Jour 62

Ma mère ... Ce n'est pas qu'elle ne m'a pas reconnu. Elle a ouvert la porte, ses yeux se sont posés sur moi, et elle m'a reconnu. Mais ses yeux, et tout son être étaient bloqués. Ils étaient bloqués, et quelques instants ont flotté entre nous avant qu'elle ne prononce mon nom et ne se laisse tomber contre moi.

Je l'ai serrée dans mes bras, la laissant pleurer de nombreuses minutes, puis elle a relevé la tête, et je me suis haï jusqu'au plus profond de mon être. Parce que je lui ai fait perdre son deuxième enfant, peu après le premier. Je suis parti, je l'ai abandonnée égoïstement.

Elle a touché mon visage, caressé mes joues, mes bras, et débitait un tas de choses sur les changements qu'elle n'avait pas pu observer avant. Que j'avais grandi, que j'avais une nouvelle coupe de cheveux, un nouveau style vestimentaire, une voix et une carrure d'homme. Que je suis un homme.

Puis elle a vu Ella. Ses yeux se sont embués, et elle m'a de nouveau regardé, avant de la prendre dans ses bras, la saluant, l'appelant « sa chérie », et lui offrant tout l'amour qu'elle avait à déverser. Nous sommes entrés, dans cette maison à la fois si familière et inconnue, et je me suis assis sur le canapé, qu'elle avait changé, passant de cuir à tissu, de noir à gris.

J'ai laissé mon regard traîner, observant chaque cadre exposé, chacun de mes visages, de ses visages, et de cette famille brisée que j'ai laissée derrière moi. Ma mère a servi des infusions à la cerise, avec un peu de sucre glace, cette boisson qui avait bercé notre enfance, et l'espace d'un instant, j'ai pu voir Maêva courir autour de nous, ses cheveux emmêlés et son rire résonnant dans la pièce alors que je lui rajoutais des obstacles sur sa route, une pierre, un renard, un puits de lave, des crocodiles, et qu'elle s'en sortait toujours, telle l'aventurière dont elle rêvait. Mais elle perdait toujours face à moi. Je me levais, je courais et la portais sur mon dos, l'emmenant à l'étage avant de la jeter sur mon lit et de l'étouffer de câlins et de chatouilles.

Ma chambre n'a pas été vidée, comme j'aurais pu m'y attendre. Elle était ... comme neuve. Elle m'attendait. Mon lit deux places était fait, avec de nouveaux draps, gris clair, et était posé sur le matelas ma peluche que je n'avais pas prise, pour ne pas éveiller les soupçons – je ne la prenais jamais chez Mathéo. Je me suis assis et je l'ai prise sur moi. On pourrait trouver ça ridicule de tenir autant à une peluche, et encore plus parce que je suis un homme, mais ... Maêva y tenait tant. Elle l'appelait Saphir.

Je suis resté longtemps dans ma chambre, seul, pendant que ma mère parlait avec Ella, pleurant sans doute toujours autant. Ce n'est pas elle qui est venue me chercher, néanmoins. A croire qu'elle ne voulait pas m'étouffer, pour ne pas forcer un autre départ. Je n'ai pas entendu Ella monter, pas remarqué sa présence avant qu'elle ne s'assoit à mes côtés, posant sa main sur ma cuisse, et se collant contre moi, sa tête sur mon épaule.

« Elle t'aime. Tu lui avais énormément manqué. »

J'ai relevé les yeux vers ceux d'Ella, emplis de larmes.

« Je suis désolée, s'est-elle empressée de dire. Ce n'est pas ... Je ne devrais pas pleurer, pas m'en occuper, ce n'est pas mon histoire, mais ... Je n'arrive pas à imaginer comment je ferais si Chris ...

- Je comprends. »

Ma voix était rauque, mais ça n'a pas paru la déconcerter. Je n'avais pas parlé depuis longtemps.

« Ta mère va préparer une tartiflette, a souri Ella, d'un sourire cependant triste me brisant le cœur. Elle a dit qu'on pouvait rester en haut pour le moment, que ce ne sera sans doute pas beau à voir, parce que ses émotions doivent retomber. »

J'ai hoché la tête, étant à peine conscient de ce qu'elle me disait. Je me sentais comme si je voyageais dans le temps, ramené à cette époque où chaque cellule de mon corps se vidait.

« Lucas, tu m'entends ?

- Oui.

- Luke. »

J'ai reporté mes yeux dans l'océan des siens. Mes mains ont lâché Saphir, et caressé ses joues, séchant les larmes y roulant encore. Puis mes lèvres ont scellé les siennes, qui s'ouvraient pour me parler. Il n'y avait plus qu'elle et moi, plus que nous, allongés sur ce lit, à la rencontre de deux mondes. Nous fusionnions, alors que je tenais fermement sa taille, et que ses mains semblaient vouloir être partout à la fois, passant sur mon visage, mes bras, mon torse.

Elle s'est reculée pour m'observer, le souffle court, cheveux encadrant nos visages. Je les ai repoussés, puis je l'ai ramenée à moi, parce que j'en avais besoin, et elle aussi, je le sentais. Nous avions besoin de la présence de l'autre. Alors nous nous embrassions, encore, et encore, tandis qu'elle passait au dessus de moi, et que nos baisers prenaient un goût salé.

« Luke ... »

J'ai passé mon doigt sur ses lèvres gonflées, ses joues rosies, et me suis enfoncé dans les oreillers, la laissant verrouiller la porte et revenir à moi, me disant que ma mère ne saurait rien. Elle avait raison, alors je l'ai laissée faire. Prendre le contrôle, juste un instant, avant de m'en saisir.

Et pour la deuxième fois, nous nous sommes menés dans des contrées magnifiques, où seuls nos corps entremêlés et nos souffles se percutants comptaient. Pour la deuxième fois, j'ai savouré des sensations qu'elle me donnait, et j'ai vu la beauté en personne. Elle m'a regardé aussi, nous avons laissé nos yeux s'accrocher pour ne plus se laisser repartir, nos doigts s'entrelacer et s'enfoncer dans le matelas moelleux. Elle me murmurait des choses à l'oreille, tant de choses, dans des souffles saccadés, avec une voix brisée par les sensations qui la submergeaient, et je lui répondais, déposant des baisers sur sa peau, près de son oreille.

Enfin, j'ai déverrouillé la porte et ouvert la fenêtre, puis je suis retourné m'allonger avec elle, sa tête sur mon torse, ses yeux clos dans un sommeil éveillé, caressant ses cheveux et son bras.

Et là, de tous petits mots sont sortis de sa bouche, mais ont illuminé une pièce de mon cœur longtemps assombrie.

« Luke ...

- Oui ?

- Je t'aime ...

- Je t'aime aussi, Ella. »

J'ai embrassé son front, et l'ai laissée sombrer dans un sommeil où, je l'espère, régnait la paix.

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