**Chapitre 20 : La vie dans l'ombre**

Dix ans. Dix longues années depuis que tout a basculé. Depuis ce jour où Claire s'est effondrée devant moi, me laissant seule avec ce terrible secret, je n'ai jamais été la même. J'ai fui cette vie. J'ai fui cette histoire. Je suis partie avec Helena, nous avons effacé toutes traces de notre existence passée.

Nous sommes arrivées à Paris. Une ville que je connaissais bien, mais cette fois, elle avait un goût amer, différent. Pour nous protéger, il fallait disparaître, devenir des ombres parmi la foule. Helena, à peine âgée de quelques mois à l'époque, n'a pas compris ce qui se passait. Mais moi, je savais. Je savais qu'ils nous cherchaient.

J'ai tout changé. Je ne suis plus Émilie, la pâtissière de Paris. Je suis Amélie Dubois, une mère célibataire qui travaille de nuit pour éviter d'être trop visible le jour. Je me suis teint les cheveux, les rendant plus sombres, presque noirs, pour mieux passer inaperçue. Helena aussi. Blonde autrefois, elle est maintenant brune, tout comme moi. Nous nous fondons dans le décor.

Dix ans ont passé, et Helena a grandi, belle et vive. Elle n'a jamais su la vérité. Elle n'a jamais su que derrière ce quotidien morne et ces règles strictes se cachait une histoire d'amour, de trahisons, de complots. Pour elle, nous vivons simplement une vie discrète, loin des projecteurs. Mais, au fond, je sais qu'elle ressent quelque chose, qu'elle devine que notre vie n'est pas aussi ordinaire qu'elle le pense.

Je me souviens encore des premiers jours de notre fuite. J'avais tellement peur que quelqu'un nous retrouve. J'ai modifié toutes nos informations. Nouvelle identité, nouveaux papiers. Je devais faire en sorte que **Émilie** et **Helena** disparaissent, pour toujours. Nous ne sortons jamais après 18h, une règle stricte que je lui ai imposée dès qu'elle a commencé à poser des questions sur le monde extérieur. Il y a des endroits où je refuse d'aller, des coins de la ville que j'évite à tout prix. Je crains que quelqu'un ne reconnaisse un vieux visage dans cette femme que je suis devenue.

Notre appartement est modeste, quelque part dans le 19e arrondissement. Un coin tranquille, loin de la vie mondaine. Je travaille le soir dans une petite boulangerie, encore. Mais cette fois, je ne suis pas sous les feux des projecteurs. Je reste à l'arrière, là où personne ne me voit. Helena va à l'école, une petite école privée où je m'assure qu'elle ne se lie pas trop d'amitiés, où personne ne posera trop de questions sur son passé.

Dix ans à se cacher. Dix ans à fuir ce fantôme qui hante ma mémoire, cette vie que j'ai laissée derrière moi.

Eric. Ce nom résonne encore dans mes pensées, malgré moi. Que lui est-il arrivé ? Est-il toujours vivant ? M'a-t-il cherchée ? Je n'ai jamais eu le courage de le savoir. Je ne pouvais pas prendre ce risque. Pour Helena, pour nous deux, il fallait tout oublier.

Mais malgré tous mes efforts pour l'effacer de ma mémoire, une part de moi ne peut s'empêcher de penser à lui. **Et si... ?** Et si je n'avais pas fui ? Et si je l'avais cherché moi aussi, au lieu de disparaître ?

Helena a 10 ans maintenant, et chaque jour qui passe, elle me ressemble de plus en plus. Elle me pose des questions auxquelles je n'ai pas de réponses.

Je crains que le passé ne revienne, qu'il ne la touche elle aussi. Et je ne sais pas si je serai capable de l'affronter.

**Chapitre 21 : Les fantômes du passé**

Le matin était ordinaire, comme les autres. Je m'étais levée tôt pour préparer Helena pour l'école. La routine. Notre routine bien réglée, parfaite pour une vie sans éclats. Dix ans à me cacher, dix ans à éviter les souvenirs, dix ans à fuir tout ce qui pourrait nous ramener à cet autre monde, celui que j'avais abandonné.

Je feuilletais distraitement le journal pendant qu'Helena terminait son petit-déjeuner. C'est devenu un rituel pour moi, parcourir les nouvelles sans trop y prêter attention, comme pour me rassurer que rien de menaçant n'allait surgir. Mais ce matin-là, tout a changé.

Une simple ligne, presque anodine : **"Le prince Eric est de retour."**

Mon cœur s'est arrêté. Je me suis sentie paralysée, incapable de bouger. Eric... Revenu ? Je me suis forcée à respirer lentement, à ne pas paniquer. Ce n'était qu'une phrase, quelques mots dans un océan d'informations. Rien de plus. Il était peut-être rentré dans sa bulle royale, à des milliers de kilomètres de ma vie tranquille à Paris.

Mais alors, mes yeux se sont accrochés à un autre passage. Plus précis. Plus personnel.

**"Il chercherait une certaine Émile Donate et sa fille adoptive, Helena."**

Le nom de cette "Émile" m'a frappée comme un coup de poing. Je savais que c'était moi. Il cherchait **moi** et **ma** fille. Ce n'était pas possible. J'avais tout fait pour disparaître, pour qu'il ne nous retrouve jamais. Comment avait-il pu entendre parler de nous après tout ce temps ?

Helena, sentant que quelque chose n'allait pas, me regarda avec inquiétude. Elle a toujours eu ce sixième sens pour sentir mes moments de faiblesse. Mais je ne pouvais pas lui dire la vérité. Pas maintenant. Pas encore.

« Maman, ça va ? » demanda-t-elle doucement.

Je fis un sourire forcé, en essayant de cacher ma panique. « Oui, chérie. Tout va bien. »

Mais rien n'allait. Mon passé, que j'avais soigneusement enterré, était en train de ressurgir. Et je ne pouvais pas me permettre de le laisser détruire cette vie que nous avions construite.

Eric... Après toutes ces années, il était de retour. Et il me cherchait.

Mais le pire dans tout ça ? Je ne ressentais plus rien pour lui. Du moins, c'est ce que je croyais. Mes sentiments pour lui, autrefois si intenses, semblaient s'être éteints avec le temps. Je ne voulais plus de ce chaos dans ma vie. J'étais bien sans lui, sans son monde de princes et de drames.

Mais pouvais-je vraiment tourner la page aussi facilement ?

Je devais me débarrasser de ces pensées. Rapidement. Le mieux était de ne pas réagir. **Ne rien faire.**

C'est alors que je pris une décision que je n'aurais jamais pensé prendre : recontacter Lucas. Lucas, le seul homme qui avait vraiment compté après Eric. Il m'avait détestée après mon départ, et je le comprenais. Mais à présent, il était mon seul lien avec une vie stable. Peut-être qu'il pourrait m'aider à comprendre ce que je devais faire.

Je pris mon téléphone et, après quelques hésitations, je tapai son numéro. Mon cœur battait la chamade en attendant qu'il décroche. La sonnerie me paraissait interminable.

« Oui ? » Sa voix était froide, distante. Il ne m'avait pas pardonné, c'était évident.

« Lucas, c'est Amélie... Je... »

Il y eut un long silence avant qu'il ne réponde : « Amélie ? Après tout ce temps, tu oses m'appeler ? » Son ton était empreint d'amertume.

« Je sais que tu me détestes, Lucas, mais... il est revenu. Eric est de retour. »

Un autre silence, cette fois plus lourd. Puis, finalement, il soupira. « Je serai à Paris la semaine prochaine. Je viens avec mes filles. »

Lucas avait deux filles, je me souvenais bien d'elles. **Helena**, celle qui m'avait détestée à l'époque, et **Emily**, la petite qui m'avait toujours vue comme une mère de substitution. Elles étaient si jeunes, si innocentes alors. Maintenant, Helena avait 17 ans, et Emily en avait 15. Tant d'années avaient passé.

« D'accord, » soufflai-je. « On se voit alors. »

La conversation se termina brusquement. Je ne savais pas à quoi m'attendre, mais je devais affronter cette rencontre. Helena, ma fille adoptive, et Lucas, son ancienne famille. Tout cela semblait si confus maintenant.

Et pendant ce temps, quelque part, Eric me cherchait.

J'éteignis le téléphone et regardai Helena, occupée à ranger ses affaires d'école. Elle n'avait aucune idée du tourbillon dans lequel nous allions peut-être replonger.

Le compte à rebours avait commencé.