Un second pain au chocolat

Lorsque Sol eut achevé plusieurs croquis de son inconnu, elle retourna à l'intérieur de son studio sans attendre qu'il le remarque. Elle serra contre sa poitrine son carnet avant de le déposer sur son lit. Elle s'y allongea dans l'idée de continuer sa nuit qui avait été interrompu par les charmants déménageurs. Mais une image de pain au chocolat s'imposa violemment à son esprit. Elle décédait de faim ! Elle décida de garder son pantalon africain mais remplaça son pull par une chemise d'homme plus décente. Elle se chaussa, enfila des pantoufles, une écharpe plus longue que le Caire, et quitta son appartement sans oublier son porte-monnaie. Le dévalage d'escalier qui suivit fut le plus court de sa vie ! Elle sautait cinq marches puis glissait sur la rambarde sans s'arrêter. Elle n'avait qu'une idée en tête : manger !

Lorsqu'elle sortit de l'immeuble, essoufflée, elle remit nonchalamment son écharpe, qui paraissait l'engloutir tellement elle était grande, souhaita poliment une bonne journée au SDF du bas de son immeuble, et sa course jusqu'à la boulangerie repris.

A l'entrée de l'immeuble, un homme d'une vingtaine d'année regardait la jeune femme qui venait de passer devant lui telle une tornade, sans même le voir. Il éclata d'un rire vrai quand elle s'étala de ton son long contre le sol, après avoir marché sur son écharpe décidemment trop imposante. Ce n'était pas méchant de sa part ! Il trouvait juste agréable de croiser une fille si énergique à une telle heure un dimanche, habillée comme un clown mais sans que cela ne la perturbe le moins du monde. Il la regarda s'éloigner en trottinant. Une fois qu'elle eut disparu à l'angle de la rue, il rajusta son bonnet rouge sur sa tête, et pénétra dans l'immeuble.

Sol arriva juste à l'ouverture de la boulangerie. Il n'y avait encore personne. Heureusement. Elle n'osait pas parler avec le boulanger quand il y avait trop de monde. Elle entra à l'intérieur et un vieil homme la salua jovialement :
-« Bonjour Mademoiselle Sol ! Alors, comment se portent mes jolis coquelicots ?
- Encore mieux qu'hier, mais pas aussi bien que demain... » plaisanta doucement Sol.
Le boulanger faisait référence à ses joues qui rougissaient sans cesse, à son grand damne ! Mais il avait une façon d'en parler qui réjouissait la jeune fille et la rendait heureuse.
Le monsieur à la chevelure grise sourit tendrement avant de lui demander « Alors, qu'est ce que tu as de beau aujourd'hui pour moi ? Verlaine ? Coelho ? Jean Valjean ? »
- Rimbaud ! et Sol enchaîna « J'ai tendu des cordes de clocher à clocher ; des guirlandes de fenêtre à fenêtre ; des chaînes d'or d'étoile à étoile, et je danse. »
L'homme ferma les yeux un moment. Son visage était détendu, serein. Un sourire s'esquissa sur sa figure. Puis il ouvrit les yeux pour les poser sur Sol. « Merci. » lui dit-il.
« Et voila pour toi. » après quelques instants, il lui tendit un sachet de deux pains au chocolat tout en demandant le prix d'un seul pain au chocolat. Sol s'insurgea gentiment :
- « Monsieur Jacques ! Tous les jours je vous dis qu'un me suffit, tous les jours vous m'en offrez un second ! Pensez au pigeon ! Ils ont bien plus faim que moi.
- Mais c'est que tous les jours je nourris l'espoir qu'il remplisse l'estomac d'un jeune homme. Quand est-ce que tu me présente ton Jules ? C'est que je ne suis plus tout jeune et je n'aimerais pas que la vieillesse m'emporte avant d'avoir pu le rencontrer. », renchérit-il en riant.
-« Diantre ! plaisanta-t-elle, ça n'est pas pour aujourd'hui ! »
Jacques et Sol rirent ensemble de bon cœur.

Quand Sol quitta la boulangerie, la ville s'était éveillée. Certains passants la dévisageaient, probablement à cause de sa tenue folklorique. Elle s'empourpra et continua sa route jusqu'à son immeuble, serrant le sachet de pain au chocolat contre son cœur. Le deuxième pain... Elle aussi se demandait quand est-ce qu'il lui serait véritablement utile. Elle sentit une boule s'installer dans sa gorge. Ses yeux la piquèrent violemment, et une larme coula le long de sa joue... Elle désirait plus que tout se réveiller un matin au côté de l'homme qu'elle aimerait. Sentir sa présence réconfortante, sa chaleur contre son corps, son regard sur elle, ses mains sur son corps, ses lèvres sur sa bouche, son amour pour elle. Sa situation lui pesait, devoir sans cesse se réveiller dans son appartement, seule.

Quand-elle arriva à son studio, en haut de l'immeuble, elle sortit le second pain du sachet, retira le chocolat et le mangea, déposa le pain dans une gamelle verte au sol et s'allongea sur son lit pour déguster le premier. Il était bien mérité ! Elle se mit en position d'étoile de mer et battit des jambes et des bras, elle s'imagina voler, danser dans les airs. Dans son improvisation artistique, elle voulut vers une galipette. Ce qu'elle fit. Elle était alors la tête en bas en train de la commencer, quand la sonnette retentit. Surprise dans son élan, elle s'écrasa littéralement par terre, après avoir chuté du lit ! Arrivée sur le coxis, elle étouffa un gémissement de douleur et resta sur le sol, sans pouvoir bouger. Deux années auparavant, elle se l'était blessé, et là, elle croyait bien qu'il avait trop souffert pour une pauvre petite vie de coxis. Elle n'avait apparemment pas entièrement guérit étant donné qu'elle souffrait terriblement et restait immobile.

Une voix étouffée se fit entendre.

« Euh... Est-ce que ça va ? Je peux aider ou j'arrive à un moment trop gênant pour vous ? Je pars ? Vous préférez ? Allô ? (silence) Bon, je crois que y'a personne...»
Sol, était pétrifiée. La voix masculine provenait de derrière la porte, dans le couloir. Elle ne savait pas quoi faire. Soit elle restait là sans rien dire, à faire comme si elle n'était pas là. Soit elle faisait face à sa douleur pour aller ouvrir la porte. Elle préférait largement la première option ! Mais elle se força à choisir la seconde. Elle rassembla toute les forces qui lui restait et leva son derrière endolori. Se trainant presque, elle atteignit la porte d'entrée. Sa main se souleva pour saisir la poignée. Elle tremblait et une couleur cramoisie couvrait son joli visage. 

Lentement, très lentement, elle ouvrit la porte.

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