Chapitre II

Salisbury, 1er octobre 2006

Au volant de ma voiture, j'étais crispée. Non pas parce que Tom m'avait énervée, mais bien parce que j'étais absolument stressée, par rapport aux éléments qui allaient s'ensuivre. Et ceux qui me connaissaient bien savaient que je pouvais rapidement devenir exécrable.

A vrai dire, je n'étais pas énervée du tout, en fait. Juste complètement paniquée. Et j'avais du mal à faire la part des choses.

Putain Kerrie, calme-toi ! T'en a déjà vu d'autre ! me sermonnais-je en enfonçant pratiquement mes ongles dans le volant, laissant une trace sur le caoutchouc.

Pour me calmer, je décidais d'insérer un CD dans le lecteur mais je me mis à chantonner les paroles, d'une manière bien trop forcée à mon goût. Le lecteur se décida à passer Chasing Cars. Et au lieu de me détendre, cela me fit déprimer encore plus. C'était l'une de mes chansons préférées, mais là, elle laissait simplement ressortir toute la pression que j'avais accumulée ces dernières heures.

Mais merde, pourquoi Tom n'était-il pas à mes côtés à cet instant...

Pourtant, je ne pouvais pas changer de bande-son ; j'étais trop captivée par les mots poignants de Snow Patrol, comme si cela me faisait du bien de me sentir triste et de tout laisser s'écouler.
Alors, je me contentais de fixer la route en espérant ne pas la voir s'embuer lentement. Manquait plus que je n'arrive pas en un seul morceau à notre point de rendez-vous. Déjà que les yeux secs avaient l'air de poser problème, alors si j'arrivais en bouillie sanguinolente, ce serait tout simplement repoussant.

Kerrie, concentre-toi, à la fin !

Je manquais de rater la sortie de l'autoroute. Je me souvenais que lorsque Tom et moi étions arrivés en Angleterre, nous avions eu du mal à nous adapter au volant et à la conduite à gauche. Une fois, nous avions même roulé à contresens pendant plusieurs minutes, avant de nous en rendre compte... et de recevoir un copieux flot d'insultes de la part d'anglais pressés et très peu gentleman. Insultes miraculeusement entrecoupés par l'insonorisation de nos vitres et la vitesse de nos véhicules respectifs.
Heureusement, j'avais pu passer mon permis en Angleterre et j'avais fini par m'y habituer. Tom, lui, avait un peu plus de mal et préférait monopoliser les taxis.

J'étais chanceuse ce matin, la route était plutôt vide ; la population de Salisbury n'était pas des plus matinales, il fallait bien le croire. Moi non plus habituellement. Qu'est-ce qu'il ne fallait pas que je fasse pour des petits français rabougri qui ne se souviendraient même pas de mon nom durant le séjour...

J'étais prête à parier qu'il y en avait des plus élégantes, effrontées, resplendissantes que moi. Il fallait dire que je n'étais – toujours pas des plus pimpantes et que je restais tout de même assez fade. Comparée à des filles comme Tess notamment. Certains détails restaient fidèles à eux-mêmes.

Je lâchais un soupir en pensant à cette partie de ma vie. Non. Il ne fallait pas que je retombe dans cette nostalgie malsaine. C'était du passé. Tout était fini. Je n'avais réussi qu'à sauver le positif dans cette histoire ! Pourquoi continuer de penser aux facteurs destructeurs alors que j'avais eu ce que je voulais ?

Pourquoi y penser seulement quand je commençais à paniquer, d'ailleurs ? Ça ne m'avait pourtant pas gêné depuis belle lurette.

Je me garais immédiatement sur le bas-côté, presqu'à l'entrée de la capitale. Je devais impérativement appeler Tom, je commençais à suffoquer et je ne pouvais pas attendre.

Tom, réponds, réponds, réponds... suppliais-je à chaque bip. Putain réponds !

Il décrocha au bout de la quatrième sonnerie. Il aimait bien me faire languir. Je savais que son téléphone n'était jamais bien loin de lui.

-« Allô ? On a quelque chose à se faire pardonner ?

- Je ne vais pas y arriver ! Je ne vais pas réussir je...

- Oula alors déjà tu vas respirer calmement par le nez, et tu vas m'expliquer calmement ce qui t'arrive !

- J'ai peur ! » gémissais-je avant d'obtempérer.

J'entendis Tom rire de manière rassurante en entendant mes soupirs nasaux. Je ne pus m'empêcher de sourire en écoutant le son de sa voix. Il suffisait qu'il parle pour que je me sente aussitôt rassurée. Il n'avait rien dit de spécial ; limite il se fichait de moi et de mes manies. Mais ça m'apaisait. Ça dédramatisait la situation.

Il m'apaisait toujours. Personne d'autre n'arrivait à le faire automatiquement.

Une fois que j'eus repris une respiration normale, je répondis, placide :

-« Bon... je n'aurais pas dû faire ce que j'ai fait. C'était déplacé. Tu sais que je ne le pense pas.

- Oui je le sais, mais c'était très drôle à voir !

- De toute façon, tu ne me prends jamais au sérieux !

- Hum, pas faux. Mais tu n'es jamais très crédible non plus, tu sais.

- Tu veux que je te donne une véritable raison de bouder, cette fois ?

- Je ne boude jamais, contrairement à toi.

- Il y a toujours un début à tout ! Peut-être que comme ça, tu arrêteras de me sous-estimer. »

Soupir à l'autre bout de la ligne.

-« Arrête de croire que je te sous-estime, Kerrie, c'est toi qui te mets ça en tête toute seule et qui cherche un coupable.

- Peu importe... Je ne veux pas me disputer avec toi. Pas aujourd'hui.

- Ni jamais, ce serait bien, accessoirement.

- Mais que serait notre vie sans tes remarques cyniques et mes accès de colère enfantins qui causent nos disputes ?

- Tes accès de colère ridicules, si je puis me permettre ! Autant, mon cynisme est génial, autant ta manie de t'énerver parce que ta chemise immonde est au sale... ça t'arrangeait bien la vie quand même.

- Tom, si tu continues, je vais raccrocher et demander le divorce !

- Tu vois, tes petites crises de colère stupides, ricana-t-il.

- Ou alors tu sais très bien que tu ne peux pas vivre sans moi... !

- Penses-tu. Bon, je dois y aller, Meryl fais une crise. Il tient bien de sa mère, en tout cas.

- Tom... Je sais que tu mens... »

Il ne répondit pas immédiatement. Je savais même à l'autre bout du combiné, que sa fierté en prenait un coup. Dommage pour lui, mon instinct maternel et mon audition ne se trompaient jamais.

-« Oh très bien ! Je suis désolé d'avoir dit que tu étais vieille, coincée et colérique. Tu es contente d'avoir entendu tous ces mensonges ?

- Très satisfaite ! » confirmais-je avec un grand sourire.

Qu'il ne pouvait malheureusement pas voir. Mais le grommellement qu'il lâcha à travers le combiné, traduisait sa frustration face à mon engouement. Ou le fait qu'il me connaisse suffisamment pour imaginer ma tête dans la voiture.

-« Tu m'énerves, Kerrie.

- C'est pour ça que tu m'as épousée, je suppose.

- C'est bien pour ça que je t'aime. »

C'est à ce moment que je dus précipitamment raccrocher, voyant un officier de police non loin de moi. Tom ne dus pas comprendre, mais il ne s'énerverait pas ; ce genre de choses, c'était plutôt mon domaine.

Ce que je ne savais pas, en revanche, c'est que j'avais mal raccroché.

-« Bonjour mademoiselle, vous n'avez pas le droit de stationner ici, vous le savez ?

- Oh, euh....bonjour ! Non je... je m'en vais, excusez-moi !

- Vos papiers, je vous prie. » exigea machinalement le policier

Je lui tendis mes papiers la main tremblante, jetant un coup d'œil paniqué à l'heure affichée sur le cadran de la voiture. Si je continuais à perdre autant de temps, j'allais vraiment finir par être en retard.

-« Est-ce que je vais aller en prison ? demandais-je nerveusement. Parce que je dois retrouver une classe de français dans une dizaine de minutes et je n'ai pas envie d'être en...

- C'est bon madame, vos papiers sont en ordre. Malheureusement, je crains que nous ne devions emmener votre véhicule à la fourrière. »

Je lâchais un juron entre mes lèvres, mais pas assez fort pour que le commissaire m'entende, fort heureusement. Puis, contrainte et forcée, je descendis du véhicule, une boule dans la gorge. Le commissaire me regardait faire, sans la moindre compassion. Il était blasé de sa patrouille matinale et insensible à mes lamentations précédentes sur le temps qui passait.

-« Madame, il vous faut rester là si vous souhaitez payer la caution de votre voiture. »

Je déglutissais en tentant de me redresser au maximum, pour ne pas laisser mon désarroi apparaître. J'avais finalement réussi à finir en retard, alors que j'étais partie en avance. Surtout que ces policiers n'avaient pas l'air commode et n'avaient pas tenu compte de l'urgence de ma situation.

C'était donc partie pour une autre longue journée. Comme je l'eu crains.

* * *

Londres, 1er octobre 2006

[Dans ce paragraphe, Pablo est le narrateur]

-« Bon, on attend quoi ? » s'énerva Romane en face de moi.

Ma sœur s'était assise sur un siège en travers et laissait pendre ses jambes par-dessus les accoudoirs, l'épaule collée à celle d'Edwige, son amie débile. A mes côtés, Lucy contemplait ses bottines en comptant les secondes qui s'écoulaient, l'air ignare. Elle semblait vouloir échapper à l'atmosphère étouffante qui se dégageait de ma relation officieusement fraternelle. Elle ne voulait pas faire de choix, même si son intérêt envers moi était toujours incompréhensible.

Ce qui ne l'était pas en revanche, c'était sa décision.

-« Je ne sais pas, ronchonna Edwige. Les profs ne sont pas organisés, Roro, ce n'est pas nouveau.

- Oui, je sais bien ! Mais quand même, pour un voyage, ils auraient pu prévoir un peu plus. On ne peut pas être lâché dans la nature aussi précocement !

- Ah parce que toi, t'aimes les règles, maintenant ? » ricanais-je

Je la vis lever les yeux au ciel, agacée. Mais pour une fois, elle ne répondit pas à ma pique. Ce fut presque frustrant.

-« Arrêtez un peu ! s'imposa Lucy avant de désigner les profs du doigts. Eux aussi semblent attendre quelque chose.

- Si on se rapprochait un peu pour aller vérifier ce qu'ils disent ? Ils ont l'air contrarié. » proposa Edwige

Romane opina avec un sourire ravi, avant d'empoigner le poignet d'Edwige et de se rapprocher avec la discrétion d'un flamant rose. J'échangeais un regard ébahi avec Lucy avant de les suivre, imitée par mon amie.

Nous finissions par nous accouder contre un mur, discrets, entre tous les autres élèves de notre promotion, assis en tailleurs et bavassant joyeusement dans leurs groupes d'amis respectifs. Certains étaient allés s'acheter à manger dans la chaîne de magasin alimentaire Mark and Spencer de l'aéroport, juste à côté de là où nous étions assis. Le smoothie aux fruits rouges et le sandwich au poulet de la jeune fille au sac en jean, assise avec son groupe plus loin contre la paroi, me fit me rappeler que je n'avais pas mangé depuis hier soir. Et ça se ressentait.

-« Eh, arrête de mater, on est en mission. » me rabroua Edwige

Ce terme lui arracha un rire avant qu'elle ne reprenne un visage sérieux pour écouter attentivement ma réponse.

-« Tu mates souvent des sandwiches au poulet ? râlai-je

- Ta gueule Pablo, on n'entend rien avec ta voix de crécelle ! » s'exclama Romane

Et c'était elle qui me disait ça alors qu'elle piaillait dans l'avion il y a encore une heure...

Je me tus néanmoins, soudainement concentré sur les paroles de mes titulaires.

-« Bon, qu'est-ce qu'elle fabrique la tutrice ? Elle devait nous envoyer un message pour qu'on se rejoigne au car ! Si elle n'arrive pas dans les minutes suivantes, nous serons obligé d'annuler la sortie que nous avions prévus aujourd'hui, faute de temps !

- Je n'ai rien reçu,soupira l'autre avant de vérifier une énième fois.

- Décidément ces anglais, je pensais qu'ils étaient maîtres dans l'art d'être ponctuels ! Essayez encore de joindre miss Questz, je vous prie ! »

Edwige et Romane échangèrent un regard plein d'incompréhension.

-« Elle ne répond toujours pas... » conclut la deuxième professeur en soupirant

Après cette tirade, nous nous tournions tous les quatre les uns vers les autres pour débattre sur ce que nous venions d'entendre.

-« Vous y comprenez quelque chose, vous ? interrogea ma sœur.

- Bah, ce n'est pas compliqué à comprendre, y a Quetch qui doit s'occuper de nous et qui est pas là, lâcha Edwige comme si c'était évident.

- C'est Questz espèce d'abrutie, apprends à écouter ! m'emportai-je

- Un problème, les enfants ? » demanda soudainement une prof en regardant Romane d'un air incrédule.

Ma sœur se mit soudainement à bégayer, comme une voleuse prise la main dans le sac, lorsqu'elle aperçut la prof venir à sa rencontre. Il fallait dire que nos hurlements n'étaient pas passés inaperçus.
Sa crédibilité était rarement mise à l'épreuve, mais là, je devais avouer que c'était un grand moment que je n'oublierai jamais ! Surtout que pour une fois, ce n'était pas elle qui avait crié.

-« Je... où sont les toilettes ? Petit problème...féminin... » balbutia-t-elle, cramoisie

Edwige et Lucy éclatèrent de rire, tandis que je levais les yeux au ciel, un sourire aux lèvres. La prof, quant à elle, la dévisageait, toujours aussi intriguée devant sa panique soudaine qui ne lui ressemblait pas. Décidément, l'espionnage, ce n'était pas pour elle !

-« Hum, à gauche, à côté du snack. » finit par marmonner la prof, soudainement indifférente, avant de jeter un coup d'œil à son cellulaire.

Romane ne se fit pas prier deux fois ; elle sprinta aux toilettes, sous les rires épurés de ses deux amies. Quant-à moi, je décidais d'être honnête et de dire à la prof le vrai fond du souci. Après tout, qu'avait-on à cacher ? Cela concernait notre séjour et notre emploi du temps, tout de même !

-« Madame, qu'est-ce qu'on attend, au juste ? » demandais-je avant de me faire foudroyer du regard par Edwige

Mais la prof ne s'aperçut en aucun cas de la mascarade. Comme d'habitude.

-« On attend la tutrice du projet de votre voyage. Celle qui va vous encadrer durant les deux prochaines semaines. Mais elle ne répond pas au téléphone. On devait se donner rendez-vous au car, il y a déjà une demi-heure.

- C'est un problème, lâcha Edwige. Bon, du coup en attendant, on va aller chercher un truc à bouffer. Vous venez les gars ? »

Je savais très bien que cette demande ne s'adressait évidemment pas à moi, mais aux deux-trois mecs en chien qui étaient toujours aux affûts, derrière la jeune brune aux yeux perçants. Ceux-ci approuvèrent, nous laissant finalement en plan, Lucy et moi. Quant-à Romane, j'espérais qu'elle avait coincé le loquet de la porte de sa cabine de WC.

Ils s'en allèrent en me poussant de l'épaule, ce qui fit tomber mon sac de mes mains. Je l'avais enlevé car il me sciait l'épaule et voilà le résultat. Heureusement qu'il n'y avait rien de fragile dedans.

-« Et tu te laisses faire ? » s'insurgea Lucy comme à chaque fois

Je ne répondis pas à mon amie et me baissais pour ramasser mon sac, me promettant de le tenir plus fermement. Ses réprimandes face à mon inertie devenaient tout aussi routinières que les brimades de mes camarades. A force, j'avais réussi à passer au-dessus de ça, également.

-« Eh, tu réponds ? Pour une fois... » soupira-t-elle en se laissant tomber le long de la colonne derrière laquelle nous étions cachés, accablée

Elle me fit vraiment de la peine pour une fois. Je voyais qu'elle en avait marre parce qu'elle était vraiment investie, et je ne faisais vraiment pas d'efforts. Et j'étais bien placé pour savoir que lorsque l'on donnait toute notre âme, tout notre être à quelqu'un qui en était presque indifférent, cela pouvait vraiment s'avérer destructeur au niveau de la confiance en soi. Et tout le monde savait que sous ses airs de petite princesse appréciée de tous dans la classe, Lucy cachait un cœur sensible et naïf. Qui semblait ressortir particulièrement avec moi.

Je m'affaissais alors à côté d'elle en la toisant, d'un air que je voulais bienveillant. Mais je voyais qu'elle essayait d'éviter mon regard.

-« Ça sert à rien, soufflais-je avec un sourire contrit. C'est gentil.

- Je passe mes journées à essayer de te comprendre, de te déchiffrer... Mais en réalité, je ne me suis jamais sentie aussi ridicule qu'avec toi. Tu me fais ressentir des sensations que je n'avais jamais connues auparavant. »

Je fronçais les sourcils, soudainement alarmé par son affirmation.

-« T'as vraiment jamais connu le ridicule ? Eh bien ! » l'interrogeais-je en haussant un sourcil.

Chanceuse.

Elle me sourit faiblement. Et je me surpris à lui rendre son sourire, ce qui sembla me provoquer une crampe aux fossettes, tant cela semblait indécent à mon niveau.

-« Disons que je ne veux pas que les gens me détestent...

- Ils te détesteront toujours quoi que tu fasses, tu sais. Ce n'est pas très cool. Mais c'est comme ça.

- Pourquoi ? Ils n'ont pas l'air de me haïr.

- Disons qu'ils ne te détestent pas à vue d'œil. Mais qu'ils parlent sur toi. Sur tes actes. Sur tout ce que tu fais, ce que tu ressens, ce que tu vis, à quoi tu ressembles. Sur tout. Ce sont des rapaces qui se nourrissent de moqueries pour mieux t'éliminer, pour plus s'engraisser, pour prendre toute la place, tandis que toi, pauvre moineau maigre, tu ne puisses plus voler parce que tu seras trop faible, parce que les moqueries constantes te toucheront pour que tu finisses par en mourir. Chaque pas que tu fais c'est un pas qui te rapproche de la mort, parce que c'est un pas qui leur donne l'occasion de se moquer. De toucher ton amour propre. De voir tes faiblesses. »

Elle me regardait, ébahie. Il fallait dire que ma vision de la vie plutôt nihiliste ne laissait personne de marbre. Surtout pas ma chère sœur. J'étais donc un peu vu comme l'élève dark de la classe.

Mais Lucy avait les yeux humides. Son hypersensibilité ressortait toujours pour tout et n'importe quoi, surtout lorsque je lui répondais autre chose que des onomatopées. Finalement, avec mon indifférence, j'essayais un peu de la préserver, quelque part.

Elle s'essuya les yeux d'un revers de manche, avant de me répondre d'une voix nacrée :

-« Oh... Je ne voyais pas du tout les choses comme ça.

- Mais entre moineaux, on se serre les coudes. Hein ? Allez, viens, on va s'acheter un truc, je meurs de faim. » concluais-je, ne voulant pas plus débattre avec elle

Je me levais instantanément, et je vis que Lucy me toisait, l'air serein. Son visage humide esquissa une petite moue qu'elle essayait de rendre convaincante. Je savais que ma remarque lui avait fait de la peine, mais après tout, il fallait qu'elle sache la vérité. Il était toujours difficile de s'échapper de ses illusions, mais au final, la réalité avait un côté bien moins addictif pour nos pauvres esprits de rêveurs.

Elle me tendit sa main pour que je l'aide à se lever. Je finis par l'agripper d'une bonne poigne et ni une ni deux, elle fut debout sur ses gambettes, après avoir effectué un petit saut.

-« Alors, tu as une idée de ce que tu veux prendre ? interrogeais-je en arpentant la salle, les ongles de Lucy plantés dans ma main.

- Hum, réfléchit-elle en se tapotant le menton avec son index après avoir lâché ma main. Un paquet de chips et une boisson ?

- Pas très original, commentais-je en m'approchant du stand. L'Angleterre est un super pays du chocolat, avec la Suisse, tu sais ? »

Je me saisis d'une barre en chocolat Cadbury qui contenait des bonbons en lançant à Lucy :

-« Ça, par exemple, ça a l'air mieux que tes vieilles chips. »

Je la vis saliver devant la confiserie encore emballée que je lui tendais, sous mon air satisfait. Nous nous dépêchions donc d'en acheter une tablette chacun avec nos livres personnelles et de sortir en trombe du magasin, pressé de goûter à nos friandises.

La jeune femme approcha docilement le morceau de chocolat craquant à ses lèvres et en croqua fermement une bouchée. Mais lorsqu'elle se rendit compte que le chocolat fondait dans la bouche, son visage s'illumina de plaisir.

-« C'est vraiment excellent ! Ça pétille, rigola-t-elle. Tu as raison, c'est mieux que les chips !

- Tu vois ! Ton vieux ronchon de Pablo n'a pas que des idées noires. »

Elle acquiesça tout sourire avant de reprendre une bouchée de la barre. Jusqu'à ce qu'un professeur vienne à notre rencontre. J'avais également acheté un soda, que j'avais à la main et que je m'apprêtais à ouvrir, tandis que Lucy s'était désintéressée de son chocolat pour observer le prof, la bouche pleine, comme un hamster : sauf que ce n'était pas ses yeux qui pétillaient mais sa bouche. Elle faisait un bruit de mousse qui s'estompe dans une baignoire remplie d'eau.

-« Les enfants, on a enfin eu l'intervenante en charge de votre classe. Elle s'excuse, sa voiture s'est faite embarquée à la fourrière, mais elle a trouvé quelqu'un pour l'aider à accélérer le retrait et elle sera là dans dix minutes. Le temps qu'on se rende au bus. Donc pliez vos affaires et finissez vite votre goûter, on y va !

- Notre goûter, commenta pensivement Lucy. Tu en prends souvent des goûters à huit heures du matin ?

- Lucy, on doit y aller !

- Oh tiens, voilà Romane qui revient ! Un peu plus et elle restait enfermée aux toilettes ! » gloussa-t-elle

Oui, on en aurait presque oublié sa présence, ironisai-je dans ma tête.

Romane nous ignora en fendant la foule pour s'accrocher au bras d'Edwige et des deux garçons pendus à son cou. Évidemment, elle n'avait pas choisi les plus laids. Et encore moins les plus intelligents.

-« J'ai fini, tu viens ? Tu veux que je prenne ton Coca vu que tu ne l'as pas encore ouvert ? » demanda Lucy en désignant son sac à dos bariolé du doigt.

Alors que j'étais trop occupé à fixer ma sœur, je finis par remuer la tête et répondis à Lucy par la négative. Puis, nous finissions par suivre le petit troupeau dans un dédale de couloirs toujours plus grands et imposants, à chaque pas effectués, jusqu'à arriver près du bus, ainsi que d'une jeune femme qui se tenait juste devant la soute.

L'intervenante se tenait droite, les joues et les paupières rougies par le froid et la honte, les cheveux en bataille, son corps chancelant sur des talons un peu trop hauts pour elle. Non pas qu'ils ne la mettaient pas en valeur, mais on avait l'impression qu'elle n'arrivait pas à bien marcher avec ou qu'elle n'était pas habituée.

Elle avait l'air maladroite, mal à l'aise, timide. Ça la rendait intrigante.

Je détaillais son visage, les yeux plissés, puis ses vêtements, plus spécifiquement, ainsi que sa gestuelle, la manière qu'elle avait de serrer son sac à main en y plantant les ongles tandis que de l'autre elle se grattait nerveusement la tempe ou bien triturait son pull de manière fruste.
Mais je regardais plus en détail son corps, également. Et je m'aperçus que le relief de son ventre prouvait qu'elle avait accouché récemment.

On dirait que le petit moineau avait un nid douillet...

-« Eh, Pablo, tu m'écoutes ? » s'écria Lucy.

Je me tournais vers mon amie qui s'égosillait à plein poumons pour attirer mon attention. La discrétion de Lucy était légendaire, à tel point que tout le monde nous avait jeté un coup d'œil. Ainsi que l'intervenante.

-« Oui, je regardais notre intervenante. Pour voir avec qui on passera deux semaines. » chuchotais-je d'une voix traînante, tandis que les autres se désintéressaient de nous et avançaient rapidement vers le bus

Lucy, nullement inquiétée des regards, fronça les sourcils puis haussa les épaules, se contentant de ma remarque, tandis que je ralentissais le pas pour être au fond du rang.

-« Elle a l'air un peu coincée, quand même. Pas désagréable, mais pas de quoi en faire une fixette.

- Mouais, elle a l'air cool. »

Très cool, pensais-je en esquissant un sourire.

Lucy soupira, puis haussa les épaules face à l'hypnose dont je semblais être victime.

-« Si tu le dis... Bon, rapprochons-nous pour essayer d'enrichir nos capacités linguistiques ! »

J'imitais alors mon amie en détaillant cette intervenante du regard, non sans un train de retard.

Toujours un peu plus intensément. Je n'arrivais même pas à ôter mon regard.

Son corps, son visage m'attiraient comme un aimant. Et plus je la regardais, plus l'envie d'en savoir plus sur sa vie m'intriguait. Elle avait un visage poupon qui avait l'air de camoufler beaucoup de secrets et de rancune.

-« Bon, on doit y aller, me lâcha Romane en me gratifiant d'un coup de coude. Tout le monde s'en va, sombre merde.

- S'en va où ? »

Ma sœur lâcha un long et profond soupir avant d'indiquer le car et la soute de l'index, résignée.

-« Elle vient juste de le dire, t'écoute rien en fait.

- Ah... Elle a parlé ? Je n'ai rien entendu.

- T'es vraiment un cas ! » me rabroua-t-elle avec un énième soupir avant de s'avancer et de me doubler.

Je décidais de la suivre, remarquant que Lucy était déjà partie à l'avant du bus poser sa valise, et me fit signe qu'elle me gardait une place à l'intérieur, pendant que je posais la mienne. Je m'avançais alors vers les côtés et commençais à empoigner le grand sac pour l'empiler par-dessus un autre. Je m'époussetais les mains, satisfait. Et lorsque je me retournais pour rejoindre Lucy, l'intervenante était seulement à deux mètres de moi. Et elle me regardait, avec un petit sourire timide.

-« Bonjour... » balbutiais-je en français, avant de m'asseoir très vite à côté de mon amie hispanique.

J'étais monté en quatrième vitesse, sans même attendre une réponse de sa part. Puis, je me rendis compte qu'en plus de cela, j'avais parlé dans ma langue natale au lieu de déclamer un hello propre et poli, un peu comme elle.

Après tout, elle avait eu le même comportement doux et averti avec chaque élève qu'elle avait croisé. Pourquoi cela aurait-il été différent avec moi ?

-« Tu penses définitivement beaucoup trop. » conclut Lucy avec un sourire, la tête posée sur le rebord de la vitre sale, lorsqu'elle me vit arriver avec les joues cramoisies

L'intervenante monta la dernière dans le bus fraîchement animé, après avoir aidé le chauffeur à verrouiller le bus et à bien ranger toutes les valises dans la soute. Les portes se refermèrent derrière elle, gracieusement. A présent, elle semblait un peu plus sûre d'elle, comme si elle avait eu besoin d'un temps d'adaptation.

Elle s'empara du micro, et le lotit sous ses lèvres, puis commença à parler.

-« Votre attention s'il vous plaît ? »

Mais les élèves étaient légèrement dissipés et sa voix ne portait pas assez au fond du bus. Dont vers Edwige qui ricanait en faisant voler ses cheveux ébène. Ainsi que vers Romane qui riait pour se faire remarquer lorsqu'un de ses amis lui faisait une blague de beauf.

-« Vous là-bas, hum... au pull vert...

- Edwige ! S'il te plaît. » intervint la prof, amicalement.

L'intervenante pâlit légèrement. Mais ne se démonta pas pour autant et continua sur le même ton, toujours plaisant. Edwige finit par se retourner et toiser l'intervenante d'un air dédaigneux, en mâchant son chewing-gum comme une vache, ce qui concordait parfaitement avec son grand pull vert sapin. Et sa mentalité.

-« Bon, tant pis, je me lance. Donc bienvenue en Angleterre, je m'appelle Kerrie Questz, mais vous pouvez m'appeler Kerrie. Je serai votre intervenante durant votre séjour ici et je vous accompagnerai durant vos sorties pédagogiques qui retrace le thème de l'histoire de l'Angleterre, si j'ai bien compris ?

- En effet, acquiesça une des professeurs.

- Très bien ! Donc je serai présente et je ferai office de guide. Si vous avez des questions n'hésitez pas, évidemment. Même par rapport à la langue, je sais que vous n'êtes pas tous bilingue... De plus, j'ai un accent américain, vu que je suis née aux Etats-Unis et que je vivais encore là-bas incessamment sous-peu. Peut-être vous sera-t-il plus facile de me comprendre, par rapport à l'accent anglais qui est plus rapide et plus haché.

Elle sembla hésiter quelques secondes pour la suite des événements, puisque ses joues rougissaient. Mais elle finit par sortir d'une voix un peu plus timide et toujours plus douce :

-« Je voulais également m'excuser de mon retard, j'ai eu quelques soucis techniques avec la fourrière. Je tenais à m'excuser personnellement. Je ne sais même pas si vous comprenez ce que je dis, mais voilà, vraiment navrée ! Sur ce, nous allons vous conduire à vos familles, qui vivent à Salisbury, une petite ville à quelques heures de la capitale. Nous vous donnerons les directives suivantes, une fois arrivés là-bas. 

J'esquissais un sourire que Lucy me rendit. J'avais tout compris ce que disais Kerrie, à deux ou trois mots près. Elle avait vraiment un très bel accent.

-« Trop cool ! J'ai hâte de voir ma famille d'accueil. J'espère qu'ils cuisinent bien !

- Je te rappelle qu'on est en Angleterre... Le seul truc pas fameux, c'est la bouffe !

- Je sais bien. Justement. J'aimerais bien ne pas crever d'une intoxication alimentaire dans les deux semaines qui viennent. » soupira-t-elle

Nous rîmes de bon cœur, jusqu'à ce que Kerrie finisse par s'asseoir à l'avant du bus, avec les professeurs. Vu l'entrain avec lequel ils parlaient, je me doutais bien que l'incident devait être clos depuis un moment. Et que tout semblait être rentré dans l'ordre.

Bizarrement, j'étais content pour elle. Ainsi que de ma présence ici. Cela faisait longtemps que je ne m'étais pas senti à ma place quelque part. Et je sentais vraiment que ce voyage allait enfin me réserver de bonne surprise, faisant tourner ma chance.

Je ne savais pas pourquoi je ressentais toutes ces émotions mais j'avais réellement ce pressentiment au fond de moi. Et je ne me trompais que rarement, dans ces cas-là. Surtout lorsqu'il était question de mon propre bonheur.

-« L'Angleterre commence définitivement à me plaire. » glissais-je avec un léger sourire.

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