Un instant

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C'était un dimanche comme les autres. Enfin, comme les autres pour les autres. Mais pas pour Lucie. Il y avait une panne de réseau dans tout son petit village de campagne, et, comble du malheur, elle avait retrouvé son téléphone cassé au matin, un écran noir l'avait accueillie. Pas de notifications, pas de musique, pas de podcast. Juste un silence gênant.

Elle avait cherché quelque chose à faire pour remplir ce vide. Ranger ? Déjà fait. Lires ? Rien qui l'intéresse. Aller courir ? Trop fatigant. Alors, elle avait fini par sortir dehors, se diriger vers le parc en face de chez elle, et s'asseoir sur un banc disponible.

Au début, elle était assaillie par une anxiété sourde : pourquoi gaspillait-elle ce temps si précieux ? Les minutes s'étiraient, puis des heures. Pourtant, tout semblait sans importance. L'ennui devenait un poids, un vide qu'elle cherchait à combler, mais sans y parvenir. Le monde continuait de tourner, sans elle. Elle se demandait pourquoi elle avait tant peur de ce vide, ce moment où elle ne faisait rien. Son esprit s'agitait, lui rappelant toutes les choses qu'elle pourrait ou devrait faire. Mais peu à peu, son souffle se ralentissait. Il suffisait de regarder.

Elle commençait à remarquer des détails qu'elle n'avait jamais vus auparavant : la manière dont les feuilles bougeaient sous le vent, les fragments de conversations des passants, les jeux d'un groupe d'enfants.

Elle ressentait un apaisement étrange, un bonheur qui ne venait de rien de particulier. Elle se souvenait d'un moment d'enfance où elle s'était assise, juste comme ça, dans un champ, sans rien attendre ni vouloir.

Dehors, un voisin promenait son chien. Un enfant sur son vélo chutait, se relevait et repartait en riant. Un couple partageait un cornet de glace, maladroitement. Lucie se surprit à sourire.

Elle n'avait pas regardé l'heure depuis un moment. Elle ne savait même pas pourquoi elle souriait. Peut-être parce que, pour la première fois depuis des années, elle avait arrêté de courir après quelque chose. Elle avait juste... été. 

Ses épaules s'étaient relâchées sans qu'elle ne s'en rende compte. Elle avait croisé ses mains sur ses genoux, immobile, à l'écoute d'une symphonie qu'elle n'avait jamais pris le temps d'entendre.

Au bout d'un moment, l'ennui n'était plus un poids. C'était un espace. Un espace qu'elle pouvait remplir de réflexions, de souvenirs, ou même simplement de rien. Elle resta ainsi un moment, et, pour la première fois depuis longtemps, elle se permit de ne rien faire, sans culpabilité. Le monde extérieur pouvait bien continuer, mais elle, elle était là, dans ce moment suspendu.

Quand elle se leva pour partir, une femme qui était assise non loin d'elle l'interpella.  

- Excusez-moi... Vous faites quoi, là ? 

- Rien.

Elle hoche la tête, intriguée. 

- Rien... Ça a l'air bien.

La femme s'assit à son tour sur ce banc, laissant tomber son téléphone dans son sac, et Lucie s'éloigna, le sourire léger. 

Quand son téléphone finit par se rallumer, elle l'ignora. Ce dimanche, elle venait de découvrir que l'ennui n'était pas vide, mais plein.

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"L'ennui est une fenêtre ouverte sur l'imaginaire."
- Sylvain Tesson

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