Partie II - chapitre trois :
3.
Ils sont tous les deux installés sur le grand tapis, près de la cheminée, au pied du canapé sur lequel j'ai finalement prit place. Une couverture, extrêmement douce, me recouvre les épaules. Je frissonne encore sous mon pull et cette couche de chaleur. Un genou ramené contre mon torse, je joue nerveusement avec un petit trou dans le tissu, mes yeux fixent les flammes qui lèchent les bouts de bois.
Harry et Amélia me regardent, ils attendent que je prenne la parole. Je n'ai pas touché à la tasse de thé, maintenant certainement froide, qu'ils m'ont servi. Elle repose sur la table basse, près d'un tas de livres anciens empilés, une bougie dont la flamme vacille, un vase de fleurs rouges et violettes, un magazine sur les plantes et une petite statue grecque.
Dante, lui, ne s'occupe pas le moins du monde de nous. Il est confortablement lové, recroquevillé sur lui-même, devant le feu crépitant de la cheminée. Ses petits ronronnements me parviennent aux oreilles et je me dis que j'aimerais vraiment être un chat, à cet instant là.
– Louis... ?
La voix d'Amélia me ramène sur terre, je tourne la tête vers elle. Ils ont tous les deux une expression à la fois inquiète et curieuse sur le visage. Je prends une grande inspiration, essaie de me calmer pour tout leur raconter en détails et avec clarté.
– Quand je suis venu chez vous, il y a un an je... C'était le trente et un Octobre 2018, d'accord ? Je ne suis resté que quelques heures et... et pourtant...
Je fronce les sourcils puis secoue la tête. A nouveau, il y a cette boule d'angoisse qui enfle dans ma gorge, elle prend de la place et m'empêche de respirer. Ce doute. Ce sentiment de nager au milieu d'un gigantesque océan flou, de se noyer en plein vide.
Amélia tend une main, lentement, et la pose sur mon genou. Son contact éloigne toutes ces pensées et ces questions incessantes. Les yeux d'Harry suivent son geste, les miens ne tardent pas à fixer ses doigts. Je crois qu'elle tente de me rassurer, je cligne plusieurs fois des paupières pour chasser mes larmes et me pince les lèvres.
– Ça n'a probablement aucun sens, mais je... je ne comprends toujours pas ce qu'il s'est passé à l'heure actuelle. Personne n'a de réponses et c'est pour ça que je suis là je... Ce soir là, je suis rentré chez moi et, je ravale ma salive difficilement, et mes parents... mes parents m'ont dit que j'ai disparu pendant deux semaines. Ils... Ils pensent que je suis fou, que je raconte des mensonges ou que j'ai été enlevé mais je... j'ai besoin de savoir, j'ai besoin que vous me dites que je n'ai pas rêvé que je... que je suis bien resté quelques heures chez vous...
La panique grimpe en moi, la même qui m'a habité quand j'ai eu cette même discussions avec mes parents il y a tout pile un an. Seulement, je ne peux pas la laisser prendre possession de moi une nouvelle fois.
Je serre mes mains entre elles jusqu'à ce que mes phalanges deviennent blanches et que je sente des picotements dans mes doigts. Une respiration. Un souffle. Et je reprends :
– Mon père m'a dit que votre adresse était inhabitée depuis des années, je ne l'ai pas cru. Parce que... parce que je vous ai vu. C'était réel. Je vous vois. Vous êtes encore là, vivants. J'ai... J'ai tenté de revenir vous rendre visite mais... la maison était vide, différente. Je n'ai pas baissé les bras, pendant un an je vous ai attendu et ce soir... ce soir j'ai reconnu Dante. Je ne sais pas... dites moi que vous comprenez ce qu'il m'arrive ? S'il vous plaît... j'ai besoin de comprendre ce qui s'est passé l'année dernière.
La main d'Amélia quitte ma jambe. Je lève les yeux vers eux, un frisson me traverse le corps. Harry et Amélia se tiennent étrangement droit, leurs muscles semblent tendus. Ils échangent un regard que je ne comprends pas, quand ils se tournent vers moi leurs visages ne trahissent aucune expression.
Je ne respire plus, je suis tendu à leurs lèvres, j'attends une réponse. J'attends la vérité. Mon coeur bat si fort dans mes oreilles que je n'entends presque pas les mots d'Amélia :
– Il y a une explication, mais elle risque d'être difficile à comprendre.
– Amélia.
C'est la voix grave de Harry, lui qui était resté extrêmement silencieux et en retrait depuis mon arrivée. Il lance à son amie un regard alarmant. Elle soupire, et parle tout bas comme si je ne pouvais pas l'entendre depuis ma place, à quelques centimètres d'eux.
– Je pense qu'on devrait lui dire Harry, il a le droit de connaître la vérité non ? Tu l'as dit toi-même, s'il revient ce sera pour des explications.
– Ce n'est pas une bonne idée, tu le sais aussi bien que moi.
– Mais on a pas le choix, c'est trop tard de toute façon. D'une manière ou d'une autre, il saura et nous n'aurons pas d'autre chance.
– Non, il y a une solution.
Je ne comprends strictement rien à leur conversation, mais la dernière phrase d'Harry a une résonance qui me déplaît fortement. Mon rythme cardiaque s'emballe, je tire sur le bout de mes doigts qui se met à trembler.
L'atmosphère de la pièce devient lourde et étrange. Le feu ne suffit plus pour réchauffer mon corps. Les mots d'Harry ont jeté un froid énorme autour de nous. Même Amélia a un mouvement de recule, elle secoue vivement la tête.
– Ah non Harry ! Je refuse de faire ça, tu imagines un peu les conséquences pour nous trois ?
– L'idée me déplaît autant qu'à toi, je t'assure, seulement ce n'est pas comme ça que ça devait se passer. Elias nous a formellement expliqué que...
– Oui, souffle amèrement Amélia, oui je sais Harry. J'étais là aussi je te rappelle, j'ai tout entendu. Tu crois que j'aime ça, que j'apprécie ce qu'on doit vivre chaque jour ? Ce n'est pas que ton fardeau, tu... tu sais que je t'aime et que je serais toujours là pour te soutenir, mais tu veux... elle chuchote presque ensuite, tu veux vraiment laisser notre seule chance nous échapper ?
Harry baisse les yeux vers le sol, sa mâchoire se contracte et Dante abandonne sa place devant la cheminée afin de venir grimper sur ses genoux. Ça ne semble pas réellement apaiser ses nerfs, mais il laisse un léger soupir lui échapper. Ses longs doigts se perdent dans les poils noirs du chat, sa petite langue rose sort et vient lécher le poignet d'Harry.
A nouveau, il regarde Amélia dont le teint a pâli davantage. Elle se mord la lèvre inférieure. Je ravale bruyamment ma salive, mais ils ne m'accordent pas le moindre coup d'oeil. C'est comme si je n'étais plus dans cette pièce, comme si j'avais disparu. Encore. Je déteste cette sensation.
– Alors quoi, qu'est-ce qu'on fait ? La voix d'Harry est grave. On lui dit la vérité ? Et ensuite ?
– Je ne sais pas, mais je pense qu'on peut lui faire confiance non ?
– Et s'il ne comprend pas ? S'il ne revient pas ? Tu sais ce que ça veut dire pour nous Amélia...
– Ce jeu ne peut pas durer éternellement Harry, tu vois bien ce que ça nous fait ! Tu ne peux pas rester caché là, dans ces quatre murs à attendre que les choses se passent, tu ne peux pas ! Ça te ne te fait rien dis moi ? Ça ne fait rien d'arrêter de vivre comme ça ?
– Mais quel choix j'ai ? Je ne peux rien faire et...
– Si, elle l'interrompt, si tu peux faire quelque chose, seulement tu n'oses pas. Je me trompe ? La réponse est littéralement devant toi, il te suffit de tendre la main, de le laisser entrer et comprendre... Je sais que tu as peur, c'est normal.
– Ce n'est pas aussi simple Amélia.
– Ah tu crois ? Parce qu'à mes yeux il n'y a rien de plus clair. Louis est revenu, il est là, il demande la vérité, pourquoi le lui cacher encore ?
Ils continuent à parler, à parler de moi sous mes yeux, sans me prêter un seul regard. Invisible. Je ne saisis rien de ce qu'ils racontent, mais en plus ils ne me laissent pas l'occasion de m'exprimer. Alors, je me redresse dans le canapé, prend une inspiration et m'exclame haut et fort, malgré les tremblements dans ma voix :
– Je suis encore là.
Le silence, soudain. Ils tournent tous les deux la tête vers moi, je serre les poings. Harry me fixe avec de grands yeux, Amélia m'adresse un faible sourire qui se veut rassurant. Mais je ne suis pas le moins du monde apaisé, je crois même que je n'ai jamais été aussi tendu.
Elle repose ensuite son attention sur Harry, murmure son prénom. Il pousse un long soupir, ferme les yeux et les ouvre sur moi. Ses doigts cessent de caresser le pelage de Dante dont les miaulements ne tardent pas à se faire entendre. Il se redresse, fait rouler son dos et saute sur mes genoux dans un élan gracieux. Je sursaute légèrement, ses deux prunelles jaunes scannent mon visage l'espace de cinq longues et silencieuses secondes. Puis, il se positionne confortablement contre mon torse et passe sa petite langue rosée sur mon menton.
Je pourrais presque sourire à ce geste, si les deux habitants de cette maison ne me regardaient pas de manière aussi étrange et insistante. Dante ronronne lorsque mes doigts se perdent entre la douceur de ses poils, j'ai le temps de voir Harry se tendre puis se lever précipitamment. Même Amélia est surprise par sa brusquerie. La première fois que je l'ai rencontré, il était lent et gracieux. Ce soir, tout dans son corps semble exprimer une crispation.
Cependant, le regard qu'il me lance à présent est déterminé. Une boucle lui tombe presque devant l'oeil, sur le haut de son sourcil, il ne prend pas la peine de la replacer. Il prend un souffle qui sembler faire entrer dans ses poumons tout l'air de la pièce, puis me demande :
– C'est une longue histoire, tu as du temps devant toi ?
– J'ai attendu un an, je réponds tout bas, le temps c'est tout ce que j'ai.
– Et tu es certain de vouloir entendre la vérité ?
– Oui, je suis venu ici pour ça.
Une légère ombre passe sur son visage, il cligne lentement des paupières puis décide de s'asseoir finalement à mes côtés. Il laisse un petit espace entre nos corps, mais je peux sentir d'ici l'odeur de la terre et de la vanille sur sa peau. Je ne détourne pas les yeux.
– Elle risque de ne pas te plaire.
– Je préfère ça que de vivre sans savoir. Ça me rend dingue, vous... vous comprenez ?
Je tourne les yeux vers Amélia qui hoche lentement la tête, Harry se contente de me répondre :
– Louis, je pourrais, il inspire lentement, je pourrais effacer ta mémoire de ce jour là, que tu oublies tout et...
– Harry ! S'élève la voix d'Amélia dans un avertissement que j'ignore.
– Effacer ma mémoire ? De... De quoi tu parles, ce n'est pas...
– Harry ! Râle Amélia puis elle tourne son regard vers moi. Il dit n'importe quoi, ne t'en fais pas. On peut te fournir les réponses que tu attends. Mais peu importe ce que tu vas voir, sache que c'est la pure vérité.
– Ce que je vais voir ? A quoi vous jouez exactement ? Harry me parle d'effacer ma mémoire... vous êtes des sortes de magiciens c'est ça ?
Un rire essoufflé sort de ma bouche, mais leurs visages ne trahissent aucune forme d'amusement. Un nœud puissant enserre ma gorge et, même si ce n'est pas humainement possible, les battements de mon coeur s'arrêtent. Sans le voir, je sens mon teint pâlir et la panique envahir mon corps, retourner mon estomac.
Je cesse de faire des caresses à Dante, mais il ne bouge pas. Il s'est endormi sur mes genoux, la chaleur de son petit corps en boule me réchauffe quelque peu. Ça n'empêche pas un frisson glacé de traverser mon corps et faire hérisser mes poils. Si tout ce que j'ai vécu il y a un an n'avait aucun sens, ce que vient de me dire Harry en a encore moins.
Peut-être qu'au final ce n'était pas une bonne idée de revenir ici. Peut-être que j'aurais dû comprendre le jour où j'ai découvert que cette maison était abandonnée. Peut-être que je suis coincé dans un cauchemar. Je me pince longuement le bras jusqu'à laisser la marque de mes ongles dans ma peau, mais le décor ne change pas. Amélia me regarde tristement, Harry laisse paraître une trace d'inquiétude sur son visage. Je fronce les sourcils, mes doigts se mettent à trembler et je dis, la gorge nouée :
– Je ne... je ne comprends pas...
– Harry, souffle Amélia, montre-lui.
– Me montrer quoi ?
– Louis, demande gentiment Harry, tu veux bien tendre ta main... s'il te plaît ?
La panique est encore plus intense. Je lance un regard perdu à Amélia qui m'encourage d'un signe de tête, un nouveau sourire timide naît sur ses lèvres. Même si tout mon corps me crie de fuir, je tends une main tremblante vers Harry. Il se lève, va chercher une boite ancienne sur le dessus de la cheminée. Il reprend place à ma droite, dans le canapé, ouvre le couvercle et sort une petite pierre ronde et lisse, noire avec des reflets violet foncé à la lumière du feu.
Harry la fixe, inspire une grande bouffée d'air. Ils échangent un regard avec Amélia. J'ai toujours une main moite tendue vers lui, les doigts dépliée et la paume ouverte. Mon souffle se coupe, mais je demande :
– Qu'est-ce que... Qu'est-ce que ça veut dire ?
La tête d'Harry se tourne vers moi, il serre la pierre entre ses longs doigts, puis m'adresse pour la première fois un sourire. Crispé, vide et faible. Mais, subitement, j'ai comme l'impression que je peux lui accorder mon entière confiance, les yeux fermés.
– Quand je vais la poser dans ta main, tu vas... voir des choses. Je sais que ça peut paraître étrange dis comme ça mais... mais tu auras les réponses à toutes tes questions, tu connaîtras la vérité.
– Avec... une pierre ?
Mon air dubitatif fait apparaître une fossette timide sur le coin de sa bouche et naître une lueur vivante dans ses yeux. Il hoche la tête, lentement, puis tend la pierre pour la poser ensuite dans le creux de ma paume. Elle est légère et froide, glacée contre ma peau frissonnante. Je la regarde attentivement quelques secondes, m'attendant à voir quelque chose jaillir de son coeur.
– Tu es sûr de toi Louis ? Tu peux encore faire marche arrière.
– Je veux comprendre, Harry.
– Bien, il murmure, prêt ?
J'acquiesce même si je ne le suis pas du tout. Amélia retient son souffle, Harry lâche la pierre totalement, puis referme ses doigts autour des miens pour que je la tienne fermement dans mon poing. J'ai juste le temps de sentir la chaleur et la douceur de sa peau contre la mienne, un sentiment rassurant envahir le creux de mon ventre. Avant qu'une force inconnue et puissante ne prenne le contrôle de mon corps.
Elle me fait fermer les yeux, malgré moi.
Il y a d'abord un trou noir.
La sensation de me faire transporter hors de mon corps.
Puis, je vois.
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