Partie IV - chapitre deux :

2.

Je suis au bord du malaise, mon souffle presque inexistant, quand j'entends :

– Lâchez le !

C'est la voix d'Harry cette fois, ferme et certaine. Il n'y a pas une once de tremblements. Peut-être simplement de la peur. J'ai juste le temps de réaliser. Elias détache ses yeux de moi, son emprise autour de mon cou se relâche et je m'écroule au sol sur mes genoux. Il m'a laissé tomber comme une simple plume. Je n'ai plus aucune force. Mon corps se dérobe.

Haletant, je suis à genoux au sol, je cherche à reprendre mon souffle. Mais j'aspire tellement d'air d'un coup que je tousse, à en avoir la tête qui tourne. Même s'il ne cherche pas à me redresser, le garde se tient dangereusement derrière moi.

Il me faut quelques secondes pour reprendre mes esprits, une respiration à peu près régulières et lever les yeux. Elias m'a complètement oublié et son attention est rivée sur Harry. Harry qui est intervenu pour me défendre, et aussi pour me sauver la vie peut-être. Je ne sais pas si j'aurais tenu encore longtemps comme ça. Il est toujours à genoux, mais il a le dos droit et regarde le sorcier avec défiance et provocation. Il n'a pas peur. Plus maintenant. Ça, c'était il y a six ans.

– Styles, Styles, Styles... toujours là pour me provoquer, n'est-ce pas ? Jouer les preux chevalier. Je commence vraiment à croire que vous aimez, vous et votre famille, vous attirer les ennuis...

Sa mâchoire se contracte, Elias se tient debout devant lui, la posture imposante et les muscles détendus, comme s'il ne venait pas de serrer ses doigts autour de mon cou. Mais quand je vois une lueur sombre frémir dans son regard, je me dis que j'aurais préféré qu'il ne s'arrête pas. Parce que c'est Harry qui va en subir les conséquences. De ma faute.

– Finalement, on dirait bien j'ai trouvé mon premier volontaire.

Mon coeur bat la chamade à l'intérieur de ma poitrine, je serre les poings et retiens mon souffle. Soudain, dans un geste à la fois agile et brusque, Elias empoigne fermement les cheveux d'Harry, lui relève la tête. Ils échangent un long regard, au milieu d'un silence assourdissant. Elias sourit et le jette au sol avec tant de facilité et de violence que j'en suis pétrifié.

Harry laisse échapper un gémissement de douleur lorsque son corps rencontre lourdement le sol dur. Je ne réfléchis pas et me précipite vers lui en jurant, en criant, je ne sais pas c'est plus fort que moi, je ne contrôle plus. Mais je fais à peine deux pas, et une force écrasante me coupe mes mouvements et ma respiration. J'ai la sensation d'avoir une barre qui s'enfonce dans ma poitrine, que le temps se fige ainsi que toutes les cellules dans mon corps.

Un liquide tiède s'écoule de mes narines, contre mes lèvres et le goût au fond de ma gorge m'indique que c'est du sang. Mon sang qui a subitement cessé de circuler dans mes veines et me monte à la tête. J'en ai la nausée. Ensuite, c'est une larme qui coule sur ma joue, suivie d'une autre. Elles ne sont pas figées, elles.

Il n'y a que mes yeux que je suis capable de bouger. Je vois Amélia, en sanglots, fermement tenue par un garde car elle tente de se débattre elle aussi. Puis Harry, encore recroquevillé au sol. Elias, le visage tordu dans un sourire diabolique, a la main tendue vers moi. Ses doigts sont presque refermés sur eux-mêmes, il les bouge à peine et une douleur immense m'envahis. Je me tords en deux, regarde mon propre sang couler au sol depuis ma bouche et mon nez, j'entends mes gémissements, et mon coeur battre jusque dans mes tempes. C'est pire encore que la sensation d'étouffements il y a quelques minutes. Ce sont mes entrailles qui se retournent et se tordent, mes os qui s'étirent et se brisent. Je l'entends à peine quand il se reprend la parole, la voix remplie de malice.

– J'admire votre courage, vraiment, mais c'est inutile. Il me suffit d'un simple geste de la main, et je brise tous vos os, vous perforer les poumons ou vous faire exploser le coeur. Pourquoi pas les trois en même temps aussi ? Je raffole des morts lentes et douloureuses, et plus vous me provoquez, plus la votre sera interminable.

L'emprise et la force de son pouvoir m'arrache un autre gémissement. Il m'oblige à me redresser, malgré la vague de souffrance qui submerge mon corps entier. Il me force à le regarder, et ses yeux dégagent à eux seuls une puissance immense. Mes membres ne m'obéissent plus.

Je m'écroule à nouveau quand Elias me relâche, tente de réguler ma respiration. Une douleur me comprime la poitrine et je n'ai même pas le temps de poser ma main sur mon torse. Derrière moi, le garde me saisit les bras et les ramène dans mon dos, fermement. Ce geste seul envoie une décharge de souffrance dans mes membres. Je ne tiens plus debout. La magie qu'Elias a exercé sur moi m'a épuisé.

– P... pourquoi ? Pourquoi nous tuer ?

Chaque mot m'arrache des larmes aux coins des yeux, j'ai encore le goût du sang dans ma bouche et je le sens couler depuis mes narines, contre mon menton, chaud contre ma peau. Mon souffle est lent, rauque, j'ai du mal à garder les yeux ouverts.

– Si ce n'est pour me divertir ? Il m'accorde un sourire étincelant. Je n'ai pas besoin que de stupides gamins s'opposent à moi et traînent dans mes pattes. D'abord vos familles et vos proches, maintenant vous. Certes, c'est un combat déjà gagné d'avance parce que vous n'avez aucune valeur, aucun pouvoir, mais ce ne sera pas un sacrifice perdu. Le reste du monde comprendra qu'il ne faut pas se mettre en travers de mon chemin. Vous serez un exemple pour tous.

– Quel est le but ?

– Le but ? Conquérir la planète et la mettre à ma merci bien entendu ! Ce ne sera pas de tout repos je vous l'accorde, mais une fois que j'aurais tous les pouvoirs entre mes mains je...

– Vous ne les aurez jamais.

C'est Harry qui a parlé, qui l'a interrompu dans sa lancée, la voix basse mais déterminée. Il s'est redressé lentement, je ne vois aucune once de peur dans ses yeux. Elias tourne la tête vers lui, pas le moins du monde perturbé. Son sourire se creuse même davantage. Il aime le conflit, il aime qu'on l'affronte et qu'on le provoque.

– Et pourquoi cela ?

– Parce que chaque sorcier se battra jusqu'à la mort pour vous en empêcher. Vous avez plus d'ennemis que d'alliés.

– Je n'ai pas besoin d'alliés, j'ai besoin de sujets. Soit ils se soumettent à moi, soit ils meurent. Il n'a rien de plus simple.

Elias ne voit que sa soif de pouvoirs et de réussite. Il est animé par son désir de répandre sa puissance sur le reste du monde, quitte à le détruire et le dépeupler. Je n'ai jamais vu un homme avec une telle envie de faire mal aux autres pour son propre profit.

J'entends la voix d'Amélia, lointaine, tremblante d'inquiétude et de colère à la fois.

– Ce sont des innocents. Vous ne... vous ne pouvez pas tuer des gens sans raison.

– Mais j'en ai une, vous ne pouvez pas comprendre vous n'êtes encore que des enfants mais ce n'est rien ! Je n'ai pas besoin de votre permission.

– On ne vous laissera pas faire !

Ma voix est enrouée, mais je me force à lui faire face, à garder la tête haute. Il n'a pas gagné. Pas encore. Pas tant que nous sommes là, pas tant que nous respirons, pas tant que nous sommes ensemble.

Elias tourne son corps vers moi, je vois ses poings qui se serrent et je reprends mon souffle. Je m'apprête à recevoir une nouvelle vague de pouvoirs douloureux prendre le dessus sur mon corps déjà épuisé, mais il redresse ses épaules et me sourit simplement. Un sourire glaçant.

– Et qui va m'en empêcher ? Vous ?

Son rire résonne dans l'air, se balade en écho à travers la pièce, il me monte en travers de la gorge et fait vibrer mon coeur. Je déteste cette sensation de l'avoir partout autour de moi. De ne pas pouvoir faire un mouvement parce que le poids de sa magie peut m'écraser les os à tout moment.

Je serre simplement les dents, tandis qu'il rit et se régale de nous voir tous à sa merci. Son visage reprend vite une expression modérée, il hausse les épaules et plante son regard dans le mien.

– Vous n'êtes que de pathétiques êtres humains, je n'ai qu'à cligner des yeux et vous vous étouffez dans votre propre sang. Je dois avouer que vous êtes plutôt distrayants, finalement je m'amuse bien plus que je ne l'aurais pensé. Mais, il est l'heure de passer aux choses sérieuses, j'ai encore du travail à faire.

Il semble heureux que je m'oppose à lui, il m'accorde un sourire fier, ses dents blanches contrastent avec le décor sombre autour de nous. Il le perd aussi vite, se tourne ensuite vers les gardes. D'une voix autoritaire, il leur demande :

– Emmenez les.

Le garde derrière moi me tire brusquement sur le bras et me relève sans même que je n'ai la force de m'y opposer. Mon corps ne me répond plus. Il est paralysé par la douleur et la peur. Amélia sanglote à côté de moi, elle aussi emmené avec force par son garde. Ils ne nous accordent aucun regard, aucune attention. Ils obéissent simplement aux ordres, comme des automates.

Je tourne le regard vers le centre de la pièce. Mon coeur se met à battre la chamade quand je réalise qu'il parlait d'Amélia et moi uniquement, Harry se fait soulever du sol par deux gardes qui lui tiennent chacun un bras. Il se tient droit et courageux, même quand Elias se tourne vers lui avec un air euphorique sur son visage.

– Harry !

Il lève ses yeux vers moi, nos regards se croisent un instant. Une fraction de secondes. J'y lis trop de choses et pas assez à la fois, un mélange d'émotions qui me donnent envie de courir vers lui et le protéger avec mon corps. Je veux le serrer dans mes bras, m'excuser, lui dire que tout va bien se passer, qu'il va s'en sortir, qu'on va tous y survivre, qu'il va retrouver sa famille. Je veux l'embrasser, goûter ses lèvres rien qu'une seule fois, lui dire qu'il est spéciale lui aussi, que je tiens à lui, qu'il me fait sentir moi-même, qu'il me fait sourire et battre le coeur comme jamais personne n'a su le faire, que j'ai pensé à lui tout le temps depuis notre première rencontre, que j'ai appris le nom des constellations lorsqu'on était éloignés, que je suis en train de tomber amoureux de lui.

Mais le garde enserre son emprise sur moi, ses doigts s'enfoncent dans ma peau et je suis certain qu'il m'a laissé une marque. Je ravale mes sanglots, mes lèvres tremblent, ma langue est lourde.

Seulement je ne pense pas à la douleur, je ne pense qu'à Harry. Harry qui va rester seul ici, confronté à Elias, à sa magie, sa puissance, sa colère, sa soif de sang et de pouvoirs. Une boule se forme en travers de ma gorge, les larmes me montent aux yeux, ceux d'Harry brillent. Il ne veut pas pleurer devant moi. Je vois ses lèvres bouger, il murmure mon prénom.

– Ne vous en faîtes pas, je vais prendre grand soin de lui ! On doit avoir une discussion tous les deux.

Elias me lance un sourire malicieux. J'ai eu le temps de voir une lueur sombre passer dans son regard, une lueur qui n'annonce rien de bon.

Puis, Amélia et moi, nous sommes entraînés de force en dehors de la pièce.

*

Un soupir m'échappe et ma tête retombe lourdement contre le mur derrière moi. La peau vive et sensible de mes poignets me lance, il est impossible de me défaire de ces menottes et le moindre frottement me brûle directement. Je serre les dents, ferme les yeux. De toute façon, on ne peut quasiment rien voir autour de nous. Si ce n'est les lueurs des chandeliers ou bougies dans le couloir, nous sommes plongés dans une pénombre angoissante.

La cellule est humide, sale et froide. Le sol est recouvert d'une couche de poussière et de cailloux. Nous sommes certainement enfermés dans ce petit espace depuis ce qui semble être des heures maintenant, et à part un garde qui passe de temps en temps, nous n'avons eu aucun contact humain. Surtout, nous ne savons pas ce qu'il en devient d'Harry et ça me rend fou.

– Tu vas te faire du mal pour rien, Louis...

La voix d'Amélia est encore brisée de chagrin, j'inspire grandement, étends mes jambes devant moi et ravale ma salive. Je suis épuisé, j'ai peur, mon corps me lance, je sens mes poignets qui saignent mais je n'ai pas envie d'arrêter de me battre. Je ne peux pas abandonner Harry maintenant alors qu'il a plus besoin de nous que jamais.

Contrairement à moi, depuis que nous sommes là, Amélia est restée très calme. Elle n'a pas bougé de sa place, assise en face de moi, les mains ligotées dans son dos elle aussi. Nous sommes impuissants tous les deux. Mais je cherche quand même à me redresser, à trouver un moyen de sortir de ce cachot sinistre.

– Il faut qu'on sorte d'ici Amélia, on en peut pas le laisser tout seul !

– Je sais, je sais mais... nous sommes attachés, enfermés dans une cellule et la magie nous retient. Nous ne pouvons rien faire de plus que... que d'attendre.

– Harry n'a peut-être pas ce temps là.

Ça me tue de le dire à voix haute, que ça devienne une réalité. Chaque seconde qui passe le met davantage en danger, et nous avec, et je refuse de resté sagement assit à compter les minutes jusqu'à ma mort.

– Il est fort, il tiendra le coup.

– Tu ne sais pas ce qu'il lui fait subir là-haut... j'aurais dû... j'aurais dû lui...

– Qu'est-ce que tu aurais pu faire Louis ? M'interrompt Amélia d'une voix étranglée. Il t'aurait tué ou au mieux torturé éternellement. Elias ne connaît que ça, la douleur qu'il inflige aux autres, il s'en nourrit. C'est ça qui le rend si puissant, qui le fait vivre.

Sans Amélia, je serais en train de perdre la tête. Elle est encore capable de raisonner et de voir le côté positif des choses. Elle a raison, si je fais un scandale, Elias n'en sera que plus ravi. Je n'aurais rien pu faire là-haut, je n'aurais pas pu lui sauver la vie, Elias me l'aurait ôté bien avant que je ne puisse tenter le moindre geste.

– Je déteste être coincé ici. Et s'il...

Je ravale ma salive lourdement, ma gorge est tellement nouée que je manque de m'étouffer avec un sanglot lointain. Chaque battement de mon coeur est plus douloureux encore. Je ferme les yeux, fort, assez fort pour voir les étoiles. Ça me rappelle un peu Harry, ça me donne de l'espoir. Quand j'en ai le courage, je demande :

– S'il est en train de tuer Harry... ?

– Je ne pense pas, pas tout de suite en tout cas. Cette situation l'amuse trop pour qu'il s'en débarrasse aussi vite. Elias sait que ça nous fait souffrir qu'il s'en prenne à lui, alors il va en jouer.

– Je vais le tuer.

– C'est ce que nous voulons tous, mais nous n'allons pas y arriver si nous prenons des décisions précipitées.

– Honnêtement Amélia, je t'admire. Je ne sais pas comment tu fais pour savoir réfléchir dans situation pareille.

A sa place, je serais en train de hurler pour qu'on le libère. Son meilleur ami est certainement en train de se faire torturer à quelques mètres au-dessus de nous et elle ne peut qu'attendre. Attendre son retour ou

Je peux entendre son sourire quand elle me répond :

– Il faut bien que l'un de nous soit le cerveau ici.

Sa remarque a le don de me faire rire, je soupire et elle pouffe à son tour. Le poids sur ma poitrine s'allège un peu. Son optimisme m'empêche de penser au pire et trop m'emporter.

– Plus sérieusement, on aura notre chance à un moment. Il faut être patient.

– Ce que je ne suis pas.

– Je l'avais remarqué. Mais... Harry va s'en sortir, il... il est très courageux. Sans lui, j'aurais craqué depuis bien longtemps lorsque nous étions enfermés dans cette maison. Je tournais en rond, je pleurais, je ne sortais pas de mon lit, je passais mon temps à lire les cartes et cuisiner pour un régiment. Il m'a fait penser à autre chose, au fait que j'allais revoir Mitsuko en sortant, que nous irions tous les trois à la mer parce qu'elle n'a jamais vu l'océan, que je pourrais lui préparer mes plats et gâteaux préférés. Il m'a donné de l'espoir, quelque chose à quoi m'accrocher. Jusqu'à ce que tu arrives.

Leur seul et premier espoir. Leur sauveur.

J'en suis encore moins persuadé maintenant. La situation s'est totalement retournée et je ne me serais jamais attendu à me retrouver enfermé dans les prisons d'un des plus grands sorciers de l'univers. A l'aube de ma mort.

Mes parents et mes amis doivent être morts d'inquiétude. Pour eux, je dois avoir disparu depuis plus d'un mois maintenant. Je ne sais pas comment je pourrais leur expliquer ce qui m'arrive si je sors vivant de cet endroit. Qu'est-ce que je devrais leur dire ? La vérité ? Est-ce qu'ils me croiront seulement ? C'est à peine si mon père et ma mère me regardent.

A chaque fois que je ravale, j'ai encore le goût amer du sang dans ma bouche, sur ma langue. Le sang qu'Elias a fait couler avec sa magie. Peut-être celui d'Harry aussi à la seconde même. Je serre les poings, essaie de ne pas y penser. C'est difficile, parce que me tuer de savoir qu'on lui fait du mal, que je suis là, à quelques mètres de lui et que je ne peux pas l'aider. Alors que je lui en ai fait la promesse.

– Il tient beaucoup à toi, tu sais.

J'ouvre les yeux, directement plongé dans le noir, comme si je pouvais voir l'expression sur son visage. Je n'ai pas besoin de ça pour deviner le sourire qui doit se dessiner sur ses lèvres.

– Je veux dire, moi aussi, forcément vu ce qui nous arrive on a noué des liens très vite mais... mais Harry et toi, c'est différent, pas vrai ? Je l'ai vu dès que vous vous êtes regardés.

Mon souffle se fait plus lent et j'espère sincèrement qu'Amélia ne peut pas entendre mon coeur battre la chamade de là où elle est. Je suis ravi qu'elle ne puisse pas voir le rose qui me monte aux joues.

– Je le connais par coeur, même s'il essaie de le cacher, c'est évident.

– Évident ?

– Oui, ça crève les yeux. Il va sûrement me tuer s'il m'entendait dire ça mais... il est très... réservé Harry, tu vois ce que je veux dire ? Moi, quand j'apprécie quelqu'un je suis le genre de personne à tout faire pour lui montrer, les grands gestes, les déclarations. J'ai effrayé pas mal de filles parce que je suis passionnée et enjouée. Disons que, quand je ne fais pas les choses à moitié. Harry, lui, il va plutôt attendre que le temps fasse les choses. Même si ça doit prendre des semaines, voir des mois. Il ne fera presque jamais le premier pas, je pense qu'il a peur d'être blessé. Mais il est trop patient et la vie est trop courte, je pense que c'est une très bonne chose qu'il t'ait rencontré.

Je cligne des yeux, les joues en feu. Ses paroles atteignent petit à petit mon cerveau et je fronce les sourcils.

– Quoi... ? Pourquoi ?

– Parce que je sais que toi, tu ne vas pas le faire attendre.

– J'ai peur de ne pas bien comprendre.

C'est un long soupir exaspéré qui sort de sa bouche et ça me ferait presque sourire. Je peux presque la voir devant moi lever les yeux au ciel et poser ses mains fermement sur ses hanches.

– Ah mais c'est pas possible ! Est-ce que tous les hommes sont aussi longs à la détente ?

Le fantôme d'un rictus se dessine sur le coin de mes lèvres, je m'apprête à répondre, mais elle enchaîne :

– Louis, réponds moi très sérieusement, Harry te plaît ?

Sa question me prend de court. Il me faut plusieurs secondes pour réagir. Pourtant la réponse est, comme l'a si bien dit Amélia, évidente. Je sais ce que je ressens. Je n'ai aucun doute sur ce que je ressens. Harry me plaît. Depuis la première fois que je l'ai vu peut-être, depuis qu'on a observé les constellations et étoiles ensemble sur son plafond, depuis qu'il m'a parlé de ses plantes et de leurs vertus médicinales.

Mieux encore, j'aime Harry. J'aime sa voix, sa façon de parler lente et détachée, son sourire, l'intensité dans ses yeux et les petites lueurs qui y brillent quand on prend le temps de les détailler, sa manière de voir le monde, son rapport aux plantes et à la vie, son calme, son altruisme, son courage, sa force. Et j'aimerais lui dire tout ça en face, j'aimerais lui tenir les mains et lui faire la liste de toutes ces choses que je trouve si belles et uniques chez lui.

Je n'ai pas le temps de fournir ma réponse à Amélia, parce qu'un bruit nous interrompt. Un bruit de pas, quelque chose qui gratte au sol. Mon corps entier se tend, je tourne la tête vers l'entrée de la cellule. Je plisse les yeux parce que nous ne voyons presque rien dans le noir.

Mais il y a une petite ombre qui apparaît au sol, qui se démarque petit à petit à la lueur des bougies. Ma respiration se coupe. Amélia retient son souffle. Il y a un silence. Puis un miaulement.

Je n'y crois pas mes yeux. Je pourrais pleurer de joie. Notre espoir. Il se tient sur quatre pattes.

– Dante !

Amélia l'appelle, comme une délivrance. Je me redresse pour atteindre les barreaux de la cellule, mon regard ne quitte pas ces petits yeux jaunes dans la pénombre. Malgré la faible lumière, je distingue la forme de sa tête et sa queue qui se tord derrière lui.

Il miaule à nouveau, je rampe presque jusqu'à lui parce que j'ai les mains liées dans le dos. Derrière moi, j'entends Amélia qui tente de se rapprocher aussi. Quand je suis arrivé à hauteur, je colle ma tête aux barreaux glacé et je sens la langue de Dante lécher le bout de mon nez. Un léger rire m'échappe. Je me sens plus léger d'un coup.

– Dante, qu'est-ce que tu fais là ? Où est-ce que tu étais tout ce temps ?

– Avec moi.

Je ne m'attendais pas à ce qu'on me réponde, encore moins une voix féminine. Mon corps se tend, je me redresse. Dante ne bouge pas d'un poil et s'assoit même docilement, son regard jaune rivé sur nous. Dans la pénombre, on pourrait presque croire que ses yeux flottent tout seuls dans l'air.

Une silhouette, humaine cette fois, apparaît derrière lui. Je ne reconnais pas cette voix, une boule de lumière vole dans l'air à côté de son visage inconnu. Jeune mais creusé par la fatigue. Maintenant quasiment à mes côtés, j'entends Amélia reprendre son souffle et presque s'écrier de soulagement :

– Gemma ?!

– Salut Amélia, je savais que c'était toi que j'avais reconnu. Qu'est-ce que tu fais ici ?

– C'est une longue histoire. Mais Harry est en danger, là-haut avec Elias.

Le peu de lumière me permet de voir la jeune femme mettre une clé dans la serrure de la prison et en ouvrir les grilles. Elle s'avance vers nous. La boule de lumière la suit, Dante nous observe attentivement. A l'aide de ses simples mains et de mots murmurés que je ne comprends pas, elle défait les menottes dans le dos d'Amélia puis dans le mien.

Nous nous redressons mais j'ai la sensation que tous mes os sont brisés. Je n'ai pas de force. Amélia fond dans les bras de la jeune femme qui la serre contre elle, affectueusement. Quand elles se détachent, Amélia sourit et l'inconnue nous lance un regard déterminé.

– Allons sauver mon petit frère.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top