Petits jeux (1/2)
Lili se trouvait seule dans la salle dédiée au dépôt des instruments. Maniaque, elle nettoyait méticuleusement son violoncelle. Après avoir vérifié les cordes et passé de la colophane sur la mèche de l'archet, elle le plaça en douceur dans sa boîte. Lorsqu'elle s'apprêtait à le poser aligné à côté de ses pairs, elle remarqua une petite tache de résine sur son étui. Elle souffla dessus et frotta, pour faire partir la poussière, mais son geste entraîna accidentellement la chute des autres instruments, qui tombèrent comme des dominos. Elle réprima un juron et se pencha pour les ramasser à la hâte.
— Fais attention, ils ne t'ont rien fait !
Lili sursauta et sa surprise lui fit lâcher les instruments qu'elle venait de ramasser. Elle se retourna pour découvrir celui qui l'observait depuis le seuil de la porte. « Est-ce bien Franz Schligg ? » se demanda-t-elle, étonnée. Elle ne percevait qu'une silhouette dissimulée par le clignotement sporadique du néon au plafond. Le violoniste lui avait parlé d'un ton si cordial qu'elle eut du mal à reconnaître sa voix. Pourtant, c'était bien lui. Elle put le confirmer lorsqu'il s'approcha d'elle pour l'aider à ranger les instruments. Son cœur s'affola dès qu'elle huma son parfum frais aux notes de bois de santal. Il sentait si bon !
Avec son étui de violon, Franz tapota légèrement l'ampoule pour qu'elle cesse de clignoter. Quand la lumière se stabilisa, la jeune femme cilla, stupéfaite. C'était bien lui, tout sourire. Et pour la première fois il s'adressait à elle avec des mots gentils, au lieu des directives générales assénées sur un ton sec et hautain.
Comme tant d'autres, Lili n'était pas insensible à son charme. Secrètement, elle le vénérait et le fantasmait. Alors, se retrouver seule avec ce dieu mettait tous ses sens en émoi. Pourtant, sa petite voix intérieure la sommait de se méfier de cet homme.
— Tu as prévu quelque chose, ce soir ? lui demanda-t-il avec un sourire discret, la fixant. Puis-je t'offrir un verre ?
Non. Elle n'était pas assez naïve pour tomber dans ce piège. Pourquoi elle ? Pourquoi maintenant ? Mais elle ne pouvait pas échapper à son regard bleu acier. À la fois curieuse et flattée, elle se laissa tenter. Elle savait à qui elle avait affaire et resterait sur ses gardes.
Elle accepta son invitation et ils se retrouvèrent à Grinzing, dans un bar intime, contrastant avec les joviales heurigen typiques du quartier. Sur une petite scène, trois musiciens animaient la salle avec du jazz manouche. Animée par les alcools ingérés, Lili parlait de sa vie, de ses aspirations, sans imaginer que Franz prêtait une oreille plus attentive à la musique.
Franz savait faire parler les filles. Il lui suffisait d'acquiescer, de lancer une ou deux questions ouvertes afin de donner l'impression qu'il s'y intéressait comme s'il buvait leurs paroles. Un moyen simple d'amadouer sa cible pour mieux la détruire.
Sa proie dégageait une fragilité, une sensibilité qui faisaient d'elle la victime parfaite. Pourtant, pendant un bref instant, Franz trouva cette fille simple et délicieusement ordinaire plutôt sympathique. S'il avait eu un scrupule, il fut vite balayé par l'obsession de son jeu.
Il n'oubliait pas qu'il s'était fixé un objectif à atteindre.
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