II

La matinée passa vite. Au gré des chemins que Leni prenait pour photographier tel ou telle chose, ou tout simplement au gré du hasard, il arriva bien vite loin de chez lui. Mais il n'en avait que faire. Il était bien, ici. Et il n'était pas perdu, il connaissait les environs comme sa poche.

Il devrait bientôt s'arrêter pour manger. L'orage n'allait pas tarder à arriver, la foudre à frapper, et manger sous la pluie n'était pas non plus son but numéro un.

Le ciel était lourd, mais en même temps magnifique. Un vrai régal pour les yeux.

Il continuait sa route, ses pas ralentis depuis quelques minutes. Il avait la sensation piquante de l'osier tressé contre son bras droit, et un vent, qui commençait à se faire plus fort, lui fouettait le visage. Mais c'était agréable. C'était la nature.

Le silence pesant qui l'entourait – le calme avant la tempête, comme on dit –, les champs à perte de vue, les quelques arbres dressés ici et là, les cailloux sous ses pieds, les flaques et leurs reflets, et surtout ce ciel rempli de nuages noirs ; tout était magique pour Leni. Il n'avait qu'une envie, c'était de rallonger ce moment pour l'éternité.

Mais il ne le pouvait pas. Alors il continuait à marcher.

Soudain, une goutte froide le surprit en s'écrasant dans son cou. Il fit un petit sursaut, puis leva ses yeux grands ouverts vers le ciel entièrement gris.

La pluie...

La chaleur presque étouffante, en dépit de la mi-journée, fut rapidement atténuée par la sensation presque glaçante des gouttes contre la nuque, les bras, les chevilles de Leni. Certaines même arrivaient à tomber dans sa chemise entrouverte, et se heurtaient contre son torse camouflé.

Les cheveux couleur corbeau de Leni furent rapidement trempés comme s'il avait plongé sa tête sous l'eau. Sa chemise, quant à elle, ne tarda pas à se coller contre son corps ; et son jeans, entièrement mouillé, avait presque fusionné avec ses jambes. Ses chaussures furent elles aussi rapidement trempées.

Quand il jeta à nouveau un regard vers le ciel, des milliards de petites larmes semblaient se précipiter vers le sol. Les nuages, épais, qui semblaient avoir la texture d'une chantilly parfaite, cachaient le ciel.

Les flaques grossissaient à vue d'œil ; la pluie se faisaient plus dense, plus drue.

Alors qu'il songeait à s'asseoir près du champ de pommes de terre qui l'entourait (pas très photogénique, soit-disant-passant) pour pique-niquer, il aperçut une forme à l'horizon.

En plissant les yeux, il comprit que c'était la fine silhouette d'un garçon.

Assez curieux, Leni décida de s'approcher, l'air de rien.

Au-dessus, le ciel semblait prêt à tomber sur Leni à tout instant. Il était pesant, presque effrayant.

Mais, n'y prêtant pas attention, le photographe continuait d'avancer, les yeux plissés, vers le mystérieux jeune homme.

Il était encore loin, mais chaque pas qui réduisait la distance entre lui et l'autre lui semblait d'une portance extraordinaire.

Au fur et à mesure, la forme se précisait. Maintenant, il pouvait discerner les contours élégants de l'adolescent – car, oui, il avait l'air jeune – des jambes fines, un sweat large, des cheveux, peut-être châtain, en épis.

Puis, une fois qu'il fut encore plus rapproché, un bruit parvint aux oreilles de Leni.

Un... sanglot ?

Surpris et d'autant plus inquiet, le photographe pressa le pas. Il tourna au coin d'un chemin, et parcourut les derniers mètres qui le séparaient du jeune homme en courant, ses mèches lisses se balançant sur son front – et éclaboussant toute sa tête au passage. L'orage éclata alors soudainement, dans un grondement sourd, perturbant, qui fit bondir l'autre adolescent. Puis ce dernier leva enfin ses yeux vers Leni, des yeux emplis de larmes, et la foudre frappa violemment le ciel.

Leni aussi fut instantanément frappé par la foudre.

Ce jeune homme en face de lui...

Beau comme un dieu.

Beau comme un putain de dieu.

Mais il avait ses magnifiques yeux humides, des larmes roulaient sur ses joues si parfaites, et son beau corps tremblait de toutes parts...

Alors, pris d'un élan indéfinissable, Leni se jeta dans ses bras. Il le serra tout contre lui. Son corps tremblant se calma peu à peu.

Le torse de Leni était collé à celui de l'adolescent.

Mais bordel, si seulement il n'avait pas sa chemise...

Puis ils se détachèrent doucement. Leni inclina sa tête et invita l'autre à le suivre. Il se mit à courir, ses pieds éparpillant l'eau des flaques, le bruit de ses pas presque imperceptible sous le grondement continu de l'orage.

Il jeta un œil derrière lui, et, s'apercevant que l'autre le suivait toujours, continua sa route.

La scène en était presque magique. Deux inconnus courant dans les flaques d'eau, sous un orage phénoménal...

Puis Leni s'engouffra dans le champ de blé qu'il visait. L'autre arriva derrière lui, et ils se frayèrent un chemin au milieu des plantes. Sans les protéger totalement de la pluie, elles freinaient les gouttes d'eau, et faisaient un peu barrage au bruit assourdissant. Leni fit alors demi-tour, pour regarder cet inconnu. Il avait en effet des cheveux châtain coiffés par gros épis, avec des élégantes boucles par-ci par-là. Ses yeux semblaient d'une teinte extraordinaire, une sorte de mélange entre du gris, du bleu, ou encore du vert – à moins que ce ne fut l'orage reflété. Il était un tout petit peu plus petit que Leni, mais il n'avait pas sa posture droite et fière ; au contraire, il était plutôt voûté.

Quand il s'aperçut qu'il était fixé, ce dernier leva ses yeux, toujours trempés de larmes salées, et les plongea dans ceux de Leni.

Le choc fut sidéral.

Non, Leni ne s'était pas trompé. Il avait réellement...

Il ressentait...

C'était... indescriptible.

Comme la beauté de ce dieu descendu sur terre pour on ne sait quelle raison.

Alors Leni se souvint qu'il avait entendu l'autre pleurer. Il inspira un grand coup, ferma brièvement ses paupières (afin de se donner du courage), et ouvrit sa bouche pour prononcer, timide comme il ne l'avait jamais été :

« Tu, euh... Pourquoi tu pleurais tout-à-l'heure ? Ça va ? T'as mal quelque part ? »

Puis il se gratta la nuque, détourna le regard, et attendit.

La respiration encore saccadée de son camarade résonnait sous l'orage. Mais ici, perdus au milieu du blé, ils avaient l'impression d'être isolés, éloignés du ciel et de tout le reste.

Et Leni était focalisé uniquement sur cet inconnu.

Puis une inspiration interrompit les pensées du photographe.

« Je... C'est rien. C'est juste que... En fait, je m'angoisse très vite. Puis là, je suis en... »

Il planta ses yeux dans ceux de Leni, cligna des paupières, secoua la tête et continua :

« En, en... en balade, et puis je ne sais pas comment j'ai fait, mais je ne sais pas où sont mes parents.

– Mais, t'as quel âge ? demanda timidement Leni, gêné.

– J'ai seize ans... ouais, j'ai seize ans... Mais... Bon, enfin, je les ai pas vraiment perdus. C'est pas ça... Je suis parti me promener seul, mais j'suis parti trop loin apparemment... Et comme je t'ai dit, je m'angoisse vite. »

Il marqua une pause, sourit un peu craintivement, puis reprit :

« Bon, assez parlé de moi... T'as quel âge toi ?

– J'aurai dix-sept ans dans quelques jours. Mais c'est pas important. »

Non, c'est pas important, l'écart d'âge, songea Leni.

« De quoi, s'enquit, surpris, l'autre. Ton âge ? »

Haussant les sourcils, Leni balaya la question du revers de la main. Son interlocuteur cligna à nouveau des yeux, et fit un petit signe pour inciter le paysan à continuer.

« Peu importe, reprit donc ce dernier. J't'ai même pas demandé ton nom. »

Merde, il avait faillit dire ton p'tit nom...

« Moi c'est Millian, fit son l'étranger en tendant la main.

– Et moi Leni », répondit ce dernier en lui serrant chaleureusement la poigne.

Ils s'arrêtèrent un court instant, se scrutant mutuellement sans même s'en rendre compte.

Oh putain qu'il est beau.

Et gentil.

Leni se mit à espérer, bien malgré lui, que sa chemise entrouverte laissait apercevoir son torse.

Et puis, la pluie avait collé le tissu à sa peau, alors son vêtement laissait forcément deviner un contour désirant...

Il surprit d'ailleurs le regard inquisiteur de Millian sur son corps.

Oh putain.

Un sourire un peu bête se dessina sur le doux visage de Leni. Il n'osait pas bouger, de peur de vaincre l'instant féérique.

Mais c'est Millian qui le brisa, en s'exclamant :

« Oh mon dieu, mais ton appareil ! Il va être détruit par la pluie ! »

Leni fit résonner un rire qu'il espérait doux et envoûtant.

« Non, ne t'inquiète pas. C'est du haut de gamme, tropicalisé.

– Ah », fit le jeune homme, un peu perdu.

Puis ils se turent tous deux et attendirent un peu, silencieux, comme apeurés par leur proximité.

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