Chapitre 15
Lorsque le jour fut bien entamé, j'appelai Antoine.
- Allo ?
- Antoine, je suis désolée. Je n'aurais pas dû m'énerver. Tu as raison, il était temps que je sorte du déni. Non pas de ma souffrance, mais de ce que m'ont fait mes parents. Il était grand temps que je comprenne que je n'y suis pour rien.
- Tu ne m'en veux pas ? demanda-t-il incertain.
- Non, plus maintenant.
- Super ! Parce qu'avec Céleste et Noémie, on a eu une idée.
- Quel genre ? le questionnai-je.
- Tu es libre cette après-midi ?
- Oui, pourquoi ? insistai-je.
- Alors, j'appelle les deux cousines. On se donne rendez-vous chez toi à treize heures.
- Okay, acquiesçai-je.
Je raccrochai, et allai me préparer. Je pris une longue douche tiède pour me rafraichir. Puis j'ai nettoyé soigneusement mon visage. J'avais encore une peau toute douce, mais fragile. J'étais blanche comme la porcelaine et, par conséquent, je craignais énormément le soleil. Je me suis mis une crème hydratante sur tout le corps. Je me suis habillée d'une jupe vert clair, et d'un débardeur blanc. J'ai mis de la crème solaire sur les parties de ma peau découvertes, et je suis sortie m'installer dans l'herbe pour relire le livre écrit par mes amis.
Vers midi, Evelyn m'a appelée pour le déjeuner. Je déposai le carnet dans ma chambre. Plus tard, mes amis sonnèrent au portail. Ils étaient arrivés tous les trois, ensemble. Joseph m'accompagna au rez-de-chaussée pour les accueillir. Il était tout aussi intrigué que moi par leur idée. Noémie me sauta dans les bras, tout excitée qu'elle était. Antoine serra la main de mon frère. Céleste resta un peu en retrait. Elle et sa cousine avait un an de plus qu'Antoine et moi. Elles étaient toutes deux dans ma classe. Elles avaient six mois d'écart entre elles. Leurs pères étaient frères. Antoine les avait rencontrées à la journée portes ouvertes du collège, durant son année de CM2. Il était venu visiter les lieux. Les filles, mon frère et moi nous étions portés volontaires pour présenter l'établissement. Céleste avait de longs cheveux châtain clair, des yeux marron-vert, et était grande pour son âge. Noémie, elle, avait les cheveux noirs coupés au niveau de la nuque, des pupilles de la même couleur, et était de taille moyenne. Ça avait tout de suite accroché entre elles et Antoine. Désormais, nous passions toutes nos récréations, dans un coin secret de la cour, à jouer ensemble. Parfois, Joseph restait avec nous même si, la plupart du temps, il préférait rester avec ses amis.
- On va dans ma chambre ? proposai-je.
Nous montâmes avec l'ascenseur. Nous nous installâmes sur le grand tapis bleu avec des dessins de poissons. J'allai chercher des verres et du jus de pomme ainsi que quelques cookies préparés par Evelyn la veille. Je refermai la porte de ma chambre afin d'éviter que cette dernière ne vienne nous déranger.
- Bon. Alors, quelle est cette idée que vous avez eue ? s'empressa de demander Joseph.
- Tu crois qu'Evelyn nous suivrait sur un projet un peu farfelu ? hésita Céleste.
- Ça dépend la nature du projet, répondis-je.
- On voudrait créer une association au collège pour parler des enfants maltraités, et aider d'autres élèves à sortir du silence, expliqua-t-elle.
- Et, on vendrait des pulls et des t-shirts, et tous les bénéfices iraient à une vraie association de lutte contre la maltraitance. Evelyn doit bien en connaître, non ? ajouta Noémie.
- Qu'est-ce que vous en pensez ? J'ai déjà demandé à la CPE du collège : il nous faut juste un adulte pour soutenir le projet. La professeure d'histoire est partante pour nous aider. Mais on s'est dit qu'une psy ce serait bien aussi, insista Antoine.
- Je ne suis pas sûre qu'Evelyn ait le temps de s'occuper de ça. En revanche, j'ai peut-être une idée sur qui pourrait nous aider, dit Joseph.
- Ethan ? demandai-je.
Il acquiesça. Je pensais comme mon frère : notre pédopsychiatre serait plus apte à nous aider. Nous devions quand même en parler avec Evelyn afin qu'elle nous aide à entrer en contact avec une association de protection de l'enfance. Tout devait être prêt pour la prochaine journée portes ouvertes, dans six mois. Cela nous laissait du temps, mais nous devions faire une publicité pour les vêtements, les commander, et les recevoir à temps pour ce jour-là. Mais avant tout, il nous fallait ce partenaire qui pourrait nous aider à guider les enfants qui sortiraient du silence. Je ne savais pas si cela marcherait, mais je me devais d'essayer. C'était mon devoir de montrer à d'autres qu'eux aussi n'étaient pas coupables.
Quand Evelyn remonta enfin après sa journée de travail, nos amis étaient partis depuis une heure. Antoine avait dessiné un logo avec le numéro d'appel d'urgence. C'est ainsi que j'ai appris son existence : le 119, le téléphone de SOS Enfants battus, était une ligne que n'importe qui pouvait prévenir en cas de maltraitance infantile. J'étais sûre que peu d'enfants le connaissaient.
- Bonsoir les enfants ! Ça a été votre journée ? demanda notre tutrice en entrant dans le salon où nous regardions un dessin animé.
- Il faut qu'on parle, lui annonçai-je.
- Très bien. Maintenant ou c'est quelque chose de plus personnel ?
- Antoine, Céleste et Noémie ont eu une idée, et on la trouve géniale. Seulement, on va avoir besoin de ton aide et de celle d'Ethan, répondit mon frère.
- Je vois. Quel genre d'idée ?
Nous lui expliquâmes le projet, et son rôle dans cette histoire. Elle s'illumina aussitôt notre discours fini. Elle nous dit qu'elle était très fière de nous et des progrès que nous avions accompli. Bien évidemment, elle accepta de nous aider, et proposa de prendre contact avec une amie pour trouver un responsable d'une association. De notre côté, nous préparâmes les affiches pour l'école. Nous décidâmes également de participer au marché de Noël du collège afin de récolter encore plus de fonds pour l'association. Nous avions trouvé un site pas trop cher, qui faisait des vêtements en coton bio, et un délai de livraison pas trop élevé. C'était le site parfait. Joseph et moi avons fait l'inventaire des couleurs, et pris des captures d'écrans pour les mettre sur les affiches. Nous avions fixé un prix qui nous permettait de faire cinq euros de don pour chaque pull et chaque t-shirt. Evelyn accepta d'avancer les frais avant commande, et d'être remboursée ensuite. Tout se mettait en place en une soirée. Grâce au travail de mes amis, cela se faisait simplement.
Quand la rentrée arriva, nous correspondions avec un homme qui travaillait pour une association de protection de l'enfance implantée dans notre ville. Elle aidait les enfants et adolescents en danger. Elle les accompagnait dans les démarches pour avancer après avoir été séparés de leurs familles. Le suivi psychologique, l'aide à la réinsertion scolaire, pour trouver leurs nouveaux repères dans leurs familles d'accueil... tout ce qu'Evelyn a fait pour moi. Nous organisions des ventes de produits faits maisons avec le club recyclage du collège, afin de récolter des fonds pour cette association. Nous avons tenu des stands de gâteaux, de bol décoratif en papier maché, et de trousse éco-conçues, sans oublier la vente de nos vêtements customisés. Sur le devant des pulls et t-shirts, il y avait le nom de l'association au niveau du cœur. À l'arrière, il y avait le logo 119 dessiné par Antoine en gros. C'était notre moyen de promouvoir ce numéro de téléphone national qui pouvait sauver des vies.
Notre club eut beaucoup de succès dans notre établissement, y compris auprès des lycéens. Beaucoup de gens commandèrent des vêtements. Ils suppliaient leurs parents de leur en offrir. La journée portes ouvertes devait avoir lieu juste après les vacances de Noël. À peine quelques semaines après la rentrée. Nous avions récolté une énorme somme d'argent pour l'association. Céleste et Noémie étaient aux anges, tout comme Antoine et Joseph. Je bouillonnais de fierté. Pour célébrer notre projet couronné de succès, Evelyn nous offrit à chacun un pull et un t-shirt, même à mes amis. Pour moi, ce fût évidemment la couleur verte qui fut choisie, en taille XL pour que je me sente bien dedans, malgré la croissance. J'étais toujours aussi fine, mais j'avais pris en hauteur, tout comme mon frère. Anne aussi devait avoir bien grandi depuis la dernière fois. Elle allait bientôt avoir dix-neuf ans, elle était en deuxième année de licence de lettres modernes. Evelyn l'appelait une ou deux fois par semaine pour prendre de ses nouvelles. Je savais que Joseph avait des contacts réguliers avec elle par message. J'étais la seule qui ne lui parlait jamais. Pour elle, j'étais le vilain petit canard de la famille qui ne se transformerait jamais en cygne. Quand j'y pensais, ça me rendait triste, mais je ne me sentais plus coupable. Je n'avais pas choisi de naitre. J'avais tellement progressé, et ce n'était sûrement pas ma sœur qui allait me retirer ces efforts.
- Je ne suis pas coupable, me répétai-je chaque soir avant de dormir.
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