Partie II - chapitre cinq :

5.

Mon retour à la surface est brutal, je sens une nausée m'envahir dès que j'ouvre les yeux. Mes doigts lâchent instinctivement la pierre qui tombe et roule au sol. J'ai encore l'impression qu'elle me brûle les doigts. Dante s'échappe de mes genoux, saute au sol et court après elle. Amélia se redresse rapidement pour se mettre debout à mes côtés. Harry, toujours assit face à moi, tient à présent mes doigts restés suspendus dans l'air entre les siens.

– Louis... ?

C'est la voix d'Amélia. Mais elle est lointaine. Un écho. Je ne sais pas même pas si je respire. Tout s'est passé si vite et pourtant j'ai le sentiment d'avoir assisté à cette scène pendant d'interminables heures.

Mes yeux se posent sur la pierre noire que Dante renifle maintenant, arrêtée près des pieds de la table ba s se. Puis, l a réalité me rattrape. Tout ce que je viens de voir me frappe en plein visage. Un coup cinglant à la poitrine.

Je me recule, subitement, effrayé et perdu et apeuré. Je me défais du contact d'Harry et toute chaleur quitte mon corps. Il me regarde en fronçant les sourcils, Amélia est infiniment bouleversée. Dans ce à quoi je viens d'assister, ils avaient l'air plus jeunes, plus vivants. Là, devant moi, ils sont... gris. Comme des ombres d'eux-mêmes.

A l'intérieur de ma poitrine, mon coeur bat la chamade, si fort que je ne m'entends pas réfléchir. Harry baisse les yeux, Amélia le regarde et j'ai le temps d'apercevoir une lueur de tristesse dans ses pupilles.

– Je ne... Je ne comprends pas, qu'est-ce que ça veut dire ?

Je ne reconnais pas ma propre voix, brisée et tremblante. Cette vision m'a laissé encore plus confus qu'à mon arrivée dans cette maison. Je ne sais pas si j'ai appris quelque chose, je ne sais pas si ça m'a aidé à éclaircir la situation.

– C'était un souvenir, explique lentement Harry, Un souvenir contenu dans la pierre. Tout ce que tu as vu, et entendu, c'est la réalité. La vérité que tu voulais connaître.

– Mais, la malédiction et le... Qui c'était, cet homme ? Et pourquoi il vous a... puni ? Et moi ? Moi qu'est-ce que j'ai à voir avec... tout ça ?

Ce sont toutes ces questions qui se bousculent dans ma tête, qui m'enserrent la gorge et m'empêchent de respirer correctement. Pourquoi me montrer ça ? Dans quel but ? Quelle est ma place dans toute cette histoire ? Si je me pince assez fort, jusqu'au sang, est-ce que je vais me réveiller dans mon lit et me rendrait compte que ce n'était qu'un cauchemar ? Qu'Harry, Amélia et Dante n'ont jamais existé ? Ma mère me fait souvent la remarque que j'ai une imagination débordant, peut-être qu'elle a raison. Peut-être que mon esprit me joue des tours.

Harry me dit que c'est réel, j'en ai eu l'impression aussi, d'y avoir assisté avec eux, mais... tout ce que j'ai vu et entendu me paraît impossible. J'ai du mal à y croire. Une pierre avec des pouvoirs. Une malédiction temporelle.

Amélia pousse un soupir, jette un dernier regard en coin à Harry qui fixe toujours ses mains et répond à sa place :

– Elias est un puissant magicien et il n...

– Magicien ? J'interromps en haussant un sourcil.

– Sorcier, si tu préfères. Il détient le pouvoir des éléments, enfin presque tous. Le feu et l'air. Il lui manque la terre et l'eau et s'il met ses mains dessus... S'il parvient à les obtenir, ce sera la fin de tout ce qu'on connaît.

J e la fixe un moment, immobile, inerte. Elle se tient encore debout devant moi, attend une réaction. Subitement, je me mets à rire. Ça les surprend tous les deux, ils me regardent, les sourcils froncés alors que je continue de rire devant eux. Ils n'ont pas l'air amusé du tout.

Un souffle froid caresse mon dos, je cesse de rire et ravale ma salive de travers. Le silence est si intense que je peux entendre les battements incessants de mon coeur. Mon expression se fige dans un sourire crispé, presque effrayé.

Au sol, Dante s'est enroulé de tout son corps autour de la pierre, comme pour la protéger. Il ne bouge pas. Je regarde Amélia et Harry, tour à tour, puis souffle :

– Ça n'a... ça n'a aucun sens. Vous... C'est une blague n'est-ce pas ? J'ai lu tous les Harry Potter et j'aime beaucoup mais ça devient vraiment bizarre ce...

– Il n'a rien de drôle, Louis.

La voix d'Harry est grave et rauque, presque froide. Son regard est complètement vide, le vert de ses yeux n'a plus cet éclat de vie. C'est peut-être à ce moment là que je comprends que ce n'est pas un rêve, qu'ils ne se moquent pas de moi.

Ou alors quand Amélia s'accroupit face à moi, le regard vitreux, et prends mes mains glacées et tremblantes dans les siennes.

– Je sais que c'est dur à assimiler Louis, mais nous ne t'avons montrer que la vérité. Cette pierre détient un pouvoir immense dont nous avons été fait prisonniers par Elias. Il y a peu d'élémentalistes dans le monde, mais il en fait partie, comme nos parents ou certains de nos proches. Pour faire simple, ce sont des sorciers qui contrôlent les quatre éléments de la terre et chacun a sa spécialité... Mais ce n'est pas quelque chose qui se transmet héréditairement...

– Elementalises... je murmure pour moi même en fixant le sol. Et... Et vous ?

Amélia s'interrompt à ma question, elle tourne la tête vers Harry qui reste simplement impassible. Elle hausse ensuite les épaules.

– Nous n'avons pas de pouvoirs, mais Harry a une forte connexion à la nature et j'ai tendance à jouer avec le feu, littéralement, elle sourit en coin, alors je suppose que nous en avons gardé des traces dans notre sang.

Mon regard dérive vers la cheminée, je recule mes mains sur mes propres cuisses afin de lâcher celles d'Amélia. Elle semble comprendre que j'ai besoin d'espace personnel, car elle se redresse et lisse le pan sa jupe.

– Alors... vous êtes bloqués ici ?

– Enfermés dans cette maison, oui. Nous ne pouvons pas en sortir. Les pouvoirs de la pierre nous empêchent d'aller dehors, du moins plus loin que le jardin. Ils nous fournissent de la nourriture et tous les autres besoins nécessaires. En fait, on peut demander ce qu'on veut, la pierre nous l'apporte. Sauf la liberté, bien sûr. C'est... un piège, en fait. On peut obtenir tout ce qui nous fait plaisir, mais nous ne sommes jamais satisfaits parce que ce que nous voulons réellement est hors de portée.

– Depuis combien de temps ?

– Cinq ans.

– Mais je... il y a quelque chose que je ne comprends pas. Pourquoi quand je suis revenu, plusieurs fois cette année, je ne vous ai pas vu avant ce soir ? Pourquoi la maison était différente, vide ? Pourquoi tout le monde dit qu'elle est inhabitée depuis longtemps si vous étiez là ?

Ils échangent un regard, je suis pendu à leurs lèvres. J'ai encore tellement de questions qui n'attendent que des réponses. Mais j'ai le sentiment que je ne les aurais pas toute maintenant ou ce soir, que c'est une histoire qui dépasse mon imagination. Même eux semblent être presque aussi perdu que je le suis.

– Parce que nous ne sommes présents qu'une fois par an, le trente et un Octobre. C'est pour ça que tu ne nous as pas trouvé avant, c'est pour ça que personne ne nous voit. Nous sommes invisibles le reste du temps. La malédiction veut que, par année, nous n'ayons qu'une chance de contrer le sort. Et... tu es la première personne à avoir franchi le seuil de notre maison, Louis.

Mon souffle se coupe. Je suis leur seul et premier espoir. La pression sur mes épaules est immense, écrasante. J'en perds la capacité de respirer et j'ai affreusement froid, même entouré d'une cheminée et d'un pull sur mes épaules.

Cinq ans, c'est affreusement long, je me demande comment ils font pour tenir enfermés entre ces murs. Sans aucun moyen d'en sortir. Sans aucune visite à part la mienne. Sans aucun regard sur le monde extérieur. Sans aucune nouvelle des personnes auxquelles ils tiennent.

Harry ne dit rien, mais je sens bien la tension dans son corps, encore proche. J'ai perçu le tremblement de ses doigts contre les miens lorsque je suis revenu à moi, après avoir lâché la pierre. Son pouvoir les affecte tous les deux, ce n'est plus seulement une question de malédiction. La vie de leurs familles et leurs proches est en jeu. Et en me voyant venir chez eux, ils ont retrouvé l'espoir qu'ils avaient cru perdu à jamais. Je ne peux pas leur en vouloir. Mais j'ai besoin de comprendre ce qui se passe, ce qui m'est arrivé il y a un an.

Amélia prend mon silence pour une invitation à continuer, alors que dans mon esprit j'essaie de connecter tous les fils et mémoriser chaque détail de cette histoire.

– Et... le temps est différent entre ces murs. Il passe plus lentement, nous donne l'illusion d'une éternité. C'est... vraiment une torture, Elias ne nous a pas menti. Et Louis, je... Tes parents ont raison, tu t'es bien absenté deux semaines quand tu es venu il y a un an. Mais pour toi, ça n'a semblé que quelques heures.

Mes parents avaient raison et moi aussi et ça n'a aucun sens. Je fixe mes doigts sur mes genoux, qui serrent le tissu de mon jean, les sourcils froncés. Je me répète que ce n'est pas un rêve, un cauchemar mais bien la réalité.

Il y a un an, je suis resté chez eux le temps d'environ trois heures, mais j'ai bien disparu deux semaines. Pendant tout ce temps, j'étais persuadé de détenir la vérité, mes parents n'ont cessé de me surveiller, je les évite du mieux que je peux, je leur adresse à peine la parole et... tout ça pour ça. Pour me retrouver dans une situation encore plus étrange et improbable.

Des fantômes de larmes commencent à se bousculer au bord de mes paupières, un sanglot étrangle ma gorge et j'ai à nouveau cette impression de suffoquer. Je ne pleure pas, pourtant. Pas encore. Peut-être parce que j'ai trop versé de larmes en un an, peut-être parce que mon corps est vide. Un coup de vent et je m'effrite, je pars en morceaux.

– Ils... Je ne peux pas leur dire ça, ils ne me croiront jamais...

Ma tristesse, mon désespoir, ma peur se fait entendre dans ma voix, faible et tremblante. Amélia s'assoit finalement sur la table basse, en face de moi et je l'aperçois jeter un regard à Harry.

– Ce n'est plus... Ce n'est plus comme avant, ils... ils pensent déjà que je suis bizarre depuis ce soir là, alors si je me mets à leur raconter ça ils...

– Tu n'es pas obligé de leur révéler l'entière vérité, Louis.

– Mais... Qu'est-ce que je dois leur dire ?

– Uniquement ce que tu souhaites.

Dans tous les cas, ils ne me croiront jamais. Je regarde Amélia un temps, elle me sourit faiblement mais ses yeux sont humides et sombres. Je ferme les paupières, souffle longuement et inspire une grande bouffée d'air dans mes poumons.

– Tout le monde ne peut pas comprendre, reprend Amélia d'une voix douce, mais si tu es ici c'est parce que tu en es capable et que tu souhaites avoir des réponses. C'est peut-être que tu as pu nous voir, et personne d'autre avant toi. Mais... nous t'avons donné tout ce que nous avons, tout ce que nous savons.

Pourtant, ce n'est pas assez. Il y a encore tant de questionnements, tant de mystères. Et je ne sais pas si j'ai suffisamment de force pour tout entendre, pour tout affronter. J'ai déjà assez de mal à réaliser ce qui m'arrive et ce que cette pierre m'a révélé.

J'ouvre les yeux, Amélia jette un nouveau regard à Harry qui, cette fois, regarde attentivement Dante dormir sur le tapis, devant la cheminée. Il ne ronronne même plus. Seul son petit ventre bouge sous les mouvements de sa respiration.

– Mais la première fois que tu es venu, nous avons tout de suite senti que tu étais... différent. Encore maintenant, ton aura est unique. Nous... nous lisons les cartes de tarot, tu sais, et elles nous ont montré plusieurs fois que quelque chose allait arriver, que quelqu'un allait nous trouver.

– Et... maintenant alors ?

Amélia baisse le regard vers sa jupe, elle joint ses mains sur ses cuisses. Elle semble inquiète. Harry tourne la tête vers elle, toujours impassible. Et je les observe tous les deux, perdu.

Un silence passe et je crois qu'il en dit plus que tous les mots réunis. Une sensation étrange me retourne l'estomac. Je ravale lourdement ma salive, elle se coince dans ma gorge et je laisse échapper un souffle étranglé.

– Qu'est-ce que ça signifie ? Vous avez trouvé la solution pour... mettre fin à cette malédiction ?

– Nous ne sommes pas encore certains.

Ils échangent encore un regard, lourd de sens. Et ça m'agace parce qu'ils me cachent clairement des choses. Ils communiquent à deux et me laissent à part, noyé dans mes interrogations, mes angoisses et mes doutes.

Je serre les poings, frustré, apeuré et éternellement perdu au milieu de cette histoire. Amélia tourne son attention vers moi et me dit :

– Mais tu peux nous aider, nous... en fait, nous avons besoin de toi.

– Non non non, vous... je secoue vivement la tête et hausse le ton. Je voulais simplement comprendre, pas faire partie de toute cette... de ce... Non !

– Louis...

C'est la voix de Harry, mais je ne l'écoute pas. Je ne l'entends pas. Je suis trop préoccupé par la peur qui court dans mon dos, par les battements précipités de mon coeur, par cette voix dans ma tête qui me hurle de partir et de ne jamais revenir.

Parce que ce n'est pas normal.

Parce que tout ce qui se passe ici est étrange, dangereux, insensé.

Parce que les réponses que j'ai eu ne me plaisent pas.

Parce que j'ai peur de ne plus pouvoir oublier ce qui s'est passé, ni pouvoir y échapper.

Je me lève subitement du canapé, un frisson me traverse le corps, les larmes menacent de couler sur mes joues et mon coeur bat si vite que ça en devient douloureux. J'évite de les regarder, ils se redressent aussi.

Mes jambes tremblent, mais je fais le tour du canapé et passe mes doigts dans mes cheveux, sur mon visage. Je me tourne vers eux et m'exclame, à bout de souffle et les nerfs à cramps :

– Je ne peux pas, je ne veux pas ! Vo... Et vos stupides cartes ne peuvent pas vous donner des réponses ?! Elles vous ont prévenu de mon arrivée non ? Alors pourquoi pas vous guider vers la solution ?

– Parce qu'elles ne sont pas dans les cartes, Louis. C'est bien plus grand que ça.

La réponse d'Amélia fait baisser la tension dans mes épaules. Je les regarde tour à tour. Dante s'est réveillé et est maintenant en train d'escalader le dossier du canapé, il tend le museau et se frotte la joue gauche contre le bras de Harry, debout près de lui. Le contact ne le fait pas ciller, ses yeux ne se détachent pas de moi.

Amélia a du mal à garder une expression aussi calme que lui, elle semble effrayée et affreusement accablée. Par le chagrin ou la peur je ne sais pas vraiment. Je vois simplement les larmes qui luisent dans son regard et le tremblement de ses lèvres.

Je me suis peut-être emporté, mais je n'ai pas l'occasion de penser à ça maintenant. Mon esprit est ailleurs. Encore enfermé au sein de cette pierre, de ce qu'elle m'a montré. Si je me concentre, je peux encore les voir tous les deux, faibles, menottés, Harry agenouillé au sol et le sang sur ses lèvres, les larmes dans ses yeux et cette... impuissance.

– Qu'est-ce que ce serait, selon vous, dans ce cas ?

– Toi.

Harry ne me lâche pas du regard en disant ce simple mot. Simple mais qui détruit tout.

Je cligne des paupières plusieurs fois, le coeur lourd dans ma poitrine. Moi ? Je suis la solution ? Je suis celui qui met fin à cette malédiction ? Je les fixe sans rien dire, j'ai envie de rire, mais je n'en ai pas le coeur ou la force. Ils n'ont pas l'air de plaisanter non plus. Rien n'a jamais été aussi sérieux.

Une boule se forme au travers de ma gorge et gonfle, gonfle, gonfle. J'ai la nausée, envie de vomir et hurler. J'arrive à peine à retenir mes sanglots ou à rester debout. Mais je secoue la tête, plusieurs fois, ma vue se trouble à cause des larmes.

Je recule pour trouver le fond de la pièce, tout en faisant en sorte de ne pas leur tourner le dos, je trébuche contre un meuble et tombe en arrière, au sol. Amélia pousse un cri, ils se précipitent tous les deux vers moi. J'ai le temps de sentir les moustaches de Dante contre ma joue, puis la main d'Harry frôler mon poignet. Son contact est chaud, mais je m'en échappe avant qu'il ne puisse me toucher totalement.

Le regard d'Amélia est affolé. Pour la première fois depuis que je suis là, celui d'Harry animé par l'inquiétude. Ils n'ont pas le droit de me demander ça. Ils n'ont pas le droit de me montrer tout ça, de me dévoiler la vérité pour ensuite m'avouer que je suis leur seul espoir.

Je panique. Mon coeur s'affole. Mon corps entier, en réalité. Parce que ça ne peut pas être la réalité. Je ne veux pas être ici. Je ne peux pas rester. Je ne peux pas porter ce fardeau sur mes épaules. Je ne peux pas être leur solution. C'est tout simplement impossible.

Harry appelle mon prénom de sa voix rauque et lente, dans un murmure, tandis que je me redresse rapidement et cours, dos à eux, pour sortir de cette maison. Je les entend crier mon prénom, mais ils ne peuvent pas dépasser le jardin. Ils sont condamnés.

Dehors, je continue de courir. De toutes mes forces. Je cours même si les larmes coulent sur mes joues. Je cours jusqu'à l'épuisement. Je cours jusqu'à perdre mon souffle. Je cours jusqu'à chez moi et m'écroule sur le perron.

Je fuis. Parce que c'est la seule solution.

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