- Comment elle s'appelle ?

Je n'arrive plus à supporter ce silence gênant qui envahit la voiture petit à petit. J'ai l'impression de suffoquer. J'espère que Luke le ressent aussi et qu'il fera un effort pour être un minimum aimable jusqu'à la fin du trajet.

- Qui ? grogne-t-il.

Avant même que je ne réponde, il semble comprendre que je parle de la fille avec qui je l'ai dérangé.

- Oh, elle ? C'est Mathilde.

Je réfléchis un instant parce que ce nom ne met pas inconnu. Il me semble vaguement avoir déjà entendu son prénom dans les discussions que les garçons pouvaient avoir quelque fois.

- Mathilde comme Mathilde ton ex ? je réalise brusquement.

Il soupire et acquise. Je m'apprête à poser d'autres questions pour en savoir plus mais Luke m'arrête avant.

- Ariel je n'ai vraiment pas envie de parler de mes conquêtes avec toi. Donc remballes tes questions et laisse-moi conduire tranquillement.

- Tu es désagréable, je chuchote pour moi, même si je sais très bien qu'il entend.

Je me vexe et je me tourne vers la fenêtre de la voiture. Pendant quelques minutes plus personne ne dit un mot. Je sens le regard de Luke sur moi et je me tourne brusquement vers lui. Je m'apprête à le réprimander en lui disant de fixer la route mais avant que je n'en aille le temps, il me coupe d'une voix presque hésitante ;

- Ariel...

Il n'a pas le temps de finir sa phrase que nous sommes dans le ravin.

Je pousse un cri suraigu et ferme les yeux aussi forts que je peux. Je suis projeté en avant, et je sens un choc, puis plus rien. Je me redresse ouvrant les yeux mon souffle se faisant saccader.

De nombreuses pensées s'entrechoquent dans ma tête. Je pense à ma mère, Harry, aux garçons. Je pense à Rachel, à Holly et à mon père. Cette dernière pensée me surprend. Sera-t-il triste ? Récitera-t-il un discours à mon enterrement ? Regretterai t'il la manière dont il s'est comporté ?

Les larmes coulent tandis que je me repasse ces questions en boucle. Ma portière s'ouvre d'un coup sec, me sortant de ma bulle. Je me rends alors compte que Luke n'est plus sur le siège conducteur et qu'il est déjà dehors sur ses deux jambes, tendant la main pour m'aider à m'extraire de la voiture.

Son visage est tordu d'inquiétude, et il saigne de l'arcade sourcilière. Pourtant, je le trouve particulièrement beau. L'accident a clairement dût m'impacter plus que je ne le pensais.

Je prends sa main après avoir défais ma ceinture et pose les pieds sur la route. Mon cœur fait un bond et je vomis tout ce qui trouve dans mon estomac dans les fougères. Luke me tient les cheveux sans cesser de s'excuser. Normalement, je serai gênée qu'il me voit vomir de si près. Mais c'est clairement le cadet de mes soucis actuellement. Il me demande si je vais bien. Je lui réponds avec un pouce en l'air, incapable de prononcer un mot pour le moment. J'ai mal au dos et à la tête, mais ce sont des douleurs secondaires ; l'angoisse qui me tiraille elle, est bien présente et pourrait me faire tomber à genou tellement je sens mon ventre se tordre.

Quand j'ai fini de vomir, je me tourne vers la voiture et je comprends que notre accident n'est pas si grave que ça. Elle se trouve dans le ravin certes, mais elle n'a pas beaucoup d'égratignures ; un peu de fumée sort du capot et une fenêtre avant n'a pas résisté au choc, mais elle ne paraît pas dans un état catastrophique. Pourtant, l'image de la voiture dans laquelle j'étais quelques minutes auparavant me fait un peu tourner la tête. Je dois me concentrer pour rester debout.

- Il faut qu'on appelle quelqu'un.

C'est la première phrase que j'arrive à formuler à voix haute.

Luke sort un téléphone plus vieux que l'Antiquité elle-même de sa poche. Étonnée, je fronce les sourcils. Il m'explique alors que son téléphone est cassé depuis le Nouvel An, et qu'il est depuis addicte à son vieux téléphone à touche Nokia. Prise d'un fou rire, je mets quelques minutes avant de me calmer. Luke avec un téléphone à touche ? Comment je n'ai pas pu voir ça avant ?

En y réfléchissant, je n'ai jamais vu Luke avec un téléphone. Il n'est jamais celui qui passe les appels ou qui répond à un message. En plus, il ne poste jamais rien sur les réseaux sociaux.

- Tu devrai arrêter de rire, grâce à ce machin j'ai totalement arrêté les écrans.

Je me retiens de rire pour ne pas le vexer. Je sais qu'il le remarque, parce qu'il se justifie :

- Bon c'est surtout parce que je ne capte pratiquement nulle part et que je n'ai pas encore l'argent pour racheter un bon téléphone, mais au moins je ne suis pas scotché aux écrans comme tous les jeunes de cette génération !

Je pouffe, ne pouvant plus contenir mon fou rire. C'est du Luke tout craché, vivre pour être différent. Il baisse son regard sur moi, mais je ne vois aucune trace de sourire sur son visage. Il est paniqué. Il me montre l'écran de son téléphone ; évidemment, son Nokia ne capte rien. Sa main tremble et il recommence à s'excuser pour l'accident. Il est en train de perdre le contrôle de lui-même et je ne sais pas quoi faire ni dire pour qu'il aille mieux. Je ne l'ai jamais vu aussi vulnérable avant.

Je place mes mains sur ses joues pour le rassurer, jusqu'à ce que sa respiration se fasse plus régulière. Sa peau est chaude et douce. Je sens sa barbe de trois jours sur mes paumes et son souffle sur mon nez. Les mots que j'utilise pour le calmer doivent être rassurant, puisqu'il reprend ses esprits assez rapidement. Ses yeux deviennent plus sombres et il recule d'un grand pas, comme s'il redevenait le Luke que je connais. Je ne fais pas de remarque. À quoi cela servirait ? S'il refuse de montrer le côté humain et sensible de sa personnalité, c'est une erreur qui ne concerne que lui.

Je sors mon portable de ma poche arrière. Heureusement il n'a rien. Je suis rassurée et essaie de l'allumer : plus de batterie. Je me retiens de le lancer au sol. Pourquoi faut-il que cela m'arrive à moi ? Je regard Luke, désespéré, espérant qu'il trouve une solution.

Mais son visage n'est plus le même : on peut désormais y lire de la colère. Et elle est dirigée contre moi.

- C'est ta faute putain ! Tu auras dû attendre plutôt que de vouloir te faire ramener par le premier mec qui te le propose !

J'ouvre la bouche. Il y a à peine trois minutes, Luke avait pratiquement les larmes aux yeux et je l'aidais à se calmer. Maintenant, il est face à moi, les yeux froids et il ose m'accuser d'être responsable de l'accident. Je sens la colère monter en moi.

- Tu te fous de moi j'espère ? À ce que je sache, je ne t'ai pas forcé à me ramener ! Et puis excuse-moi, mais c'est toi qui as foutu cette voiture dans le ravin !

Il me regard avec un tel dédain que j'ai envie de le frapper. Ma main est pleine de fourmillement et je dois prendre une grande respiration pour ne pas me jeter sur lui. Je pense qu'il le remarque aussi puisqu'il lève les yeux au ciel et secoue la tête, comme si j'étais ridicule.

Je sais que je devrai me taire et être plus mature que lui, mais cela m'est impossible. Luke me fait sortir de mes gongs comme seulement lui ne sait faire. J'ai envie de lui faire du mal comme il m'en fait avec ses réflexions et sa manière de me crier dessus.

- C'est vrai, tu as raison, tu n'aurais jamais dû me ramener. À cause de moi, Mathilde n'a pas pu te rejeter comme elle le fait chaque fois que tu reviens vers elle.

J'écarquille rapidement les yeux, étonnée de ce que je viens de dire. C'est comme si mon cerveau n'avait pas eu le temps d'assimiler mes paroles, et qu'elles étaient sorties contre ma volonté. Luke aussi est surprit, mais ma pique n'attend pas son objectif. Au lieu de réagir et de se mettre en colère, le blond plante ses yeux dans les miens et me dit d'une voix calme :

- Tu feras mieux de ne pas parler de ce que tu ne comprends pas.

- Explique-moi alors, je rétorque, à peine a-t-il finit sa phrase.

Il soupire et me répond d'un ton las qui met fin à la conversation :

- Je n'ai aucun compte à te rendre à ce que je sache.

Je me détourne de lui et m'assoie sur le bord de la route. De toute façon, nous ne pouvons rien faire d'autre qu'attendre. J'évite de regarder Luke au maximum et j'espère qu'il le remarque. Peut-être qu'en l'ignorant assez longtemps il disparaîtra. Comme s'il n'avait jamais existé.

Le temps passe et aucunes voitures à l'horizon. Cela doit faire un quart d'heure que je suis assise quand je me retourne vers Luke à contre cœur.

Mais il n'est plus là. Je tourne la tête pour essayer de l'apercevoir, mais rien. Même s'il fait nuit noire, je vois assez pour remarquer qu'aucune silhouette n'est présente près de moi. Mon cœur s'emballe : est-ce que j'aurai des supers pouvoirs qui aurait fait disparaître Luke ? Je suis peut-être la protagoniste d'un livre qui découvre qu'elle est exceptionnelle par hasard lors d'une journée banale. Même si rejoindre les Marvel m'intéresserait grandement, je commence à prendre peur. Luke était peut être tellement énervé contre moi qu'il est simplement parti, me laissant en plan. Ou bien il lui est arrivé quelque chose de plus grave, l'accident aurait pu finalement le blesser plus qu'on ne le pensait ?

Je commence à marcher sur la route, criant son prénom. Ma voix est aiguë et tremblante. Comment vais-je faire si je suis seule ?

- Luke ! Bordel tu es où ?

Je passe quelques minutes à attendre une réponse à mes appels quand finalement j'entends mon prénom un peu plus loin.

Je me retourne et aperçoit Luke avec les sourcils froncés d'incompréhension.

- Ariel ?

Soulagée, je fonds en larme. L'accident m'a choqué, et la disparition de Luke m'a foutu une peur bleue. Je n'arrive plus à parler, même quand Luke me demande ce qu'il se passe. Il est paniqué de me voir comme ça et n'a pas l'air de comprendre. 

- Je... J'ai cru que... J'ai cru que tu m'avais laissé..., j'arrive à dire entre deux sanglots.

Il lâche un petit rire. Pas un rire moqueur comme il en a l'habitude, un rire attendrit. Sans me contrôlé, je me fonds dans ses bras. J'ai juste besoin de réconfort et Luke est le seul à pouvoir m'en donner à cet instant T. Il ne me repousse pas et me serre contre lui. Son odeur est un mélange de sueur et de cigarette, mais ça ne me dérange pas.

- Je ne te laisserai jamais El', je l'entends me murmurer à l'oreille.

Je ne répond rien mais le serre un peu plus fort.