Sa plume se trouvait sur le parchemin encore vierge et semblait le narguer. Son encrier fermé ne cessait de lui jeter des regards. Ron, les sourcils froncés, tentait de les ignorer. Jamais il n’avait ressenti autant le besoin d’écrire. Le besoin d’écrire à quelqu’un, pour quelqu’un, pour cette personne si spéciale…

    Élève à l’école de sorcellerie Poudlard, engloutit par l’adolescence, Ron Weasley faisait face au monde grâce à une personne qu’il avait hâte de retrouver. Il avait croisé son regard l’année passée, alors que le train filait vers l’école. Il avait également tenu sa main alors que le professeur Trelawney se perdait en discours incompréhensibles. Et il l’avait embrassé, alors que la lumière tamisée des cuisines faisait refléter les petits cercles dorés dans les yeux de son petit ami. Mais avant ça, bien avant ce premier baiser et ces premiers contacts, avant encore les premières paroles et les premiers sourires, Ron avait entendu son rire. Et son estomac avait chaviré, et son corps avait frissonné, et alors il avait su sans vouloir y croire, sans vouloir y faire face, sans vouloir affronter ce qu’il ressentait, sans se rendre vraiment compte qu’il était déjà tombé. Tombé amoureux, éperdument, de ce garçon qu’il ne connaissait pas. Et aujourd’hui, un an après, il tenait son écharpe dans ses bras toutes les nuits pour s’endormir. Car Ron Weasley le savait, Allan Grint lui était devenu indispensable.

“Ron, tu viens m’aider à mettre la table !”

    L’adolescent n’attendit pas longtemps avant de se lever du lit pour sortir de la chambre qui lui avait été attribuée. Logeant au 12 Square Grimmaurd pour plus de praticité mais surtout pour plus de protections, le garçon devait faire face à ces murs décrépis et à cette légère odeur de pourriture et de poussière tous les jours. Le décor rendait son quotidien encore plus difficile et il comptait impatiemment les jours qui le séparait de la rentrée.

“Molly, Mondingus vient manger ce soir.

-Encore celui-là ? Arthur, ne te sens pas obligé de l’inviter à chaque fois que tu le croise !”

    Son père se contenta d’hausser les épaules. Ron prit les assiettes qui se trouvaient encore dans la cuisine et les disposa sur la table. Il ne parlait pas beaucoup depuis qu’ils étaient arrivés ici. Sa mère leur faisait faire le ménage du matin jusqu’au soir, ce qui lui permettait de rester dans sa bulle en attendant que la nuit tombe.

“Comment tu vas aujourd’hui, mon chéri ?”

    Sa mère s’inquiétait régulièrement de son calme constant. Même Fred et George ne réussissaient plus à l’énerver autant qu’avant. Hermione, qui venait de descendre et qui était arrivé ici quelques jours plus tôt, lui prit les assiettes des mains. N’ayant plus de distractions possibles l’empêchant de répondre à sa mère, il fit comme son père un peu plus tôt et se contenta de hausser les épaules. Elle s’approcha alors de lui, un bras autour des épaules et l’embrassa sur la joue.

“Bientôt ce ne sera plus très long, mon trésor. Tu le retrouveras vite.”

    Elle lui avait murmuré cette dernière phrase comme un secret. Il fit l’effort de lui sourire, devant reconnaître avoir le cœur quelque peu réchauffé par cet encouragement. Alors que l’été commençait, Ron s’était confié à ses parents sur sa relation avec Allan. Souhaitant avant tout les tenir au courant pour pouvoir l’inviter durant les vacances, il s’était rapidement aperçu que la tâche ne serait pas aussi simple. Ayant suffisamment retardé le moment de la confidence par divers prétextes -comme le dégnomage du jardin ou “faire du ménage dans sa chambre”- il avait fini par se confier.

    Molly et Arthur n’étaient pas les gens les plus fermés d’esprit, loin de là, mais l’annonce avait eu le mérite de les surprendre quelque peu. Ron s’était aperçu que la peur qu’il avait éprouvée durant sa quatrième année à l’annonce de sa relation avec Allan à ses amis et au reste de l’école n’était finalement pas grand-chose face à ce qu’il ressentait devant le silence de ses parents. Il avait compris pourquoi, Hermione l’ayant un peu aidé. Sa famille, et plus particulièrement ses parents, étaient les personnes les plus importantes pour lui. Et Allan avait pris une telle place qu’imaginer ne pas pouvoir concilier les deux était naturellement effrayant. C’était pour cette raison qu’il n’avait rien dit après l'avoir annoncé et que le silence avait failli s’éterniser. Il avait été terrifié à l’idée de perdre des proches. De ne pas être accepté. Et quand sa mère avait fini par le prendre dans ses bras, l’air avait de nouveau rempli ses poumons. Souhaitant le rencontrer, ses parents avaient tout naturellement accepté qu’il vienne au Terrier. Mais, évidemment, cela ne s’était finalement pas passé…

“Tu as prévu un cadeau pour Harry ?”

    Ron fit “non” de la tête.

“Moi non plus, je n’ai pas pu en acheter.”

    Un verre se brisa. Quand Harry était évoqué, Ron laissait la colère prendre le dessus. Ce verre ne faisait qu’agrandir la liste de ses prédécesseurs et Sirius, qui venait d’entrer à sa tour dans la salle à manger, répara la victime d’un coup de baguette.

“Je ne tiens pas particulièrement à cette vaisselle, mais si tu ne veux pas boire directement avec les mains, tu devrais faire attention.”

    Molly s’excusa mais Sirius souriait. L’animation mise par la famille Weasley devait sans doute lui plaire, après avoir passé tant de temps dans la solitude. Fred et George choisirent ce moment pour transplaner dans l’embrasure de la porte, souriant comme des crétins et augmentant déjà le volume sonore de la pièce. Ron n’y faisait pas attention. Il finissait de mettre la table en pensant à Dumbledore et à la colère qu’il ressentait contre le vieil homme. C’était à cause de lui qu’il ne pouvait pas donner de nouvelles à Harry, qu’il était loin de son meilleur ami et… et de Allan. Même s’il comprenait les raisons, il ne pouvait s’empêcher d’être énervé. Ron se sentait seul malgré la présence de sa famille et d’Hermione, sans compter tous ces gens qui venaient et partaient à toutes heures de la journée et de la nuit. Mais Allan n’était pas là et ça faisait mal…