ㅤ🎐 LES LANTERNES DE PAPIER
ONE SHOT écrit dans le cadre du concours de Aliicia_sch
RÉSUMÉ :
En « adoptant » un chat sur le chemin, Inari ne s'était jamais attendue à tomber sur Giyū.
En demandant à Inari ce qu'elle faisait là, Giyū ne pensait pas se faire emporter dans la célébration des morts de son village d'enfance.
Mais les choses étaient ainsi faites et ils ne pouvaient voir une autre possibilité. Car ils étaient les seuls à comprendre leur peine, à savoir jusqu'où avait pu aller leur désespoir. Et ils étaient les seuls à pouvoir, à la fin, trouver du réconfort auprès de l'autre.
ante-manga ; spoil mort de personnages secondaires (giyū backstory)
Les doigts glissant sur le dos d'un chat qui se roulait en boule sur ses cuisses, Inari écoutait le vent siffler dans les arbres.
Ce qui aurait dû être une simple pause déjeuner s'était transformée en véritable arrêt, mais elle ne s'en plaignait pas. Elle profitait de l'animal qui ronronnait sur ses cuisses, attrapait parfois une mèche de cheveux, trait d'encre qui venait lui chatouiller le nez.
Pourrait-elle l'emmener avec elle ? Où appartenait-il à une famille, s'était uniquement promené un petit peu trop loin ?
Oh, elle aurait aimé le garder ! Il était adorable, avec son pelage sombre, ses petits gazouillements. Et qu'importe que les deux corbeaux derrière elle croassent de désapprobation, un animal de plus n'était pas grand-chose.
Comment laisser derrière elle une telle créature ? Il était bien trop confortable près d'elle, elle ne pouvait le laisser derrière et-
« Inari ? Que fais-tu ici ? Ce n'est pas ta zone de patrouille. »
La jeune n'eut pas besoin de lever la tête pour savoir qui venait de s'exprimer. Malgré tout, elle se redressa quand même, regarda Giyū.
« Je sais. Je ne suis ici qu'en coup de vent.
— Pourquoi ?
— C'est l'O bon. »
Elle l'avait dit comme une évidence et le jeune homme comprit aussitôt. Il hocha simplement sa tête, regarda finalement le chat qui jouait avec l'haori de la noiraude.
« Il va te le déchirer.
— C'est du solide, ne t'en fais pas. »
Elle enleva tout de même l'animal, attira son attention avec ses cheveux.
« Pourquoi fêter l'O bon ici ?
— Le village où j'ai grandi est un petit peu plus au sud, j'y serais très certainement ce soir. J'aurais pu y arriver avant, mais j'ai été embrigadée dans une mission de dernière minute, j'étais proche d'un démon.
— Tu aurais pu le faire au quartier général, non ? Il y a un temple, là-bas.
— Sûrement, oui... Mais ma sœur m'attend au village. »
Elle n'espérait pas que Giyū comprenne sa volonté. Après tout, sa logique n'était pas mauvaise et faire un tel chemin alors qu'elle était pilier, se devait de répondre à des obligations bien plus importantes, était irresponsable.
Mais Inari, aujourd'hui, s'en moquait bien de cette irresponsabilité.
« Tu veux m'accompagner ? »
Un instant, il la regarda sans rien dire. Sa proposition ne sortait pas de nulle part ; ils savaient tous les deux pourquoi elle la formulait, pourquoi elle l'invitait à la suivre.
Les rares fois où Inari avait vu Giyū honorer les morts, c'était bien parce qu'elle l'y avait contraint en l'emmenant avec elle au temple. Lorsqu'il y était, il s'appliquait et priait toujours plus longtemps qu'elle mais ce qui était compliqué, c'était de le convaincre d'y aller.
Finalement, il relâcha ses épaules, tendit sa main vers la jeune femme.
« Je dois aller vers le sud, on se quittera lorsque tu arriveras à ton village. »
Sa peau était chaude, légèrement rugueuse. Comme la sienne, il fallait le dire. Giyū aida Inari à se relever, manqua de sursauter en voyant le chat d'abord s'accrocher à l'uniforme de la pourfendeuse avant de grimper jusqu'à son épaule en vitesse.
« Il m'a adoptée, je crois.
— Si tu lui as donné tes boules de riz, c'est sûr qu'il veut rester avec toi. »
Malgré tout, il tendit sa main pour caresser l'animal, souffla du nez en voyant qu'il y arrivait.
« Tu restes pour le chat, c'est ça ?
— Non. »
Sa voix avait été un murmure, lent et léger. Du bout des doigts, il continuait à caresser la tête du chat, le regardait prendre ses aises sur l'épaule d'Inari.
« Allez, partons maintenant, sinon nous arriverons au milieu de la nuit. »
Et il valait mieux éviter ça, n'est-ce pas ?
La pilier fut la première à reprendre la route. Giyū la rejoignit rapidement, se cala sur son rythme sans difficulté. Dans son dos, elle entendit les deux corbeaux s'envoler, rôder au-dessus de leurs têtes.
Malgré le soleil écrasant, les deux pourfendeurs marchaient sur la route sans ombre, écoutaient l'après-midi prendre place. Les cigales étouffaient le bruit de leurs pas, leur rappelait que c'était l'été. Que, dans une autre vie, ils seraient en train de se baigner dans une rivière, joueraient avec leur famille.
Inari aurait aimé avoir le droit à cette autre vie, plutôt que marcher vers la tombe d'Uzume.
Quatre ans n'avaient pas suffi à apaiser l'orage dans son cœur, et elle peinait à croire qu'il disparaitrait un jour. Est-ce qu'elle le voulait, au moins ? C'était ça, aussi, qui lui donnait sa hargne ; sans cette colère, elle s'effondrerait, elle le savait. Que reste t-il d'elle, seule, si ce n'est son chagrin ?
« Je ne savais pas que tu avais grandi dans la région.
— Si. Je suis née bien plus au nord, près de la mer, mais j'ai été élevée ici. Dans d'autres circonstances, j'aurais pu te faire visiter. Tu adorerais, j'en suis certaine. »
Giyū hocha simplement sa tête. C'était plutôt rare qu'Inari veuille bien parler de son enfance, il l'écoutait alors sans rechigner.
« J'aurais bien aimé emmener Junko avec moi mais Shinobu a tenu à la garder avec elle.
— Pourquoi ?
— Pour l'entraîner avec sa propre apprentie. Elles vont participer à la sélection finale, l'année prochaine, il faut qu'elles soient prêtes. »
Elle n'avait pas hâte d'arriver à ce jour. La pourfendeuse avait beau savoir que son élève était capable de survivre à cette épreuve, elle ne voulait malgré tout pas l'imaginer la subir. Pire, elle ne pouvait pas envisager de la perdre, elle aussi.
« Elle sera prête, ne t'en fais pas.
— Merci, Giyū. »
Le chemin passait désormais par un bois. Le brin de fraîcheur et d'ombres perlées qu'il apportait fut grandement apprécié par les deux pourfendeurs ; le soleil commençait à les brûler. À force de travailler sous la nuit, ils avaient perdu l'habitude du jour, de la chaleur qu'il emmenait avec lui.
Finalement, le reste du trajet se fit dans le silence. Inari guidait la marche, se retrouvait dans la forêt qu'elle avait déjà traversée plusieurs fois, tandis que Giyū observait les alentours, jouait avec le chat qui avait fini par sauter sur sa propre épaule. Lui aussi avait confiance en la qualité de son habit. Ou bien envers le félin qui s'était glissé dans leur vie, comme une lueur au milieu de leurs missions.
L'après-midi arrivait vers la fin lorsqu'ils virent au loin les toits d'un village. À l'horizon, une rivière se dessinait et, si on plissait bien les yeux, on pouvait apercevoir l'ombre d'un temple près d'une nouvelle sylve.
La pourfendeuse pointa du doigt les maisons avec un sourire.
« C'est là-bas. Ils doivent être en train de préparer les lanternes pour le festival. Viens, on va arriver en retard si on ne se dépêche pas.
— Inari, attends, on avait dit que-
— Tu repartiras plus tard ! Arrête-toi pour manger un bout, j'ai plusieurs fois entendu ton ventre gronder. »
Comment dire non au grand sourire qu'elle lui offrait ? Giyū s'avoua malgré lui vaincu, suivit Inari vers le village.
Lorsqu'ils arrivèrent près des premières façades, le jeune homme fut surpris de voir les glycines pendantes près des murs et dans les rues. Ce n'était pas une fleur qui poussait forcément dans le coin, ou pas aussi abondamment.
« De nombreux pourfendeurs ont vécu ici. La culture de la glycine s'est faite plutôt « naturellement », même si la grande majorité des villageois n'ont pas conscience de l'existence des démons. Ils considèrent cette plante plus comme un « porte-bonheur » qu'une véritable protection. »
Inari avait naturellement expliqué la chose, comme si elle avait lu dans les pensées de son camarade. Ou peut-être que sa perplexité était palpable et qu'elle avait un bon instinct, au choix.
Dans la rue principale, on installait les lumières en papier près des portes de maison et des stands de nourriture. Plus loin, en direction de la rivière, on entendait le bruit de tambours, une musique que l'on répétait rigoureusement.
« Viens, ma maison est par là, plus loin. »
Tout en parlant, la jeune femme avait attrapé la main de Giyū, le guidait dans les rues animées. Il se laissa faire, regretta finalement lorsqu'ils arrivèrent devant une petite maison. Il n'avait absolument pas prévu d'être emporté de la sorte dans les aventures d'Inari et doutait de plus en plus qu'elle le laisserait partir après ça.
Pourtant, il la suivit à l'intérieur, enleva ses chaussures en même temps qu'elle.
La demeure était plutôt simple, lui rappelait même comment sa camarade avait décoré son propre domaine au quartier général.
« Luciole, c'est toi ? »
Un homme venait d'apparaître. Malgré le temps qui était passé, Giyū reconnut l'ancien pilier des fées, baissa aussitôt sa tête en le voyant. Mince, il ne s'était pas attendu à le rencontrer de la sorte.
« Je te demande pardon, je n'ai pu venir que maintenant.
— Je ne m'attendais pas à ce que tu viennes, je dois te l'avouer. Tu as amené un ami ?
— Nous nous sommes croisés sur le chemin, le village est dans sa zone de patrouille.
— Oh, oui, je me souviens. L'élève d'Urokodaki, c'est ça ?
— Oui. »
Hanabusa parlait toujours d'une voix lente et grave. Malgré son bras en moins et la large cicatrice qui barrait tout son visage, Giyū savait pertinemment qu'il ne ferait pas le poids face à lui, avait besoin de nombreuses années encore d'entraînement avant d'être à son niveau.
« Et pourquoi as-tu un chat sur ton épaule ?
— C'est le mien !
— Tu as un chat ? Depuis quand ?
— Ce midi. »
Tout en parlant, Inari avait récupéré l'animal, le tendit à son ancien mentor, qui mima une moue presque dégoutée.
« Tu n'as pas déjà assez à faire, avec tes deux corbeaux ?
— Je n'ai jamais assez de boulot. »
Face au grand sourire de la jeune femme, l'homme soupira.
« Toi et ta vieille habitude de récupérer les animaux errants... On verra bien s'il te suivra encore ce soir. Va te changer, d'ailleurs, tu ne vas pas participer aux festivités dans cette tenue, tu feras peur à tout le monde. »
Avant de partir, Inari se tourna vers Giyū, pencha sa tête sur le côté. Oh, il put clairement lire dans ses yeux gris sa demande silencieuse, et refuser cette proposition lui brûlait la gorge. Seulement, ce soir et demain, on honorait les morts et elle faisait toujours tout pour qu'il n'y échappe pas.
Dans un soupir, il finit par murmurer un « d'accord ».
S'il avait su que croiser sa camarade sur le chemin l'aurait emmené à cet instant, il ne l'aurait pas cru.
Mais Giyū, aussi associable voulait-il être, n'arrivait jamais à se défaire du soleil en face d'elle. Et peut-être qu'il aurait préféré continuer sa route ; seulement, il n'avait pu s'empêcher d'aller vers Inari. Elle avait été magnétique, l'avait attiré dans son champ d'attraction sans aucun effort, seulement avec un sourire.
Alors, maintenant, il devait suivre Hanabusa dans la petite maison, le laisser lui prêter un yukata. Il était légèrement grand pour lui mais l'ancien pilier avait pris le temps de correctement l'ajuster. Malgré son seul bras, ses gestes restaient fermes, il ne tremblait pas.
Même s'il n'avait pas eu vent de ses capacités d'épéiste, cette dextérité aurait été une preuve incontestable du statut du maître.
L'habit était d'excellent facture ; il était bleu nuit, présentait des brodures plus claires au niveau du col et des manches.
« Ma luciole a vraiment cet événement à cœur. Qu'elle souhaite que tu restes parmi nous ne démontre que son attachement pour toi.
— Elle sait surtout que je les évite.
— Je le vois bien. Mais nous nous devons d'honorer nos morts. Sinon, comment reposeront-ils en paix ? »
Comment répondre à une telle question ?
« Il n'empêche que tu n'as pas réfuté ma première déclaration.
— Je...
— Tu ne me dois rien, je ne fais que t'embêter, rassure-toi. Tout ce que je souhaite, c'est que vous puissiez vous soutenir. Et elle m'a suffisamment parlé de toi pour que je sache que tu le feras. »
Aussi terrifiant soit-il, Hanabusa avait visiblement une tendresse cachée. Giyū était resté silencieux après sa déclaration, ne savait pas vraiment quoi dire ou faire désormais.
Chez les pourfendeurs, Inari était bien la seule qui lui parlait constamment. Elle venait toujours vers lui, quoi qu'il arrive, et il avait fait bien plus de missions avec elle qu'avec n'importe qui. Est-ce que, si elle était le soleil, elle le voyait comme sa lune ? S'approchait-elle de lui pour les mêmes raisons ?
Toujours pas convaincu par la suite des événements, le noiraud avait malgré tout retrouvé sa camarade dans ce qu'il reconnaissait comme la pièce à vivre de la maison. Face à un miroir, elle peinait à peigner ses cheveux, tournait et retournait sa tête pour voir et appréhender toutes les mèches récalcitrantes, les lignes de jais ressemblant à des tourbillons.
Elle s'arrêta en entendant Giyū et Hanabusa arriver, leur offrit un sourire radieux.
« Je vais aller voir dehors comment les choses se passent. J'ai promis à la voisine de l'aider avec son stand, il ne faut pas que je traîne. On se retrouve à la rivière tout à l'heure, d'accord ? »
L'homme avait laissé les deux dans la maison. Soudainement mal à l'aise, Inari, elle, s'était retournée vers son miroir, évitait le regard de Giyū.
Elle qui s'était imaginée complimenter sa tenue, lui offrir un grand sourire en le remerciant d'être présent, elle se retrouvait soudainement bien muette. Tant pis, ça la forçait à se concentrer sur son coiffage difficile. Seulement, peu importe les injures et les coups de peigne, elle n'arrivait pas à s'en sortir et-
« Attends. »
Doucement, le jeune homme avait pris l'objet dans ses mains, entreprit de terminer ce qu'Inari avait commencé. Avec précaution, il défit les nœuds, œuvra avec un soin qu'elle ne lui connaissait pas.
« Tu veux quelque chose en particulier ?
— Une tresse...
— D'accord. »
Elle n'aimait pas s'attacher les cheveux aussi « strictement ». Face aux démons, elle se dégageait au moins le visage, et encore, mais sinon... Il n'y avait que durant les cérémonies qu'elle mettait un tel soin dans sa chevelure, faisait tout pour qu'elle soit propre.
« C'est Mitsuri qui t'a appris à faire des tresses ?
— Non. C'est Tsutako. Ma sœur me disait tout le temps que je les faisais mieux qu'elle... Je ne sais pas si c'était vrai, mais c'étaient toujours de bons moments passés à ses côtés.
— Je trouve que tu t'en sors très bien. Mieux que moi, en tout cas. »
À travers le miroir, ils s'échangèrent un sourire. Certes, celui de Giyū était plutôt léger mais l'éclat radieux d'Inari le compensait bien, n'est-ce pas ? Le soleil éclairait la lune, elle lui renvoyait sa propre lumière.
« Merci d'avoir accepté de rester.
— Je ne me voyais pas te le refuser. »
Face aux yeux suppliants de la jeune femme, il avait été plus que faible et il en était certain, elle le savait.
Le bruit soudain d'un miaulement les surprit. Les doigts toujours dans les cheveux d'Inari, Giyū regarda le chat qui les avait suivis venir, se rouler près de la jeune femme. Il s'était posé sur le tissu de son yukata, la regardait avec de grands yeux brillants.
« Il faudrait lui trouver à manger, à ce pauvre trésor. À l'un des stands, je trouverai bien quelque chose pour lui, tu ne penses pas ?
— Sûrement, oui. Attention, ne bouge pas trop ta tête, je ne veux pas te tirer les cheveux. »
Giyū termina la natte au bout de quelques minutes. Il avait glissé dans dans quelques brins les bijoux argentés que la jeune femme portait toujours dans ses mèches, vérifia ensuite que tout tenait bien en place. L'assortiment luisait parmi les cheveux sombres.
« Merci beaucoup.
— Avec plaisir. »
Même si elle n'avait pu bouger sa tête, Inari avait tout de même tendu sa main vers le chat, le caressait sous le menton. Il avait rapidement ronronné, s'était fait une place plus que confortable sur le yukata clair. Du bout de la patte, il touchait une des cigognes brodées sur le bas du vêtement, était étonnement précautionneux.
« Il faudrait qu'on y aille. Je ne vais pas participer aux danses du village mais j'aimerais bien les voir, au moins.
— Pourquoi ?
— J'ai fini par oublier comment danser, avec le temps. Je sais que les pas sont simples et qu'en suivant les autres, je finirai par me retrouver mais...
— Ça ne sera pas comme tu le souhaites.
— Oui. »
Elle l'avait dit avec une déception palpable.
« Allez, il faut rejoindre Hanabusa, il doit nous attendre. Tu peux attraper le chat, s'il te plaît ? »
Heureusement, l'animal se laissa faire lorsque Giyū le prit. Assez vite, il voulut quitter ses bras mais, au moins, il n'était plus sur les cigognes brodées de la jeune femme.
Comme à leur arrivée, le pourfendeur suivit Inari dans le village. Le son du wadaiko était bien plus fort qu'à leur arrivée et le monde était présent dans la rue. Les stands étaient désormais ouverts et de la nourriture était présentée, prête à être achetée et consommée.
Ce n'étaient que quelques stands, rien de comparable à une immense ville, mais le jeune homme observait malgré tout l'organisation avec stupeur.
« Tu veux quelque chose ? Je te l'offre. Pour me faire pardonner de t'avoir embarqué ce soir.
— Tu n'as rien à te faire pardonner.
— Donc tu ne veux rien manger ?
— Je n'ai pas dit ça. »
Finalement, Inari lui acheta des brochettes. Elle en avait pris pour elle-même, les grignotait du bout des lèvres tandis qu'ils arrivaient près de la rivière. De temps en temps, elle prenait un morceau de viande, le tendait vers le chat qui la suivait religieusement. Pour se faire pardonner de l'avoir embarqué ce soir, lui aussi ?
Désormais près de la rive, Giyū constata qu'un orchestre s'était installé près de l'eau. Il reconnut les instruments de musique caractéristiques de l'événement, regarda les villageois se rassembler en petits groupes.
« Vous ne restez pas dans le village ?
— Nous voulons être au plus proche du temple. Et puis, c'est ici que nous mettons les lanternes... C'est pour guider au mieux les esprits. »
Elle parlait doucement, regardait les choses s'organiser avec une soudaine mélancolie que le jeune homme ne sut quoi répondre.
Dans le cœur d'Inari, l'étau se resserrait. Demain, elle saluera une fois encore sa sœur, lui dira encore au-revoir. Était-elle en paix ? Viendrait-elle les retrouver ? Avait-elle retrouvé Fuyumi ?
« ... Inari ?
— Viens, allons retrouver Hanabusa. »
Comment expliquer à Giyū sa tourmente ? La comprendrait-il à nouveau ? Elle avait peur, ne serait-ce qu'un instant, qu'elle finisse même par l'effrayer, le force à partir sans jamais se retourner. Qu'il laisse alors derrière une nuit qu'elle ne pourrait repousser, même avec des milliers de lanternes.
Il ne lui posa, heureusement, pas plus de questions.
Malgré la foule, ils firent par trouver l'ancien pilier. Il parlait tranquillement avec deux autres personnes. Inari reconnut aisément la vieille voisine, Madame Sango, ainsi que son fils ; son arrivée stoppa net la conversation et la femme s'exclama avec un sourire.
« Inari ! Que tu as grandi ! Viens, approche, que je t'observe un peu plus. »
C'était la doyenne qui avait parlé. Elle avait tendu sa main, attiré Inari vers elle avant de la regarder avec attention.
« Tu es une si belle femme, maintenant. Regarde, Seito, n'est-elle pas splendide ?
— Heu... Oui... ?
— Mon enfant, depuis combien de temps nous as-tu quitté ? Quatre ans, non ?
— Un petit peu plus, Madame. J'ai récemment pu revenir mais je n'ai pas eu l'occasion de vous rencontrer, je suis désolée. J'aimerais revenir plus souvent, mais c'est compliqué...
— Allons, allons, tu manques terriblement à ton pauvre père, j'espère que tu trouveras l'opportunité d'être ici, parmi nous, de temps en temps. »
Malgré le sourire de la voisine, on sentait bien une tension latente. Hanabusa s'était légèrement crispé en l'entendant s'exprimer mais ne pipa mot. Finalement, elle se tourna vers Giyū, le regarda avec de grands yeux.
« Oh ! Inari, est-ce ton époux ?
— Quoi ? Non ! C'est uniquement un ami, il est seulement venu m'accompagner et-
— Très bien, je vois. »
Ignorer l'éclat malicieux dans l'œil de la villageoise était impossible. Le jeune homme comprit bien rapidement lorsqu'il la vit lancer un regard à peine discret à Seito, qui bombait déjà le torse, prêt à parler à son tour. Heureusement, Hanabusa coupa court à la conversation en se raclant la gorge. Quitte à ne plus être un pilier, il était un exemple de diplomatie.
« Nous allons devoir vous laisser, j'ai promis à ces deux jeunes gens de les emmener voir l'orchestre, je ne voudrais pas manquer à mes engagements.
— Bien évidemment ! Nous nous retrouverons durant les danses ! »
Vite, l'ancien pilier s'enfuit avec les pourfendeurs, les guida en dehors de la foule de plus en plus grossissante.
« Deux ans qu'elle veut le marier, son fils. Elle croyait sûrement que je la laisserai vous rencontrer.
— Quoi, tu ne veux pas que j'épouse Seito ?
— Cet idiot qui ne saurait même pas mettre ses propres chaussettes même si on les lui enfile à moitié ? Que les dieux me préservent, je préfèrerais que tu passes toute ta vie avec ce chat. »
Il avait pointé la boule de poils, habile de ses pattes, elle, qui les suivait toujours sans broncher, se collait de temps en temps aux jambes de Giyū.
« Sérieux, où est-ce que tu l'as trouvé ? Il est encore plus fidèle qu'un chien.
— C'est parce que je l'ai nourri. »
Le susnommé miaula une fois pour signifier sa présence, accéléra le pas pour arriver au niveau d'Inari, qui continua de parler.
« Et puis, se marier en étant pourfendeur... Non merci. Je préfère me briser le cœur à ne jamais trouver l'amour plutôt que briser celui d'un mari qui finira veuf tôt ou tard. »
La nonchalance avec laquelle elle avait parlé étonna Giyū.
Il le pensait tout autant qu'elle, se demandait d'ailleurs comment certains faisaient pour entretenir des relations alors que leur métier était plus que dangereux et précaire, mais une telle déclaration, venant d'Inari, était...
Pourquoi se sentait-il déçu ?
Hanabusa avait, quant à lui, éclaté de rire. Sa voix se répandait en écho autour d'eux, se répercutait dans les cages thoraciques avec une force telle que le noiraud en était chamboulé. Cette figure, si stoïque et grandiose, était capable de produire une telle joie ?
Le trio se posa finalement un peu en retrait, près de l'eau. D'ici, ils voyaient parfaitement l'orchestre ainsi que les villageois. Bientôt, la musique allait se lancer, la foule allait danser.
« Ils ne vont pas commencer avant une bonne trentaine de minutes. Je vais aller récupérer les offrandes pour le temple à la maison, restez ici. »
Sans attendre plus longtemps, il était reparti. Inari avait la sensation que son ancien maître l'évitait. Ne voulait-il donc pas de sa présence ? Était-il fâché qu'elle ramène quelqu'un ce soir ? Peut-être qu'il aurait préféré être seul avec elle, n'appréciait pas que Giyū soit là... ? Pourtant, elle, elle était heureuse qu'il soit à ses côtés.
« Encore merci pour avoir tressé mes cheveux. J'ai cru que je n'y arriverai pas.
— Ça m'a fait plaisir de t'aider, ne t'en fais pas.
— Est-ce que tu voudras bien m'accompagner au temple, cette nuit ?
— Cette nuit ?
— Je vais y aller avec tout le monde après les danses mais j'aime y aller ensuite lorsque le village dort. Il fait moins chaud et j'ai l'impression de pouvoir clairement parler avec ma sœur...
— Pourquoi me demander de venir, si tu veux être seule ?
— Parce que je me disais que tu préfèrerais parler avec ta propre sœur en paix plutôt qu'avec tout le village autour de toi ? »
Giyū aimait de tout son cœur l'énergie qu'avait Inari lorsqu'elle l'approchait. Il avait alors la sensation d'être réellement apprécié, d'être considéré comme un ami par cette dernière. Il était réchauffé par sa présence, par ce soleil.
Mais lorsqu'il la voyait le regarder avec tendresse, un sourire mélancolique aux lèvres, il ne pouvait que se sentir estimé.
Car dans ces instants précis, il avait la sensation qu'elle le connaissait par cœur, le voyait sous toutes ses coutures.
« Je viendrai avec toi. »
Il ne pouvait rien refuser, une fois encore, à ses grands yeux clairs. Le sourire rayonnant qu'elle lui offrit valut bien tout l'or du monde et il oublia pourquoi ils étaient là, pourquoi il devait l'accompagner.
Tout ce qui comptait, c'était sa joie actuelle.
Sans discuter plus, ils attendirent le retour d'Hanabusa, s'installèrent avec lui dans l'herbe. Une grande partie des villageois s'était rassemblée près de l'orchestre et, aux premiers sons de tambours, ils se mirent à danser. Derrière eux, le soleil se couchait, se reflétait sur la rivière ; une aura dorée enveloppait la foule, donnait à ce moment une allure presque divine que Giyū appréciait.
Contre lui, il sentit Inari poser sa tête contre son épaule. Elle respirait lentement, gardait les yeux rivés sur les danseurs qui bougeaient en rythme. Du coin de l'œil, il vit qu'elle tenait fermement la main de l'ancien pilier, la serrait plus fort de temps en temps. Comme si elle lui parlait à travers ces soudaines poignées.
Entre temps, le chat s'était installé sur les jambes de la noiraude. Elle le caressait de sa main libre, constatait qu'il regardait lui aussi les danseurs avec une attention certaine. Appréciait-il le spectacle ?
Les danses durèrent jusqu'à la tombée de la nuit. Les lanternes installées ça et là avaient permis de garder les lieux illuminés et personne ne fut réellement gêné face à l'obscurité de plus en plus prenante.
Lorsqu'il fut l'heure d'arrêter, on applaudit avec joie tout le monde, noya les lieux sous les acclamations enjouées.
Petit à petit, les villageois commencèrent à se rediriger vers leurs maisons. Certains partaient cependant en direction du temple, tenaient dans leurs bras leurs paniers d'offrandes. De loin, on pouvait apercevoir les différents fruits et les bâtons d'encens.
D'ailleurs, le trio prenait cette seconde route. Inari avait récupéré le propre sac d'Hanabusa, marchait à ses côtés en papotant. Giyū restait en retrait, leur laissait ce moment de solitude, jouait avec le chat qui se battait avec son yukata.
Le temple du village était plutôt petit mais particulièrement bien entretenu. Sa peinture était fraîche et les lieux semblaient régulièrement nettoyés. Une odeur légère d'encens se diffusait et plusieurs villageois étaient déjà en train de prier en silence.
Pas le plus à l'aise, Giyū regarda Inari et Hanabusa déposer leurs offrandes, s'installer sur le côté pour prier à leur tour. Le jeune homme sentait dans son dos les regards inquisiteurs des villageois, finit par attraper le chat dans ses bras et partir.
Non, il priera tout à l'heure avec la pilier, lorsque les lieux seront déserts. Pas avant.
« Ton ami n'aime pas prier ?
— Il n'est pas à l'aise.
— Je veux bien le comprendre... »
Le départ de Giyū n'était pas passé inaperçu pour les deux mais ils ne s'en vexaient pas. Les mains jointes, les yeux fermés, ils se turent pour saluer leurs mortes. Bien évidemment, les pensées d'Inari s'étaient aussitôt tournées vers Uzume et Fuyumi.
À sa jumelle et grand-mère, elle leur souhaitait une fois encore la paix. Qu'elles trouvent leur chemin vers l'au-delà, ne demeurent pas éternellement ici. Elle espérait que, peu importe où elles se trouvaient, elles soient ensemble, heureuses.
Avant, elle pensait aussi à ses parents. Elle priait pour leur salut.
Aujourd'hui, elle avait fini par les oublier. Hanabusa était son père et il était encore vivant, elle n'allait alors pas prier pour ceux qui l'avaient abandonnée et oubliée sans excuse niregret.
Ça n'était pas juste envers ceux qui l'avaient élevée, qui avaient tout fait pour son bonheur et sa joie.
Lorsqu'elle eut fini ses premières prières, elle se redressa, constata que l'ancien pilier à ses côtés avait toujours les yeux fermés. Sans le déranger, elle se recula alors, le laissa terminer. Il avait toujours des pensées pour une infinité de personnes et elle se doutait bien qu'il s'agissait, en grande majorité, de ceux qu'il avait perdu durant sa propre carrière de pourfendeur.
Alors elle s'en alla, le laissa en paix. Lui aussi, la méritait.
De toute manière, elle voulait retrouver Giyū, voir s'il allait bien.
Ce dernier s'était posé près d'un arbre, jouait avec le chat qui ne les quittait définitivement plus.
« Je ne t'ai pas trop fait attendre ?
— Non. J'ai eu une bonne compagnie.
— C'est qu'il s'est attaché à nous, n'est-ce pas ?
— Je pense qu'il te préfère. »
D'ailleurs, l'animal était venu ronronner aux pieds d'Inari, se laissa porter sans rechigner.
« Hanabusa revient bientôt, il doit finir de prier. »
Le chat toujours dans les bras, elle s'installa aux côtés du jeune homme, soupira légèrement.
Le silence entre eux était presque aussi lourd que la chaleur ambiante.
Aucun des deux ne savaient quoi réellement se dire et ils n'osaient pas lancer la moindre conversation, sûrement trop gênés à l'idée de mettre les deux pieds dans le plat ou trop se répéter.
Alors ils restèrent là, à regarder les villageois continuer leur vie et célébrations.
Même s'ils honoraient leurs morts, il y avait une ambiance festive générale ; il était plutôt question de célébrer plutôt que pleurer. La peine avait beau être présente, se lire sur de nombreux visages, elle ne noyait pas tout le reste.
Lorsqu'Hanabusa rejoignit le duo, ils ne restèrent pas plus longtemps près du temple. Il commençait à se faire tard et l'ancien pilier commençait à fatiguer. Demain, il fallait se lever tôt pour la dernière journée de célébrations et il ne voulait pas trop traîner dans les rues.
« Tu restes pour la soirée, j'imagine ?
— Si ça ne vous dérange pas.
— Non, non. Je te préparerai un futon, tu pourras t'y installer à ton aise. »
L'hôte était étrangement aidant, mais Giyū ne s'en plaignait pas, au contraire. Il était bien trop habitué aux regards mauvais des autres pourfendeurs, il appréciait cette amabilité certaine.
Le retour se fit calmement et le jeune homme fut installé dans une petite pièce. Son uniforme y avait d'ailleurs été posé, ainsi que son katana, et un portant vide se trouvait à côté, prêt à accueillir le yukata d'emprunt.
Ce fut Inari qui apporta le futon, suivie de près par Hanabusa et le chat.
« Fais comme chez-toi, d'accord ? Si tu as besoin de quoi que ce soit, on est à côté. »
Elle était heureuse qu'il soit là. Sa présence la réconfortait malgré tout et elle espérait qu'il resterait le lendemain aussi, suffisamment longtemps pour poser une lanterne avec elle dans la rivière.
Inari resta seule dans la pièce à vivre. Hanabusa était parti se coucher assez rapidement, « comme un vieillard » avait-il dit, et Giyū restait dans sa chambre. Que faisait-il ? Était-il fâché ? Elle avait envie de le voir, lui demander ce qu'il se passait dans sa tête, n'osait pas faire le premier pas.
Pourtant, maintenant que la nuit était tombée et que le silence avait pris place dans les rues, elle souhaitait sortir. Est-ce qu'il était toujours d'accord pour l'accompagner ?
« Inari ? »
Lisait-il dans ses pensées ? Il était soudainement apparu dans son dos, tel un fantôme, avait murmuré son nom avec douceur. Il portait toujours son yukata, restait droit dans le couloir.
« Tu comptes toujours repartir au temple ?
— Oui. J'hésitais à venir te chercher, je ne savais pas si tu voulais toujours venir.
— Si.
— Alors allons-y. »
Quel soulagement !
La jeune femme bondit sur ses pieds, rejoignit en quelques pas le pourfendeur. D'un mouvement de main, elle l'invita à la suivre, quitta la demeure après avoir pris un petit sac. Du coin de l'œil, elle vit le félin à leur suite, marchant même devant eux.
Connaissait-il le chemin ?
« Tu as gardé ta tresse.
— Oui ! Je l'aime beaucoup, je ne voyais pas m'en séparer à peine rentrée à la maison.
— Elle te va bien.
— C'est parce que c'est la tienne. Avec une telle application, bien évidemment qu'elle est si jolie ! »
Et elle était sincère. Inari avait beau ne pas apprécier avoir ses cheveux faits, elle aimait malgré tout savoir que cette œuvre dans son dos, elle était du fait de Giyū. Parce que c'était un talent que personne d'autre ne lui connaissait, qu'elle seule avait eu le droit de découvrir. Et elle le gardait bien précieusement, bien au chaud dans sa poitrine.
« Est-ce que tu vas aussi prier pour Sabito ? »
Elle avait murmuré le prénom, peu sûre à l'idée de réellement le prononcer ; elle n'avait pas envie de vexer le jeune homme en manquant de tact.
« Oui. »
La simplicité de sa réponse ne la choqua pas. Elle la préférait même au silence, s'en contentait totalement.
« Je ne comptais absolument pas prier, durant ces trois jours. Je pensais qu'en étant en patrouille, ça justifierait ce « manquement » et personne ne viendrait me le reprocher. Mais il a fallu que je croise ta route et que tu m'entraînes ici. Alors, ce soir, je vais prier.
— Tu m'en veux ?
— Non. Au moins, on ne me le reprochera pas.
— Tu sais, si tu n'as pas envie, tu peux-
— Inari, c'est parce que tu m'invites toujours à prier que j'y vais. Sans toi, j'aurais arrêté depuis bien longtemps et ne serai jamais retourné au temple. Ce n'est pas quelque chose que je veux faire mais je le dois, pour eux, pour leur mémoire. C'est parce que tu insistes qu'aujourd'hui je t'accompagne sans regret. »
Il avait beau encore et toujours se sentir responsable de leurs morts, il savait que la jeune femme portait la même douleur dans son cœur. Qu'en priant, elle cherchait aussi le pardon de sa sœur, un moyen de racheter sa faute qui n'en était pas une.
Et si Inari était convaincue que Giyū n'avait jamais été responsable de quoi que ce soit, il pensait la même chose pour elle.
« Je n'ai pas d'offrandes.
— Si, regarde. »
Elle tendit le sac qu'elle tenait au pourfendeur, le laissa regarder l'intérieur.
« C'est...
— J'ai déjà fait mes offrandes pour ma famille. Celles là sont pour toi. Prends-les.
— Merci, Inari. »
Elle aurait pu lui répondre mille et une choses en retour. À quel point c'était normal, qu'il aurait fait la même chose pour elle, que ce n'était « rien », qu'il lui en devait maintenant une... Mais rien ne vint à part un sourire.
Elle était simplement heureuse de l'avoir à ses côtés.
Le village était vide mais les lanternes demeuraient encore, les guidaient jusqu'au temple. Autour d'eux, les cigales continuaient leur mélodie, jouaient en concert avec la rivière.
« Je n'ai jamais aimé prier au temple. Quand j'y allais, petite, j'avais la sensation que c'était plus par obligation que réelle conviction. Je ne savais comment rendre hommage aux morts, comment leur souhaiter la paix. J'ai compris lorsque ma sœur est morte, que je n'avais plus que ça pour lui parler. Me retrouver seule au temple, à ne penser qu'à elle, c'était le seul moment où j'avais la sensation de la retrouver, d'être un tant soit peu en paix. »
L'herbe sous leurs pieds crissait tandis qu'ils approchaient de la forêt.
« Si j'insistais autant pour que tu viennes avec moi, c'était parce que j'avais l'impression de lire dans tes yeux la même peine que moi. Que toi, tu comprenais parfaitement la douleur qui me prenait le cœur. Et que moi, aussi, je comprenais la tienne. »
Le jour de leur rencontre, il avait perdu Sabito. Elle avait été chargée de lui amener à manger, il avait refusé de se nourrir toute la veille et elle n'avait récolté que ses larmes, son cri de désespoir. Incertaine et tremblante, Inari avait gardé Giyū contre elle de longues minutes ; ils ne se connaissaient peut-être pas mais à cet instant, ça n'avait pas eu d'importance.
Il n'avait eu besoin que de réconfort.
Et trois ans plus tard, c'était lui qui avait été là. Peut-être encore plus maladroit qu'elle à l'époque mais ce n'était pas ça qui comptait. Il avait simplement été présent, avait offert ses bras pour qu'elle y pleure l'éternité s'il le fallait.
Au fil de leur marche, ils avaient lié leurs doigts, avancé dans un même rythme.
Ils arrivèrent au temple vide de monde main dans la main.
Il y avait ici aussi quelques lanternes ; elles projetaient leur lumière sur les arbres, y déployaient des ombres effrayantes. Peut-être qu'ailleurs, les deux pourfendeurs auraient regretté leurs armes mais ils savaient qu'ici, la glycine régnait et le danger était lointain.
Ils étaient libres de rester aussi longtemps qu'ils le voulaient.
Inari fut la première à s'installer. Elle joignit une nouvelle fois ses mains, se coupa du reste du monde. Au-delà de prier, elle voulait simplement parler à Uzume.
Elle voulait lui dire une fois encore à quel point elle l'aimait. À quel point elle lui manquait. À quel point elle aurait adoré qu'elle soit à ses côtés. Et elle voulait aussi lui raconter ses dernières aventures. Comment Junko devenait forte. Les entraînements qu'elle lui faisait subir, la peur de la perdre dans un an à la sélection finale.
Elle voulait aussi lui parler de cette journée, de comment elle avait convaincu Giyū de la suivre. À quel point elle était contente qu'il soit présent, qu'il ait rencontré leur père.
Tout en priant, Inari sentit à ses côtés le chat se blottir, ronronner une fois encore.
Mais oui, le chat ! Elle devait le mentionner à sa sœur, il le fallait ! Il ressemblait tant à celui qu'elles avaient trouvé, petites.
Oh, elle se revoyait à nouveau sur les routes avec Uzume. Elles pouvaient parler des heures durant, refaire le monde un millier de fois, oublier alors que la fatigue les prenait et que leurs pieds les brûlaient.
Ça n'avait pas d'importance ; tout ce qui comptait, c'était parler jusqu'à la fin des temps, rester côte à côte jusqu'au bout.
Inari resta là longtemps. Dès qu'elle pensait en avoir fini, elle se rendait compte que non, qu'elle avait encore quelque chose à souffler à sa sœur. Une nouvelle prière, un autre souvenir, une bêtise qu'elles seules comprenaient.
Et lorsque plus rien ne lui vint à l'esprit, qu'elle lui disait une nouvelle fois au revoir, elle fut heureuse de constater que Giyū était encore là.
Il avait fini de prier, restait malgré tout à côté d'elle, silencieux.
« Tu attends depuis longtemps ?
— Non. Je ne voulais pas te déranger, de toute manière.
— Merci d'être resté.
— Je n'allais pas te laisser seule dans la forêt, quand même. »
Ce n'était pas ce qu'elle voulait dire mais ce n'était pas grave ; tant qu'il était encore là, c'était le principal.
« Est-ce que ça te dérange si on reste dehors encore un peu ? Je n'ai pas envie de me coucher.
— Ça me va. »
Ils partirent se poser près de la rivière, là où les lanternes étaient les plus nombreuses.
« Je repartirai demain matin.
— Tu ne seras pas là pour mettre les lanternes à l'eau ?
— Non. J'aurais aimé mais je dois reprendre ma patrouille. Je suis assez soulagé de ne pas avoir eu de corbeau pour une mission soudaine, je dois bien l'avouer...
— C'était déjà très gentil de ta part d'être resté aussi longtemps.
— Ça m'a fait plaisir, vraiment. J'espère que, la prochaine fois, je pourrai rester suffisamment longtemps.
— Je l'espère aussi. »
Peut-être qu'un jour, la menace ne sera plus et ils n'auront plus à craindre une attaque soudaine de démons. Ils pourront partir jusqu'où bon leur semble sans avoir peur d'être soudainement appelés au combat.
« Est-ce que je peux te dire un secret, Giyū ?
— Dis-moi.
— Il y a bien une personne pour qui je voudrais oublier que je suis une pourfendeuse et lui dire mes sentiments. Je ne le ferai pas. Parce que je sais qu'il n'est pas intéressé par l'amour et encore moins par moi. Mais ce n'est pas grave.
— Tu vas donc tout garder pour toi ?
— Peut-être que je lui dirai, un jour. Mais pas aujourd'hui. Je le ferai sûrement lorsque je manquerai de le perdre, réaliserai que ça ne sert à rien d'attendre le bon moment et que je suis une idiote.
— Si tu penses ça maintenant, pourquoi faire traîner ?
— Parce que je suis une idiote, mais ne le sais pas encore. »
Elle l'avait dit avec une telle spontanéité que Giyū manqua de rire.
« J'espère quand même que tu n'auras pas à passer par là. Tu mérites d'être heureuse.
— Tout autant que toi. »
Celui qu'elle aimait, aussi parfait soit-il, ne méritait pas un tel sourire.
Comme durant les danses, Inari posa sa tête sur l'épaule du pourfendeur, regarda cette fois-ci l'eau suivre son chemin.
« J'espère pouvoir repartir bientôt en mission avec toi. Tu es le seul qui veut bien m'accompagner manger à chaque retour.
— Tu dis surtout ça parce que je t'ai promis de te payer ta prochaine tournée.
— Sûrement. Ça ne change rien. Et puis, on fait la paire, tu ne trouves pas ? »
Si. Tout était simple, avec elle. C'était comme si elle lisait à chaque fois dans ses pensées, savait parfaitement où aller, où frapper, où vaincre.
Le corps d'Inari contre Giyū lui tenait chaud. Hélas, avec l'été autour d'eux, il s'en serait bien passé. Seulement, il ne lui demanda pas de partir, garda bien précieusement la jeune femme à ses côtés.
Près d'eux, le félin jouait avec l'air, tentait d'attraper quelque chose d'invisible.
« Quand j'étais petite, j'ai trouvé un chat comme lui. Il était tout gris et petit et nous l'avions recueilli avec Uzume. On voulait en faire notre animal de compagnie, qu'il reste avec nous pour toujours... Il s'est enfui trois jours plus tard.
— Vous n'étiez pas trop triste ?
— Surtout elle. Elle adorait les chats. J'étais dévastée, aussi, mais moins... Enfin, on a ensuite eu le droit de m'occuper du corbeau d'Hanabusa, alors c'est passé très vite... »
La voix d'Inari était de plus en plus faible. Ils arrêtèrent alors de parler, regardaient plutôt ensemble la nuit suivre sa route, laissaient les étoiles les observer en retour. Et lorsqu'il comprit qu'elle s'était endormie, il décida de partir à ce moment-là.
Malgré la pénombre, il l'avait portée jusqu'à la maison. Il ne savait pas où était sa chambre, l'avait alors déposée sur le futon qui devait être le sien. Le félin accompagnateur s'était posé à ses côtés, roulé en boule près de ses jambes.
Tant pis, ce n'était pas grave, il n'avait pas sommeil et se disait qu'il valait alors mieux partir maintenant. Alors il se changea, remis son uniforme, prépara toutes ses affaires. Il laissa tout de même derrière lui un mot, s'en alla tandis que le monde dormait encore.
Lorsqu'elle se réveilla, Inari comprit bien vite ce qu'il s'était passé, s'en voulut un peu de s'être endormie. Elle aurait aimé convaincre, une fois encore, Giyū de rester parmi eux.
« Merci de m'avoir poussé à rester à tes côtés. Sans toi, j'aurais oublié ce que c'est de parler aux êtres qui comptent le plus pour moi. J'ai aussi hâte de repartir en mission avec toi, j'espère néanmoins te retrouver dans d'autres conditions. »
Ça avait eu le mérite d'alléger son cœur.
« Alors, luciole, est-ce enfin le moment où tu me dis que ton ami n'en est pas qu'un ? »
Dans la pièce à vivre, Inari avait retrouvé Hanabusa, prenait le petit déjeuner avec lui. Devant son léger sourire, elle ne put que soupirer ; il comprit sa réponse négative, hocha simplement ses épaules.
« J'espère qu'il est, au moins, gentil avec toi.
— C'est un bon camarade.
— Alors c'est suffisant. »
Elle aurait aimé lui offrir une autre réponse mais ce n'était pas possible.
Heureusement, il n'était pas du genre à poser mille questions ; il se contentait plutôt de ce qu'on lui donnait sans rechigner, acceptait juste la réalité.
Le reste de la journée se passa tranquillement. Les deux se recueillirent une fois sur la tombe de Fuyumi puis à l'autel d'Uzume, passèrent ensuite leur temps à nettoyer la maison. Hanabusa y arrivait très bien tout seul, d'ordinaire, mais il ne se plaignait absolment pas d'avoir l'aide d'Inari. Mieux, il profitait de sa présence pour se charger de ce qu'il avait pu faire trop attendre.
Lorsqu'arriva la fin d'après-midi, les villageois se retrouvèrent à nouveau près de la rivière. Là, on célébrait la fin de l'O bon, guidait les morts sur le cours d'eau, droit vers l'autre monde. Tous avaient une lanterne cubique à la main, la dédiait à une ou plusieurs âmes.
D'ordinaire, Inari allumait la bougie de sa lanterne en ne pensant exclusivement qu'à Uzume et Fuyumi. Ce soir-là, elle eu sa grand-mère et sa jumelle en tête, mais elle y ajouta aussi Sabito et Tsutako.
Si Giyū ne pouvait allumer de lanterne pour eux ce soir, alors elle le faisait à sa place. Et certes, il n'en saurait jamais rien mais ce n'était pas grave. Elle préférait agir en silence plutôt que ne rien faire.
Le chat toujours à ses pieds, elle regarda les villageois commencer à déposer leurs lumières. Bientôt, elles rejoindront la mer et d'autres lueurs.
« Demain, tu me suivras sur les routes. Tu verras, ça sera incroyable. »
Elle s'était mise au niveau de l'animal, caressait sous son menton avec un léger sourire.
« Avec un peu de chance, tu reverras Giyū, toi aussi. Je pourrai t'emmener au quartier général et tu découvriras mon domaine. »
Elle allait bientôt pouvoir elle aussi déposer sa lanterne.
« Uzume t'aurait adorée, je le sais. »
Elle lâcha l'animal, mis à son tour l'objet en papier sur l'eau. Lorsqu'elle le vit flotter, elle sentit son cœur se serrer. D'un coup, elle se tourna pour voir le chat, ne vit à la place qu'une ondulation dans l'air, la sensation qu'il ne venait que de disparaître.
Elle était venue la voir...
« À l'année prochaine... »
Et bien plus au sud, sur une route sans ombre, Giyū vit au loin apparaître la forme d'un chat au pelage sombre. Il se rappela alors l'histoire de la pourfendeuse, sourit légèrement en comprenant qui venait lui rendre visite.
Et face à cette sœur qui disparaissait dans un ronronnement, il promettait de retrouver bientôt Inari, rester encore plus longtemps à ses côtés.
c'est la toute première fois que j'écris avec inari et giyū donc j'espère qu'ils vont ont autant plu qu'à moi ! ;
pour quelques informations supplémentaires, comme vous aurez pu le comprendre, cet os se déroule durant l'o bon ; il s'agit d'un festival bouddhiste honorant les esprits des ancêtres ; je pense que plusieurs autres personnes comme moi ont basé leur os là dessus mais ça ne coûte rien de le redire aha ;
sinon, nous nous trouvons l'été juste avant le début du manga, giyū n'est par conséquent toujours pas pilier et il n'a pas encore rencontré tanjiro ! ;
j'ai pris beaucoup de plaisir à écrire cet os et tiens à remercier chaleureusement mon chat qui m'a donné l'idée de cet os >:) ;
je tiens aussi à remercier LittleMissSun23 qui, once again, a été la bêta lectrice idéale alors que, bichette, elle ne connait absolument pas le manga :')
Personnage choisi : Giyū Tomioka
Thème : La fête des morts
Nombre de mots : 8181
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