avait guidée. Elle ne savait pas en quoi elle aurait besoin de ses conseils, mais elle n'était pas seule. Elle n'avait pas tout faux alors.
— Penses-tu qu'on pourrait me parler à travers les songes ?
Il releva la tête, intrigué.
— Tout à l'heure, j'étais comme dans un rêve, comme tu me l'as dit. Je pouvais contrôler mon environnement. Et j'ai vu cette lumière et des plumes de corbeau sont apparues. Je suis sûre que c'était George. Je t'ai déjà parlé de lui. Il a voulu que j'aille dans cette...
Il s'était levé et la surplombait.
— C'est comme moi avec les sensations, tu as imaginé.
Sa remarque fit perdre le sourire de Meika. Il avait affirmé cela avec une telle fermeté, cela ne lui ressemblait pas.
— Mais je te jure, il y avait des plumes. C'était comme le petit Poucet, tu connais ce conte ?
Son visage restait ferme, il était sûr de lui. Elle ne sut quoi dire, après tout, il en connaissait plus qu'elle sur le monde des esprits. Elle abandonna l'idée de le convaincre et se promit d'élucider ce mystère rapidement.
Cette nouvelle donnée fit émerger une idée.
— Je pourrais prévenir mes parents ! s'exclama-t-elle en imaginant la figure de ses géniteurs, rassurés de savoir leur fille avec elle.
Elle se heurta à nouveau à un mur, il ne partageait pas son enthousiaste. Puis, ses lèvres se retroussèrent, il avait retrouvé son attitude habituelle en un instant.
— Mon frère voit les fantômes, on pourrait lui parler.
— Comment s'appelle-t-il ?
Elle avait en tête un prénom bien précis. Son rythme cardiaque s'emballa.
— Nathanaël.
Chaque chose en son temps, mais ça devient compliqué si on ne connaît pas la date limite. Il ne suffit pas d'être un fantôme pour s'en rendre compte, dans la vraie vie, on ne sait pas combien de levers de soleil il nous reste.
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Je sais que le début était un peu long, mais comme vous le voyez, il était nécessaire pour poser les bases. Les derniers chapitres possèdent beaucoup d'informations, mais elles vont revenir au fil de l'histoire. Puisque j'ai déjà tout écrit (et réécrit) donc je sais exactement où l'intrigue mène.
N'oubliez pas de commenter ou simplement de mettre un vote, cela prend une seconde. Même si vous n'avez pas voté avant (je connais cette sensation : « je ne vais pas me mettre à voter au bout du dixième chapitre. »). C'est important pour voir qui me lisent.
Est-ce que Meika a raison à propos de George ? Utilise-t-il réellement le corbeau comme messager ?
Pourquoi ne peut-elle pas rentrer dans la maison de sa grand-mère ?
De quoi Rory avait-il peur ?
Arrivera-t-elle à communiquer avec Nathanaël ?
Et évidemment : quel est le cadeau que Maria et sa classe lui a offert ?
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