Partie II - chapitre quatre :

4.

Harry et Amélia sont debout, au milieu d'une grande pièce sombre et silencieuse. Petit à petit, le décor se dessine, se précise. Les contours deviennent nets et presque réels. De grandes bibliothèques qui touchent quasiment le plafond, des livres parfaitement alignés sur les étagères, tous ont les mêmes tranches à la couleur marron, l'épaisseur d'un dictionnaire et un aspect ancien, usés par le temps.

Tout autour des deux amis, il y a de longues tables en bois, de petites lampes posées au milieu de celles-ci qui servent d'éclairage et diffusent une faible lumière dorée. Des sièges vacants, aucun livre ne traîne ou n'est sorti de sa rangée, aucune trace de poussière nul part.

Chaque objet, chaque meuble est à sa place, tout est parfait. Trop parfait pour être normal.

Un homme, vêtu d'une longue robe noire ouverte au-dessus d'un ensemble cintré de la même couleur, seul le col blanc de sa chemise tranche avec l'aspect sombre de sa tenue. Son teint est pale, ses yeux d'un gris clair et sa voix résonne en un écho tranchant dans toute la pièce lorsqu'il se met à parler, lentement, chaque mot roule comme une sentence sur le bout de sa langue.

– Harry Styles. Amélia De Rosemond.

Dans un même geste, ils relèvent leurs visages. Celui d'Harry est ravagé par les larmes, détruit par une profonde tristesse sans nom. Amélia, quant à elle, garde un air fier et courroucé. Rien à part la colère ne peut se lire sur ses traits tendus. Elle puise dans ses forces pour eux deux, c'est à peine si Harry est capable de tenir droit sur ses jambes flageolantes. Épuisé, à bout de force, à bout de vie, détruit.

Ils ont l'air d'être plus jeunes. De quelques années, peut-être. Harry a les cheveux plus longs, qui lui arrivent aux épaules, ceux d'Amélia sont d'une couleur brune, banale, et encadrent son visage beaucoup plus fin et fatigué. Ils ont l'air vides.

Ils le reconnaissent sans même l'avoir vu avant. Elias Rondor.

Pourtant, ils auraient aimé ne jamais faire sa rencontre. Parce que n'importe quelle personne sensée ferait tout pour échapper à ce genre de face à face, pour éviter d'un jour croiser son chemin. Il n'est pas redouté de tous pour rien.

Aux côtés d'Elias apparaissent deux hommes, droits et sur leurs gardes. Ils ne lâchent pas Harry et Amélia des yeux. Un regard froid et dur. L'ombre de la pièce semble émaner de leurs corps tendus. Rien ici n'est naturel.

– Vous savez certainement pourquoi vous vous tenez ici, devant moi, pourquoi vous avez le privilège de me rencontrer enfin ?

Son ton est hautain, sa posture à la fois posée et dominante. Aucun doute, c'est bien le maître des lieux, le maître de tout. Son aura s'assied dans toute l'atmosphère. Étouffante. Harry a presque envie de baisser les yeux au sol quand son regard de fer rencontre le sien. Un frisson glacé remonte le long de son dos, mais il reste digne, malgré les larmes encore coincées dans le creux de sa gorge.

Elias joint ses mains devant lui, ses longs doigts fins ressemblent à des couteaux aiguisés. Ses traits, lisses et sombres, ne traduisent aucune émotion. Il doit avoir la quarantaine, ses cheveux grisonnants sont parfaitement rabattus sur l'arrière de sa tête ovale.

– Le conseil et moi avons jugé vos actes de rébellion comme une menace à la société. C'est pourquoi nous nous sommes réunis d'urgence pour juger de votre sort et que vous, et vos alliés, avez été placé sous cellules en attendant notre décision.

Amélia serre les dents, Harry maintient le regard d'Elias. Leurs bras sont retenus, dans leurs dos, par des menottes. Ils ne font pas le moindre geste, ils ne peuvent pas s'opposer, ils ne peuvent pas faire un seul pas de travers ou ce serait la mort assurée.

Elias n'est pas connue pour sa grande bonté, il est comme ça, sans pitié. La moindre menace est écrasée par la puissance de son pouvoir. Ils ne sont tous que de simple pions dans son grand jeu d'échec. Lui, ne tombe jamais.

– Je ne peux pas me permettre de vous laisser impunis vous comprenez bien j'espère ?La sécurité de notre groupe dépend de moi et ce serait irresponsable de vous libérer sans aucune sanction. Que penserez les autres, n'est-ce pas ? Il faut dire, un léger sourire se dessine sur ses fines lèvres, que je me suis plutôt amusé à trouver votre punition.

Ses doigts se contractent légèrement, forment un cercle. Un léger nuage de fumée noir s'échappe de ses paumes et il tend les mains. Au centre de celles-ci, une pierre. Une petite pierre opaque et lisse, à la surface brillante.

Intrigués, effrayés, Harry et Amélia redressent davantage le menton et écarquillent les yeux de curiosité. La flamme vibrante de malice qui danse dans le regard d'Elias n'annonce rien de bon.

– Cette pierre est ma dernière invention, elle détient un pouvoir immense malgré sa taille dérisoire. Je suis assez fier de moi je dois dire, vous allez me faire part de votre avis quand je vous aurez expliqué sa destinée.

Maintenant, c'est un plaisir malsain qui prend place sur son visage. Il se réjouit de la situation, des pouvoirs qu'il exerce sur eux. Faibles et impuissants. Il sait qu'ils ne peuvent rien, qu'il gagnera dans tous les cas.

– En réalité, c'est très simple. Un jeu d'enfant, je dirais même.

Il rit. Harry retient un nouveau sanglot, parce qu'il déteste le son de son rire. Cruel. Démoniaque. Il lui donne froid dans le dos. Et peut-être aussi des cauchemars pour le reste de son existence. Mais, s'il doit accepter son sort, il peut au moins repartir avec la satisfaction de ne pas avoir craquer devant Elias. Amélia est forte, courageuse, il peut y parvenir lui aussi.

– J'ai placé en elle une malédiction temporelle. Vous allez êtres prisonniers d'une boucle qui ne fera que se répéter encore et encore, dans un endroit familier bien sûr, je ne suis pas un monstre. Je vous ai laissé le décor de votre maison familiale, Harry. Mais, pendant que vous serez enfermés entre ces murs, essayant de vous échapper, vos parents et vos proches continueront de dépérir en prison.

– Vous... éternellement ?

Amélia a osé ouvrir la bouche et prononcer ces mots d'une voix étranglée mais forte. Harry la connaît presque par coeur, il sait à qu'à l'intérieur d'elle-même, elle est totalement apeurée. Mais, extérieurement, elle ne laisse rien paraître. Sa posture est droite, affirmée. Si ses yeux pouvaient jeter des flammes, elle brûlerait cette bâtisse et son propriétaire en un seul regard.

– C'est là, jeune fille, que ça devient amusant. Au début, je pensais vous condamner à une torture éternelle. Mais je pense que je me serais vite lassé, continue Elias d'un ton dédaigneux. Je ne vois pas l'intérêt de garder vos proches dans mes cachots infiniment, ils n'y feront que croupir sans aucune raison. Il faut de l'action et du piment pour que le jeu devienne intéressant, n'est-ce pas ? Pour être clair... Je pense que sans nourriture, sans eau et sans leurs... capacités, ils finiront par tous disparaître. Alors, même si pour vous le temps est figé, vos familles n'auront pas cette chance.

Elias se met à bouger. La pierre vole en apesanteur, toute seule, au milieu de la pièce, à la place où il se tenait une seconde plus tôt. Il s'avance d'un pas, le reste de son corps rigide, sa marche est extrêmement lente. Pareille à celle d'un loup qui examine sa proie. Il contourne les corps d'Amélia et Harry en les suivant des yeux, affamé de voir leurs réactions. Il n'est pas déçu. C'est la meilleure partie du spectacle.

Une goutte de sueur froide descend le long de la nuque d'Harry et termine sa course dans le creux de son dos. Soudainement, il a l'impression qu'une masse d'ombre noire glaciale s'abat sur lui et l'étouffe. Il retient son souffle et serre ses doigts autour du métal froid de ses menottes. Elles lui lacèrent la peau, rugueuse et sensible au niveau des poignets, quelques petites entailles témoignent du frottement et de ses essais pour s'en débarrasser. Il grimace de douleur.

C'est un échec. Il sait que ce ne sont pas de simples menottes et que ce sang séché ne sert à rien. Se débattre ne le mènera nul part. Elias lui lance un petit sourire mesquin, sur le coin de ses lèvres fines, qui fait courir un frisson de crainte le long de son échine.

– Ma réputation veut que je sois un minimum taquin, c'est pour ça qu'on m'admire tant je suppose. Je pourrais aussi tout simplement vous tuer, vous tous, mais ce serait nettement moins jouissant.

Amélia se retient fortement de lever les yeux au ciel, parce qu'elle sait qu'un tel geste lui vaudrait une sentence qui pourrait être fatale. En plus de son air fier et supérieur, Elias s'exprime sur un ton hautain, tout dans sa personne laisse transparaître une domination extrême. Il n'a pas peur. Jamais. Il ne connaît pas cette émotion, au contraire, il s'en nourrit, il se réjouit de la voir naître sur le visage des autres. De ses ennemis, de ses opposants, de ses alliés aussi.

Ses pas le ramènent finalement devant ses deux victimes qui tiennent à peine sur leurs jambes, il délace ses doigts et réunit ses mains derrière son dos. Aucun cheveux de travers, aucun mauvais plis sur ses vêtements, aucune tâche sur ses chaussures cirées. Même un coup de vent ne pourrait gâcher la vision idyllique de sa personne. Parce que si tout le monde le craint, c'est non seulement à cause de sa puissance légendaire, de ses pouvoirs incomparables, mais aussi car aucun autre ne peut le vaincre.

Derrière lui, la pierre flotte encore.

– Quoi qu'il en soit, je pense que vous mourez d'envie de savoir ce que je vous ai réservé, non ?

La mâchoire d'Harry se contracte alors qu'Elias se rapproche, dangereusement, d'Amélia qui cesse de respirer. Ses longs doigts cadavériques se tendent dans le but de frôler sa joue, elle se met à trembler et lutte de toutes ses forces pour garder une posture droite et les paupières ouvertes. Elle le regarde droit dans les yeux. Poussé par son instinct de protection, Harry ordonne clairement entre ses dents :

– Ne la touchez pas.

Un silence glacial tombe sur eux. Le temps se fige. Et peut-être les battements cardiaques des deux amis aussi. Elias tourne son visage vers lui, si lentement que ça en devient effrayant. Ses pupilles grises, froides et vides, se posent sur le visage pâle d'Harry. Il sait ce qui va se passer avant même que ça ne se produise. Dans un geste vif et presque imperceptible, il empoigne les cheveux d'Harry et tire sa tête en arrière pour qu'il le regarde dans les yeux. Son souffle se coupe, il cesse de respirer.

Il est devant lui à présent, il le domine de toute sa personne. Harry est obligé de regarder, de subir en silence. L'odeur qui émane d'Elias est vive, piquante. Elle lui donne les larmes aux yeux. Ou peut-être que ce sont ses doigts qui tirent fermement sur ses cheveux et en arrachent quelques uns au passage.

– Harry Styles, siffle Elias dont le visage est animé par une rage sans nom, vous êtes bien comme vos ordures de parents. Toujours à se mêler de ce qui ne les regarde pas. Insolents, ignares, malpropres. Ah... j'aurais dû vous éliminer depuis longtemps, avant même que vous n'ayez vu le jour ! Et vous savez, ce que je fais à ce genre de... saletés ?

A la fin de sa phrase, il serre les dents. Harry ne cille pas, imperturbable, même si tout à l'intérieur de lui est en feu. Un brasier vif et immense. Une envie de hurler, de pleurer à s'en arracher les entrailles avec les doigts. Il peut supporter tous les coups, toutes les insultes à son égard, mais il refuse que qui que ce soit touche à sa famille. Elle est tout ce qu'il a de plus cher.

C'est une colère extrême qui retourne son ventre, qui contracte son estomac. Il doit serrer les poings pour se retenir de flancher, d'exploser. Il n'a pas le droit de répondre. Même si Elias teste ses limites et fait tout pour le pousser au bord du gouffre.

Harry reçoit un coup de poing brutal dans l'estomac, il se tord en deux sous la douleur. Un gémissement étouffé. Elias lâche ses cheveux et il s'écroule entièrement au sol. La douleur fait vibrer son corps, amène de nouveaux sanglots qu'il lutte pour retenir. Il a l'impression que tous ses os se brisent un à un.

– Sachez une chose, petite vermine... Votre famille périra sous les flammes, un jour ou l'autre, et je serais là pour danser au milieu de vos cendres. J'aurai le plaisir d'écraser vos minuscules os sous mes propres doigts et je cracherai sur chacune de vos têtes mortes.

Elias tourne les talons tandis que ses mots résonnent éternellement dans l'esprit d'Harry. Un goût acre de sang se forme à l'intérieur de sa bouche, il n'ose pas ravaler ou même respirer. Le moindre mouvement réveil en lui une brûlure intense qui se propage dans l'intégralité de ses membres.

Le résultat d'heures entières à rester assit sur un sol rudement dur, à dormir sur de la pierre au milieu d'une humidité crasseuse, sans parler des coups assenés par les gardes au service d'Elias. Eux non plus, n'y vont pas de main morte.

– A genoux, Styles.

Harry n'a aucune force. Son corps ne lui répond plus. Elias n'a pas de patience. C'est une force implacable qui fait se redresser son dos et l'amène à adopter la bonne position. Il n'est même plus maître de ses mouvements. Un léger gémissement de douleur sort de sa bouche en sang sous ses mouvements incontrôlés.

Les deux gardes n'ont pas bougé. Leurs yeux, en quête d'une proie et d'un nouvel ordre, sont figés sur les deux victimes. Eux aussi, c'est Elias qui les dirige. Ils n'ont aucune liberté. Ils ne parlent pas sans y avoir été invité, ils ne font aucun mouvement sans l'intervention de leur supérieur. Elias tient les cordes et tous, sans exception, sont ses marionnettes.

Elias pose à présent sur lui un regard d'acier, quand il le quitte des yeux, Harry sent tous ses muscles se relâcher et ose enfin respirer. Il sent du sang couler sur son menton, mais il ne prend pas la peine de bouger ne serait-ce qu'un doigt.

– Je me sentais d'humeur à plaisanter, mais cette petite... il serre les dents et inspire en regardant Harry, altercation a fait disparaître ma bonne humeur. Alors ce sera simple et rapide. Je ne veux plus perdre mon temps avec des futilités.

Il tend le bras, saisit la pierre qu'il tient fermement entre ses doigts osseux.

– Il y a un seul moyen pour vous délivrer de cette malédiction, je vous aurais bien volontiers donner un indice.... mais Harry a brisé votre seule chance, dommage, il hausse les épaules. On dirait bien que vous allez devoir vous débrouiller par vous même. Je sens que ça va être absolument amusant à regarder ! N'essayez surtout pas de déroger aux règles, même si vous n'avez aucune chance de vous en sortir, je vous ai à l'oeil constamment.

Une légère fumée noire commence à s'échapper de la pierre, un afflux de pouvoir semble se concentrer depuis la main d'Elias vers le creux de la pierre. Elle vibre entre ses doigts. A l'intérieur de ses pupilles, une lueur maléfique se met à brûler.

Le temps se fige. Harry retient son souffle, sa poitrine lui fait affreusement mal. Amélia laisse une première larme rouler le long de sa joue, annonciatrice d'un long sanglot, elle a peur pour son ami. Elle a peur pour sa famille, ses proches et pour elle. Elle a peur pour le reste du monde.

Harry, dans un dernier geste, tourne son visage vers elle. En un seul regard, désespéré, il lui fait la promesse que tout ira bien. Qu'il se battra pour elle, pour lui, pour eux. Pour celles et ceux qui les attendent. Ici.

Elias, de son côté, les observe avec un sourire satisfait, un air euphorique.

Il a gagné, il le sait.

Il ne connaît pas l'échec.

Ses doigts enserrent davantage la pierre frémissante. Les deux amis ne le regardent pas, ils se fixent toujours, mais il n'a pas besoin de ça, il sait déjà qu'il les a brisé.

– N'oubliez pas, jeunes gens, vos familles vous attendent. Ne vous fiez pas aux illusions, le temps est compté.

Ce sont les derniers mots qu'ils entendent, avant de se faire avaler par un nuage noir opaque.

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