Partie I, chapitre deux :

2.


Je traverse un jardin parsemé d'arbres presque nus, seulement encore quelques feuilles s'accrochent désespéramment aux branches. Dans la nuit, on pourrait presque croire à de grandes mains qui cherchent à monter vers le ciel ou se refermer autour de moi . Mes pieds finissent par atteindre les deux marches qui mènent au perron.

Après avoir compté dix secondes, je toque plusieurs fois, assez fort pour me faire entendre. Je n'ai pas à attendre très longtemps, je n'ai pas le temps d'avoir peur non plus . La porte s'ouvre sur un visage féminin. La jeune femme doit avoir le même âge que moi.

Elle a des cheveux blancs qui lui tombent en carré autour du visage et s'arrêtent dans le bas de sa nuque, les pointes sont de la couleur de la lavande. Elle porte un piercing au nez, plusieurs à ses oreilles, et une petite pierre qui pend à son cou. Ses yeux sont maquillés d'un trait de liner épais, ses lèvres d'un rouge sombre, presque noir.

D'abord, ses sourcils se froncent, puis sa bouche se tord dans un sourire quand elle remarque le chat que je tiens encore contre moi. Je m'apprête à lui expliquer la situation quand l'animal gigote, se débat, me griffe sauvagement l'avant-bras et saute au sol pour entrer rapidement dans la maison. A mon tour, j'ai une plaie qui apparaît sur ma peau et quelques griffures sur le dos de la main.

– Oh non ! S'exclame la jeune femme en s'approchant d'un pas, je suis vraiment navrée. C'est Dante, il peut-être assez grognon et impulsif.

– Ce n'est rien, je... je me racle la gorge et reprends. Je l'ai trouvé sur le bord de la route, pas très loin d'ici, il est blessé à la patte. J'ai vu l'adresse sur son collier, je pensais plus judicieux de vous le ramener.

Elle hoche la tête, regarde derrière elle comme pour vérifier que le chat soit bien là. Puis, elle ouvre un peu plus grand la porte et me fait signe avec son bras. L'incompréhension sur mon visage la fait sourire en coin, elle explique alors :

– Tu as ramené Dante, la moindre des choses c'est de te soigner en retour.

– Merci, mais c'est une simple griffe ça ira. Je pense survivre.

– Il traîne une bonne partie de la journée dehors dans la boue, les parcs et que sais-je... ça risque de s'infecter si c'est mal traité. Et puis, tu as l'air trempé. Je peux te proposer un thé bien chaud ou de l'alcool si c'est ce que tu préfères ?

Un rire léger sort de sa bouche, je ne peux m'empêcher de sourire timidement. Je réfléchis quelques secondes, pense à ce qui s'est passé à la fête chez Zayn, à Théo qui doit bien rire de la situation, se réjouir de sa victoire encore une fois, et accepte finalement d'entrer dans cette demeure.

C'est vaste, grandiose, riche en décoration. Tout cela dans un esprit ancien. On dirait que tous les meubles, les bibelots et mêmes les livres viennent directement d'un siècle antérieur. Beaucoup de bois. Les pièces sont spacieuses, rangées. Dans le salon, il y a un feu de cheminée qui crépite, des bougies allumées un peu partout, l'odeur de l'encens qui me caresse les narines. Au sol, des ouvrages ouverts sur un tapis, des feuilles éparpillés, encore quelques bougies et un jeu de cartes.

La jeune femme me conduit en cuisine, ici ça sent le chocolat, la cannelle et les épices. Elle me laisse m'asseoir sur une chaise, à table, sort une tasse du placard et se tourne vers moi :

– Du thé, alors ?

– Je... Oui, s'il vous plaît, merci.

– Tu peux me tutoyer. Je m'appelle Amélia.

– Louis.

Amélia fait couler de l'eau chaude, depuis la bouilloire, dans la tasse. Elle plonge un sachet dedans, la pose devant moi, puis une cuillère et un petit récipient avec des bouts de sucre. Je retire mon sac de mes épaules, le pose sur la chaise à côté. J'entends ronronner derrière moi, tourne la tête. Le chat entre à pas légers dans la cuisine, se hisse sur la chaise en face de moi, approche son museau d'un paquet de biscuits qu'il se met à renifler.

Tout en souriant d'un air amusé, Amélia le prend délicatement dans ses bras et embrasse son crâne. Elle regarde sa patte blessée, fait une petite moue. Le chat miaule puis frotte son museau contre le creux de son cou.

– T'inquiètes pas mon beau, il va te soigner aussi.

Il. Je fronce les sourcils, mais je n'ai pas le temps de demander, parce que c'est une nouvelle personne qui entre dans la cuisine. Je ne l'ai pas entendu arriver. Ses pas sont encore plus légers que ceux du chat, comme s'ils frôlaient à peine le sol.

C'est un homme cette fois, d'apparence d'une ou ou deux années plus jeune que moi. Ses cheveux sont bouclés, descendent sur le haut de sa nuque, une petite étoffe autour de son visage juvénile, mais très charismatique, ses yeux sont d'un vert sapin. Il porte des bagues à presque tous ses doigts, du vernis noir, une chemise en satin bleu clair, presque transparente, un jean simple qui lui colle aux cuisses, il ne porte pas de chaussettes. Ses pieds nus semblent flotter sur le parquet, ils n'émettent aucun bruit quand il se déplace.

D'abord, il s'avance vers Dante. Je peux jurer avoir vu le chat presque sauter des bras d'Amélia pour aller se réfugier dans ceux du nouvel arrivant. Le fameux Il, certainement. Je sors le sachet de ma tasse, le dépose sur le bord d'une assiette où traînent encore des miettes de biscuits. Je mets une moitié de sucre dedans, la porte à mes lèvres. Le liquide chaud me brûle la langue, je prends une petite gorgée et cache ma grimace derrière le filet de fumée. Thé à la menthe.

Je repose la tasse. Mon regard tombe sur mon poignet et la plaie rougie. Il n'y a pas non plus beaucoup de sang, c'est simplement à vif. Le jeune homme tient toujours Dante contre lui quand il se tourne vers moi, un sourire en coin anime ses lèvres rosées. Ses doigts caressent la tête du chat, ses yeux vert me regardent, se posent sur ma blessure et il dit :

– Suis-moi.

Ce n'est pas vraiment un ordre. Sa voix est douce, son ton agréable. Et le sourire qu'il m'adresse m'invite à lui faire confiance. Je laisse ma tasse là, me relève, remercie Amélia qui me sourit simplement, elle aussi.

Je le suis dans un couloir, nous quittons la chaleur agréable du salon et de la cuisine pour aller vers un endroit qui me semble bien être une véranda. De grandes vitres recouvrent le plafond, descendent pour former une baie vitrée qui fait la taille de la pièce. Elle est éclairée uniquement à la lueur de bougies et une petite lampe de chevet sur une table. Il ne fait ni trop chaud ni trop froid. Ce doit être pour ça qu'il y a des plantes un peu partout. Ça sent la terre mouillée et les fleurs.

Le bruit des gouttes de pluie contre les vitres est apaisant. Je reste debout au milieu, regarde le jeune homme poser Dante sur un canapé et voguer parmi les plantes. Il caresses certaines pétales, laisse traîner le bout de ses doigts sur les tiges, puis se tourne vers moi, quelques feuilles entre les doigts.

– Tu peux aller t'asseoir dans le canapé, Louis ?

Je fronce les sourcils, mes gestes figés. Un frisson caresse mon dos.

– Comment est-ce que tu connais mon prénom ?

Un sourire tire le coin de ses lèvres, une boucle lui tombe sur le haut du front. Il va poser ses feuilles vertes sur une table, prend une grosse cuillère en bois pour l'écraser dans un bol.

– Je vous ai entendu parler avec Amélia.

– Oh.

Mes joues chauffent, je baisse les yeux, m'avance vers le canapé. Je m'assois aux côtés de Dante. Il est allongé de tout son long et prend plus de place que moi. Mes genoux se touchent, j'ose à peine respire. Je l'entends ronronner un peu. Ses paupières, à moitié fermées, laissent voir une lueur de ses yeux jaunes qui suivent les mouvements du jeune homme.

Après quelques minutes à mélanger des ingrédients dans son bol, il vient s'asseoir à mes côtés dans le canapé. Je me décale légèrement, Dante s'étire, lèche un endroit à côté de sa plaie et se rendort.

– Moi c'est Harry.

Harry, donc, me regarde plusieurs secondes sans rien ajouter. Je hoche la tête, il pose le bol sur ses genoux, approche ses longs doigts de mon poignet. Comme pour me demander ma permission, il me regarde et j'acquiesce à nouveau. Dans des gestes délicats, il remonte doucement la manche de mon costume. Sa peau est presque froide, il observe ma blessure et prends une feuille dans le bol. Elle est imbibée et recouverte d'une substance un peu gélatineuse, transparente.

Il la dépose délicatement sur ma plaie, passe lentement ses pouces dessus et m'octroie des caresses circulaires jusqu'à ce que la feuille soit parfaitement posée à la surface de ma peau. C'est froid au début, mais agréable, doux je dirais même. Harry lâche mon poignet, il retombe mollement sur mon genou.

– Il faut le laisser poser un petit moment, le temps que ça agisse.

Un nouveau hochement de tête, Harry tape doucement sa paume sur sa cuisse, le regard rivé sur la place occupée à côté de moi. Dante se redresse immédiatement, escalade mes jambes pour aller s'installer sur les siennes. Il ronronne quand Harry caresse son cou, le haut de son dos et pose le fantôme d'un baiser sur son museau. La langue du chat sort d'entre ses lèvres, effleure le menton d'Harry.

La pluie tombe toujours lentement sur les vitres au-dessus de nos têtes. Je me sens à l'abri. Du mauvais temps. Du monde. C'est étrange. Ici, j'ai l'impression que rien ne peut m'atteindre. Je regarde les gouttes taper doucement sur les vitres, finir leur cascade sur le sol, dans le jardin sombre à l'arrière de la maison. Les branches des arbres dansent une valse lente sous le souffle léger du vent.

Je pose à nouveau les yeux sur Harry. D'une main, il caresse le dos de son chat et de l'autre, il met deux doigts dans le bol posé entre nous. Je demande :

– Tu vas lui appliquer une feuille à lui aussi ?

– Non, il sourit encore, Dante déteste ça. Je vais lui étaler la crème directement. De toute manière, c'est la meilleure solution avec tous ses poils. La première fois que j'ai soigné une de ses blessures, il a mangé la feuille et a vomi pendant une semaine.

En silence, je le regarde appliquer la crème du bout de ses doigts sur la petite plaie du chat. Dante se débat légèrement, mais les caresses d'Harry ont un effet apaisant sur lui. Sa queue s'enroule sur elle-même, s'abaisse et il miaule. Après l'avoir soigné, il le garde dans ses bras, se lève, prend un bâtonnet dans une boite et pose Dante au sol.

– Interdit de te gratter ou de te lécher, fripouille.

Harry lui donne sa friandise. Le chat la dévore au sol, Harry va se laver les mains dans un petit évier au fond de la pièce. La lumière vacillante des bougies rend ses mouvements plus lents, fracturés. Il revient vers le canapé, je baisse le regard vers la feuille toujours autour de mon poignet. Je fronce les sourcils et l'interroge :

– Est-ce que les plantes soignent vraiment ?

Encore ce sourire qui ne quitte jamais ses lèvres. Harry s'assoit à côté de moi, ses gestes n'ont aucune brusquerie. Il est posé, il prend le temps de déplier chaque membre, d'occuper l'espace petit à petit. Comme son chat, il est un peu félin.

– Bien sûr, la médecine est faite à base de plantes. Les médicaments, les infusions, les huiles essentielles... Je n'utilise que des remèdes naturels, la plupart du temps c'est beaucoup plus saint pour la santé et le corps. Surtout, ce sont des choses faciles à faire soi-même, ce n'est pas sorcier vraiment.

Je ne réponds pas, je regarde encore mon poignet. Parfois, ça pique légèrement. L'effet des plantes doit agir. Il m'explique ce avec quoi il a concocté la texture froide qui recouvre la feuille, je ne comprends pas tout, je l'écoute simplement parler parce que sa voix est douce, rassurante. Je me dis que s'il me racontait une histoire, je pourrais m'endormir avec en fond le bruit de la pluie.

Dante a quitté la pièce, il ne reste plus rien de son bâtonnet. Pas une seule miette. Je ne l'ai même pas entendu partir. Au milieu de la pluie maintenant abondante qui tombe dans un bruit plus fort que nous, il n'y a plus qu'Harry et moi. Aucun de nous deux ne dit quoi que ce soit pendant plusieurs minutes. Puis il reprend la parole. Il m'explique certaines vertus que produisent les plantes, que certaines sont comestibles ou vraiment dangereuses car toxiques. Toutes ces plantes sont à lui, Amélia s'en plaint parfois un peu, d'en avoir partout dans la maison, de devoir ramasser des feuilles mortes au sol, ça le fait sourire.

C'est assez fascinant, la manière dont il le raconte. Il connaît énormément de choses sur la nature, il doit avoir lu des tas de livres sur le sujet, appris le nom de chaque plante, étudier leurs bienfaits, les attentions à leur apporter pour les garder en vie et les faire fleurir, pousser. Je suis à peine capable de prendre soin de moi-même et Harry parvient à s'occuper de plusieurs êtres vivants à la fois.

Au bout d'un moment, il regarde mon poignet puis retire délicatement la feuille. Elle colle à peine à ma peau, laisse un couche brillante et un peu visqueuse sur l'avant de mon bras. Harry va jeter la feuille, se savonne à nouveau les mains et me demande :

– Tu veux... aller te laver peut-être ? Tu es encore humide et une douche chaude te ferait certainement du bien.

– Oh, merci, mais je ne veux pas abuser, vous avez déjà fait énormément pour moi, je... Je vais repartir...

– Sous cette pluie ?

Je lève instinctivement les yeux vers le plafond vitré, où les gouttes frappent bruyamment. Je me mords la lèvre, baisse le regard vers Harry qui se tient debout près de la table. Une ombre mouvante au milieu des plantes.

En réalité, l'idée de partir sous une pluie abondante ne m'enchante pas plus que ça, mais je ne veux pas non plus m'introduire chez des inconnus. Même si je commence à apprécier l'odeur de la maison et entendre Harry parler de plantes.

– Par un temps pareil, je te conseillerais de rester au chaud. Il vaudrait mieux éviter de tomber malade, n'est-ce pas ?

Son ton amusé me fait sourire timidement, je hoche la tête. Après avoir été chercher mon sac à dos au salon, Harry me guide dans la salle de bains. Une grande baignoire trône au fond de la pièce, je suis bien tenté de me plonger dans de l'eau chaude pendant de longues minutes. Mais j'abuse déjà assez de la gentillesse d'Harry et Amélia comme ça.

La porte se referme derrière Harry, je sors mes vêtements de rechange de mon sac, retire ce costume humide et me réfugie sous la douche. Je ne prends pas plus de dix minutes, réchauffer la température de mon corps me fait un bien énorme. Mes muscles se détendent, je soupire d'aise.

Une fois les vêtements secs sur mon dos, je vais devant le miroir au-dessus de l'évier. Je retire ma moustache noire et mes lentilles. La couleur naturelle de mes yeux et accentuée par celle, beaucoup plus sombre, de mes cheveux teints. Elle devrait partir d'ici deux lavages et bientôt je retrouverais mon châtain d'origine.

Je quitte la chaleur de la salle de bains, mon corps frisonne quand l'air légèrement plus frais tombe sur ma peau encore chaude. Je remonte un couloir sombre jusqu'à arriver au salon où le feu de cheminée crépite encore. La lumière est tamisée, quelques bougies allumées par ci par là, une lampe de chevet sur une table, posée sur plusieurs livres empilés.

Harry et Amélia, installés dans un des canapés, discutent à voix basses. Ils se retournent, d'un même mouvement délicat, quand j'entre dans la pièce. Silencieuse maintenant. Un nouveau frisson m'enveloppe.

Mais ce n'est pas la fraîcheur du couloir ou le fond d'humidité dans l'air. C'est un frisson qui réveille mon corps, me réchauffe le ventre.

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