VII
Un peu après, une fois qu'ils furent assez remis de leurs émotions pour se lever, Millian se mit debout et aida Leni à faire de même. Leurs mains se mêlèrent, s'entre-mêlèrent, leurs doigts s'unirent, et ils ne se lâchèrent plus.
Le photographe reprit son sac et son matériel, puis ils reprirent leur chemin comme si rien de tout ça ne s'était produit.
Comme si l'amour ne s'était pas prouvé.
Comme si deux personnes ne s'étaient pas trouvées.
Mais malgré tout, c'était le cas, et ça résonnait partout en eux. Dans leurs bras, leur tête, leurs mains. Dans leurs tremblements, dans leur respiration irrégulière.
À deux, à l'unisson. Il marchaient.
Un silence s'installa alors durablement. La pluie, toujours aussi forte, remplissait le vide et tambourinait sur leurs têtes.
Chacun écoutait le bruit des pas de l'autre, comme s'ils voulaient apprendre chaque chose de leur compagnon. Quelques flaques éparses rompaient la monotonie du bruit en rajoutant du pep's, lorsque l'un d'entre les deux sautait dans l'eau. Souvent, ils s'éclaboussaient alors et laissaient échapper un rire incontrôlé.
Ils étaient bien, à deux.
Comme s'ils avaient toujours été faits pour être ensemble.
Comme si leur vie n'était déjà plus possible sans l'autre.
Comme s'ils étaient invincibles, qu'ils ne se sépareraient jamais.
Mais Millian, lui, savourait encore plus chacun de ces instants éphémères.
Mais il ne disait rien. Il se taisait.
Il regardait Leni s'arrêter, parfois, lorsqu'il voyait des oiseaux, ou même, tantôt, des lapins.
Il le regardait photographier ses sujets, fasciné par son attitude de passionné. Il faisait attention à tout, apprenait de tout.
Au bout d'un long moment, captant l'un des regards intéressés de Millian, le photographe décida de lui rendre la pareille en se tournant vers lui.
« D'ailleurs, tu m'as dit que tu écrivais. Tu écris quoi, alors ?
– Boh..., souffla le garçon en reprenant sa marche. Des histoires, mais rien d'intéressant.
– Je suis sûr que ça doit être très très bien à lire ! Quand je viendrai chez toi, tu me montreras ? »
L'écrivain se tût et ne répondit rien. Il détourna même la tête, et sentit les larmes lui venir aux yeux. Un grosse sensation de douleur, presque de manque, s'installa dans sa poitrine.
« Waouh, attends ! »
Leni se dépêcha de faire le tour de son petit copain et de se stopper devant lui. Il le prit dans ses bras avec amour, dans une longue étreinte réconfortante. Leurs habits mouillés se collaient l'un à l'autre, la pluie s'infiltrait partout. Les mains du plus âgé, plaquées contre le sweat gris, essayaient de donner du courage à Millian. Le câlin était presque rayonnant sous le ciel nuageux.
Puis le photographe recula un peu, et chercha le regard de son petit ami.
En vain. Il avait les yeux baissés, le regard fuyant.
Alors Leni, avec toute la délicatesse dont il pouvait faire preuve, glissa sa main sous le menton du plus jeune, et le releva avec douceur.
« Hé... Millian... Tu sais que tu peux tout me dire... »
Pas tout, songea l'interpellé en plongeant son regard pénétrant dans celui de son petit ami.
« Ouais, mentit-il pourtant ; je sais...
– Alors dis-moi ! Je sens que c'est pas la joie chez toi. T'as des problèmes familiaux ?
– Nan, t'inquiète.
– Si. Oh, si si si ! Dis-moi, Mill'... »
Surpris, "Mill'" continua de fixer Leni, et répondit :
« Nouveau surnom ? C'est mignon, eheh.
– Oui, mais... ne change pas de sujet ! s'exclama Leni en rigolant.
– OK, OK, reprit l'écrivain plus sérieusement. Bon, en gros... Mes parents, ça va, mais... »
Et là, il se mit à raconter, au milieu de ce petit chemin, à un adolescent qu'il ne connaissait que depuis quelques heures, tous ses problèmes. Il dévoila ce qu'il n'avait jamais dévoilé à personne. Toutes ses failles intérieures...
En fait, sa famille allait très bien. Mais lui, non. Quand il rentrait chez lui, souvent, il s'enfermait dans sa chambre, et pleurait encore et encore.
Il n'était pas sûr de savoir pourquoi il était comme ça. Pourquoi il était tout le temps triste et déprimé. Il savait que beaucoup de choses l'encombraient, mais ne savait pas les nommer. Sauf une. Une chose qui, d'ailleurs, ne l'embêterait plus jamais.
Son homosexualité.
Il n'en avait jamais été vraiment sûr... avant aujourd'hui.
Il s'était pris des moqueries.
Rien de grave.
Juste quelques réflexions par-ci par-là, quand il faisait assez confiance aux gens et qu'il "avouait".
« Non, pas "avoué" ! Le coupa Leni, qui l'écoutait attentivement. Avouer, ça veut dire qu'on a fait quelque chose de pas bien. Est-ce que c'est mal ? Non. Et quiconque te dira le contraire, je serai là pour lui faire la peau.
– Je sais, je sais. Laisse-moi continuer, s'il-te-plaît. »
Alors Milli' reprit. Il fit part de cette solitude malgré ses nombreux amis, de ces sentiments négatifs qui ne voulaient pas décamper, de toutes ces phrases qu'il se répétait à longueur de journée.
Non, contrairement à Leni, l'écrivain ne s'aimait pas. Bien au contraire. Dire qu'il se détestait, ce n'était même pas exagéré.
Alors Leni, à l'écoute, commença à le rassurer.
Il était inquiet, il tremblait, mais il voulait montrer qu'il était là pour soutenir Millian.
Il lui dit qu'il serait toujours là pour lui... Qu'il n'avait pas à s'inquiéter. Qu'il ne l'abandonnerai jamais, qu'il le jurait, et que rien au monde ne les séparerait.
Alors Millian secoua la tête.
« Pou... pourquoi tu secoues la tête ? »
L'intéressé détourna la tête et laissa enfin ses larmes couler. À grands flots envahissants.
« Millian, pourquoi tu dis ça ? Pourquoi tu dis non ? »
Ce dernier ne répondant toujours pas, et Leni à cran, des hurlements retentirent :
« Dis-moi ! Je t'en supplie ! Pourquoi tu dis que je ne serai pas là pour toi ? Mill' ! »
Ses larmes dévalant ses joues sans s'arrêter, le plus jeune prit son petit copain dans ses bras.
Il resta là, calé contre ces épaules si agréables. Il décida même de glisser ses mains sous le tissu de la chemise, pour les laisser parcourir le torse dessiné de Leni. Le contact était si agréable, si amoureux, si passionné...
Ils s'écartèrent un peu, pour rapidement revenir à la charge et s'embrasser passionnément.
La pluie les envahissait de partout, glissait sur eux, et eux, ils n'en avaient que faire.
Ce baiser était aussi bien que le précédent, aussi magique, aussi amoureux, aussi brûlant.
Même Leni finit par soulever le sweat de son ami pour sentir le contact de sa peau.
Oh bordel.
Ça faisait si longtemps qu'il attendait ça, ne serait-ce que sentir la peau de son putain de petit ami...
Il se colla à lui et ils prolongèrent leur étreinte et leur baiser longtemps encore.
Ils ne se séparaient que pour avaler de grandes goulées d'air, puis revenaient à la charge l'un vers l'autre.
Enfin, Millian secoua la tête de nouveau, alors ils s'écartèrent pour de bon et plongèrent leurs yeux dans une contemplation intense.
Si beaux...
Des profondeurs, un autre monde... des reflets inespérés, des choses magiques... des couleurs extraordinaires, des émotions intenses...
Les yeux de Millian étaient un vrai puits sans fond.
« Je suis désolé », souffla alors le citadin.
Perdu et inquiet, toujours les yeux plongés dans ceux de l'écrivain, Leni le questionna :
« Désolé de quoi ? »
Millian subit une nouvelle vague de pleurs, baissa les yeux. Il inspira un grand coup, renifla, et jeta un œil au ciel.
La pluie continuait de tomber sur eux, et les nuages menaçants, effrayants, s'accordaient parfaitement avec la scène.
Le ciel sera toujours là, tout comme moi je serai toujours là...
J'te mens pas, tu peux me faire confiance.
Un baiser...
« Je dois partir. »
La phrase de Millian résonna étrangement. On aurait dit que toutes les gouttes renvoyaient l'écho de cette phrase fatale, on aurait dit que le ciel pleurait pour eux.
Mais Leni n'eut pas le temps de réfléchir à cette phrase.
Le plus jeune faisait déjà demi-tour, mais le photographe lui cria :
« NON ! Attends ! Pourquoi tu pars comme ça, maintenant ? La journée est pas finie, je... on a encore du temps à deux, viens ! Qu'est-ce que tu allais me dire ?
– Je dois pas te le dire, fit l'écrivain sans se retourner. Tu vas comprendre demain. »
Confus et terriblement perdu, le paysan courut et se planta devant son petit ami. Là, ils s'arrêtèrent tous les deux, et il put reprendre, ballotté par ses émotions :
« Je comprends plus rien, Millian. Il se passe quoi, demain ?
– On se revoit pas, Leni. »
Ce dernier aurait juré entendre son cœur se briser. Sans savoir les retenir, et sans même être sûr de comprendre, il laissa couler ses larmes.
Le ciel l'accompagnait. De grosses gouttes tombaient de partout, inondant la scène.
Leni bégaya, puis inspira un grand coup et lâcha, la voix tremblante :
« De quoi tu parles? Pourquoi ?
– On peut plus se voir, putain, souffla Millian entre deux sanglots.
– C'est ta famille ? tenta de comprendre le campagnard. Ils veulent pas que t'aimes un garçon ?
– T'es à côté de la plaque, Leni. Je suis... désolé.
– Mais putain, désolé de quoi ! » hurla Leni, tenaillé par le désespoir.
Millian déglutit difficilement, manqua de s'étouffer dans un de ses sanglots, puis lâcha :
« Je rentre chez moi demain. On était en week-end, ma famille et moi. »
Leni en eut le souffle de nouveau coupé. Il eut l'impression d'entendre son cœur se briser une seconde fois, si seulement c'était possible.
Il n'arriva pas à prononcer le moindre mot et resta là, les yeux plongés dans ceux du Lyonnais, noyé dans ses larmes.
Alors Millian continua ses explications :
« Il n'y a jamais eu de déménagement en Bretagne. On est en week-end, Leni. Aujourd'hui c'était le dernier jour, alors j''en ai profité pour me promener seul. Et me perdre, tant qu'à faire. »
Leni s'effondra au sol et entreprit une contemplation du ciel. La pluie lui tombait en grosses gouttes sur le visage. Elle le comprenait.
Le ciel était là. Il était toujours là.
D'habitude, il aimait le ciel, mais là, il n'avait plus goût à rien.
Il n'aurait plus jamais goût à rien sans Millian.
« Heureusement que je t'ai trouvé, Leni. Enfin, que tu m'as trouvé, plutôt. Cette journée était exceptionnelle. Je ne la regretterai jamais. Je t'aime, je te le promets, c'est la vérité. »
Un silence de la part de son interlocuteur accueillit ses paroles.
La pluie continuait de tomber sur la scène, comme si même le ciel pleurait cet amour éphémère.
« Je suis désolé. »
Leni ferma ses yeux, et écouta son cœur battre la chamade.
Il inspira, essaya d'arrêter de pleurer. Puis il se leva lentement, très lentement, tout en abandonnant toutes ses affaires au sol, et se planta en face de...
« Millian... »
Il s'effondra dans ses bras, mais ne chercha pas à caler ses mains dans son dos. Il refusa même la bouche de l'adolescent qui approchait.
L'étreinte fut très courte, puis il se détacha de son...
Non...
« C'est pas possible putain. Cette journée, ça comptait pas alors ? Ces baisers, tout ça, ça comptait pas ? Pour toi c'était de la merde, j'étais juste un paysan de passage, c'est ça ? Tout ça, c'était juste destiné à me briser pour que je me retrouve à ton niveau ?
– Non, Leni. Je t'aime, je te le promets à nouveau.
– Mais bordel, pourquoi tu me l'as caché ? désespéra Leni à travers ses larmes. Pourquoi tu m'as rien dit du tout ? Je comprends pas, putain. Je comprends pas.
– Écoute, mon Leni. J'ai eu peur. Je suis déjà tellement brisé, tellement souffrant, je voulais pas que tu me rejettes à cause de ça. Je voulais pas que tu t'abstiennes de tenter l'aventure juste parce qu'il n'y aurait pas d'avenir.
– Mais putain...
– Je te jure, je l'ai eu ce coup de foudre. Je te jure, je t'aime Leni. Je te mens pas.
– Alors pourquoi y a pas d'avenir ? Pourquoi tu veux pas continuer ?
– Je peux pas, c'est pas pareil.
- Rien n'est impossible.
- Je t'aime...
– Embrasse-moi. »
Et ce baiser, ce baiser retentissant et trempé, sous la pluie, sous le vacarme assourdissant de l'orage, sous le ciel toujours présent, sonna comme un adieu pour les deux adolescents.
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