Rencontres (2/2)

Franz savait que sa nouvelle vie risquait de mettre un frein à son divertissement préféré. Professionnel, il s'interdisait tout rapprochement avec ses élèves de sexe féminin. De toute façon, leur attrait s'amenuisait à mesure que leur talent se développait, comme si le violon marquait une sorte de barrière.

Il constatait sans étonnement que sa classe attirait le plus grand nombre d'aspirants. Au moins, il pouvait se permettre de ne garder que les meilleurs. Quant aux autres femmes qui papillonnant autour de lui, il n'aspirait qu'à les séduire, les embobiner et les humilier, car indignes de lui. Tant pis si elles le considéraient comme un objet d'admiration. Lui, il les regardait comme des racoleuses.

Comme Shahn s'attendait, la mésentente entre son protégé et Oskar Koller, le chef d'orchestre, fut telle que ce dernier annonça rapidement son départ. Leur association était impossible : tandis que l'un gardait ses préjugés à l'encontre de ce violoniste qu'il jugeait insupportable, l'autre répondait par une totale indifférence.

Bien que Franz se fût interdit de chasser au sein même de l'orchestre, il avait décidé de profiter des départs consécutifs à la démission du chef d'orchestre et de s'adonner à ses petits jeux.

Pour remplacer Oscar Koller, Shahn ne regrettait pas d'avoir impliqué son protégé dans la recherche de la perle rare.

Albert Carring et Franz Schligg formaient une excellente équipe. Le virtuose l'avait sélectionné en raison de toutes les caractéristiques qu'ils avaient en commun : leur jeunesse, leur sensibilité, et surtout, leur déracinement. L'un, loin de son pays, l'autre, à force de parcourir le monde, avait perdu toute attache. Franz l'avait élu comme un enfant choisit un copain de jeu, mais certainement pas pour l'inclure à ses jeux à lui.

Un beau jour, leur entente parfaite fut mise à l'épreuve par l'arrivée d'une jeune flûtiste. Cheveux roux, le teint pâle et des yeux verts en amande, sa présence avait envoûté les deux musiciens. Elle s'appelait Teresa.

Lors de son audition pour rejoindre l'orchestre, ni Albert ni Franz ne l'avaient réellement écoutée, fascinés par sa splendeur. Bien qu'habitué à ce que des femmes ravissantes se prosternent à ses pieds, Franz fut bouleversé par sa beauté fragile. Pour elle, il se sentait capable de composer la plus belle des sonates.

— Ton avis ? demanda le violoniste lorsqu'elle fut partie.

— Je viens de tomber amoureux, avait murmuré Albert, rêveur, comme pour lui-même.

Franz était resté silencieux, mais n'en pensait pas moins : « Tu n'es pas le seul ! ». Il aurait voulu le mettre en garde, exiger qu'il ne s'en approche pas. De toute façon, ce serait inutile. L'Anglais n'avait aucune chance face à lui.

 ⁂

Les mois passèrent. Ni l'un ni l'autre n'avait tenté la moindre approche vers Teresa. Albert s'était abstenu, par souci de professionnalisme, selon ses dires. Franz avait interprété cela comme un abandon. Normal, comment pouvait-il prétendre le rivaliser. Charismatique, grand et athlétique, regard bleu acier qui se détachait de son visage finement sculpté, le violoniste n'ignorait rien de ses atouts. Au contraire, il savait en jouer.

Néanmoins, malgré l'admiration qu'il vouait à Teresa, Franz avait préféré poursuivre ses petits jeux avec d'autres. Il s'amusait à attirer dans ses filets des filles sans aucun talent particulier, sans personnalité à ses yeux. Des ressources jetables, comme il disait. Tour à tour, chacune d'entre elles avait quitté le Conservatoire sans susciter le moindre regret. Après tout, elles avaient décidé de partir de leur propre chef.

Shahn n'avait jamais fait de reproches à son protégé, même si Albert lui avait rapporté un ou deux propos qui se disaient sur le violoniste dans les couloirs. Alors, Franz avait préféré changer de terrain de chasse, soucieux de sa réputation. Il ne tenait pas à passer d'un pur fantasme à une sorte de Jack l'Éventreur qui expulsait, à sa façon, des femmes du Conservatoire. Alors, il opta pour les soirées mondaines auxquelles Shahn l'invitait sans cesse, gorgées de proies faciles.

Au fur et à mesure qu'il s'adonnait à son divertissement, il s'éloignait de Teresa. Conscient de l'image négative qu'il renvoyait, il en éprouvait même un sentiment de honte vis-à-vis d'elle. Il se persuadait qu'il ne méritait pas cet ange inclassable, inaccessible, presque féerique. Teresa. Il l'avait placée comme une vierge sur un piédestal tellement haut qu'il ne pouvait que l'admirer béatement.

De son côté, Albert s'était consolé avec une autre rousse aux bras avenants : Liesl, une violoncelliste.

Cette relation avait inspiré une idée à Franz, qui commençait à s'ennuyer par la routine et pensait à corser ses petits jeux. Pourquoi ne pas traquer au sein de l'orchestre à nouveau ? D'ailleurs, il avait déjà repéré la proie parfaite, une petite brune aux yeux noisette, timide, mignonne. Lili. Elle représentait un défi intéressant, car elle était toujours accompagnée par Liesl, la chérie d'Albert.

Son plan ? Il profiterait un soir d'une fin tardive des répétitions. Et dès que sa cible serait seule, disponible, il ne resterait plus qu'à la charmer et la mettre à ses pieds.

Il imaginait déjà quelle serait sa réaction. Le raconterait-elle à son amie ou se sentirait-elle tellement idiote qu'elle n'en dirait rien ? Et si elle parlait, Liesl le raconterait-elle à son tour à Albert ? Comment réagirait-il ?

Oserait-il braver leur amitié ? Affronterait-il le protégé du Directeur ?

Rien que d'y penser, il se délectait par avance, amusé par l'éventuel chaos que cela pourrait produire.

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