𝟎𝟔. Blue Velvet
Lorsque l'élégante Plymouth arborant une carrosserie d'un carmin sombre finit par atteindre sa destination, Sasuke fut le premier à descendre du véhicule, quittant le siège du conducteur, afin de contourner le capot pour ouvrir la portière de sa passagère et il tendit sa main afin de recueillir les phalanges délicates de sa sublime compagnie de la soirée. La jeune femme posa un élégant talon puis l'autre sur le béton brut de la route, et se leva du siège sur lequel elle était confortablement installée auparavant ; lissant les quelques plis venus froisser le velours pourpre de sa longue robe.
- Dis donc, il y en a du monde, constata-t-elle en rajustant l'épaisse étoffe de cachemire glissée dans son dos et qui la protégeait des températures hivernales.
Une file d'attente longue d'une vingtaine de mètres trônait face aux portes du restaurant le plus prisé de la ville et patientait dans le froid de cette nuit de décembre ; les fêtes approchant, la fréquentation dans ce genre d'endroit ne cessait de croire, ainsi ils se savaient tous condamnés à devoir avancer pas à pas jusqu'à ce que vienne leur tour.
- On va passer par là, ça va être plus rapide.
Disposant une main dans le dos de sa délicieuse partenaire, le brun guida cette dernière avec délicatesse au travers de la foule qui les regarda faire sans broncher et, quand bien même Sakura ressentit une pointe de culpabilité naître en elle alors qu'elle constatait qu'ils étaient en train de doubler tout le monde, elle n'eut guère le temps de se soucier davantage de ceci tant la frénésie du moment lui fit tourner la tête. Le Uchiha venait de pousser une porte dérobée et, en suivant son compagnon de la soirée qui s'assurait continuellement de sa présence, la belle découvrit qu'ils venaient tout juste de débarquer en plein milieu des cuisines.
Tous intensément concentrés sur leurs tâches diverses, cuisiniers comme serveurs se croisaient et s'activaient ardemment - le restaurant étant sans aucune doute plein à craquer - sans ne leur prêter guère plus d'attention qu'un discret regard en coin. Au fil de leur avancée dans ces cuisines animées, le duo se laissa envoûter par les diverses odeurs émanant des innombrables casseroles et marmites abritant sous leurs couvercles brûlants des plats tous plus alléchants les uns que les autres. La jeune femme ne put s'empêcher de s'attarder sur la minutie dont faisait preuve un commis en disposant d'une main légèrement tremblante une boule de glace d'un rondeur parfaite sur une part de tarte aux pommes fumante, l'agilité dont faisait preuve les serveurs en slalomant avec la plus grande des facilités entre les diverses employés tout en soutenant du bout de leurs cinq doigts un plateau rempli d'une vaisselle inestimable, ou encore l'énergie dégagée par le chef de ces lieux alors qu'il hurlait ses recommandations d'une voix exagérément poussée afin de couvrir le vacarme des ustensiles cliquant, du brouhaha des discussions et des diverses minuteurs sonnant.
De son côté, le brun se contentait de contempler la jeune femme à ses côtés avec un discret sourire tout en glissant des billets dans les poches des diverses personnes voulant se faire bien voir par le fils des Uchiha, espérant se faire remarquer en tenant la porte au couple, en ordonnant de leur faire préparer les mets les plus raffinés ou en leur présentant leurs plus rares bouteilles de vin.
Le duo finit par quitter les cuisines pour atteindre un couloir tapissé d'un velours rouge du sol au plafond, teinte d'une grande élégance qui plut au jeune homme, satisfait de constater que ce restaurant, un de ceux qui coûtait le plus cher à leur clan parmi tous ces lieux sur lesquels ils avaient la main mise, investissait à bon escient la quantité colossale d'argent que la plus grande famille de New-York misait sur eux en échange d'un généreux pourcentage sur leurs recettes et d'une protection.
Le Copacabana était considéré par tous comme le repère de prédilection des Uchiha, et peu de civils lambdas - du moins pour ceux en ayant les moyens - n'osait y mettre les pieds, sachant inéluctablement que la clientèle de ce genre d'endroit était pour le moins spécifique. Ce lieu était rempli d'hommes politique corrompus, de stars de cinéma ou encore de milliardaires souhaitant faire briller les yeux de leur maîtresse le temps d'une soirée ; Sakura balaya cette population du regard alors qu'ils venaient de débarquer la salle principale, celle où le tohu-bohu des conversations se mêlait aux rires, au tintement des couverts, et la mélopée flottante du piano derrière lequel un vieil homme plaquait de doucereux accords.
- Hé toi !
Hélé par une voix derrière lui, un jeune serveur récemment arrivé dans l'entreprise juteuse se retourna vers la voix l'ayant apostrophé et une certain tension s'immisça en lui lorsqu'il reconnu le gérant du restaurant, un homme impitoyable lui ayant fait passé l'entretien d'embauche le plus douteux qu'il eut fait. Le cinquantenaire s'approcha du plus jeune et déposa une main sur l'épaule de ce dernier tout en désignant de l'autre le fond de la salle, où se trouvait une porte menant à un accès privé et un couple au pas de celle-ci, tandis qu'un énième employé se démenait pour leur laisser le passage libre.
- Tu vois le couple qui vient d'entrer avec l'homme aux cheveux noirs ?
Le serveur hocha la tête en suivant la direction que lui indiquait son supérieur.
- Va leur trouver la meilleure place du restaurant, pendant que je vais les accueillir.
- On a plus de place patron, bafouilla le serveur
Ledit patron se retint de lui en coller une, convaincu qu'il n'aurait jamais dû accepter d'embaucher ce gamin pistonné, dorénavant persuadé que cet idiot fini ne comprenait rien aux affaires se tramant dans l'enceinte de l'établissement. Expirant un souffle las, il empoigna fermement le bras de l'employé en tenue chic avant de lui ordonner d'une voix sèche :
- J'en ai rien à foutre. Tu déloges des clients, tu les fais bouffer dans la rue s'il le faut, mais tu me mets le fils des Uchiha à la meilleure table !
Concluant la conversation ainsi, le gérant se dirigea à grandes enjambées vers les nouveaux arrivants et les accueillit avec toute la cérémonie qui était de mise pour le genre de personne qu'était Sasuke Uchiha, puis commença à les guider au travers de la salle.
Au fil de leur avancée vers la table leur ayant été réservée, obligeant leurs malheureux précédents occupants à déguerpir au plus vite, les deux êtres ne cessaient d'être interpellés de toutes parts par divers associés et partenaires de la famille Uchiha afin que salutations et vigoureuses poignées de mains soient échangées. Quand bien même le brun ne portait aucune de ces personnes-là dans son coeur, il s'efforça de serrer la main de quiconque le reconnaissant et, par la même occasion, de faire les présentations à la jeune femme qui les saluait poliment en retour. Une fois installés à leur table et cette interminable courtoisie achevée, les deux jeunes personnes prirent finalement le temps d'être installés dans cet endroit luxueux ; Sakura se tourna alors vers le Uchiha avec un grand sourire :
- C'est incroyable ici.
Bien que la jeune femme était familière de ce genre d'endroit, après tout elle passait une grande partie de son temps dans les casinos à accompagner la baronne du jeu, ici le sentiment faisant vibrer son organe vital se faisait plus frénétique, plus exaltant. Elle n'était pas là pour honorer de sa charmante compagnie de vieux millionnaires gâteux, ni pour garder un œil sur les potentiels tricheurs ou encore pour moins pour empêcher Tsunade de perdre une trop grande fortune lors d'une partie de jeu - quand bien même elle respectait profondément sa supérieure, être à ses côtés pouvait s'avérer éreintant, et notamment lorsque les parties n'allaient pas en sa faveur, ce qui arrivait souvent.
Non, ce soir, la belle se trouvait dans ce magnifique lieu dans l'unique but de passer la plus délicieuses des soirées - et ce, tout en étant plus que bien accompagnée. Elle glissa l'émeraude de son regard vers l'homme aux mèches ébènes installé à ses côtés, détaillant au passage la minutie avec laquelle ses traits constituait son portrait sur la clarté de son visage opalin, alors que ce dernier était en train de leur commander de quoi se désaltérer, une excellente bouteille de vin pour commencer. Une fois le spiritueux choisit et le serveur parti en direction du bar, le jeune Uchiha ancra l'encre de son regard dans les pierres précieuses ornant l'âme du reflet de sa belle et, subtilement, le fantôme d'un sourire vint s'échouer sur ses pâles lèvres. A ce geste d'une rare discrétion, Sakura laissa elle aussi un sourire bien plus franc fleurir sur son épiderme nacré et en profita même pour glisser la délicatesse de ses phalanges dans la paume du brun et ce dernier, appréciant visiblement ce contact, resserra subtilement l'emprise qu'il avait autour des doigts de la charmante jeune femme qui lui offrait le plus fascinant des regards.
Après seulement une poignée de minutes passées à discuter dans le brouhaha de l'immense salle, les deux jeunes êtres constatèrent que les lumières de la salle étaient en train de s'essouffler, instaurant dans le restaurant une ambiance tamisée seulement alimentée par les bougies ornant les multiples tables. Aussitôt, un spot lumineux éclaira la scène, plus précisément un micro orphelin de tout chanteur, et seul le pianiste se trouvait derrière son instrument de prédilection.
Accompagnée par une nuée d'applaudissements qui surgit subitement dans la salle, une femme s'avança vers l'avant de la scène, le regard fuyant et les épaules affaissées ; une mélancolie était emprunte sur la blancheur de ses traits, une clarté qui contrastait d'autant plus pertinemment avec le carmin de ses lèvres et l'ébène de sa chevelure. Discrètement, saxophoniste, contrebassiste et batteur se glissèrent à leur tour à l'arrière de l'estrade, armés chacun de leurs instruments de prédilection et patientèrent que les applaudissements se taisent, afin que le pianiste puisse faire courir ses phalanges habiles sur les touches monochromes ; ce qu'il fit.
Avec douceur, il plaqua les premiers accords et, rapidement, la chanteuse souffla d'une voix atrocement mélancolique les premiers mots du Blue Velvet de Tony Bennett. La mélopée plongea le restaurant dans une ambiance douce et flottante, mettant en pause les affaires se tramant entre les différentes tables et accaparant même l'attention des quelques hauts placés venus passer la soirée en ces lieux.
Glissant avec subtilité ses pupilles ébènes vers la jeune femme à ses côtés, Sasuke constata avec satisfaction que cette dernière semblait conquise par ce début de soirée et en eut la confirmation lorsque l'émeraude de son regard charmeur vint s'encrer en lui et qu'il put y lire les pensées enjôleuses régnant dans l'esprit de celle pour qui, il en était convaincu à présent, il était tant épris.
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