Partie I - chapitre cinq :

5.

Pendant une seconde, j'ai eu la naïveté de croire que ce n'était qu'un mauvais rêve. Je me suis réveillé au fond de mon lit, blottis en dessous de deux couvertures. La lumière du jour filtrait à travers les volets à moitié fermés et, au dehors, on pouvait entendre des oiseaux chanter.

Vraiment, ça aurait pu être un matin comme les autres. Je serais descendu prendre mon petit déjeuner avec ma famille, j'aurais volé les céréales de mes sœurs pour les embêter, rigolé avec elle devant des dessins-animés et lu un roman dans mon lit jusque tard dans la matinée comme n'importe quel Samedi matin.

Sauf que ce n'est pas un Samedi matin comme les autres. C'est même tout le contraire.

D'abord, mon regard tombe sur le verre d'eau à moitié vide sur ma table de chevet, la boite de comprimés pour le mal de tête et le thermomètre. Je sens les larmes me monter à nouveau en travers de la gorge. Mais avant de fondre dans une nouvelle crise de larmes, je me redresse dans mon lit.

Je regarde autour de moi, mes parents ont remonté mon sac à dos dans ma chambre. Je me dépêche de fouiller dedans pour sortir mon portable et mon fil afin de le charger. Je le branche dans la prise près de mon lit et l'allume. Quelques secondes passent, interminables. J'entre mon code, le téléphone se connecte au réseau internet et, en même temps, toutes les notifications tombent.

Les messages et appels manqués. Dix. Vingt. Trente. Je ne compte plus. Je n'ai plus la force. Je vois les noms défilés. Ma mère, mon père, Zayn, ma grand-mère, Alban, Liam, une fille de ma classe qui était aussi à la soirée...

Je n'ai pas le courage de les lire ou les écouter pour le moment. Je voudrais les faire disparaître. Mon pouce tremble quand je fais défiler la barre en haut de l'écran et regarde la date d'aujourd'hui.

16 Novembre.

10h17.

Alors, ce sont mes parent qui ont raison ?

J'ai vraiment disparu pendant deux semaines.

C'est insensé. Je ne comprends toujours pas. Et je sens de nouvelles larmes s'accumuler en travers de ma gorge nouée alors que la porte de ma chambre s'ouvre. Ma mère passe sa tête, timidement, et un léger sourire anime ses lèvres. Elle entre, s'assoit précautionneusement sur le bord du lit, sa main trouve mon front. Ce n'est pas seulement un geste tendre, elle vérifie si ma température n'a pas monté pendant la nuit.

Je décale ma tête et pousse un soupir exaspéré. Je pose mon téléphone plus loin, sur la table de chevet et me rallonge sur mon coussin moelleux. Peut-être que je pourrais passer le reste de ma journée ou de ma vie ici, dans le déni.

– Comment tu te sens mon chéri ?

La voix de ma mère est douce, mais encore criblée d'émotions, tremblante des larmes qu'elle a dû verser toute la nuit et ce matin peut-être encore aussi. Ses yeux sont rouges et tirés par la fatigue.

Deux semaines.

Je la regarde, je ravale ma salive, tire les couvertures jusqu'à mon menton puis marmonne :

– Je ne suis pas fou maman.

– Oh je sais bien, nous le savons ton père et moi. Nous... elle soupire, nous essayons simplement de comprendre ce qui s'est passé.

Moi aussi j'aimerais saisir le fin mot de cette histoire. Je n'ai pas envie de sortir du lit, mais ma mère me propose un petit déjeuner, je sens le parfum des pancakes et du café. Je n'en bois pas, mais j'ai toujours apprécier son odeur.

J'enfile un gros pull, encore vêtu de ma tenue de la veille, et la suis au salon. Mon père est à table, sur son téléphone, un bol presque vide de café devant lui et quelques miettes autour. Il relève les yeux vers nous et un sourire apaisé éclaire son visage quand il me voit.

Avant même qu'il ne me demande, je lève les mains et l'informe :

– Je te jure que je vais bien.

Il pourrait presque rire. Presque. Mais l'ambiance est encore trop étrange et tendue pour ça. Je m'installe en face de lui, ma mère me ramène l'assiette de pancakes encore tièdes et ma tasse qui contient un thé noir fumant.

J'ai le ventre noué, et ma gorge me fait mal dès que j'avale, mais je mange quand même. Je termine mes deux pancakes, avec du sirop d'érable, et bois jusqu'à la dernière goutte de thé. Ma mère, qui lave la vaisselle dans la cuisine, me jette des regards et un sourire fier quand je viens lui ramener mes couverts.

Mon père me propose de venir avec lui chercher le journal au bureau de tabac et mes sœurs chez mes grands-parents, je décline la proposition. Je n'ai pas réellement envie de me confronter au regard de tout le monde, aux questions, aux mensonges, à la vie.

Il part, je vais me laver. Je reste longtemps sous l'eau chaude, si bien que ma mère finit par appeler mon prénom depuis le salon, la voix légèrement paniquée. Elle me demande si j'ai terminé, si ça va. Je coupe l'eau, le corps propre et lavé depuis plusieurs minutes déjà. J'étais perdu dans mes pensées, pendant un instant j'ai oublié où je me trouvais.

Je me sèche, enfile de nouveaux vêtements et m'installe dans mon lit. J'ai enfin de le courage de lire les messages que j'ai reçu hier. Ou plutôt, il y a deux semaines.

Ceux de ma mère qui me demandent si je rentre, si je suis à la fête, si je vais bien, de la rappeler, où je suis.

Ceux de Zayn pour savoir si je vais bien au vu de ce qui s'est passé avec Théo, si je suis bien arrivé chez moi, où je suis allé parce que ma mère est inquiète.

Les autres, de différents contacts, ont tous à peu près la même tonalité.

Je n'écoute pas les messages vocaux. A la place, je débranche mon téléphone chargé et le range dans ma poche. Ma mère regarde la télévision au salon, je passe derrière le canapé pour aller prendre mes chaussures et ma veste. Elle m'entend et tourne la tête, baisse le son avec la télécommande.

– Tu t'en vas ?

– Oui, je vais voir Zayn.

Ce n'est pas la vérité. Je ne sais pas même pas si elle existe encore. Mais un mensonge de plus ne peut pas nous tuer. Si je reste ici toute la journée, tout le week-end sans sortir, sous la surveillance apeurée de mes parents, je vais exploser.

Ma réponse a l'air de la soulager, ses épaules s'affaissent d'un poids, elle sourit alors. Elle me dit de bien m'amuser mais de me prévenir quand je suis avec lui et me demande de rentrer dans une heure et demi pour le déjeuner et revoir mes soeurs. Je devine que ce ne sont pas des paroles en l'air. Elle ne veut plus faire la même erreur.

Et moi, j'ai besoin de connaître la vérité.

L'air frais me frappe le visage, s'infiltre sous les pans de ma veste en jean. Je serre mes poings dans mes poches, finis par m'allumer la dernière cigarette du paquet pour la route.

Je sais où je vais. Je retrace le même chemin que j'ai emprunté hier pour revenir. Je marche d'un pas déterminé et me répète

je ne suis pas fou je n'ai pas rêvé je ne mens pas.

Une fois ma cigarette terminée, je l'écrase et la jette dans la poubelle. Je n'attends pas pour reprendre la route. Dans ma tête, il n'y a que ces mots qui tournent en boucle :

7 Rue des épines.

7 Rue des épines.

7 Rue des épines.

J'approche, j'entre dans la rue déserte. Mon coeur bat la chamade. Si personne ne me croit, Harry et Amélia vont me certifier eux même que je suis bien resté que quelques heures chez eux, la nuit du trente et un Octobre.

Sur le chemin, j'envoie un message à ma mère pour l'informer que je suis avec Zayn. J'espère qu'elle ne lui demandera pas confirmation.

Mes derniers pas sont plus précipités, je tourne au coin de la rue, avance en regardant partout autour de moi, en alerte. Et je me fige lorsque j'arrive à destination.

7 Rue des épines.

C'est là. J'y suis.

Mais je m'effondre à genoux, au sol, lorsque mes yeux englobent la maison en face de moi. Un sanglot étouffé me remonte en travers de la gorge.

Je m'enfonce dans le trou béant de l'incompréhension.

Parce que ce n'est pas la maison que j'ai vu hier, pas exactement. Elle est en friche, sur le point de tomber en ruine. Les vitres sont brisés, il y a des trous un peu partout dans le toit, le jardin est laissé à l'abandon et l'herbe, les plantes ont poussés si haut qu'on a du mal à y voir quelque chose.

La porte d'entrée est cassée, à demi-ouverte et un planche en bois à la verticale barre l'accès à la maison. Des toiles d'araignées recouvrent les murs extérieurs, le plafond de la petite terrasse qui mène à l'entrée.

Mais surtout, surtout, elle est abandonnée. Il n'y a aucun signe de vie dans cette demeure. Comme si tout avait péri en l'espace d'une nuit.

Je secoue la tête, serre les poings sur mes cuisses. Les larmes me montent aux yeux et je pousse un cri déchirant qui résonne en un écho perdu dans le silence.

Il n'y a que moi. Pas de maisons proches aux alentours. Il n'y a pas Harry ou Amélia ou même Dante. Aucun bruit. A part celui de mes sanglots et le vent léger entre les feuillages et les plantes mortes et sèches.

Je reste là plusieurs minutes à pleurer sur mon sort. Parce que ça me détruit de l'intérieur, ça me ronge.

Est-ce que ça veut dire que j'ai imaginé tout ça ? Tout ce qui s'est passé dans cette maison ? Pourtant, chaque détail semblait si réel. L'odeur des épices et de la terre mouillée, la chaleur du feu de cheminée, le toucher de Harry sur ma peau, la texture gélatineuse de son remède à base de plantes, le goût du potiron dans la soupe et les ronronnements de Dante.

Je ne peux pas avoir inventé ou rêvé ces quelques heures. Mon coeur bat la chamade et chaque seconde qui passe devient plus insupportable à vivre. Un petit picotement se fait sentir à mon avant-bras, je fronce soudainement les sourcils puis relève la manche de mon pull et ma veste.

Voilà ma preuve. La plaie qu'ont laissé les griffes de Dante dans ma peau hier, il y a deux semaines, peu importe quand. Elle est encore là. Une légère croûte se forme sur le dessus, maintenant presque disparue et soignée.

– Je ne mens pas...

Plusieurs fois, je souffle ces mots en passant mes doigts contre la petite blessure. Si c'était le cas, elle ne serait pas là, gravée sur ma peau frissonnante. Je me redresse, les jambes à moitié flageolante, et me mets à marcher rapidement dans le terrain broussailleux qui mène à l'entrée de la maison.

Mes pas me portent, je finis par courir et manque de tomber en me prenant le pied dans une marche du perron. Je toque à la porte, aux murs, je crie, j'appelle leurs noms, je fais le tour, escalade des débris de bois et regarde par toutes les fenêtres brisées.

Seulement il n'y a rien. Rien que des pièces vides où s'engouffrent des courants d'air froids qui font grincer la maison. Aucun meuble, aucune forme de vie récente.

Tout ce qui se trouvait dans la maison ne peut pas avoir disparu en l'espace d'une nuit seulement. C'est impossible. Cette histoire est impossible. Les larmes se mettent à couleur de plus belle sur mes joues, je tape du poing contre le bois des murs extérieurs et appelle :

– Harry ! Ha.. Harry, s'il te plaît... Harry, Amélia ouvrez moi !

Le souffle du vent me répond.

– Vous êtes là ? C'est quoi cette mauvaise blague ?!

Je ne comprends plus rien, je m'appuie contre le mur et me laisse tomber jusqu'au sol du perron. Mes genoux sont ramenés contre mon torse et je pleure silencieusement. Mais à l'intérieur de moi, tout explose. L'orage gronde, la tempête se précipite davantage à chaque seconde qui passe. Je me fais bousculer et je ne cherche même pas à me défendre, à rester debout ou me relever.

C'est un jeu, n'est-ce pas ? J'en ai assez de me battre. Je ne gagne jamais. Cette partie là, je vais encore la perdre, mais je veux que ça cesse. Je veux qu'on m'explique ce qui s'est passé.

Les minutes passent. Je reste longtemps là, recroquevillé sur le perron, à quelques pas de la porte d'entrée qui grince. Si je ferme les yeux, je peux imaginer parfaitement une scène.

D'abord Dante sort, il miaule et vient se frotter à ma cheville pour quémander des caresses. Paniquée, Amélia part à sa recherche, elle s'arrête dans ses mouvements quand elle me voit devant chez eux. Elle sourit, m'aide à me relever et m'invite à entrer boire un thé. Elle ne me demande pas pourquoi je suis là, ni comment je vais. Elle me parle de cuisine et me fait goûter ses biscuits à la cannelle.

Puis il y a Harry qui entre dans la cuisine, habillé de tissu qui mettent en valeur les formes de son corps et donne une couleur dorée à son teint pale d'origine. Il est toujours pieds nus, je ne l'entends pas arriver mais je sens son parfum. De la vanille et un mélange de plantes. A son tour, il m'adresse ce fameux sourire. Et il me prend la main, m'emmène voir les étoiles dans le télescope, au grenier. Ce soir là il ne pleut pas, alors on peut les observer briller dans le ciel. Je reconnais la Grande Ours. Ça le fait sourire davantage, la couleur émeraude dans ses yeux se met à briller, à devenir plus intense.

Un bruit soudain me fait ouvrir les paupières. Je tourne la tête, un corbeau s'est posé sur la rembarre du perron. Je soupire, me lève, il me scrute et ouvre son bec comme pour m'ordonner de partir. C'est ce que je fais, je m'éloigne, tourne le dos à cette maison abandonnée.

De toute façon, il n'y a plus rien à voir ici. Tout est mort. Ça n'a aucun sens, je ne sais pas ce qui est arrivé, mais je crois que je n'aurais jamais la réponse non plus. Je marche lentement, traîne des pieds et accorde un dernier regard en arrière. Le corbeau s'envole déjà loin dans le ciel, bientôt je ne le vois plus.

Et plus j'avance, plus la maison aussi disparaît. Amélia, Harry et Dante avec. Il ne reste plus rien de cette fin de soirée, sauf les souvenirs que j'en ai. Et jamais personne ne voudra y croire.

Le temps que je rentre à la maison, mes larmes sont sèches. Je toque, ma mère ouvre la porte plusieurs secondes plus tard, son expression passe de la surprise au soulagement.

– Tu es rentré plus tôt.

– Ouais, je souffle, je n'avais plus trop envie de rester dehors finalement.

Tous mes espoirs ont été brisé. Je refuse une tasse de thé et monte dans ma chambre. Je me couche dans le lit, fixe le plafond sans bouger. Je ne sais pas combien de temps je reste ainsi, mais mon pouce se met à caresser machinalement la plaie sur mon avant-bras, le seul souvenir palpable qu'il me reste.

Un peu plus tard, j'entends mon père et ma sœur rentrer. Je n'ai pas le temps de descendre, elles se précipitent dans ma chambre et me couvrent de bisous, de câlins. Ça me fait sourire et me réchauffe le coeur. Dans leurs bras, j'oublie un instant ce qui me rend si triste. Puis l'une d'elle me demande où j'étais, je me fige un peu.

Derrière, mon père leur dit d'aller jouer et de me laisser tranquille. Il me jette un regard inquiet, je serre les poings autour de ma couverture et dis :

– Tu me crois ou pas ? Dis moi que tu me crois papa.

Il souffle lentement puis vient s'asseoir à mes côtés, sur le lit. On entend mes sœurs courir, rire et se mettre à jouer. J'aimerais penser à autre chose aussi facilement.

– Je ne sais plus ce que je dois croire ou non... je voudrais... je voudrais réellement comprendre moi aussi, tu sais. Nous... il secoue la tête. Nous ne te mentons pas Louis, tu as disparu pendant deux semaines et c'était les pires jours de notre vie, tu aurais dû voir l'état de ta mère... on a envoyé tes sœurs chez tes grands-parents parce qu'elles voulaient savoir où tu étais et nous on... On ne pouvait pas leur dire qu'on ne savait pas... Puis hier tu... tu reviens et tu nous racontes toute cette histoire et...

– Mais je suis vraiment entré dans cette maison, je n'ai pas rêvé. Je... je n'ai rien inventé. Je le jure...

Mon père passe un bras autour de mes épaules et caresse mon dos en m'attirant contre lui. Je n'ai plus la force de pleurer je crois. Je suis épuisé par tous ces évènements.

– Quelle est l'adresse ?

Je ravale ma salive et lui souffle le nom de la rue. J'omets de lui dire que j'y suis allé aujourd'hui et qu'il ne reste rien d'autre que des vestiges d'un passé et une maison en ruine. Je ne sais pas ce que cette information peut lui apporter, ni ce qu'elle évoque chez lui.

Mais je le sens se tendre contre moi, reculer et placer une main sur mon épaule pour que je fasse de même. Il me regarde, les sourcils froncés et l'expression perdue. Je n'ai pas le temps de l'interroger, il répond à ma question d'une voix fantomatique. Ce que je lis dans ses yeux me fait froid dans le dos, me serre la gorge au point d'en ressentir l'envie de vomir.

L'inquiétude, le questionnement, la peur.

Et les mots qu'il m'adressent me font l'effet d'une violente claque au visage, j'ai l'impression de chuter d'une tour de soixante étages depuis hier. Une descente vertigineuse, interminable. A la seconde même où mon père parle à nouveau, mon corps s'écrase brutalement au sol. Le coup est si intense que je ne sais plus ouvrir la bouche pour respirer.

Ses paroles tournent en boucle dans ma tête, mais je voudrais les oublier.

– Louis... Ça fait des années que cette maison est inhabitée...

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