Partie II - chapitre deux :

2.

A mes côtés, Dante miaule. Il est affalé sur le sol, près de l'entrée du jardin, et semble attendre ma décision. Avancer vers l'entrée ou faire marche arrière, décider de tout laisser derrière moi et oublier. Mais une telle expérience, ça ne s'efface pas. Elle est encore ancrée vivement en moi. Et j'ai besoin de réponse pour peut-être faire taire sa voix que je n'ai cessé d'entendre pendant des mois.

– Tu crois que je dois y aller, toi ?

Je me penche vers Dante, il se redresse, tourne deux fois autour de moi dans des pas lents et maîtrisés. Puis, il lèche le bout de mes doigts qui attendent, suspendus dans l'air. Ses grands yeux jaunes, inquisiteurs, se posent sur moi.

Les miens dérivent vers la maison, les fenêtres de l'étage du bas sont illuminées par une lumière douce. Je cligne plusieurs fois des paupières pour m'assurer que je n'hallucine pas. Mon coeur bat si vite que j'ai du mal à réfléchir, c'est douloureux de ressentir autant de choses contradictoires en même temps.

L'envie de connaître toute la vérité mais aussi celle de fuir, parce qu'elle fait peur. Parce que il y a quelques jours encore, cette maison était dans un état insalubre, vide et sombre. C'est précisément pour cette raison que j'ai besoin de comprendre ce qui se passe. Pourquoi, un pile après, semble-t-elle revenir à la vie ? Et Harry, Amélia et Dante, où étaient-ils passés pendant tout ce temps ?

Un nouveau miaulement de Dante me fait sursauter, je me redresse et serre les poings. Si je me questionne trop longtemps, je risque de perdre des minutes précieuses. Je n'ai pas envie que la seule façon d'obtenir des explications se dissipe sous mes yeux.

Sous ma poitrine, mon coeur bat à tout rompre et me coupe le souffle, mais j'avance. Doucement, au début, presque à reculons. Dante me suit, va presque plus vite que moi. Puis j'accélère. Je franchis les derniers pas en courant, la respiration haletante alors que je n'ai réellement fait aucun effort surhumain.

Mes doigts tremblent alors que je lève le bras pour sonner, j'hésite, je me pince les lèvres, je souffle longuement et reste au moins deux longues minutes à cogiter sur le perron. Maintenant que j'y suis, je ne peux plus faire marche arrière ou me défiler. Et, de quoi ai-je peur au juste ? D'apprendre la vérité ? De comprendre ce qui m'est arrivé ?

A mes côtés, Dante est assit, le dos droit et la queue roulée au bout. Il attend impatiemment que je me décide. Ses yeux jaunes ne me quittent pas et m'incitent presque à me lancer. Alors, je prends mon courage à deux mains et sonne. Une fois. Le bruit résonne dans toute la maison, et j'ai l'impression de l'entendre de longues secondes jusqu'à ce que la porte s'ouvre. Avant qu'elle ne puisse dévoiler le visage de la personne, Dante se redresse et file comme une flèche à l'intérieur.

Je reconnais la voix d'Amélia, douce et joyeuse. Elle me réchauffe le coeur et me fait monter des frissons dans le dos en même temps.

– Dante ? Mais qu'est-ce que tu fais encore ? Ce n'est quand même pas toi qui a s...

Elle s'arrête en plein de milieu de sa phrase quand elle tourne la tête et que son regard tombe sur moi. Je retiens mon souffle, elle me fixe une poignée de secondes avec de grands yeux étonnés et une expression figée. Puis, son visage se fend dans un sourire et elle m'ouvre totalement la porte.

– Louis ! Mon dieu je suis contente de te voir ! Qu'est-ce que tu fais là ? Ne reste pas dehors tu vas attraper froid.

– J'ai... J'ai besoin de parler.

Ma voix déraille sur la fin, je me racle la gorge et ravale lourdement ma salive. J'ai peur que ce ne soit qu'un rêve, j'ai peur de bouger, de franchir le seuil et me réveiller dans mon propre lit. Encore. J'ai peur de lire ce même questionnement, ce même égarement dans les yeux de mes parents. J'ai peur de revivre la même chose. Je veux que ce soit réel.

Une voix à l'intérieur de moi me souffle d'entrer dans la maison, pour en avoir le coeur net.

– Entre, entre je t'en prie. J'allais justement faire du thé. Tu en veux ?

Je franchis le seuil, malgré cette petite voix au fond de ma tête qui me crie de m'enfuir tant que je le peux. Je n'ai pas le choix. J'ai besoin de réponses. J'ai besoin de comprendre. Je pose mes questions, je les laisse m'expliquer et je m'en vais. Si c'est un rêve, j'ai peur d'en être encore prisonnier.

Pourtant, tout est réel. Aussi palpable et vivant que la première fois. L'odeur des épices, de la terre mouillée et des biscuits tout juste sortis du four. La chaleur du feu sur mes joues et qui enveloppe mon corps à la manière d'une douce couverture. La main d'Amélia, hésitante au début, mais qu'elle pose ensuite délicatement sur mon avant-bras.

Je la suis en cuisine, comme la première fois. Tout est pareil, elle me serre le même thé dans la même tasse et je reste debout, près de la porte. Elle me regarde étrangement, la tête penchée sur le côté, intriguée.

– Tu peux t'asseoir tu sais, elle sourit, tu veux des biscuits fourrés au chocolat ? Je viens de les sortir du four, ils doivent être enco...

– Est-ce que c'est réel ?

Ma voix est basse mais ferme. Je l'interromps dans sa phrase, elle perd une fraction de son sourire pendant l'espace d'une demi seconde, mais retrouve vite sa posture. Elle essuie ses mains sur un torchon, s'appuie contre le bord de la table.

J'ai l'impression de n'entendre que le son que produisent les battements incessants de mon coeur. Dante apparaît en cuisine, il s'avance mollement vers sa gamelle au sol, la renifle, passe un coup de langue à sa surface immaculée et miaule. Amélia détache son attention de moi et se tourne afin de sortir une boite de pâté d'un placard.

Je ne sais pas si elle fait exprès de ne pas répondre, de m'ignorer, mais ça commence à avoir le don de m'agacer. Si je suis venu ici, ce n'est pas pour jouer à un jeu ou courir après les réponses. Une longue minute de silence passe, je reprends la parole.

– S'il te plaît... J'ai besoin de comprendre Amélia, je... Je suis perdu. C'est le bazar dans ma tête, je.. Il y a un an je suis venu chez vous et j'ai... Quand je suis rentré chez moi j'apprends que j'ai disparu pendant deux semaines, personne ne veut me croire, mes parents et mes amis me... me prennent encore pour un fou, ils croient que j'ai consommé de la drogue ou que j'ai été enlevé et j'ai eu beau leur expli...

– Louis, me coupe Amélia d'une voix douce, Louis tu parles trop vite je ne comprends rien.

Son corps est à nouveau tourné vers le mien. Ses yeux sont écarquillés par la panique et le questionnement. A ses pieds, Dante dévore la nourriture compactée et lisse dans sa gamelle. Pendant un instant, nous n'entendons plus que les bruits de sa bouche. Puis le souffle brisé que je relâche. Mes mains se mettent à trembler, mes jambes me lâchent. Tout le poids de mon corps s'abat subitement sur moi.

Je tombe lourdement sur une chaise, le dos appuyé contre le mur. Je presse mes paupières fortement, jusqu'à voir des étoiles apparaître en dessous. Jusqu'à ce que tout le décor se mette à tourner quand je les ouvre à nouveau. Cette fois, Amélia est juste devant moi. Ses lèvres sont colorées d'un mauve foncé, le même trait de liner couvre le dessus de ses yeux et s'étire en une pointe droite au-dessus de ses pommettes. Je ne remarque que maintenant ses cheveux ramenés dans un chignon grossier au-dessus de sa tête et la frange qui couvre son front.

– Je t'en prie, calme toi Louis...

Ma vision se trouble, je sens les larmes affluer en travers de ma gorge, s'agglutiner aux bords de mes paupières lourdes. Je n'ai plus aucune force. Plus aucune conviction de retenir mes larmes devant les autres. J'ai tout intériorisé pendant trop longtemps. Ça devient douloureux, au bout d'un moment, de faire semblant. De faire croire à son entourage que tout va bien, alors que le monde ne cesse de s'écrouler un peu plus chaque jour autour de moi.

Un souffle étranglé m'échappe et une première larme dévale le long de ma joue, suivie d'une autre et une troisième et bientôt ce sont les sanglots qui m'empêchent de parler, de réfléchir. Tout ce à quoi je parviens à penser c'est à quel point j'ai mal à l'intérieur, à quel point tous mes entrailles se resserrent entre eux.

Je sens la main d'Amélia se poser sur mon genou qui tremble. Trop honteux ou épuisé, je penche ma tête et le haut de mon corps en avant, enfouis mon visage entre mes mains et je cache mes larmes. Je sais que ça ne sert à rien parce qu'Amélia a déjà tout vu, tout entendu de la scène. Mais elle ne fait aucune remarque. Sa main monte sur mon épaule, elle caresse le haut de mon dos dans un mouvement circulaire qui m'apaise petit à petit.

Il me faut plusieurs minutes pour reprendre mes esprits et mon souffle. Amélia ne cesse pas ses gestes, elle me murmure même parfois de respirer doucement, de prendre mon temps. Sauf que je n'en ai pas. J'ai attendu un an, c'est extrêmement long de remettre toute son existence en question pendant douze mois.

Quand je redresse la tête vers elle, je ne pleure plus. Mais mes joues sont encore humides et mes yeux certainement rougies et gonflés de larmes. Je me sens pathétique, mais je crois que j'en avais besoin. D'extérioriser tous ces sentiments enfermés en moi depuis tout ce temps.

– Tu te sens mieux ?

Je secoue la tête, lentement, sa main retombe le long de son corps et elle me regarde attentivement. C'est étrange, je me sens compris sans avoir eu besoin de dire un seul mot. Elle ne m'a pas répondu, je devrais être énervé, frustré, mais je suis plutôt apaisé. Comme si ces larmes avaient libéré quelque chose en moi.

Dante, maintenant qu'il a terminé son repas, sort de la cuisine en se léchant les babines. Sa démarche féline ne laisse échapper aucun son sur le parquet. Il ne nous accorde pas même l'ombre d'un regard.

Amélia ouvre la bouche et s'apprête à peut-être me fournir l'explication que j'attends. Mais elle est interrompu par le son d'une voix qui m'est familière, elle aussi.

– Lia, tu aurais vu mes feuilles de menthes que j'ai récolté c...

Harry entre dans la pièce, un petit panier en osier entre les doigts, et au moment où il relève le regard vers nous, il se coupe net dans sa phrase. Le temps semble se figer. Ce qu'il tenait dans sa main tombe au sol dans un bruit sourd. Un tas de feuille s'étale à ses pieds, mais il les enjambe sans même s'en soucier une seconde pour s'avancer vers nous, vers moi.

Le vert sapin de ses yeux est fixé sur mon visage, l'expression du sien est anxieuse. Il lève une main prudemment dans l'intention de la poser sur ma joue, mais se ravise au dernier moment. Le souffle que je retiens depuis tout à l'heure quitte fébrilement ma bouche.

– Louis.

Il murmure mon prénom, dans un souffle. Ses sourcils se froncent et trahissent un questionnement. Il se demande, lui aussi, ce que je fais là. Je ferme les yeux, me concentre pour ne pas pleurer devant lui, pour ne pas me ridiculiser à nouveau. Quand je les ouvre, Amélia s'abaisse afin de ramasser les feuilles et le panier. Elle les dépose sur la table, à côté de la tasse de thé que je n'ai pas touché.

Je force mon coeur à retrouver un rythme normal. Harry détache son attention de moi et questionne Amélia du regard, elle hausse simplement les épaules et me dit :

– Explique nous ce qui se passe Louis, tu voulais nous parler, c'est ça ?

Parler. Expliquer. Ce n'est pas à moi de le faire. Cette boule se forme à nouveau en travers de ma gorge, un goût amer reste collé sur le bout de ma langue. Mais je ne peux pas laisser mes émotions avoir raison de moi une nouvelle fois.

Je ne peux plus mener cette vie, me réveiller dans le mensonge, le déni. Ignorer ce qui s'est passé, faire comme si rien n'avait eu lieu. Un an après, personne ne connaît la vérité. Je ne compte pas repartir ce soir sans la détenir.

Leurs deux regards sont braqués sur moi. Je ne baisse pas le mien. Je prends une longue inspiration qui fait trembler ma poitrine, se comprimer mes poumons. Dante entre dans la pièce, brise quelques secondes la tension qui s'infiltre entre nous. Il se faufile entre les jambes de son maître, Harry, et saute sur mes genoux. Je ne fais aucun geste. Son museau de frotte à mon ventre, il renifle mon pull, se tourne et se roule en boule avant de s'allonger sur mes cuisses. Ses ronronnements, lorsque je glisse finalement mes doigts entre ses poils, font vibrer mon corps.

– Je suis venu parce que... parce que j'ai besoin que vous vous m'expliquiez.

Je ne demande qu'une chose.

La vérité.

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