Chapitre 18
Je me réveillai dans l'après-midi. J'étais trempée de sueur malgré le froid qui régnait à l'extérieur en ce mois de février. Je me levai, et allai dans la salle de bain me débarbouiller le visage. Comme cela ne changeait rien à mon apparence, je décidai de prendre une douche tiède. Je restai longtemps sous le jet. Je repensai aux paroles d'Evelyn.
- Je peux y arriver. Ce n'est pas ma faute, chuchotai-je.
Je mis fin à ce moment de répit. Je me séchai, et retournai dans ma chambre pour m'habiller. J'enfilai un t-shirt rouge, une chemise en coton vert foncé, et un jean slim noir. Je me brossai les cheveux, les laissant lâchés par manque de motivation. Je rangeai un peu ma chambre, étendit ma serviette sur le séchoir, et ouvrit ma fenêtre pour aérer. Je ne me sentais plus nauséeuse, je voulais donc faire sortir les microbes de la maison. Après cela, j'allai dans la cuisine. Ma tutrice m'avait laissé une assiette dans le micro-ondes que je réchauffai. Je n'en mangeai que la moitié. Je bus beaucoup d'eau fraiche tant j'étais déshydratée. Cela me fit du bien. Je nettoyai la cuisine. En remettant les bouteilles au réfrigérateur, je vis un post-it me demandant de descendre après mon repas. J'obéis. Je toquai à la porte du bureau d'Evelyn.
- Entrez !
Je m'assis sur le siège devant elle.
- Tu as bien dormi ? demanda-t-elle.
- Oui. Tu as dit quoi au collège ?
- Que tu étais malade. Tu voulais que je leur dise quoi d'autre ? Après tout, c'est la vérité.
- C'est vrai, concédai-je.
- Comment tu te sens ? continua-t-elle.
- Bien.
- Arrête de mentir, s'il te plait. Ce n'est pas bon pour toi. Tu ne veux pas parler, okay, mais dis au moins la vérité.
- Je dormirais bien encore un peu. Je n'ai envie de rien faire d'autre. Dormir pour l'éternité est la meilleure idée que j'ai jamais eue tu ne trouves pas ? Toi qui dis que je ne dors pas assez. J'ai envie de pleurer aussi, mais je n'y arrive pas. Et je me sens bête, avouai-je.
- Pourquoi ?
- J'ai cru que tu allais m'abandonner.
- Qu'est-ce qui t'a fait croire ça ?
- J'ai l'impression que j'empêche tout le monde de vivre normalement, et surtout que je t'empêche toi de travailler. Je suis désolée. Je prends tout votre temps pour rien, expliquai-je.
- Camille, regarde-moi bien dans les yeux. Tu ne nous embête pas. Ni Joseph, ni Ethan, ni moi. Tu as le droit d'être triste, de ne pas te sentir bien. Je ne vais pas t'abandonner. Ni à cause de ça, ni pour aucune autre raison. Je suis contente que vous fassiez partie de ma vie maintenant. Au début, j'ai cru que je n'arriverai pas à m'occuper de vous trois. J'ai d'ailleurs l'impression d'avoir échoué avec Anne même si elle affirme faire des progrès avec son psychologue. Quoi qu'il en soit, maintenant je sais que je peux tenir le coup, et t'aider à faire de même. Vous êtes mes patients préférés.
- Nous ne sommes que ça pour toi ? m'inquiétai-je.
- Bien sûr que non ! Vous êtes plus que ça. Vous êtes mes petits protégés, et je ferai tout pour que vous ayez la vie que vous méritez.
- Merci.
- Je vais parler à Ethan. Je crois qu'il faudrait augmenter ta dose d'antidépresseurs, et te donner des antipsychotiques. Dormir pour l'éternité, ça s'appelle mourir Camille. Ce n'est pas la meilleure idée que tu aies eue. Je voudrais que tu n'y penses plus, s'il te plait. Je préfère mille fois que tu te mutiles de nouveau plutôt que tu fasses une tentative de suicide. Ce qui ne signifie pas que tu dois recommencer, bien évidemment.
- Bien évidemment, répétai-je.
Je remontai finalement dans ma chambre, et me recouchai sur conseil de ma tutrice. Je me rendormis quelques heures. À mon réveil, je me sentais beaucoup mieux physiquement. Moralement, c'était une autre affaire.
L'année est passée doucement. Mon état s'est aggravé. Quand Joseph s'est mis à sérieusement réviser pour le baccalauréat, j'ai pris peur. J'ai compris que mon frère allait vraiment partir, et que je serais seule dans la grande maison. J'ai alors fait ma première et unique tentative de suicide. J'ai pris une lame que je gardais dans un coin secret dans ma chambre. Après une prise abusive de somnifères, plus costauds que ceux à la mélatonine, trouvés dans l'armoire à pharmacie d'Evelyn, j'ai entaillé mon bras profondément. Le sang a beaucoup coulé sur les draps et le sol. Je me suis effondrée dans un chaos total. Je me suis sentie dériver. Je ne me souviens pas de ce qu'il s'est passé entre le moment où je suis passée à l'acte et celui où je me suis réveillée. Je pensais voir cette fameuse lumière blanche, mais je n'en gardais aucun souvenir si tel était le cas.
J'émergeai une nouvelle fois de l'inconscience dans une chambre blanche plus que familière. Cette fois personne n'était à mon chevet. Je le méritais. Je n'avais pas écouté Evelyn. Il était plus que normal qu'elle m'en veuille. Je pleurai de tristesse, et de peur. La culpabilité me détruisait, ainsi que le peu de repères que j'avais pu construire. Quand cela cesserait-il enfin ? J'étais en colère, je voulais tout arracher : mon cœur, ma tête, mes poumons. J'en avais assez. J'arrachai la sonde nasale. Cette fois personne ne put m'en empêcher. Je descendis du lit, tout en me griffant de partout. Je voulais décoller ma peau. Mon corps entier était en feu, réduit en cendres par la culpabilité et la rage. J'en étais à me tirer les cheveux en me cognant la tête au mur, assise dos à celui-ci, quand quelqu'un arriva. Elle demanda de l'aide à des collègues, et vint se mettre devant moi. Elle essaya de prendre mes poignets pour m'empêcher de continuer.
- Camille, calme-toi. Nous sommes là pour t'aider. Tu es en sécurité.
Je ne l'écoutais pas. Je ne voulais voir personne. Je voulais qu'on me laisse tranquille, qu'on m'abandonne à mon sort. C'était tout ce que je méritais. Je n'avais pas le droit d'exister. C'était fini.
J'avais du mal à respirer. Ma vision devenait de plus en plus trouble. Je lâchai mes cheveux tant mes forces me quittèrent.
Trois infirmiers débarquèrent. La première leur expliqua la situation. Ils me replacèrent sur le matelas, me remirent la sonde et me donnèrent une bouffée de ventoline. Je m'endormis.
Je me réveillai quelques heures plus tard, l'esprit complètement embrumé. La lumière du jour passait par la fenêtre à côté de moi. J'essayai de me relever, mais j'étais attachée. Je ne pouvais plus bouger. J'étais prise de panique. Soudain, elle apparut dans mon champ de vision. Elle se pencha au-dessus de moi.
- Camille, tout va bien. Je suis là. Calme-toi, s'il te plait.
- Evelyn ? Je...Je suis désolée. Pardon ! explosai-je.
- Tout va bien. Chut... Je suis là, me rassura-t-elle.
Je continuai de bredouiller des excuses minables, tout en essayant de bouger les bras.
- Camille, respire. Ça va. Je ne suis pas fâchée. Un peu triste, mais pas en colère. Tout va bien. Je ne t'abandonnerai pas.
Elle détacha mes bras, mais pas mes pieds ni mon torse. Elle se repencha au-dessus de mon visage, et le scruta de ses yeux bleu-gris. Elle vérifiait chaque détail. Une fois l'examen passé, elle souffla lentement. Comme si elle pouvait enfin se détendre. Je fis de même. Je respirai tranquillement en vérifiant son regard. J'essayai de trouver la sincérité de ses paroles.
- Tu ne me laisseras vraiment pas tomber ?
- Promis, jura-t-elle.
Je l'enlaçai maladroitement du mieux que je pus. Je m'accrochais à elle, et ce sentiment qu'elle était le bateau qui me sortirait de l'océan revint. Quand elle me relâcha, je lui demandai :
- Et maintenant, il va se passer quoi ?
- J'ai une place parmi mes patientes. Je suis désolée, mais tu ne peux pas retourner en cours sans aller mieux. Ma collègue va te prendre en charge. Si jamais il y a un quelconque problème, je t'enverrai ailleurs. Je me suis dit qu'une première tentative à la maison ne ferait pas de mal. En plus, ça te permettra de continuer avec Ethan, et de voir tes amis. Tu comprends pourquoi je ne voulais pas que tu fasses partie de l'association ? Tu penses être prête à revivre tout ça, mais c'est encore trop fragile dans ton esprit.
- Je sais, je suis désolée. Je ne voulais pas, je te le promets.
- Bien sûr que si tu le voulais. Et je ne t'en veux pas. Maintenant, il faut juste arrêter de mentir pour qu'on puisse t'aider.
- D'accord.
Je passai trois mois hospitalisée au premier étage du manoir. Je ne sortais pas de l'enceinte de la propriété. Je voyais mon frère, bien sûr, et mes amis mais je n'allais plus au lycée. Je n'étais pas non plus autorisée à sortir me promener seule. Evelyn étant débordée, je ne voyais plus beaucoup les rues de la grande ville. De toute façon, c'était bien trop dangereux. J'étais sous neuroleptiques pour me calmer. Ma dose d'antidépresseurs était au maximum, et on m'avait prescrit un antipsychotique. J'étais vaseuse, comme droguée. Je me sentais bien, mais quand j'avais un peu de lucidité, je pensais au retour à la réalité, et m'enfermais dans une bulle de confort. Je chassais les pensées effrayantes. Je ne me rappelais pas beaucoup cette période. Mes souvenirs étaient embrumés. Au bout de deux mois, je décidai finalement d'en sortir. Une petite pensée m'avait traversé l'esprit : « et Joseph ? ». Me revinrent alors en tête les paroles d'Ethan quand Anne m'avait ordonné de cesser d'exister.
« Il sait maintenant que ce n'est pas ta faute. Il en veut à tes parents. C'est eux qui se sont mis en prison tous seuls. C'est à cause d'eux qu'Anne et lui sont malheureux, et toi aussi. C'est lui qui me l'a dit. Tu pourras lui demander si tu veux. »
Puis, celle de Joseph suivirent.
« Je t'en prie, n'écoute pas Anne. N'arrête pas d'exister. Pas maintenant que je peux enfin te serrer dans mes bras, et t'aimer. J'ai besoin de toi pour ne pas perdre la tête. J'ai besoin d'une alliée dans ce combat contre eux. »
Je m'étais suffisamment reposée. Je me sentais prête à émerger. Evelyn le sentit, car elle ordonna de baisser les doses de traitements progressivement. Je me sentis comprise, aimée, entourée. Je savais que je pouvais compter sur ma tutrice et sur Ethan. Ils avaient appris à reconnaitre mes émotions quand moi-même je ne les comprenais pas toujours. Ils avaient cru en moi. Ils ne m'avaient jamais abandonnée. Grâce à eux, j'avais pu avancer, me relever après chaque chute, et me découvrir. Ces pensées positives m'entouraient pendant toute la période où j'émergeais de ma bulle. Depuis ma tentative de suicide, j'avais cette sensation de voler dans le ciel loin de tous les problèmes, et de cette culpabilité. Je redescendais sur terre petit à petit, au fur et à mesure que mes doses de traitements diminuaient.
Mon cerveau se reconnecta au monde réel peu avant mon quinzième anniversaire. Quand sa collègue la prévint que j'étais de nouveau complètement lucide, Evelyn vint me voir. Elle s'assit sur une chaise juste à côté de mon lit.
- Camille, souffla-t-elle, comment tu te sens ma belle ?
- Encore un peu vaseuse et embrumée, mais je me sens plus cohérente.
- Je suis désolée. Tu avais besoin de te reposer, mais comme tu refusais de coopérer...
- Ça m'a fait du bien, je t'assure, la rassurai-je.
- Tant mieux.
Elle chassa les mèches de cheveux collées sur mon front et ma joue. Elle traça ensuite des cercles avec son pouce sur cette dernière.
- Tu nous as fait tellement peur. Surtout à Joseph.
- Je sais, pardon. Je ne sais pas ce qui m'a pris.
- Bien sûr que si tu le sais. Je le comprends Camille. Et ton frère aussi. J'espère juste que plus rien ne t'amènera à prendre pareille décision.
- Je l'espère aussi, admis-je.
- Je peux ? demanda-t-elle en tendant les bras.
Elle me fit un câlin. C'était de plus en plus courant ces derniers temps. Avant elle n'osait pas. Je pensais que c'était parce qu'elle ne nous aimait pas autant que nous l'aimions. Je compris pourtant ce jour-là que c'était par peur que nous ne soyons pas prêts à accepter cet amour qu'elle avait à nous offrir. Bien sûr, elle l'avait déjà fait, mais Joseph et moi étions les initiateurs de cette démarche. Nous le lui demandions. Cette fois-là, c'était différent. J'avais failli mourir, pendant deux mois j'avais été complètement perdue, et voilà que je redevenais de nouveau moi-même. C'est elle qui avait besoin de cette marque d'affection. D'ailleurs, elle murmura ces petits mots qui me le confirmèrent.
- Je suis contente que tu sois en vie. Je t'aime fort.
J'étais incapable de lui répondre. Quelque chose m'empêchait de lui assurer que je l'aimais aussi. Pourtant, ce n'était pas faute d'éprouver ce sentiment envers elle. Elle ne me dit rien de plus. Elle repartit avec un petit sourire. Elle était émue, mais heureuse. C'était tout ce qui comptait à cet instant.
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