Partie III - chapitre cinq :

5.

 Une caresse dans le creux de mon cou me tire de mon sommeil. J'ouvre doucement les yeux, la faible lumière du jour transperce à travers les volets quasiment fermés. Le décor autour de moi n'est pas celui de ma chambre, il ne m'est pas du tout familier. Mais je sais où je suis, je sais où j'ai passé la nuit.

Je cligne des paupières et mais je n'ai pas besoin de baisser les yeux pour savoir qui m'a réveillé. Ce n'est pas ma petite sœur, ce n'est pas Théo. C'est une boule de poils noirs qui se met à ronronner près de mon visage. Je souris tandis que Dante passe son museau contre ma joue et réclame mon attention, se mettant à miauler.

– Qu'est-ce que tu fais ici toi ?

Mes doigts viennent caresser son dos, son pelage toujours aussi lisse et soyeux. Je pourrais fermer les yeux et rester là pour l'éternité. Le temps n'a plus de valeurs. Ici ou ailleurs, ça n'a pas d'importance.

– Comment es-tu rentré mh ? Tu sais ouvrir les portes maintenant ?

Dante ne me répond pas, comme je m'y attendais bien sûr, à la place il passe sa langue contre mon menton, ce qui me fait rire doucement. Sa patte se pose sur mon torse et il grimpe presque entièrement sur moi pour mieux m'atteindre. Je pouffe, passe une main dans son dos et embrasse son crâne tandis qu'il se met à ronronner de plus belle.

– D'accord, d'accord, tu vas avoir tes câlins. Tu sais ce que tu veux toi hein ? Petite fripouille.

Ces petits câlins durent un moment, mais je ne m'en plains pas parce que Dante est une source de chaleur et je pourrais presque me rendormir. Seulement, la bonne odeur de pain grillé et de café me parvient aux narines depuis plusieurs minutes et mon ventre se met à gargouiller.

Quand je me redresse, Dante saute depuis le matelas au sol. Il étire sa queue et me regarde, en miaulant. Je sors du lit, frotte mes yeux, passe une main dans mes cheveux et descend avec lui en cuisine. En passant, je remarque sur une horloge qu'il est presque dix heures trente.

Sans surprise, c'est Amélia que je trouve derrière les fourneaux. Elle porte un tablier noué dans on dos au-dessus de ses vêtements et ses cheveux attachés, visiblement appliquée dans sa tâche elle ne me voit pas arriver. Mais Harry est là aussi, il termine de dresser la table et c'est son regard qui croise en premier le mien. Il me sourit, puis caresse Dante qui a déjà grimpé sur une chaise.

– Bonjour.

Ma voix est encore enrouée de sommeil, je me racle la gorge et fais une petite grimace. Harry me tend un verre d'eau fraîche, puis termine de mettre les couverts pour trois. Amélia se tourne vers moi, son visage s'illumine. Elle tend ses bras ouverts, les yeux légèrement plissés par son sourire. Je n'hésite pas longtemps et lui rend son étreinte, elle me serre avec tant d'affection dans ses bras que ça me donne presque les larmes aux yeux.

– Joyeux anniversaire Louis !

Je me recule et jette un regard à Harry qui hausse les épaules, le même sourire amusé toujours sur ses lèvres. Amélia m'avoue qu'il l'a informe hier soir qu'aujourd'hui était une journée spéciale pour moi, je lève les yeux au ciel mais la remercie.

Harry se tourne légèrement vers moi, se mord la lèvre et me fait un petit signe de tête pour que je vienne aussi recevoir son câlin. En deux pas, je suis dans ses bras et mes paupières se ferment presque automatiquement. Sa joue frôle la mienne, ma peau frissonne, je sens son pouce caresser brièvement le creux de mon dos, un simple mouvement circulaire qui réussit à effacer tous mes doutes. Tout près de mon oreille, il murmure :

– Joyeux anniversaire.

– Merci Harry.

Son souffle contre ma joue m'envoie un frisson dans le corps. Nous nous reculons en même temps, ses doigts s'éternisent une seconde sur ma hanche. Je peux jurer les sentir exercer une légère pression, puis il fait un pas en arrière et nous échangeons un sourire. Amélia retourne à sa recette, mais sa voix résonne à nouveau dans la cuisine.

– Tu as bien dormi ?

– Je n'ai pas passé une aussi bonne nuit depuis longtemps.

– Et on ne t'a pas entendu crier, donc je suppose que tu n'as pas fait de cauchemars ?

La remarque d'Harry me fait sourire en coin, je me mords la lèvre et secoue la tête. Je bois deux gorgées d'eau avant de proposer mon aide, Amélia ne perd pas une seconde pour presque m'ordonner de m'asseoir et lui dire ce que je pense des pancakes à la cannelle. Harry rit silencieusement, prend place en face de moi et me propose du thé. Je hoche la tête en le remerciant.

Au-dessus des deux épais pancakes dans l'assiette, entourés de morceaux de fraises et couverts de chantilly faite maison, Amélia a planté une bougie qu'Harry allume avec un briquet. Ils me sourient tous les deux, je cache mes rougissements et mon sourire en baissant la tête vers l'assiette, quelque peu gêné par toutes ces attentions dont je n'ai pas l'habitude.

Ils se mettent à me chanter un joyeux anniversaire à l'unisson, la voix d'Harry dominée par celle d'Amélia, qui apparemment ne se préoccupe pas une seule seconde de savoir si elle chante faux ou non. Un grand sourire habille son visage quand elle me dit :

– Fais un vœux.

Je fixe la bougie plusieurs secondes et cherche au fond de moi ce que je pourrais bien demander. Quand je lève les yeux, mon regard trouve celui d'Harry, il joue avec un bout de sa serviette et me sourit. Mon coeur fait un saut étrange à l'intérieur de ma poitrine, j'ai les mains moites et je crois qu je sais pourquoi. Je commence à comprendre les réactions de mon corps. Le regard fixé sur lui, je me demande : est-ce que ce serait trop déplacé de souhaiter qu'il m'embrasse ?

Par peur qu'il ne puisse lire dans mes pensées, je repose mon attention sur la bougie et ferme les paupières. Je veux les sauver. Il n'y a rien d'autre que je désire. C'est le vœux que je souhaite réaliser. Les libérer de leur malédiction, qu'ils puissent sortir de cette prison, retrouver leurs familles et leurs proches. Vivre. Je prends une bouffée d'air, ouvre les yeux, souffle et regarde la flamme s'éteindre. Ils m'applaudissent tous les deux, je les remercie encore. Amélia retire la bougie et attend impatiemment que je goûte ce qu'elle m'a préparé.

Nous passons un moment à table tous les trois, Amélia me fait tout goûter et je ne me suis jamais autant régalé. Harry, pour ne pas déroger à ses habitudes, ne parle pas beaucoup, mais il sourit avec plus d'aisance et de légèreté. Amélia est aux anges parce que je la couvre de compliments, mais ses talents culinaires sont réellement à tomber.

– Tu vois, elle finit par m'avouer entre deux bouchées de pancakes, c'est grâce à cette recette que Mitsuko est tombée sous mon charme.

Je souris et remarque qu'Harry lève les yeux au ciel. Dante est maintenant en boule sur ses genoux, profitant au maximum de ses caresses à en juger par les ronronnements réguliers. Amélia me fait un clin d'oeil puis donne un coup de coude à Harry.

– Quoi ? C'est vrai !

– Elle est tombée amoureuse de toi bien avant ça Lia.

– Oui, mais ces pancakes l'ont fait succomber. Qu'est-ce que je t'ai toujours dit Harry ? « Le véritable chemin pour toucher le coeur d'un homme passe par son estomac. »

Harry lève de plus belle les yeux au plafond et pouffe doucement, Amélia lui lance un bout de pain qui tombe sur le rebord de la table et finit par être avalé par Dante. Il s'en lèche goulûment les babines, satisfait de sa trouvaille, avant de se pelotonner contre Harry.

– Désolé Louis, elle a lu ce proverbe chinois sur internet un jour et depuis elle n'arrête pas de le sortir dès qu'elle en a l'occasion.

– En attendant, je te ferais remarqué que tu n'as jamais cuisiné pour personne et tu es toujours célibataire.

Cette fois, Harry soupire lourdement. Je souris, amusé par leur petite scène de chamailleries. Ils sont vraiment comme frère et sœur. C'est certainement leur complicité qui m'a laissé croire à une éventuelle relation amoureuse entre eux. Mais maintenant que je connais la vérité, ils n'ont effectivement rien d'un couple. Je me comporte de la même façon avec ma sœur, même si elle est bien plus jeune que moi. Penser à elle me fait un pincement au coeur.

– Louis ! Dis lui !

Je lève les mains en signe de paix, ne voulant pour rien au monde prendre part à ce débat. Amélia râle et je ris davantage et Harry m'adresse un sourire amusé.

Parce que je déteste rester sans rien faire, je les aide ensuite à débarrasser et insiste pour faire la vaisselle. Harry lave les couverts et je les ressuie. Amélia récure le four à cuisson et les plaques électriques puis emballe les restes de notre petit festin. Au milieu de ce moment, je me dis que ça pourrait devenir une routine dont j'aurais du mal à me lasser.

Amélia s'éclipse au salon lorsqu'elle termine et quelques secondes après un fond de musique nous parvient aux oreilles. Harry me passe une assiette propre que je sèche avec le torchon avant de la poser sur le côté. Nous travaillons en silence, mais ce n'est pas dérangeant. Au contraire, je ne me suis jamais senti aussi apaisé.

Je me surprends même à sourire tout seul en essuyant une fourchette, mon regard perdu dans le vide entre l'étagère parsemée de livres de recettes au-dessus de l'évier et le mur. Harry me tend un verre, je le prends mais recule directement la main quand mes doigts se referment sur les siens. Un contact chaud qui ne dure qu'une fraction de seconde, mais ça suffit à mon corps entier pour réagir au quart de tour. Le verre nous échappe et se brise en mille morceaux au sol.

La surprise me ramène à la réalité, je me recule d'un pas en rougissant, terriblement confus et gêné. J'entends Amélia nous demander si tout va bien, Harry la rassure en disant que ce n'est qu'un verre.

– Je... je suis désolé... ce n'était peut-être pas une bonne idée que je fasse la vaisselle, je suis affreusement maladroit...

Je m'excuse encore en bafouillant un peu, puis me penche pour ramasser les plus gros morceaux éparpillés partout sur le sol de la cuisine. Harry s'accroupit également, mais au lieu de m'aider, il me prend délicatement les poignets et je suis forcé de relever la tête. Le corps entier électrisé par son contact et son regard.

– Ne t'en fais pas Louis, je vais me débrouiller pour ramasser ça au balais. Il vaudrait mieux éviter de te blesser encore une fois.

Le sourire qui apparaît sur ses lèvres est empreint d'amusement et de taquinerie, je sens mes joues chauffer davantage. Nous sommes bien trop proches pour que j'ose respirer, alors je me redresse en hochant la tête. Harry lâche mes poignets, je jette les morceaux de verre que j'avais déjà ramassé dan la poubelle et me gratte nerveusement la nuque.

Harry m'assure encore une fois que ce n'est qu'un verre, je souris en coin puis marmonne que je vais aller m'habiller. Quand je quitte la cuisine, mon coeur bat la chamade et je m'autorise seulement à reprendre mon souffle une fois dans la chambre où j'ai passé la nuit. Je me calme pendant plusieurs minutes, appuyé contre la porte que j'ai fermé brusquement derrière moi. Une main contre ma poitrine, j'attends que les palpitations sous ma peau se calment pour me redresser.

Je refais correctement le lit, ouvre les rideaux et la fenêtre en grand pour laisser rentrer un peu l'air froid de l'hiver. Avant d'aller me laver, je m'éclipse dans le jardin à l'arrière de la maison, avec mon paquet de cigarettes et mon briquet. Je fume deux cigarettes de suite, les doigts qui tremblent à cause du froid, ou peut-être autre chose que je n'ose pas encore m'avouer. Mais ça ne m'aide pas réellement à me sortir ce moment de la tête.

Les doigts d'Harry contre ma peau, son souffle près de mon visage, la chaleur de son contact et les drôles de frissons que tout ça m'a envoyé dans le corps. Je ne devrais peut-être éviter de penser aussi souvent au fait que je voudrais l'embrasser, sentir sa bouche frôle la mienne et glisser mes mains dans ses cheveux, sur sa nuque, sous son pull pour vérifier si sa peau est aussi douce qu'elle en a l'air.

Ce n'est pas la première fois que je désire un homme de cette façon, mais ça n'a jamais été aussi intense. Et aussi, Harry n'a peut-être aucune envie que ça arrive. Harry est peut-être seulement attiré par les femmes. Je grogne contre moi même et écrase le mégot de ma deuxième cigarettes, avant de fermer la baie vitrée et remonter dans la chambre.

Sur le lit, il y a de nouveaux vêtements soigneusement pliés à côté de Dante qui se lèche la patte. Je suppose qu'Amélia ou Harry ont dû se charger de mes les prêter. Je les prend avec moi et vais me changer rapidement dans la salle de bains. Quand je reviens, je ferme la fenêtre. Dante est à présent roulé en boule au-dessus de la couverture.

– Je me suis permis de mettre tes vêtements à laver, ça ne te dérange pas j'espère ?

La voix d'Harry me surprend, je ne l'ai même pas entendu venir dans le couloir. Je me retourne, les poils hérissés sur mes bras. Il tient un pull gris entre ses mains et me le tend avec un sourire léger.

– Il est un peu trop petit pour moi, mais tu devrais le porter. Il fait froid par certains moments dans la journée, et le feu de cheminée n'atteint pas toutes les pièces.

– Oh euh... merci.

Je bafouille encore comme un idiot mais prend le pull d'entre ses mains. Je le déplie, caresse le textile soyeux sous mes doigts et l'enfile sans plus attendre car j'ai la chair de poule. Harry me regarde pendant que je replace mes cheveux et je plonge mes mains dans les poches avant.

Dante saute du lit et sort dans le couloir, comme s'il pouvait sentir la tension entre nous dans la pièce. J'essaie de ne pas trop m'attarder sur le fait qu'il y a partout l'odeur d'Harry sur ce pull ou même le fait qu'il ai pu le porter avant moi. Je serre mes doigts autour des manches, Harry reste à l'entrée de la chambre.

– Amélia est en train de lire les cartes au salon, je... est-ce que tu veux m'aider à m'occuper des plantes et ensuite on pourrait... je ne sais pas, on fera ce que tu veux en fait ?

C'est la première fois que je vois Harry aussi maladroit avec les mots, il a toujours été timide, il évite même mon regard et préfère fixer le tapis au sol. Mais je m'approche lentement de lui et accepte d'un hochement de tête. Il semble ravi.

Je le suis à la véranda, il remplit un arrosoir et me montre à quelle plante je dois donner de l'eau et combien environ. Il reste à mes côtés tandis que je verse l'eau dans chaque pot de terre, plus ou moins grand. A mon plus grand étonnement, je m'en sors plutôt bien. Harry me laisse même arracher quelques feuilles mortes et remettre quelques plantes dans un autre pot.

Soudainement, Harry pose une main sur mon avant bras et je m'arrête dans mes mouvements. Son regard est tourné vers l'extérieur, je suis la direction de ses yeux. Un sourire étire mes lèvres, les doigts d'Harry se resserrent quelque peu autour de mon pull et je m'exclame, émerveillé :

– Il neige !

Il tombe de gros flocons du ciel blanc. Ils se posent délicatement sur l'herbe et la terre du jardin. D'ici quelques minutes, sans aucun doute, tout sera recouvert de blanc. Quand je tourne mon visage vers celui d'Harry, ses yeux brillent. J'ai du mal à mettre le doigt sur ce qu'il peut ressentir, mais je ne laisse pas cette chance passer. Comme il porte lui aussi un pull épais, je saisis sa main dans la mienne, tire sur la poignée de la grande baie vitrée et l'ouvre.

Un souffle glacé entre dans la pièce, enveloppe mon corps et me fait frissonner. Je m'avance afin d'être totalement dehors. Harry me suit, sans hésiter un seul instant. Ses doigts se lient même davantage aux miens, agrippés les uns aux autres, et il regarde avec fascination partout autour de lui. Une pluie de flocons chute autour de son visage, certains se coincent dans ses boucles brunes et donnent l'impression qu'il a plongé sa tête dans un nuage d'étoiles.

Je ne peux pas le lâcher des yeux, et c'est seulement quand il me regarde lui aussi que je détourne mon attention. Si mes joues se mettent à rougir, je dirais que c'est à cause du froid mordant. J'observe la neige, elle tourbillonne et décore le jardin. Même si je commence à être gelé, je ne veux pas rentrer. J'ai envie que ce moment dure une éternité. Harry et moi, sa main dans la mienne, sous un déluge de flocons.

– Je n'avais pas envie que tu vois tout ça.

La voix d'Harry résonne, à peine un murmure, mais je l'entends. Je tourne la tête vers lui, il me regarde avec une lueur de tristesse dans les yeux. Je fronce les sourcils, un sourire sur le coin des lèvres :

– Quoi ? La neige ? C'est formidable, ça fait des années qu'il n'a pas neigé le jour de mon anniversaire et j...

– La malédiction.

Il m'interrompt avec douceur, mais je le sens plus tendu. Il est tourné vers moi, je fais de même afin que l'on soit face à face. Nos doigts ne se sont toujours pas lâchés, j'ai l'impression qu'il agrippe les miens davantage.

– Comment ça ?

– Le soir où tu es revenu chez nous, pour demander des explications, j'ai eu peur. J'aurais dû me sentir heureux que tu sois de retour, que tu n'aie pas tourné le dos pour toujours. Tu étais notre seule chance... Mais je... si je me suis comporté comme ça, si je t'ai proposé plusieurs fois de partir, ce soir là, c'est parce que j'avais peur pour toi.

– Pour moi ?

– Je ne voulais pas te mettre en danger, Louis.

Les seules personnes en danger, ce sont eux deux. Au fond de moi, je sais que mes cauchemars n'étaient pas anodins. Que mon inconscient ne m'envoyait pas ces images pour rien. Harry reprend un souffle qui fait trembler ses épaules. Je ne fais plus attention à la neige qui tombe autour de lui, sur nous, dans nos cheveux et sur nos vêtements. Il me regarde et je ne vois que lui. La lueur dansante dans ses yeux.

– Je savais que, une fois que tu allais voir ce souvenir, rien ne serait plus jamais pareil. Et, quand tu t'es enfui après notre discussion, j'ai eu peur à nouveau. Je me suis senti... vide et perdu. Amélia me disait que tu allais revenir, même si ça te prendrait des années, parce que tu étais quelqu'un de bien. J'étais persuadé que je ne te reverrai plus jamais. Et j'aurais compris tu sais, toute cette histoire c'est... il secoue la tête. N'importe qui aurait déjà abandonné depuis longtemps. Mais tu n'es pas n'importe qui, n'est-ce pas ?

Un sourire naît aux coins de ses lèvres, je lui souris en retour et passe mon pouce contre le dos de sa main encore chaude. Je peux jurer sentir un frisson traverser son corps, mais je ne dis rien. Des larmes apparaissent à l'aube de ses paupières, ce n'est probablement pas seulement à cause du froid.

– Cette année, je t'ai attendu le trente et un Octobre, je t'ai... j'étais à la fenêtre et j'attendais de te voir arriver devant notre porte. Même Dante tournait en rond. Quand la nuit est passé et que le jour s'est levé je... je me suis fait à l'idée que peut-être tu ne viendrais plus. Et je voulais tellement, tellement avoir une autre chance de te voir pour... pour te dire que je suis désolé et que... même si tu ne nous sauvais pas, je souhaitais que tu viennes chez nous, une dernière fois.

Une première larme glisse le long de sa joue rosée, je secoue la tête et lâche ses doigts pour prendre son visage entre mes mains. Il ferme les yeux, et même si nous sommes incroyablement trop proches pour que mon coeur puisse le supporter, je pose mon front contre le sien.

– Harry... je suis là.

Il laisse échapper un souffle tremblant, une sorte de rire perdu au milieu de l'hiver. Je le regarde toujours, passe mon pouce contre sa joue afin d'effacer ses larmes. Nous restons un moment comme ça, plusieurs minutes figées dans le temps.

Harry finit par ouvrir les paupières, le vert de ses yeux humides est intense. Je recule assez la tête pour le regarder, lâche son visage.

– Je suis revenu, pas vrai ?

– Tu es revenu.

Une larme court le long de sa joue jusqu'au col de son pull, je la laisse suivre son chemin. Il hoche lentement mais avec certitude.

– Et je ne vous laisserai pas tomber. Jamais.

En un mouvement désespéré, Harry passe ses bras autour de moi et me serre contre lui. Hier, c'était moi qui m'accrochait ainsi à son corps, aujourd'hui c'est à son tour. Instinctivement, mes doigts se glissent dans ses cheveux bouclés et parsemés de flocons qui fondent à peine. Je n'ai plus froid, la chaleur de sa peau m'enveloppe et je ferme les yeux. Je sens son souffle brûlant dans le creux de mon cou, mon coeur s'emballe, mais je l'étreins davantage.

Peut-être que nous en avons besoin tous les deux. Savoir que nous serons là l'un pour l'autre, malgré tout ce que le futur peut nous réserver. C'est effrayant, dangereux sans aucun doute, mais je compte bien les libérer de cette malédiction, même si ça veut dire que je dois sacrifier ma propre vie.

– Euh les gars... qu'est-ce que vous faites comme ça sous la neige ?

Nous ne nous détachons que lorsque nous entendons une voix féminine depuis la véranda, nous nous tournons dans un même mouvement vers Amélia. Elle nous regarde avec un sourire amusé, les bras croisés sur sa poitrine. Mes joues se teintent de rose, Harry se racle la gorge, une main toujours posée sur ma hanche comme s'il ne voulait pas totalement me quitter.

– Bon, rentrez avant que vous n'attrapiez la mort. Il est l'heure du déjeuner.

Elle rit de plus belle en levant les yeux au ciel et retourne certainement dans la cuisine. Harry et moi rentrons au chaud, et une fois la porte vitrée fermée, nous nous regardons, couverts de neige et le visage rougi par le froid, avant de tomber dans un fou rire.

Harry lève sa main et passe ses doigts dans mes cheveux, il la retire quelques secondes plus tard et je vois un flocon fondre presque directement sur son index. Je lui souris, il se mord la lèvre puis me fait signe de le suivre. Dante miaule derrière nous, frotte son museau à la jambe d'Harry.

Quand nous marchons jusqu'à la cuisine, nos bras se frôlent, nos doigts se cherchent sans vraiment se toucher. J'ai cette chaleur agréable qui naît dans le creux de mon ventre.

C'est le meilleur anniversaire de ma vie.

Jusqu'à ce que, sous nos pieds, le sol se mette à trembler lourdement et que le jour laisse subitement place au noir terrifiant d'une nuit sans étoiles. Toute forme de chaleur quitte mon corps.

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